Proverbe du Moyen-âge : « Il y a deux sortes d’hommes sur terre, ceux qui ont une chemise et ceux qui n’en ont pas ». De même qu’on trouve deux sortes d’êtres humains : ceux qui croient qu’il y a quelque chose après la mort et ceux qui pensent qu’il n’y a rien, rien du tout.
Sans chercher à convaincre ces derniers, j’aperçois quatre façons de croire en un au-delà, et à un ‘’Dieu’’ présent dans cet au-delà.
La foi du charbonnier
Pourquoi « charbonnier » ? C’était la plus basse classe de la société, ignorante, sans éducation, trimant dur et n’ayant donc ni le temps ni la possibilité de lever le nez du ras du sol. Ceux-là croient ce qu’une Église enseigne, parce que l’Église sait. Elle a pour elle la tradition et des théologiens qui disent des choses qui doivent être vraies puisqu’on ne les comprend pas. Les charbonniers savent qu’ils ne savent rien, ils délèguent leur foi à ceux qui savent. Ce sont les humbles, les petits, les pauvres en esprit, les enfants chéris de Celui qui a dit que « le Royaume des cieux leur appartient ».
Nous autres intelligents et cultivés parlons d’eux avec une pointe de mépris. Pourtant il est bien possible que le monde soit sauvé par ces croyants aux yeux fermés, mais au cœur brûlant.
La foi du savant
Elle est très ancienne. Dès le début des civilisations il y a eu des hommes et des femmes qui levaient les yeux vers le ciel et s’apercevaient qu’une telle perfection ne peut être que si un être l’a créée. Quelle est la nature de cet être ? Là, les avis divergeaient. Des espèces de surhommes divinisés qui jouaient avec la création, ou bien un créateur unique, sachant tout et pouvant tout ?
Les siècles passant, l’Occident se rangea à l’hypothèse d’un ‘’Dieu’’ unique. Au matin de l’époque moderne, on lui donna un nom : « Le Grand Horloger » qui réglait tout – du cosmos aux atomes – avec la précision d’une horloge bien huilée.
Bénéficiant d’avancées technologiques spectaculaires, depuis un siècle des savants ont démontré qu’en effet l’univers, la planète et nous-mêmes ne peuvent être ce qu’ils sont que si un être intelligent a été à la manœuvre pour créer les innombrables constantes qui le régulent et le font exister. Ces découvertes firent « Bang », un gros Bang.
Les preuves sont là (1), elles sont nombreuses et indéniables. Mais elles prouvent quoi ? Qu’avant qu’il y eût quelque chose, il n’y avait rien, ni temps, ni espace, ni matière. Nous autres, qui pensons toujours à partir de quelque chose, nous sommes incapables de penser le rien. En nous y efforçant nous tombons dans un vertige que nous appelons ‘’Dieu’’.
Mais ce ‘’Dieu’’ des savants est aussi glacial que l’espace intersidéral, aussi froid que les équations qui le prouvent, aussi indifférent à nous que les chiffres qui le démontrent. Il a la personnalité d’un tableau noir. On prouve qu’il existait au moment de la création intelligente, mais existe-t-il toujours – je veux dire concrètement, pour nous autres ici-bas et aujourd’hui ?
Des équations sur un tableau noir, ça s’efface d’un coup de chiffon. Ce ‘’Dieu’’ des savants est-il présent dans nos vies, ou s’efface-t-il après avoir été prouvé ?
La foi du sentiment
Parce que nous ne sommes pas des robots doués d’intelligence artificielle, ni des horloges. Parce que dans la vie réelle on affronte la souffrance, les difficultés, parce qu’on partage la solidarité et qu’on connaît la joie. Parce qu’on est capables de dire tout cela dans des poèmes, de la musique, des regards d’amour, beaucoup savent intuitivement, obscurément et sans même y penser, qu’il y a quelque chose d’autre que ce qu’on voit, et quelque chose après la mort.
En France le couvercle de notre éducation laïque (et parfois laïcarde) pèse tellement lourd sur nos consciences et nos habitudes qu’on refuse de le soulever, de penser et encore moins de dire que l’univers et nous-mêmes sommes plus que ce que nous croyons être. Mais sous ce couvercle, non-formulée, non-dite, il y a une foi cachée (ou plutôt qui se cache) derrière le conformisme social dominant. Ce couvercle, il saute au moment des grandes épreuves et très souvent, je l’ai constaté, dans les jours ou les heures qui précèdent la mort.
Cette foi qui refuse de se dire n’est pas celle du charbonnier. Elle est aussi tenace en nous que la vie (surtout quand la vie nous quitte), elle est intuitive et se retrouve dans tous les « bons sentiments » que nous inculquons à nos enfants – quitte à les trahir nous-mêmes.
« Mon Dieu ! », « Dieu merci ! », exclamations spontanées qui trahissent ce sentiment diffus d’une réalité invisible.
La foi de l’expérience
Il est difficile de parler de cette foi-là parce que l’expérience, on le sait, ne se transfuse pas d’un être à un autre. Sinon l’humanité (qui reproduit toujours les mêmes erreurs) irait mieux. Si chacun doit faire sa propre expérience, si l’on apprend la vie de la vie, nous avons des oreilles pour écouter des témoins, des yeux pour voir ce qu’ils ont accompli. Dans le domaine de la croyance, ces témoins sont les mystiques.
On appelle ainsi des gens qui ne se sont pas forcément savants – il arrive qu’ils soient incultes – mais qui possèdent une autre science que celle des savants. Une connaissance que les anciens appelaient gnose et qui se construit non pas par le raisonnement, mais par la rencontre.
J’entends les savants pousser des cris : « La rencontre de qui, de quoi ? » La rencontre, messieurs, de Celui que vos raisonnements ne peuvent atteindre, la rencontre face à face (comme disent les Psaumes) de Celui dont le visage nous est inconnu – et de tous ceux qui l’entourent.
C’est une rencontre d’amour et dans l’amour. Ce n’est pas un raisonnement (bien qu’elle nourrisse la raison), ce n’est pas un sentiment (bien qu’elle enflamme les sentiments), ce n’est pas une foi obscure (bien que sa lumière se donne dans l’obscurité). Si, parfois, elle est accordée hors tout effort humain, le plus souvent elle est le fruit d’une recherche opiniâtre et persévérante pendant toute une vie. Elle s’accommode de nos faiblesses, parfois même de nos péchés : elle les brûle en quelque sorte de sa vive flamme d’amour, elle en tarit la source.
En général, ceux qui vivent cette expérience ne savent pas ou ne peuvent pas en parler. C’est que la foi par l’expérience de la rencontre se situe au-delà des mots, des idées ou des sentiments. Quelques grands mystiques pourtant ont eu ce don précieux d’en témoigner en langage clair : ce sont les Augustin, Thérèse, Yvonne-aimée et tant d’autres. Ne mourez pas sans avoir fréquenté au moins l’un(e) d’entre eux.
Sans doute vous êtes-vous reconnu dans une de ces façons de croire, de ne pas croire ou dans toutes à la fois. C’est que j’ai cédé à la tentation de classer ce qui est inclassable : la vie.
Je voudrais juste apporter un complément à l’histoire du charbonnier et défendre l’intelligence de ce dernier. Dans la légende traditionnelle, le diable rencontre un charbonnier et lui demande ce qu’il croit. Le charbonnier lui répond qu’il croit ce que l’Eglise croit. Alors le diable lui demande ce que croit l’Eglise. Le charbonnier répond que l’Eglise croit ce que lui-même croit. Et le diable s’en va dépité et confus de n’avoir pu entreprendre une discussion théologique.
Cette historiette pourrait au-demeurant prêter à bien des commentaires.
Pour le reste, après vous avoir lu, je suis retourné à Ibn Tufayl. L’excellent homme avait tout dit. Faut-il rappeler qu’il est mort en 1181.
Merci carbonniquement.
Ibn Tufayl : pourquoi les musulmans ignorent-ils les trésors de leur tradition ?
M.B.
Peut-être parce que ceux que nous aimons, Ibn Tufayl ou Rabi’a el Addawyia, par exemple, n’ont pas une lecture traditionnelle du Coran. J’ai parfois l’impression que le Coran est comme un citronnier. On peut en cueillir les fruits délicieux en évitant les épines ou faire des bouquets d’épines pour s’en fouetter le dos et celui de ses voisins…
Pour le Coran, vous devriez lire mon essai « Aux origines de la violence. Naissance du Coran » (chez L’Harmattan).
vous y verriez que les citrons amers & les épines y sont tonitruants, les fruits délicieux plus discrets.
M.B.
Je ne peux pas dire que je ne m’attendais pas à cette réponse de votre part et je sais la part que vous faites au messianisme dans l’islam.
Toutefois, c’est une opinion qu je ne partage pas concernant le Coran et l’islam primitif. Je souscris pour ma part complètement à la thèse de Fred M. Donner telles que vous la trouverez dans cet article :https://journals.openedition.org/remmm/246?file=1
Mais sans doute le connaissez-vous déjà et n’at-il pas contribué à modifier votre avis.
Malheureusement, le messianisme reste un grave problème, à un degré encore modeste chez les chrétiens actuels, mais avec une montée croissante et très inquiétante en milieu juif. Là, je pense que nous serons d’accord.
Il y a aussi (et c’est le + dangereux) un messianisme politique : un peuple (USA, URSS, etc.) se comprend et se définit comme ayant LA vérité et devant imposer cette vérité au reste du monde pour le sauver.
L’Histoire le montre, le conflit entre messianismes est inévitable.
Il va faire chaud sur terre !
M.B.
Bonsoir monsieur, merci pour cet article intéressant par son contenu et sa clarté. Je me demande s’il convient de séparer un Dieu créateur de sa création. Je préfère la notion d’un Dieu présent en tout dans un mystère immense. Ce qui n’entre pas en contradiction avec la possibilité d’une relation ineffable avec lui…
C’est dans notre tête, par nos raisonnements, que nous séparons. La réalité est UNE, comme l’est « Dieu »
M.B.
Je le pense aussi, merci !
credo quia absurdum…