L’homme enfonça son bonnet en papier sur sa tête, coinça la flûte sous son bras gauche et sortit dans le jardin. C’est là, au milieu des massifs de fleurs, qu’il avait tant aimé autrefois construire ses rêves. Et puis… Et puis un jour, il avait compris que les rêves lui offriraient une carrière, la notoriété. La gloire peut-être, de l’argent, sûrement.
Il sortit par le portail et déboucha sur le trottoir. Entièrement renfermée sur elle-même, la Ville était divisée en deux par un grand boulevard central que les habitants, qui n’étaient plus à une simplification près, appelaient « le Centre ». À droite du boulevard s’étendait un quartier plutôt cossu (certains y avaient encore un peu de travail, chose rare), tandis qu’à gauche une population désœuvrée, mélangée, vivait dans des barres d’immeubles insalubres. Entre la droite et la gauche de la Ville, c’était la guerre : une haine ancienne, tenace, absurde entre deux populations irréconciliables, telle que si l’une disait ‘’blanc’’ l’autre, automatiquement et sans même y penser, disait ‘’noir’’. Dans les écoles du quartier droit on enseignait que ‘’deux et deux font quatre’’ alors que dans celles de gauche les bambins apprenaient que ce calcul repose sur une vision faussée de l’univers, qu’il est le fruit du conservatisme réactionnaire et bourgeois. Pour les enfants de progressistes gauchiers deux et deux font plus que quatre, doivent faire plus que quatre puisqu’en face, on affirme le contraire. Lire la suite →