Dans les récits bibliques, le désert est un lieu très particulier, qui n’a rien à voir avec les prospectus touristiques, et où il se passe des choses… très particulières.
Il y a 3.200 ans, c’est au désert qu’un amas hétéroclite d’esclaves hébreux s’enfuit, terrorisé par la menace de la puissante armée égyptienne du pharaon. Pendant 40 ans, migrant sans but et sans consistance, ces fugitifs vont errer de droite et de gauche à la recherche à la fois d’un point de chute et de leur identité. Le désert impitoyable va les obliger à se défaire peu à peu de ce qu’ils avaient emporté en fuyant l’Égypte – leurs sécurités « d’avant ». Après qu’il les ait dépouillés de tout, ils accepteront enfin de reconnaître qu’ils ont une identité et une vocation qui leur est donnée d’en-haut. Que cette vocation les dépasse et les constitue. Ils deviennent un peuple, avec un destin à réaliser.
Notez qu’ils y ont été contraints et n’ont pas cessé de se plaindre pendant leur longue errance : « C’était mieux avant ! Pourquoi avons-nous quitté l’Égypte ? Oui nous étions esclaves, fers aux pieds, mais au moins on avait un toit et une soupe quotidienne ! » Jusqu’à ce que le désert les façonne, ils ne vont cesser de pleurer après leur chère servitude.
C’est malgré eux que le désert les a haussés au-dessus d’eux-mêmes. Découvrir la liberté intérieure est une souffrance. En faire l’apprentissage, un long effort.
450 ans plus tard, c’est la colère d’une reine que fuit le prophète Élie. Lui aussi, il a peur : il s’enfonce dans le désert jusqu’au moment où, épuisé, à bout de forces, il se laisse tomber sous un genêt et murmure : « Ça suffit maintenant ! Qui que tu sois, Dieu, je n’en peux plus, prends ma vie ! » Dans un dernier sursaut il se relève pourtant et va marcher encore pendant 40 jours dans l’immensité vide.
Qui n’est qu’un reflet, une illustration, un symbole de son vide intérieur.
Quand enfin il parvient à la montagne de l’Horeb, il n’est plus rien. C’est alors, et alors seulement, qu’il rencontre ‘’Dieu’’. Cette rencontre fait de lui un autre homme, le premier de la lignée des prophètes d’Israël.
Innombrables déserts
Point n’est besoin d’aller chercher le désert à des milliers de kilomètres, dans des pays exotiques que traverse, irréelle, la silhouette de caravanes découpées sur un ciel de feu.
Le désert – l’abandon de tout et de tous, la solitude qui étouffe, le doute lancinant sur soi-même, l’angoisse qui creuses ses plaies – ils sont là, vécus et supportés en cachette par des millions d’anonymes. On ne les voit pas, on passe à côté d’eux, ces gens innombrables qui marchent sans but, sans espoir d’arriver quelque part – sans plus même savoir qui ils sont.
Ce désert-là, dans lequel les circonstances de la vie les ont propulsés malgré eux, c’est un lieu mort – et un lieu de mort. On n’y vit qu’en apparence. On a envie de crier, comme Élie : « Ça suffit ! Qui que tu sois, prend-moi ! »
Habiter le désert : solitude et isolement
Ces innombrables déserts dont nous côtoyons chaque jour la souffrance muette, ils n’ont été ni désirés ni choisis par ceux qui ont échoué dans leur ténèbre sans perspectives et sans issue.
Au contraire, certains décident de quitter pour un temps leur cadre de vie confortable, leurs projets, leurs relations, leur famille, afin de s’isoler. Ils ne vont pas forcément très loin, ni dans des lieux exotiques. Mais ils choisissent librement de se séparer. De rompre les liens qui les reliaient au monde afin – et sans cela, il n’y a point de vrai désert – de revenir ensuite auprès des leurs sur la terre des hommes, enseignés, enrichis, purifiés peut-être par la solitude.
Car le désert c’est la solitude, ce n’est pas l’isolement. Ceci est d’une importance capitale : la solitude est une richesse, un bienfait rare qu’il faut ardemment rechercher. Une denrée précieuse à préserver. Sans elle, il n’y a pas de vie sociale ni familiale. Sans elle, « vous n’êtes qu’un tambour qu’on frappe ou un airain qui résonne ». C’est une source de vie, un merveilleux cadeau qu’il faut régulièrement s’offrir pour avoir quelque chose à donner aux autres. Plus nos relations humaines sont intenses, plus elles doivent s’accompagner de solitude
Tandis que l’isolement est très dangereux. Il tue à petit feu, mais sûrement. L’isolement c’est une pathologie, la maladie peut-être la plus répandue dans notre siècle. Il faut à tout prix l’éviter, le fuir, le soigner.
Le désert habité
Quand Jésus, après sa rencontre avec Jean-Baptiste, va passer quarante jours au désert comme Élie, il se sépare pour mieux rencontrer. Mais rencontrer qui ?
D’abord lui-même. C’est au désert que s’accomplit en lui la métamorphose qui transforme le petit artisan galiléen en prophète inspiré source de vie (1). Parce qu’il décape, parce qu’il fait fondre les graisses, le désert révèle chacun à lui-même. Ses quarante jours de solitude entre ciel et sable ont rendu Jésus disponible pour recevoir la vocation qui était la sienne. Cette vocation, elle prend un nom quand il revient pour être baptisé par Jean : une voix intérieure lui fait comprendre – lui révèle – qu’il est le « fils bien-aimé » de ‘’Dieu’’.
Fils et filles aimés de ‘’Dieu’’, nous le sommes tous. Au désert, Jésus rencontre un Père tendrement aimant. Il acquiert la capacité d’être ce fils particulièrement aimé, à qui son Père céleste offre la vocation d’amour ultime, celle de la croix.
Enfin, quand il sort du désert, les évangiles témoignent qu’il possède un don spécial : il est ému, bouleversé jusqu’aux entrailles par les besoins et les souffrances de ceux qu’il rencontre en chemin. Plus personne à ses yeux n’est transparent, il n’est indifférent à personne. Quelle que soit sa nationalité, sa couleur de peau, sa religion. Au désert, Jésus est devenu le frère universel qui se penche sur chacun, sur chacune pour l’aider à vivre ou à revivre.
Le vrai désert, celui qu’il faut rechercher et chérir, n’est pas vide. Il est habité par Celui que la tradition appelle ‘’Dieu’’. Il y attend chacun(e) pour lui donner sa vocation.
Y a-t-il un autre bonheur que celui-là, être aimé, vivre en harmonie avec soi-même, savoir qui l’on est, pour quoi on est fait, où l’on va ?
Très content de votre retour, j’ai lu votre article avec intérêt.
Peut-être êtes vous – ne le prenez pas mal – un tantinet pharisien si j’en crois l’étymologie sur Wikipédia.
Bien à vous.
J.P
puis-je vous rappeler que Jésus était pharisien galiléen – c-à-dire « petit pharisien de province » méprisé par les « grands pharisiens » de Jérusalem. Alors oui, je suis pharisien et fier de l’être, comme mon maître et ami Jésus.
Amicalement, M.B.
Le vieil homme à l’homme nouveau !
Une vie nouvelle avec Dieu, nous sommes fait pour lui !