LA « QUESTION JÉSUS » DEVIENT PUBLIQUE : D. Marguerat, un dossier de « l’Express » (I)

          N’est-il pas surprenant que l’un des trois grands tabloïds de notre pays laïc publie un épais dossier de Noël sur La Chrétienté (1) ?

         J’y vois une double signification. D’abord, l’évidence que la France a été et reste (au moins culturellement) un pays profondément catholique. Ensuite, que ce pays – comme tout l’Occident – court désespérément après son identité. Confronté à la mondialisation et à un choc de civilisations, il se tourne vers ses racines chrétiennes.

          Revenons sur le premier article de ce dossier.

 I. Daniel Marguerat et le juif Jésus

           J’ai déjà exprimé ici (cliquez) mon regret que ce chercheur respecté de la Quête du Jésus Historique utilise son audience pour diffuser une interprétation particulière de la résurrection de Jésus. Il ne revient pas sur le sujet, mais assène quelques vérités surprenantes. Je le cite :

           « Jésus a-t-il voulu fonder une nouvelle religion ? La réponse est très clairement non. Il n’avait pas l’intention de fonder une synagogue séparée… Malgré son fort charisme, il n’a pas voulu créer une nouvelle entité religieuse… C’était un réformateur d’Israël… qui a voulu montrer que la foi de son peuple devait être rénovée, restaurée, vivifiée… Son combat reste confiné à l’interne d’Israël… Il s’incorpore dans la grande diversité du judaïsme [de son temps]. Il n’est pas placé face aux siens : il est parmi les siens… Jésus était juif à cent pour cent. »

           Affirmer fortement, tranquillement et comme si cela allait de soi, que Jésus n’était rien d’autre qu’un juif parmi les siens, un juif 100 % qui n’a jamais songé à fonder une Église quelconque mais seulement à rénover, restaurer, vivifier son judaïsme natal… Ce n’est pas une nouveauté : dès les années 1980, nous étions déjà plusieurs (cliquez) à le dire.

          La nouveauté, c’est que ces vérités élémentaires ne sont plus réservées au petit monde des chercheurs, mais publiées dans une revue destinée au grand public, d’audience nationale.

          Il faut s’en réjouir : lentement, les choses progressent.

           Enfin ouverte cette porte soigneusement cadenassée pendant des siècles, deux questions se posent : en quoi consiste cette rénovation, à laquelle Jésus prétendait ? Et comment ce réformateur juif a-t-il pu donner naissance au christianisme historique ?

 II. Nouveauté de Jésus

          Pour D. Marguerat, la nouveauté apportée par Jésus réside tout entière dans « le sujet de la pureté ».

          Le peuple élu n’existait que par une muraille intérieure, qui traversait chaque juif : « Une conception défensive de la pureté, qui protégeait le croyant de la contamination des autres ». Jésus « déplace le lieu de la pureté : elle se loge dans ce qui sort de l’humain. » Elle n’est plus « ce qui menace l’individu en venant à lui, mais ce qui va de l’individu vers les autres, paroles et gestes. »

          Ce serait pour avoir fait tomber cette barrière qui protégeait le peuple juif, que Jésus a été condamné par les dignitaires du Temple (les sadducéens).

           C’est bien vu, et bien dit. Mais la réalité est plus complexe. Pour s’en rendre compte, il faut retracer l’évolution intérieure de ce jeune juif ordinaire, bouleversé par sa rencontre avec Jean-Baptiste, et qui va découvrir peu à peu, au fil de ses rencontres et aiguillonné par elles, un monde nouveau.

           Je me suis attaché à retracer cet itinéraire dans un livre à paraître prochainement (2).On y verra comment, en substituant une loi du cœur à la Loi de Moïse, Jésus fait effectivement tomber une des murailles du vieil Israël.

                   Mais s’il a été condamné, c’est pour un ensemble de nouveautés, qui finissent par se tenir comme un tout cohérent. Et la principale source de sa condamnation, la plus immédiate, ne concernait pas le « sujet de la pureté » : ce fut l’introduction, pour la première fois dans l’antiquité, de la notion de laïcité. « Dieu est au ciel : sur terre, il ne peut être invoqué pour justifier des lois ou des coutumes inhumaines.»

           Nouveauté inouïe, très vite oubliée par le christianisme et ignorée par le Coran.

 III. De Jésus au christianisme

           Dans la dernière partie de son article, D. Marguerat cherche à montrer que Paul de Tarse a continué l’enseignement de Jésus, en « rendant le christianisme compatible aux non-juifs… Il a reformulé la croyance judéo-chrétienne dans le langage et les catégories de la culture grecque ».

          Il n’aurait donc fait que prolonger la nouveauté apportée par Jésus, en la mondialisant.

           C’est oublier un peu vite que Paul a d’abord été un fondateur et un organisateur d’Églises, et que certaines d’entre elles (Colossiens, Philippiens, Éphésiens) furent responsables de la divinisation de Jésus – seuil que ce pharisien n’avait jamais franchi.

          Qu’il a mis la souffrance au cœur du salut chrétien (théologie de la croix), formulé les sacrements, fait de la soumission aux pouvoirs civils une norme, etc. Toutes choses par lesquelles il tournait délibérément le dos à l’enseignement (paroles et gestes) du rabbi galiléen.

           Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est d’exhumer de la mémoire chrétienne et Occidentale le message original du juif Jésus.

         De le démaquiller, pour retrouver son visage à lui.

           Alors seulement pourra commencer le long travail de recomposition d’une identité perdue – la nôtre.

                    Il fallait ouvrir la porte, et publiquement : merci à Daniel Marguerat, et merci à L’Express, d’avoir poussé quelque peu le loquet.

                                                  M.B. : à suivre 

(1) L’Express du 22 décembre 2010, propos recueillis par Christian Makarian.

 (2) La Nuit des Oliviers (Albin Michel). Un roman, totalement inspiré par la recherche sur le Jésus historique.

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