JÉSUS A-T-IL FAIT DES MIRACLES ? : « Dans le silence des oliviers (V).

 

michel benoit silence oliviers 1couv

             Plusieurs lecteurs du Silence des oliviers ont la même réaction : « Au cours de ma première lecture, j’étais un peu étonné de voir Michel Benoît s’attarder si souvent aux miracles, notamment aux deux miracles de résurrection ».

 Une vie sans miracles

           Dictionnaire Robert : le miracle est « un acte contraire aux lois ordinaires de la nature, produit par une puissance surnaturelle. »

          On lit en effet dans les Évangiles quelques récits d’événements « contraires aux lois ordinaires de la nature ». Pour l’eau transformée en vin à Cana comme pour la multiplication des pains, une étude critique du texte suffit à dégonfler le miracle en non-événement tout à fait ordinaire. J’ai placé ces deux exemples au fil de la narration (pp. 56-58 et141-143), sans fournir les justificatifs techniques de mes interprétations (c’est un roman).

           Restent dans les Évangiles quatre mentions d’« actes contraires aux lois ordinaires de la nature » : car marcher sur l’eau, arrêter une tempête ou dessécher un figuier d’une seule parole, trouver surabondance de poisson là où il n’y en a pas, ce sont des événements que rien ne peut expliquer, sauf une intervention surnaturelle, divine.

           Vous remarquerez que ces récits de « miracles » sont dans les Évangiles le prétexte d’une reconnaissance émerveillée de Jésus ressuscité, ou d’une confession tonitruante de sa divinité. Le miracle semble alors venir à point pour justifier la théologie naissante de l’Église : « Jésus est Dieu ». Renforcée par notre connaissance des traditions de miracles dans l’Antiquité, puis par la critique interne, l’analyse conduit la plupart des spécialistes à mettre fortement en doute la réalité historique de ces miracles racontés par les Évangiles.

           J’ai voulu faire parler la mémoire de Jésus : il ne pouvait pas se souvenir de ces miracles, puisqu’ils n’ont jamais existé que dans la mythologie chrétienne en train de s’écrire à la fin du 1° siècle (cliquez). C’est pourquoi on n’en trouve pas trace dans ces Mémoires d’un juif ordinaire.

          « Les Évangiles, pour prouver la divinité de Jésus, ont recours… à deux arguments : la réalisation des prophéties et l’accomplissement de miracles »

          Les Évangiles avant remaniement, non (1).

          Les Évangiles remaniés dans une intention théologique, et le catéchisme jusqu’à nos jours, oui.

          Ce n’est pas la même chose.

Jésus guérisseur

          La guérison d’une maladie fait-elle partie du domaine des miracles ? Non, absolument pas. Notre médecine n’est pas une magie, elle analyse les symptômes, pose un diagnostic, propose un traitement. Si le malade est guéri, ce n’est pas un miracle, mais la preuve que le diagnostic était bon, le traitement approprié.

          Le problème de l’ouest occidental c’est que notre médecine est positiviste : le corps est un ensemble de petites machines, quand elles se dérèglent on les soigne à coup de médicaments, sans tenir compte du fait que la machine-cœur ou la machine-rein font partie d’un tout, l’individu malade.

          L’Antiquité ignorait cette conception mécaniste de l’être humain, sa médecine aurait pu s’appeler holistique.

          Les juifs y ajoutaient une particularité, que l’on retrouve dans tous les chamanismes : le désordre de la maladie était pour eux l’œuvre des puissances démoniaques. Une personne très malade, comme Marie de Magdala, était réputée habitée par sept démons, chiffre symbolisant la totalité du dérèglement de son corps.

          Quand les Évangiles disent que Jésus, en guérissant, « chasse les démons » du malade, c’est un langage codé. Ce n’est pas un exorcisme, comme le veut souvent l’interprétation catholique. Juif lui-même, Jésus parle aux juifs le langage qu’ils comprennent. D’abord, il pose un diagnostic : « Quel est ton nom ? », demande-t-il à un esprit impur (Mc 5,9). Attentivement, il écoute le récit du père d’un enfant dont « l’esprit s’empare » – et demande une précision médicale (« depuis quand ? ») : l’énumération des symptômes, étonnamment précise, nous permet de conclure sans hésiter à des crises d’épilepsie (Mc 9,17-20).

          Son diagnostic posé, il engage le processus de guérison, qui est toujours le même. Jamais il ne fait appel à la magie, comme c’était le cas des nombreux guérisseurs de l’époque (formules incantatoires, fumigations d’herbes, danse autour du malade, sacrifice d’animaux, etc.). Il s’assure du désir de guérison du malade, de sa confiance (pistis = équivalemment confiance, ou foi). Jamais il ne lui dit « Je te guéris », mais « ta confiance (ta foi) t’a guérie ».

1- Il faut le répéter : jamais Jésus n’attribue la guérison à son action personnelle. C’est sa confiance (sa foi) qui a guéri le malade, Jésus n’est là que pour l’attester face au malade et à la foule.

2- Confiance-foi… en qui ? : Toujours, Jésus utilise une formulation indirecte : « Tu es guéri », ou « tu as été guéri ». C’est ce qu’on appelle le passivum divinum, la façon qu’avaient les juifs de désigner Dieu sans le nommer. Autrement dit, Jésus met en présence la confiance-foi du malade, et la présence de Dieu. Tout se passe entre eux deux, Jésus n’intervient pas. Il se contente de vérifier-manifester la foi du malade, et de lui dire que son attente de guérison a abouti à un résultat, parce qu’elle a rencontré la présence de Dieu.

3- Modalités de la guérison : Est-ce donc Dieu qui guérit ? Et si oui, pourquoi a-t-il attendu si longtemps, pourquoi laisse-t-il des malades dans la souffrance ? Face à un aveugle-né, les disciples posent la question : « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » Jésus répond : « Ni lui, ni ses parents » (Jn 9,3). Autrement dit : Dieu n’est pas responsable de la maladie, ce n’est pas un pervers qui laisse ses enfants souffrir alors qu’il pourrait les guérir en masse. Quelque chose est cassé dans l’humain, auquel je donne une grande place dans Le silence des oliviers, que j’appelle Le Mal et que les juifs appelaient satan, traduit en grec diabolos, « celui qui divise ».

          La confrontation violente entre Jésus et Le Mal ouvre et conclut mon roman, parce qu’elle ouvre et conclut les quatre Évangiles.

          En acceptant la démarche de mise en présence du Dieu qui réunifie ce que Le Mal a désuni (la maladie), le malade est déjà guéri. C’est sa rencontre avec Jésus qui a provoqué ou facilité cette démarche, et il le lui dit.

4- Médecine positiviste et médecine globale : Je renvoie le lecteur à la redécouverte, récente et très lente sous nos cieux, des mécanismes holistiques de la guérison. Nous avons oublié que toute maladie est d’abord une affection de l’âme, ou (pour le dire en termes acceptables) un désordre à la fois du corps et de l’esprit, psychosomatique. Quand elles sont mises en œuvre, les forces mentales sont capables de réparer, en tout ou en partie, les déficiences de l’organisme. Si on refuse ce fait, le pouvoir de guérison des chamanes ou d’un Jésus ne trouve d’explication que dans le miracle, ou la supercherie.

5- Des guérisons solidement attestées : Autant les récits de « miracles » des Évangiles ne résistent pas à l’analyse, autant les guérisons opérées par Jésus sont solidement attestées. Par la convergence synoptique d’abord : des sources et des traditions éloignées les unes des autres concordent sans faille. Par la critique interne : la structure littéraire des récits est homogène, le mécanisme de guérison résumé plus haut est toujours le même, le plus souvent explicitement, parfois implicitement.

          Jésus n’a fait aucun miracle : mais il a guéri, le fait est indiscutable et ne pose ni problème textuel, ni difficulté de compréhension si l’on dépasse des dogmes pseudo-scientifiques solidement ancrés dans notre culture ouest-occidentale.

Résurrections ?

          Soyons clairs : il n’y a aucune résurrection dans les Évangiles, mais des récits de réanimation. Le cas le plus extrême est celui de Lazare. Relisez le chap. 44 du Silence : « Renaître de la corruption intérieure quand on est encore en vie, ou bien renaître quand le corps commence à se corrompre, où est la différence ? Tu crois que la vie ne finit pas ? Moi aussi »

          Nous sommes tellement conditionnés par notre conception de la mort, que nous avons du mal à admettre qu’elle puisse se dérouler autrement. Je signale simplement que notre médecine fait des progrès lents, mais constants, dans la compréhension « scientifique » de ce phénomène. Elle est (et restera) toujours à la traîne par rapport à l’expérience millénaire des cultures orientales, notamment bouddhiste. Mais nous n’admettons pas que l’autre moitié de l’humanité, orientale, ait depuis longtemps compris des choses que nous autres, occidentaux, croyons savoir et maîtriser.

          Indécrottable et imbécile arrogance occidentale.

          J’espère, tout au long du Silence des oliviers, avoir guidé le lecteur, par petites touches successives, vers cette autre compréhension de l’être humain, de ses maladies et de sa mort.

          C’était celle de Jésus. Il l’a affirmée tout simplement, par sa façon d’être et de réagir face à la souffrance humaine.

                                    M.B. 1° juillet 2001

(1) Tout comme l’Évangile de Thomas, qui ne mentionne aucun miracle

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