LE PAPE ET L’ÉGLISE OUVRENT (enfin) LES YEUX ?

          Pour répondre à la crise profonde que traverse la chrétienté occidentale, Rome vient de prendre une décision importante. Le Monde du 2 juillet s’en fait l’écho dans sa page 8.

 Le diagnostic

           Le Monde rappelle, d’abord, que le diagnostic du déclin catholique était posé depuis longtemps : « Les papes du XX° siècle ont tous perçu les conséquences pour l’Église de l’avènement de la modernité, et le passage d’un catholicisme d’habitude ou de filiation à un catholicisme de conviction »

          C’est-à-dire : pendant des siècles, on naissait catholique et on le restait. Telle était la coutume, que maintenait en place une pression sociale et politique généralement acceptée.

          Aujourd’hui, être catholique ne va plus de soi : c’est un choix que l’on fait, en s’inscrivant volontairement dans un courant qui n’est plus majoritaire.

           « En 1975, Paul VI annonçait « des temps nouveaux pour l’évangélisation ». « Les conditions de la société, écrivait-il, nous obligent à réviser les méthodes, à chercher comment faire parvenir à l’homme moderne le message chrétien ».

           Changer de méthoDe : cette ligne de conduite sera reprise par tous ses successeurs.

           Jean-Paul II, « obsédé par la déchristianisation de la « vieille » Europe et la dilution de ses racines chrétiennes… évoquera pour la première fois en 1979 la nécessité d’ «une nouvelle évangélisation ». « Ầ sa suite, Benoît XVI plaide régulièrement pour un affichage et une participation accrue des chrétiens dans le monde. En 2010, il défend « un nouveau dynamisme missionnaire des chrétiens, là où le silence de la foi est le plus vaste »… Il fustige « les croyants honteux de leur foi qui prêtent leur concours au sécularisme ».

   La solution proposée

           « On est peu à peu passé d’un discours de déploration, voire de dépression, à un discours de reconquête », analyse le sociologue des religions Philippe Portier. « Aujourd’hui, le défi principal de l’Église est l’évidement de la chrétienté occidentale. L’heure est jugée tellement grave qu’il faut une nouvelle structure pour y répondre ».

           Résultat : la création d’un nouveau ministère (Dicastère) dans l’organigramme du Vatican : un Conseil Pontifical pour la Nouvelle Évangélisation. « Acte rare dans la gouvernance vaticane, dont les dernières modifications remontent à 1988. Il entend apporter une réponse institutionnelle et politique à l’affaiblissement continu de l’Église catholique sur ses territoires traditionnels »

          Et le pape d’expliquer : ce nouveau ministère devra « promouvoir une évangélisation renouvelée dans les pays où a déjà résonné la première annonce de la foi, mais qui vivent une sécularisation progressive et une sorte d’éclipse du sens de Dieu », .

 L’échec

           « Mais la création de ce Conseil souligne aussi… une forme d’échec des stratégies développées jusqu’à présent », poursuit Le Monde. Plus grande liberté laissée aux évêques pour organiser la propagande sur leurs territoires, afin de reconquérir les fidèles. Introduction de musiques « modernes » et de moyens audio-visuels dans les liturgies. Langage adapté, proche des vrais gens, compassionnel, concret voire anti-intellectuel. Utilisation d’Internet (sites, retraites sur l’écran, chats d’aide psychologique), manifestations de parvis ou de rue…

         On a tout essayé. En vain.

 Le déni de réalité

           C’est que l’Église catholique refuse de regarder les choses en face : elle n’est plus Mater et Magistra, mère nourricière de l’Occident et guide de ses pensées.

          Ce ne sont pas les méthodes qui ne sont plus adaptées : c’est le contenu même de la foi, le message chrétien. Ce sont des dogmes surréalistes, comme celui de la naissance virginale d’un homme-dieu, de la transformation physico-chimique d’une galette de farine en chair du Christ, du pardon des péchés dispensé par une institution incapable de se tromper, qui détiendrait seule les clés de la porte du Paradis, etc.

           On peut s’essouffler à mettre au point de nouvelles méthodes : le produit qu’elles prétendent promouvoir a perdu sa valeur. Le meilleur marketing du monde ne pourra jamais vendre un produit déprécié, qui ne correspond plus aux attentes du marché.

                   Car le pape se montre désespérément aveugle, quand il écrit que la nouvelle structure voulue par lui s’adressera à « ceux pour qui Dieu est inconnu, mais qui ne veulent pas rester simplement sans Dieu ».

          Le problème, c’est précisément qu’en catholicisme, « Dieu » est connu, trop connu. On a mis 17 siècles à le décrire, à le définir jusque dans les moindres recoins de sa personne (multipliée par trois), voire de sa personnalité.

          Alors que nos contemporains n’adhèrent plus au dieu méticuleusement décrit et planifié par la pyramide des dogmes. Un dieu devenu statique tellement on a bétonné son image, un dieu sans surprise – et, de plus, propriété exclusive du Vatican.

           Les hommes du XXI° siècle n’ont pas changé, ils sont comme leurs prédécesseurs : « Ils ne veulent pas rester sans Dieu », dit le pape ? Mais ils ne sont pas sans Dieu ! Ce qu’ils refusent, c’est de mourir étouffés par la chape bétonnée des dogmes catholiques.

Dieu ?

Qu’ils soient blancs, jaunes ou noirs, cultivés ou illettrés, ils en ont une vive conscience, mais elle est en creux. Ce n’est pas lui qu’ils rejettent, c’est la façon dont l’Église, depuis St Irénée, n’a cessé de lui coller des étiquettes.

           Un Dieu perçu comme inconnaissable, n’ayant plus rien à voir avec des dogmes baroques, issus de philosophies aujourd’hui incompréhensibles. Dieu réservé à quelques intellectuels encore capables de comprendre ce que signifiaient les termes de nature, personne, substance, kénose, incarnation, âme, corps, quand ils ont été utilisés pour le définir il y a 1000 ou 2000 ans.

          Les croyants n’ont pas « honte de leur foi » : ils n’ont plus les moyens de la comprendre, et ce en quoi ils disent croire, de fait, n’a pas grand-chose à voir avec le contenu réel des dogmes.

           « Perte du sens de Dieu », se lamente Benoît XVI ? Bien au contraire, perception aigüe, étonnamment juste et consonante avec le prophétisme juif, de l’impossibilité de dire quoi que ce soit de Dieu. C’est-à-dire de le capter par une armature dogmatique, d’en devenir d’abord propriétaire, puis exploitant exclusif.

 Une impasse, une issue ?

           L’impasse est connue, décrite par tous les observateurs : performante ou pas, ce n’est pas la méthode qui est en cause, c’est le contenu.

           L’issue ? On ne l’entrevoit guère. Les lecteurs de ce blog (comme de mes livres) savent que j’ai choisi de me tourner vers le prophète juif qui fut confronté, en son temps, à une situation semblable de la nôtre, et eut le courage de proposer ses solutions. Quitte à en mourir.

          Solutions originales, mais jamais entendues, et jamais mises en œuvre au niveau institutionnel (1).

           Dans un livre à paraître chez Albin Michel en mars 2011, je rappellerai quelles furent ces solutions, ou du moins dans quelles directions Jésus se proposait de répondre à la crise de sens qui évidait alors sa société, comme elle évide aujourd’hui la nôtre.

           Je le ferai sans illusions, mais sans baisser les bras.

                                       M.B., 12 juillet 2010

(1) De nombreux hommes et femmes, connus ou inconnus, ont fait pour leur part et font encore ce chemin de retour à la personne de Jésus. Ils n’ont jamais été écouté par les Églises, et ne le seront jamais.

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