LA RÉSURRECTION SENS-DESSUS DESSOUS : un article de D. Marguerat

          Je suis stupéfait ! Dans un hors-série du journal Le Point (janvier 2009), largement diffusé, Daniel Marguerat – chercheur respecté de la « quête du Jésus historique » – publie un article de 3 pages sur la résurrection de Jésus. De la part de ce fin connaisseur, on s’attendait à une mise à plat de ce dossier brûlant : il n’en est rien.
          L’article commence pourtant bien : « Les deux verbes grecs pour dire l’ « après » de la vie de Jésus signifient très exactement être relevé, être réveillé« . C’est vrai, le mot « résurrection » nous entraîne sur une fausse piste, quand il traduit le verbe egeirô du Nouveau Testament. Ce verbe ouvre vers une autre direction  : se réveiller, s’éveiller – la catégorie sémantique de l‘Éveil, expérience humaine si bien décrite par l’hindo-bouddhisme.

          Passons ensuite sur quelques inexactitudes : « Les récits évangéliques s’accordent à dire que le tombeau de Jésus a été trouvé ouvert deux jours après sa mort… Les femmes attendent trois jours pour embaumer le corps de Jésus » : non pas trois jours, non pas deux, mais 32 heures après la mise au tombeau. Soyons précis, puisque les traditions évangéliques (et c’est rare) le sont unanimement sur ce point-là.
          Concernant les apparitions de Jésus Éveillé, Marguerat poursuit que « les textes canoniques ne s’accordent ni sur les lieux, ni sur les acteurs, ni sur les paroles ou les gestes échangés ».
          Juste : mais c’est qu’il faut faire le tri dans ce que les traditions ont fait parvenir jusqu’à nous. Ce tri, quand on le fait, on constate que le Nouveau Testament témoigne de deux types différents d’apparitions :

          1- Des apparitions à quelques proches de Jésus – une femme de son entourage, les Onze apôtres, deux disciples fuyant Jérusalem, enfin quelques apôtres au bord du lac de Galilée – en présence du disciple bien-aimé dont le témoignage visuel, de première main, est ici incontournable. Selon nos critères, ces apparitions peuvent être qualifiées d’ « historiques ».

          2- D’autres apparitions, dont témoigne Paul de Tarse dans sa première lettre aux Corinthiens (15,3-7), qui dit tout autre chose que les témoignages précédents : Jésus serait apparu à Pierre le tout premier (c’est faux), puis à plus de 500 frères à la fois (c’est inventé), ensuite encore à Jacques puis à tous les apôtres…
          Cette chronologie est tout simplement le reflet des luttes pour la prise du pouvoir qui ont déchiré l’Église dès sa naissance. En l’an 56, Paul navigue encore à vue entre les prétendants, et fait hommage à Pierre (devant Jacques, son rival) pour ménager les partisans du vieux chef – afin de mieux les affaiblir ensuite.
          Ce récit d’apparitions est donc inventé pour raisons politiques (1) . Tout comme l’apparition à l’incrédule Thomas (Jn 20, 24-29) est inventée (ou entièrement réinterprétée) pour raisons théologiques.

          Marguerat mélange dans le même sac, pêle-mêle, toutes ces traditions. Le résultat ? Rien n’est plus crédible, il y a trop de contradictions : il lui faut expliquer la résurrection autrement que comme un évènement réel (« historique »), transmis jusqu’à nous par des traditions qu’il revient à l’exégète de démêler, pour trier le vraisemblable de l’invraisemblable, l’authentifiable du mensonge.

         Il continue donc :  « Les récits de la résurrection ne seraient-ils que des fictions ? Les suites d’une hallucination collective déclenchée par l’intense frustration des disciples face à la mort » de Jésus ? Notre expert est trop avisé pour avaler cette explication psychiatrique (la résurrection serait attestée par des malades).
          Il propose « une autre piste offerte par l’attention portée au langage de ces récits : les verbes voir et apparaître y sont fréquents. Ils renvoient à un phénomène d’expérience visionnaire, la vision comme phénomène mystique ».
          C’est là qu’il sort Paul de son chapeau : Paul et ses « expériences visionnaires… la diversité des récits s’explique alors fort bien… la vision s’inscrivant, en effet, dans la subjectivité de l’individu ».
          Autrement dit, pour Daniel Marguerat la résurrection n’est plus attestée par des malades, mais cette fois-ci par des mystiques visionnaires : « Le fait que cette résurrection… atteignit Jésus dans le présent ne changeait rien à l’affaire : ces visions… allaient être interprétées par ses disciples à l’aide des catégories disponibles dans leur milieu religieux. L’indicible de leur expérience mystique trouvait dans la foi… le moyen de se dire »

          Sans faire appel aux Docètes, hérétiques du II° siècle condamnés par l’Église et qui auraient pu dire la même chose, on lit ici la thèse de Rudolf Bultmann (cliquez) pour qui la résurrection ne repose sur rien d’autre que sur la foi des témoins : « Le fait que la résurrection atteignit Jésus dans le présent ne change rien à l’affaire », c’est un phénomène subjectif, le résultat de transes mystiques.
          Exit la réalité objective de la vie de Jésus « après ». 
          Exit l’espérance, pour nous qui souffrons, d’une fin de nos souffrances.

          Daniel, quel dommage ! Vous disposiez, dans Le Point, d’une tribune partout distribuée, lue par des milliers de personnes, croyants, en recherche ou incroyants. Pourquoi les enfoncez-vous dans cette impasse – vous, l’expert du Jésus historique ?     
          Pourquoi n’avoir pas saisi l’occasion pour les orienter dans la bonne direction ? 
          Pourquoi n’avoir pas fait comprendre que Jésus l’Éveillé a vécu une expérience humaine qui nous est promise (à nous tous qui ne sommes ni malades mentaux ni mystiques) et qui a été si bien décrite par l’autre moitié de l’humanité, l’Orient extrême ? 
          Ces milliards d’asiatiques n’ont-ils jamais rien su voir ? N’ont-ils jamais rien compris à rien ? Sommes-nous les seuls à tout savoir, parce que nous avons Aristote et la Bible ?

           Pour cette majorité de l’humanité, et qui pense (elle aussi), la mort n’existe pas. Rien ne disparaît, tout se transforme (cliquez).  
          Jésus a traversé la mort, et comme tous les Éveillés de la planète il a pu se rendre visible, pendant une courte période de temps, à certains de ses plus proches. Ce n’était ni une psychose collective, ni une vision mystique par laquelle les témoins se disaient eux-mêmes.
          C’était un phénomène humain ordinaire : ce qui est extra-ordinaire, c’est que les savants occidentaux que nous sommes, aveuglés par leur science, ignorants de celle des autres (Les autres ? Quels autres ?), se montrent toujours aussi incapables d’en rendre compte.

                                 M.B., 25 janvier 2009

(1) Sur la résurrection, voyez dans ce blog, le court article de la série « Le temps des prophètes » (cliquez ici). Pour en savoir plus, je renvoie à l’analyse détaillée, dans le chapitre Apparitions ?, de mon essai Dieu malgré lui, nouvelle enquête sur Jésus, (cliquez)  Robert Laffont 2001, pp. 345-353.

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