L’humour, c’est comme l’amour, c’est bon quand on le fait : mais dès lors qu’on se met à en parler, il cesse d’exister.
Vouloir le définir, c’est déjà montrer un cruel défaut de pratique.
Il a ceci de commun avec Dieu, qu’aucun mot ne peut le dire. Et comme Dieu, c’est lorsqu’il vient à manquer qu’on s’aperçoit de son existence.
I. Les français, ou l’impossible humour
Les anglais ont-ils inventé l’humour ? Voltaire (lettre de 1762) : « Les anglais on un terme, humour qu’ils prononcent youmor. Ils croient qu’ils ont seuls cette humeur, et que les autres nations n’ont point de terme pour exprimer ce caractère d’esprit »
Je ne sais si « les autres nations » manquent de « ce caractère d’esprit », mais les français en sont fort dépourvus. Oh ! En cherchant bien, on trouvera quelques phrases de Montaigne, de Flaubert et même de Stendhal. Mais notre « caractère d’esprit » national a été façonné par deux monstres sacrés.
Rabelais, ou la gauloiserie
Premier grand roman en langue françoise, le cycle de Gargantua implante chez nous le comique gaulois : « Plus c’est énorme, et plus c’est drôle » ! Hénaurme, le récit de la naissance de Gargantua, hénaurme la meilleure façon de se torcher le cul, celle « qui cause au fondement une volupté bien grande ».
La postérité de Rabelais se retrouve, vivante, chez Coluche, De Funès, Fernandel – les comiques préférés des français. En passant par Molière, Mirabeau, Beaumarchais puis le vaudeville, Feydeau, Labiche… Toujours, on se moque des autres, jamais de soi : le pauvre se moque du riche, le manant du nanti, le sot du savant (surtout si c’est une femme savante), le sujet se moque du pouvoir… Le comique gaulois est une satire de la société, il deviendra le premier moteur de la Révolution de 1789.
Voltaire, ou l’ironie
Jeu de l’esprit, l’ironie devient au XVIII° siècle une arme meurtrière. On tue d’un bon mot, d’une pointe assassine. Elle est brillante, scintillante, elle lance des éclairs – comme la lame d’une épée.
C’est une arme d’attaque, plus que de défense. Sa postérité se retrouve chez Sacha Guitry, Thierry Le Luron, Guy Bedos… Elle sera le second moteur de la Révolution de 1789.
Comique gaulois, ou ironie : attaque, ou défense. Notre « caractère d’esprit » est tourné vers les autres – ou contre les autres. Les français ne se moquent pas facilement d’eux-mêmes (Devos fait exception, mais il est belge). Et comment se moquer de soi, quand on se croit fils naturel d’Henry IV, enfant de droit de Louis XIV, petit-fils de Grognard napoléonien, et qu’on est pour toujours nostalgique de la Grandeur de la France ?
L’humour consiste d’abord à ne pas se prendre au sérieux – et encore moins, au tragique. Or, nous nous prenons terriblement au sérieux, et quand « ça ne va pas » comme il faudrait, l’Acte III du drame et ses larmes sont tout proches.
Prenons la même situation, vécue de chaque côté de la Manche.
Madame du Barry, ancienne maîtresse de Louis XV, monte à l’échafaud. Que dit-elle ? « Oh ! Monsieur le bourreau, s’il vous plaît, encore un instant ! ». Ému par un destin si tragique, je pleure.
Thomas More monte à l’échafaud. Que dit-il ? « Monsieur le bourreau, veuillez m’aider à monter je vous prie, car pour descendre je me débrouillerai bien tout seul ». J’admire, en souriant.
Pierre Desproges apprend qu’il est condamné : « Plus cancer que moi, dit-il, tu meurs »
Ruiné, misérable, Oscar Wilde agonise. Profitant de ses derniers instants de lucidité, le médecin lui présente sa note d’honoraires : « Décidément, dit Wilde, je meurs encore au-dessus de mes moyens ».
Le « caractère d’esprit » d’une nation se définit par des mots devenus célèbres :
François I°, battu par les Italiens : « Madame, tout est perdu, fors l’honneur ! » Défait, le coq gaulois fait le bravache, surtout devant une femme.
Un lendemain de tempête, gros titre du Times : « Storm on the Channel : the Continent isolated ». Alors au faîte de sa puissance, l’Angleterre se moque d’elle-même : c’est le Continent qui aura bien du mal à vivre sans elle.
Allez, admettons-le : l’humour n’est pas notre tasse de thé. Nous ne le pratiquons guère, et en reprochons l’usage à ceux qui ne peuvent pas vivre sans lui.
Dont je suis.
II. Dieu a-t-il de l’humour ?
Il n’y aura jamais de réponse à cette question. Car nous ne savons de Dieu que ce qu’en ont écrit les auteurs des Livres sacrés. Tous, ils étaient ou se prétendaient théologiens.
Dieu rit-il de lui-même ? La question aurait mené son auteur sur un bûcher. On ne plaisante pas avec Dieu, et encore moins avec la religion.
III. Jésus avait-il de l’humour ?
Là, nous pouvons avoir une réponse, puisque Jésus (à la différence de Dieu) est un personnage historique. Certes, ceux qui ont raconté ses faits et gestes étaient eux aussi des apprentis théologiens, guidés pas une ambition féroce, créer une nouvelle religion en utilisant l’homme de Galilée comme porte-drapeau et alibi.
Mais la personnalité de Jésus suinte à travers les Évangiles.
Son mode d’enseignement, d’abord : les paraboles sont ce qui s’approche le plus du Jésus historique. Petits drames admirablement ciselés, mais aussi parfois comédies dont Molière n’aurait pas eu à rougir. Le regard que Jésus porte sur la société qui l’entoure est plus celui de l’humoriste que du dramaturge. L’absurdité des situations (les paraboles « financières »), le triomphe du petit (la brebis contre le troupeau), la déconfiture des possédants (le propriétaire qui découvre de l’ivraie dans son champ), sont des ressorts de l’humour. De même la façon dont Jésus renvoie dans leurs buts les théologiens (la femme et ses sept maris), dont il guérit un jour de Sabbat, dont il pardonne la femme adultère…
Son attitude, aussi, face à ses disciples, qui ne comprennent rien à rien et ne pensent qu’aux honneurs à venir. Ses paroles enfin à Gethsémani (« Laissez ceux-là partir ») et face au soldat qui le gifle…
Jésus avait de l’humour.
Et sans cela, comment aurait-il pu se dresser contre Le Mal, comme il l’a fait ?
Qu’il me pardonne si, disciple transi, je n’ai pas encore compris…
M.B., 16 août 2008.
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