Archives mensuelles : janvier 2014

UN ARCHEVEQUE AMÉRICAIN CONTRE LE PAPE : Mgr Weakland et Jean-Paul II.

          Petit américain pauvre, entré à l’âge de 18 ans dans l’abbaye bénédictine de St Vincent (Pennsylvanie, USA), Rembert Weakland est élu abbé à 35 ans. Cinq ans plus tard, il est élu par ses pairs à la tête de l’Ordre bénédictin, Primat résidant à Rome (où j’ai vécu à ses côtés pendant presque 5 ans).
          A 50 ans, il est nommé par Paul VI, dont il est l’ami, Archevêque de Milwaukee, USA. Pendant 25 ans, il tiendra à ce poste une place considérable dans l’Église de son pays et dans l’Église universelle – qu’il connaît parfaitement pour avoir longuement voyagé sur les cinq continents, et côtoyé de près toutes les cultures du globe.

          Cet homme exceptionnel, pianiste et fin musicologue, parlant plusieurs langues, d’une immense érudition religieuse, philosophique, littéraire et historique, vient de publier son autobiographie (1). Un témoignage, bouleversant par son authenticité, sur la crise de l’Église catholique (et, à travers elle, de l’Occident) dont il raconte les péripéties, vécues au jour le jour, depuis son diocèse américain.

          Après Vatican II qui dessinait les contours d’une Église rénovée, Mgr Weakland a connu la reprise en mains par la Curie vaticane et le pape polonais. Il trace un portrait incisif de Jean-Paul II, dont le long pontificat coïncida avec son ministère d’archevêque américain.
          Ầ 82 ans, cet homme qui fut mon père Abbé, dont j’ai tant reçu, n’a plus ni ambitions, ni rancœurs – plus rien à gagner et plus rien à perdre. 
          Son livre crie une vérité rare.

          En voici quelques extraits, traduits par mes soins.


          « Ma première réaction à l’élection du Cardinal Wojtyla fut enthousiaste
            « Pour l’avoir souvent rencontré quand j’étais Primat des Bénédictins, je le tenais en haute estime. […] Jamais je n’ai perdu mon admiration pour ses talents et ses dons, même si – au fil des ans – j’ai trouvé que son style et sa façon de diriger une Église d’un milliard d’êtres humains était oppressive, et beaucoup trop centrée sur sa propre personne.
          « Les années passant, j’étais de plus en plus déçu : les espoirs que je nourrissais au début de son pontificat ont tous été trahis ».

I. Un pape à deux visages

          « De toute évidence, c’était un très saint homme. Il possédait toutes les capacités d’un leader mondial. Dans un univers où l’Église catholique perdait de plus en plus sa signification, il a creusé une niche où il a pu faire preuve de son magnétisme personnel et de sa forte volonté : en ce moment précis de l’Histoire, son élection venait à point nommé. Il comprenait le communisme et savait comment le combattre. […]

          « Il a développé le message social du catholicisme : sa critique du capitalisme marquera son héritage. Mais il n’a pas su étendre cette doctrine sociale à un monde interculturel et globalisé, entrevu par son prédécesseur Jean XXIII.

          « Son soutien de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux était sincère : à la suite de Vatican II, il a voulu cicatriser les plaies nées de la Réforme et du schisme avec l’Orient.     
          « Dans ce dialogue, il laissait de côté nombre de points non-résolus, continuant malgré tout à avancer vers une certaine forme d’unité : par exemple, dans son dialogue avec l’Église Orthodoxe il n’a jamais abordé les questions du remariage ou de la contraception, sur lesquelles il maintenait une position très stricte à l’intérieur de l’Église catholique ».

         « En reconnaissant l’antériorité de l’Alliance entre Dieu et le peuple juif, il faisait un pas vers le judaïsme : mais dans cette démarche, il mettait entre parenthèses la position catholique, selon laquelle le salut vient par Jésus-Christ ».

          « Avec une énergie incroyable, il a affirmé que l’Église devait s’ouvrir aux diverses cultures du monde. Il a nommé de nombreux évêques « indigènes ». Dans ses nombreux voyages, il semblait admettre le besoin pour l’Église d’incorporer toutes les cultures, notamment dans leurs expressions liturgiques. De cela, nous devons lui être reconnaissants.
          « Mais il n’a jamais donné aux Églises de ces peuples la liberté complète d’intégrer leurs cultures locales, parce que cela les aurait conduites à un clergé marié et à d’autres changements dans la discipline catholique ».

II. La face cachée d’un pape

          « Tout bien réfléchi, les aspects négatifs de son pontificat l’emportent sur ses aspects positifs.

          « J’ai admiré sa façon de faire face à la menace communiste, mais il n’a jamais déployé la même énergie pour lutter contre les dictatures de droite, spécialement en Amérique Centrale et du Sud. J’ai souvent entendu des évêques de ces pays se plaindre que le seul endroit où l’Église était autorisée à affronter l’injustice politique, c’était la Pologne.
          « En Amérique Latine, la question du mariage des prêtres a bloqué toute possibilité de prendre en compte les besoins d’une immense population catholique, laissant le champ libre aux Églises pentecôtistes et évangéliques américaines, plus ouvertes aux laïcs.
          « Mon espoir d’un renouveau de la recherche théologique et philosophique a été cruellement déçu. Au contraire, les tensions entre les théologiens et le pape n’ont cessé de croître. Il fut vite évident que seuls certains théologiens avaient la cote, ceux qui soutenaient le point de vue particulièrement étroit qui était le sien : les autres étaient réduits au silence. (cliquez)
          « Aux Synodes des évêques, seuls pouvaient prendre la parole des théologiens qui ne s’opposeraient jamais à sa pensée.
          « Le dialogue était acceptable à l’extérieur de l’Église : jamais à l’intérieur.

          « Une autre immense déception a été sa conception et son approche de la sexualité humaine.
          « Beaucoup diront que ses points de vue dataient de l’époque Victorienne. Pourtant, on était surpris de constater la fréquence de ses allusions à la sexualité. En fait, pendant son pontificat de nombreux laïcs ont dit à quel point ils en avaient assez d’entendre sans cesse parler de sexe et de problèmes sexuels, du haut de la chaire de Pierre et venant d’un célibataire.
          « Parce que son idée de la sexualité ressemblait à un courant souterrain qui apparaît ou disparait à la demande, il n’a jamais touché les cœurs de ceux pour qui la vie et la psychologie humaines sont plus complexes qu’il ne le disait, et la sexualité plus ambiguë.
          « Mais l’aspect négatif le plus sérieux de son pontificat a été sa tendance constante à la centralisation, et sa méfiance envers le reste de l’Église.
          « En paroles, il n’a jamais renié le rôle collégial des évêques : mais dans les faits, son style nous a ramenés aux temps de Pie IX [dogme de l’infaillibilité pontificale, 1870 – NDT] : il conférait une importance exagérée à la personne et à l’enseignement du pape, à l’exclusion de pratiquement toute idée autre que les siennes.
          Dans les faits, la réception de chacune de ses paroles comme doctrine officielle de l’Église a créé une atmosphère contraire à la Tradition catholique des siècles passés.

          « Les degrés de certitude que la Tradition attribue à chaque doctrine ont sombré dans l’oubli : avec la publication du Catéchisme de l’Église catholique, tout a été uniformisé dans un enseignement officiel unique.
          « J’ai souvent relevé une tendance, au Vatican, à appeler « idéologique » toute conception contraire à celle du pape. Ce terme a servi à stigmatiser les éventuelles oppositions au Magistère central.
          « Dans son administration, Jean-Paul II a particulièrement favorisé le rôle des cardinaux : bien que ce soit étranger aussi bien à l’Écriture qu’à la Tradition, il a donné à leur petit groupe le pas sur l’ensemble du Collège des évêques, portant ainsi gravement atteinte au principe de la collégialité.
          « Souvent, quand la Conférence des évêques des USA se trouvait dans une impasse face à l’administration vaticane, les cardinaux américains étaient convoqués à Rome, et eux seuls étaient écoutés.
          « Je crains que le pape n’ait jamais compris à quel point il était étonnant et incongru de conférer le chapeau de cardinal à ceux qui étaient en accord avec ses positions, et ensuite de les prendre pour uniques conseillers ! Ce faisant, il s’interdisait d’entendre des points de vue différents, qui auraient pu lui être utiles ainsi qu’à l’Église universelle.


          « Et j’ai été déçu que le pape et son administration ne fondent pas leurs décisions sur une recherche approfondie. […] J’ai toujours eu l’impression qu’on donnait plus de poids à des missives réaffirmant les idées préconçues, plutôt qu’à des études sociologiques valables. Je n’ai cessé de constater que ses décisions et celles de ses collaborateurs étaient prises de façon anecdotique, d’après des rumeurs, des lettres, des plaintes et des articles de presse – le tout, non vérifié.

[…]
          « J’ai été déçu que le pape Jean-Paul II ne sache pas faire la part entre les dévotions privées et l’essence de la vie spirituelle de l’Église, qui est la Bible et les sacrements. Paul VI avait toujours pris garde de ne pas imposer à l’Église universelle sa dévotion intime et sa sensibilité personnelle : Jean-Paul II n’a pas eu ce scrupule.
          « Ses nominations aux postes de responsabilité ont toujours constitué pour moi un mystère. Certains des promus étaient de toute évidence les meilleurs, mais d’autres étaient visiblement et pitoyablement incompétents.
          « La motivation de son choix était claire : il exigeait une loyauté absolue à sa personne et à ses prises de position sur les sujets importants. Une des faiblesses les plus flagrantes de son pontificat fut le carriérisme qu’il engendra. Inutile d’être un génie comme Machiavel pour écrire un Manuel de l’Avancement sous ce pontificat : les qualités de leadership étaient secondaires, la loyauté seule comptait.
          « Comme il déléguait de plus en plus de responsabilités à l’administration vaticane, il a créé une barrière de plus en plus infranchissable (et insupportable) entre lui et les évêques locaux.


          « Je me suis toujours interrogé sur la solidité des fondements théologiques et philosophiques de ses écrits et allocutions.
          « Il semble s’appuyer sur les Écritures, mais utilise la Bible comme une béquille pour ses longs discours, qui allaient bien au-delà du sens des textes. Je n’ai jamais compris quelles étaient les racines phénoménologiques de son enseignement – si toutefois phénoménologie il y avait.


          « Ce qui m’a le plus surpris fut son intolérance face à des façons de voir opposées aux siennes, spécialement face aux théologiens : la vigueur avec laquelle il a réagi pour les supprimer l’un après l’autre, et le secret employé pour ces procédures d’élimination. […]
          « J’avais espéré qu’ayant vécu sous les régimes Nazi et Communiste, il serait plus sensible à la justice, et à la nécessité de procès ouverts et transparents, même dans les domaines du discours théologique.
          « Pour les évêques, il prenait souvent les décisions lui-même, sans jamais discuter directement du problème avec l’évêque concerné.


          « Contrairement à Jean XXIII, le pape Jean-Paul II n’a pas réussi à discerner les signes des temps.


          « Pour le pape Jean, l’un des signes de notre temps était l’aspiration de tous les peuples à pouvoir dire leur mot sur les décisions qui concernaient leurs existences. Jean-Paul II ne nourrissait que des craintes envers le processus démocratique, et c’est tardivement qu’il accepta (à reculons) que la démocratie puisse être la meilleure forme de gouvernement civil.
          « Pour lui, la démocratie était faible, indécise, compromise par le désir de plaire à la majorité : elle n’avait pas sa place dans l’Église – même si son élection, à lui, avait été démocratique.
          « Son modèle de papauté était celui de la monarchie éclairée – récompensant ses fidèles, et réduisant au silence toute voix divergeant de l’unité, telle qu’il l’avait définie.


          « Il n’a pas su lire les signes des temps, spécialement les ouvertures de Vatican II vers un gouvernement plus participatif à tous les niveaux de la vie de l’Église. 

          « Discerner l’action de l’Esprit dans l’Église en tant qu’ensemble ? Cela n’était pas inscrit sur son agenda.


          « Dans la période qui a suivi le Concile Vatican II, cet échec est sans doute la plus grave des occasions manquées. »


                Mgr Rembert Weakland, OSB, Archbishop of Milwaukee.


(1) A Pilgrim in a Pilgrim Church (429 pages : www.eerdmans.com)

Pages 402 à 408. Sous-titres et surlignages sont de la responsabilité du traducteur, Michel Benoît.

PÉDOPHILIE ET ÉGLISE CATHOLIQUE : la nature a horreur du vide.

          Que signifient les affaires de pédophilie dans l’Église catholique ?
          Á quoi renvoient-elles cette institution ?


I. Une société fermée


          Il ne faut jamais oublier que l’Église romaine est une monarchie absolue, avec ses Princes du sang (les cardinaux), ses lois propres (le « droit canon »), ses tribunaux (une Officialité par diocèse, avec cour d’appel à Rome – la « Rote »), ses juges (les Officiaux), et ses ambassades dans le monde entier.
          Un État souverain, qui ne reconnaît pas de juridiction autre que la sienne, ni les Cours de justice internationales, tout comme les USA.

          Quand un crime est commis par un membre du clergé, c’est tout naturellement la machine judiciaire catholique qui s’estime la seule en droit de juger ses ressortissants – comme n’importe quel État souverain. Si un fidèle porte plainte pour abus sexuel commis par un prêtre diocésain, c’est l’Officialité du diocèse qui se saisit de la plainte et la juge.
          Imaginons que le crime sexuel soit avéré, que se passe-t-il ? Quand il ne peut pas faire autrement (passer sous silence), l’évêque va sanctionner… mais comment ? L’Église, qui a longtemps eu ses propres prisons, a perdu le droit d’emprisonner – ce droit a été rendu aux États nationaux. Elle pourrait exclure le prêtre en le « réduisant à l’état laïc », mais cela ne s’est jamais vu. Elle ne peut que le déplacer, l’envoyer dans une autre paroisse après un petit sermon (« et ne recommencez plus, surtout ! »).

       C’est ce qu’elle a toujours fait. L’Église ne considère pas l’acte pédophile comme un acte pathologique (ce qu’il est pourtant), mais comme une faute.
          Pour cela, elle dispose de l’absolution, qui efface les fautes, et de l’injonction à la prière, qui est la seule thérapie qu’elle connaisse contre les « maladies de l’âme ».

          On connaît le résultat.


II. Cachez ce sein que je ne saurais voir


          Mais il y a plus : le caractère sacré du sacerdoce s’étend à la personne qui en est revêtue.
          Manipulant le sacré, la personne du prêtre est sacrée. La salir par la reconnaissance d’une faute sexuelle, c’est salir l’Église elle-même, maîtresse et dispensatrice du sacré.

          On va donc tout faire pour étouffer les affaires, et les traiter en interne.

          Mais, direz-vous, le pape vient de publier une lettre où il affirme que les crimes sexuels commis par des prêtres doivent être dénoncés aux autorités civiles, et punis par elles ?

          C’est une déclaration purement politique.
          Devant l’énormité des scandales récents, et surtout leur diffusion dans les médias, le pape installe un contre-feu médiatique. Il dit pour qu’on l’entende, mais il ne fait pas – il n’a jamais fait, ne fera pas.

          En Irlande, une douzaine d’évêques ont été dénoncés complices de crimes pédophiles. Quatre d’entre eux ont offert leur démission, une seule a été acceptée. Un sur douze, pour montrer sa bonne foi. Que sont devenus les onze autres ?

          La volonté d’échapper à la justice civile est flagrante aux USA. Devant les milliers de plaintes portées contre le clergé, l’Église US n’a fait qu’une chose : payer, pour que les familles retirent leurs plaintes. Ouvrir le parapluie du dollar. Un milliard cinq cent mille dollars ont ainsi été versés, une moyenne de 65.000 $ par famille. Plusieurs diocèses sont en faillite.

          Pour que les affaires n’aillent pas devant les autorités civiles.

          Contrairement à ce que dit le pape.

III. La nature a horreur du vide

          Mais pourquoi l’Église catholique a-t-elle le triste privilège de cette hécatombe pédophile ? Qui ne se rencontre ni chez les pasteurs protestants, ni chez les popes orthodoxes, ni chez les rabbins juifs ?

          Parce que ces derniers peuvent se marier ? Cela doit jouer, en effet. Mais la cause profonde n’est pas là.

          Aucun jeune homme ne se prépare à devenir prêtre catholique dans l’intention formelle d’être plus tard un criminel sexuel. Alors, pourquoi ?

          Le Bouddha Siddhârta prescrit à ses moines la chasteté parfaite, du corps et de l’esprit. Et il explique qu’elle n’est possible – et même bonne, souhaitable, qu’elle rend heureux et équilibré – qu’à une seule condition : c’est la pratique quotidienne de la méditation.

          Or, le catholicisme ignore la méditation (cliquez) .
          Prier, pour un catholique, c’est réciter des prières ou assister à des liturgies. Méditer, pour Siddhârta, c’est pratiquer une discipline mentale qui met le moine face à la réalité inexprimable qu’il appelle l’anatta, le « rien ». Laquelle est très proche de l’expérience mystique chrétienne, mais l’Église s’est toujours méfiée de la mystique et des mystiques, qu’elle déconsidère quand elle les les persécute pas.

          On n’apprend pas la méditation aux futurs prêtres : on leur apprend à réciter des formules, le « bréviaire ». Á mouliner des psaumes.

          On les lâche dans la nature, sans aucun moyen pour affronter le monde des pulsions qui bouillonne autour d’eux, et en eux.

          En l’absence d’expérience et d’enseignement sérieux de la méditation (qui peut parfaitement être « christianisée »), les prêtres et religieux enseignants se retrouvent comme des outres vides, dans lesquelles les pulsions violentes de la sexualité, non maîtrisées, peuvent s’en donner à coeur joie.
          La nature a horreur du vide : ce vide, elle le remplit par ce qui lui tombe sous la main de plus innocent, de plus facile à dominer – les enfants.

          Les prêtres pédophiles sont coupables, mais ils ne sont pas responsables.

          Celle qui est responsable, c’est l’Église qui les condamne à la chasteté, sans jamais leur avoir donné les moyens de la vivre dans l’équilibre, l’harmonie intérieure, le bonheur.


                                         M.B., 22 mars 2010

L’ADIEU AU CATHOLICISME ? Un cahier de la revue  »Esprit »

          Fondateur de notre civilisation, le catholicisme est-il mort en Occident ? Si oui, comment, et pourquoi ?

          La revue Esprit publie un cahier consacré au Déclin du catholicisme Européen, dont j’extrais l’article du philosophe et sociologue des religions Jean-Louis Schlegel (1), cité ici en italiques.

 Le retour du religieux

           L’auteur souligne d’abord que, malgré la puissance de la sécularisation, nous ne sommes pas dans une époque non religieuse. La religiosité populaire demeure vivace (2), les fondamentalistes (américains, musulmans) connaissent une expansion mondiale. De manière extrêmement ambiguë certes, la question religieuse et les religions passionnent les foules, suscitent des quêtes spirituelles – et font l’objet d’innombrables films, téléfilms, romans, études, articles dans la presse.

          Depuis 20 ans, les religions ont fait dans nos médias et nos sociétés un retour que ni Marx, Nietzche ou Renan n’auraient jamais pu prédire ou même imaginer.

 L’adieu au catholicisme

           Et pourtant la chute du catholicisme européen est à la fois spectaculaire dans les chiffres, et discrète dans la perception sociale que nous en avons. Sans révolutions, avec une surprenante discrétion, en un siècle il s’est effacé dans les coulisses de nos sociétés tandis que sur scène, la représentation continuait sans lui. On a assisté à une sorte d’anémie et de recul, quantitatif et qualitatif : un adieu qui s’est fait sans larmes, ni drame, ni nostalgie.

 -a- Déclin quantitatif 

           En France, pays où la religion catholique est de tradition très majoritaire, la pratique dominicale est de 4,5 % (3). On constate une tendance catastrophique au décrochage par rapport aux sacrements (baptêmes, confirmations, mariages), à des pratiques importantes comme l’inscription au catéchisme, la profession de foi. Un marasme sans précédent dans le recrutement de prêtres, de religieux (cliquez) , de religieuses – si importants par ailleurs dans le dispositif catholique. Les régions de pratique plus forte, viviers de vocations (Bretagne, Alsace, Pays Basque, Savoie…) se sont alignées en une trentaine d’années sur le reste de la France sécularisée.

           Certes, le laïcat s’est partout vu attribuer un rôle de substitution. Mais en expansion dans la première moitié du XX° siècle, ses militants se sont érodés puis écroulés vers sa fin : incapables qu’ils ont été de transmettre à leurs enfants le sens de leurs engagements. Ils avaient découvert et assumé l’action politique et syndicale : des « communautés nouvelles » les ont remplacé, qui se retrouvent davantage dans la « spiritualité », la prière, l’action d’aide sociale non politique.

          Les paroisses perdurent, parfois très vivantes en ville. Mais la plupart ont perdu de leur lustre : à cause du manque de prêtres, mais aussi pour une raison plus profonde, d’ordre qualitatif.

 -b- Déclin qualitatif 

           Il est, à mon sens, beaucoup plus grave. En 27 ans de pontificat, le pape Jean-Paul II a prononcé 25 condamnations de mouvements théologiques, de théologiens ou de chercheurs catholiques. Secondé par l’efficace Joseph Ratzinger, il a « tiré sur tout ce qui bougeait » dans l’Église. Laquelle se retrouve aujourd’hui comme les plaines d’Europe après le passage d’Attila, stérilisée : il n’y a plus de théologiens, plus de penseurs catholiques, tout juste des répétiteurs. Adieu les Congar, de Lubac, Rahner, Schillebeexck, Drewermann… !

           Comme le constate Danielle Hervieu-Léger, on assiste à une « exculturation » de plus en plus sensible du catholicisme : une mise hors jeu ou une inexistence flagrante dans le domaine de la pensée, qui commande pourtant les décisions politiques et sociales importantes.

          Autrefois colonne vertébrale et mère nourricière de la culture européenne, l’Église n’est plus en prise avec la société qui l’entoure : le monde occidental vit, pense, ressent et se comprend non seulement sans elle, mais en dehors d’elle. Les radicaux n’ont même plus à ferrailler contre elle : il faut être deux pour se battre, on ne frappe pas un adversaire au tapis.

           Aspect paradoxal de l’exculturation : L’Europe devient une terre de mission où les évêques appellent à la rescousse des prêtres noirs ou polonais (4), souvent aussi exculturés chez nous que le missionnaires européens de jadis, quand ils se rendaient en Afrique – mais dans des conditions bien différentes !

          En fait, le mal remonte à plus loin encore : dès 1970, des penseurs chrétiens se sont alarmés de la position anti-philosophique et anti-théologique du Concile Vatican II, qui s’est explicitement voulu comme un concile pastoral – dénué de toute pensée de fond (5).

           Une société idéologique (l’Église) qui n’a plus ni pensée vivante, ni desservants capables de transmettre cette pensée à un monde en perpétuelle recherche, cette société ne tient plus que par son écorce.

 La fossilisation

           Elle commence, on l’a dit, par la stérilisation de toute recherche fondamentale. Mais pour le grand public, c’est l’encyclique Humanae Vitae (1968) qui marque la désaffection d’une ou plusieurs générations de catholiques de toutes classes et toutes cultures sociales, singulièrement des plus intellectuels, des plus militants et des plus jeunes. Rupture considérable, qui fait date dans l’histoire de l’Église.

          Confirmée en 1987 par l’encyclique Donum Vitae de Jean-Paul II, puis par l’interdiction de toute intervention médicale dans le processus de fécondation : ces crises ont été à l’origine d’exodes importants [des catholiques] parce que les décisions prises allaient à l’encontre de l’opinion majoritaire des théologiens et des évêques, comme de l’opinion des fidèles.

           Même si la « déconstruction » de l’Église était déjà fortement amorcée, la crise de 1968 a provoqué un séisme, par la remise en question de la notion de loi naturelle : qu’est-ce qu’un acte « naturel » ? Y a-t-il une éthique universelle, fondée sur une loi naturelle ? Où se situe son caractère rationnel ? Et l’Église catholique est-elle seule détentrice, comme elle le prétend, de cette éthique ? Si oui, quelle est la métaphysique qui sous-tend cette morale universelle ?

          Face à des questions aussi graves, qui remettaient en cause l’ordre social dans sa totalité, les autorités catholiques n’ont eu qu’une réponse : le retour à la synthèse médiévale de Thomas d’Aquin. De Hobbes, de l’idéalisme allemand, de Heidegger, de toute la pensée contemporaine depuis trois siècles, rien. Le grand thomisme n’avait rien à envier aux philosophies récentes : mais peut-on faire comme si celles-ci n’avaient pas existé ?

           L’Église catholique ressemble étrangement aux récifs de corail, splendidement colorés : elle est belle dans ses souvenirs – mais fossilisée.

           On lira, dans l’article sur Mgr Weakland (cliquez) , une description saisissante de la façon dont la principale acquisition de Vatican II – la collégialité épiscopale – a été anéantie par Jean-Paul II. En 1960, l’Église prétendait participer « au monde de ce temps ». Au lieu de quoi elle tient son discours, arrête sa discipline, prend ses décisions en s’arc-boutant sur sa propre tradition – totalement déconnectée de ses contextes historiques. Elle défend ses positions sans prendre la peine de la discussion critique. On ne discute plus : c’est parole contre parole, arguments contre arguments : ce qui fait la loi, ce n’est pas la persuasion raisonnable mais la force de la conviction.

           Le paradoxe est celui-là : des papes parfois adulés, mais peu écoutés. A Rome, on se contente de succès immédiats auprès des médias ou de l’opinion publique. Plus encore que leur contenu, ce qui est en cause c’est le mode secret d’élaboration des textes, leur universalité abstraite, éloignée de toute vie concrète, ainsi que l’arrogance qui les accompagne parfois. Comment cette communication verticale, uniquement destinée au commentaire approbateur et à la diffusion maximale, pourrait-elle s’imposer dans le système de communication en réseau fluides qui s’est imposé sur la planète ?

           On se souvient du bel adage de saint Anselme, fides quaerens intellectu, la foi qui cherche à être comprise par la raison. Le pape [actuel], qui a séduit au début en rappelant le rôle de la raison dans la foi, propose en fait une raison, une philosophie et une théologie qui font retour à la métaphysique thomiste à peine aménagée.

           Fides sine intellectu : « ne croyez pas parce que c’est raisonnable, croyez ce que je vous dis parce que je vous le dis avec force. »

 Réforme exclue

           On assiste donc au retour à une théologie exclusivement (voire platement) apologétique, excluant autant que faire se peut l’exégèse biblique historique et critique (cliquez) . Il ne s’agit pas vraiment d’un traditionalisme, mais plutôt du retour à une identité affichée par des signes visibles (vêtements, dévotions, rassemblements) qui tiennent lieu de pensée. Peut-être cette identité affichée est-elle nécessaire pour un temps. Peut-être l’Église ouverte et fraternelle de Vatican II était-elle une utopie. Une réforme de la tête et du corps est impossible en dehors de la volonté ferme (et jugée comme folle) d’un pape, Jean XXIII – heureusement mort assez tôt. Des ajustements dans l’Église, peut-être : des réformes, non. Elle ne pouvait être à la hauteur de son concile de rupture.

           Deux exemples, parmi tant d’autres : pour remédier au manque de prêtres, on a instauré vers 1975 des ADAP (assemblées dominicales en absence de prêtre) et des cérémonies pénitentielles plutôt bien suivies. Rome les a interdites, de crainte d’entériner l’idée qu’on peut célébrer des messes sans prêtres, et pour maintenir le caractère obligatoire de la confession individuelle à un ministre seul détenteur du pouvoir de pardonner.

           Cette volonté d’autoconservation presque suicidaire s’étend à tous les domaines de la vie individuelle et sociale des catholiques. Les conséquences désastreuses de l’immobilisme, de l’absence de toute réforme et de toute pensée, sont confiées à la grâce de Dieu et à l’action du Saint-Esprit, en attendant des jours meilleurs.

           Du triomphalisme à l’effondrement : rien ni personne ne se remet facilement d’une telle transition, de surcroît très rapide. Le catholicisme n’est pas encore mort, son « cadavre bouge encore » : et pourtant, en Occident où il est né et s’est affirmé, il semble proche de la retraite.

Prophète, ne vois-tu rien venir ?

           Qui oserait faire une prophétie ? Ni moi certes, ni personne.

          Mais peut-on oublier qu’à l’origine du christianisme il y a eu un prophète juif d’une densité humaine et religieuse incomparable, qui n’a voulu rien d’autre que de porter le prophétisme juif à son accomplissement ?

                   Certes, il a été trahi de son vivant, et manipulé au cours des siècles suivants par ceux qui se prétendaient ses interprètes, puis ses successeurs. Mais il est là, pierre angulaire incontournable. Pouvons-nous revenir à lui, remettre nos pas dans les siens ?

          Utopie encore plus folle que celle de Jean XXIII.

           Nous savons que de l’Église (des Églises) il n’y a rien à attendre. Il nous reste à croire, avec une ténacité folle, à la force de l’intuition prophétique qui fut celle de Jésus.

          Et à sa persistance, à son cheminement au moins souterrain.

                          M.B., 18 mai 2010

(1) Adieu au catholicisme en France et en Europe ? Revue Esprit, Février 2010, pp. 78-93. Suivi d’une bibliographie sur les études sociologiques récentes concernant le catholicisme.

(2) Voir, dans le même numéro, l’article de J. Caroux & P. Rajotte sur le pèlerinage de Compostelle.

(3) Enquête IFOP-La Croix du 16 janvier 2010. « Pratique dominicale » : ceux qui vont à la messe une ou deux fois par mois.

(4) Environ 15 % des prêtres en activité en France viennent d’Afrique noire ou de Pologne.

(5) Voir, dans ce même cahier d’Esprit, l’étude détaillée de Michel Fourcade, maître de conférence en histoire contemporaine (Montpellier II) : Il n’en restera pas pierre sur pierre.

LE PAPE ET L’ÉGLISE OUVRENT (enfin) LES YEUX ?

          Pour répondre à la crise profonde que traverse la chrétienté occidentale, Rome vient de prendre une décision importante. Le Monde du 2 juillet s’en fait l’écho dans sa page 8.

 Le diagnostic

           Le Monde rappelle, d’abord, que le diagnostic du déclin catholique était posé depuis longtemps : « Les papes du XX° siècle ont tous perçu les conséquences pour l’Église de l’avènement de la modernité, et le passage d’un catholicisme d’habitude ou de filiation à un catholicisme de conviction »

          C’est-à-dire : pendant des siècles, on naissait catholique et on le restait. Telle était la coutume, que maintenait en place une pression sociale et politique généralement acceptée.

          Aujourd’hui, être catholique ne va plus de soi : c’est un choix que l’on fait, en s’inscrivant volontairement dans un courant qui n’est plus majoritaire.

           « En 1975, Paul VI annonçait « des temps nouveaux pour l’évangélisation ». « Les conditions de la société, écrivait-il, nous obligent à réviser les méthodes, à chercher comment faire parvenir à l’homme moderne le message chrétien ».

           Changer de méthoDe : cette ligne de conduite sera reprise par tous ses successeurs.

           Jean-Paul II, « obsédé par la déchristianisation de la « vieille » Europe et la dilution de ses racines chrétiennes… évoquera pour la première fois en 1979 la nécessité d’ «une nouvelle évangélisation ». « Ầ sa suite, Benoît XVI plaide régulièrement pour un affichage et une participation accrue des chrétiens dans le monde. En 2010, il défend « un nouveau dynamisme missionnaire des chrétiens, là où le silence de la foi est le plus vaste »… Il fustige « les croyants honteux de leur foi qui prêtent leur concours au sécularisme ».

   La solution proposée

           « On est peu à peu passé d’un discours de déploration, voire de dépression, à un discours de reconquête », analyse le sociologue des religions Philippe Portier. « Aujourd’hui, le défi principal de l’Église est l’évidement de la chrétienté occidentale. L’heure est jugée tellement grave qu’il faut une nouvelle structure pour y répondre ».

           Résultat : la création d’un nouveau ministère (Dicastère) dans l’organigramme du Vatican : un Conseil Pontifical pour la Nouvelle Évangélisation. « Acte rare dans la gouvernance vaticane, dont les dernières modifications remontent à 1988. Il entend apporter une réponse institutionnelle et politique à l’affaiblissement continu de l’Église catholique sur ses territoires traditionnels »

          Et le pape d’expliquer : ce nouveau ministère devra « promouvoir une évangélisation renouvelée dans les pays où a déjà résonné la première annonce de la foi, mais qui vivent une sécularisation progressive et une sorte d’éclipse du sens de Dieu », .

 L’échec

           « Mais la création de ce Conseil souligne aussi… une forme d’échec des stratégies développées jusqu’à présent », poursuit Le Monde. Plus grande liberté laissée aux évêques pour organiser la propagande sur leurs territoires, afin de reconquérir les fidèles. Introduction de musiques « modernes » et de moyens audio-visuels dans les liturgies. Langage adapté, proche des vrais gens, compassionnel, concret voire anti-intellectuel. Utilisation d’Internet (sites, retraites sur l’écran, chats d’aide psychologique), manifestations de parvis ou de rue…

         On a tout essayé. En vain.

 Le déni de réalité

           C’est que l’Église catholique refuse de regarder les choses en face : elle n’est plus Mater et Magistra, mère nourricière de l’Occident et guide de ses pensées.

          Ce ne sont pas les méthodes qui ne sont plus adaptées : c’est le contenu même de la foi, le message chrétien. Ce sont des dogmes surréalistes, comme celui de la naissance virginale d’un homme-dieu, de la transformation physico-chimique d’une galette de farine en chair du Christ, du pardon des péchés dispensé par une institution incapable de se tromper, qui détiendrait seule les clés de la porte du Paradis, etc.

           On peut s’essouffler à mettre au point de nouvelles méthodes : le produit qu’elles prétendent promouvoir a perdu sa valeur. Le meilleur marketing du monde ne pourra jamais vendre un produit déprécié, qui ne correspond plus aux attentes du marché.

                   Car le pape se montre désespérément aveugle, quand il écrit que la nouvelle structure voulue par lui s’adressera à « ceux pour qui Dieu est inconnu, mais qui ne veulent pas rester simplement sans Dieu ».

          Le problème, c’est précisément qu’en catholicisme, « Dieu » est connu, trop connu. On a mis 17 siècles à le décrire, à le définir jusque dans les moindres recoins de sa personne (multipliée par trois), voire de sa personnalité.

          Alors que nos contemporains n’adhèrent plus au dieu méticuleusement décrit et planifié par la pyramide des dogmes. Un dieu devenu statique tellement on a bétonné son image, un dieu sans surprise – et, de plus, propriété exclusive du Vatican.

           Les hommes du XXI° siècle n’ont pas changé, ils sont comme leurs prédécesseurs : « Ils ne veulent pas rester sans Dieu », dit le pape ? Mais ils ne sont pas sans Dieu ! Ce qu’ils refusent, c’est de mourir étouffés par la chape bétonnée des dogmes catholiques.

Dieu ?

Qu’ils soient blancs, jaunes ou noirs, cultivés ou illettrés, ils en ont une vive conscience, mais elle est en creux. Ce n’est pas lui qu’ils rejettent, c’est la façon dont l’Église, depuis St Irénée, n’a cessé de lui coller des étiquettes.

           Un Dieu perçu comme inconnaissable, n’ayant plus rien à voir avec des dogmes baroques, issus de philosophies aujourd’hui incompréhensibles. Dieu réservé à quelques intellectuels encore capables de comprendre ce que signifiaient les termes de nature, personne, substance, kénose, incarnation, âme, corps, quand ils ont été utilisés pour le définir il y a 1000 ou 2000 ans.

          Les croyants n’ont pas « honte de leur foi » : ils n’ont plus les moyens de la comprendre, et ce en quoi ils disent croire, de fait, n’a pas grand-chose à voir avec le contenu réel des dogmes.

           « Perte du sens de Dieu », se lamente Benoît XVI ? Bien au contraire, perception aigüe, étonnamment juste et consonante avec le prophétisme juif, de l’impossibilité de dire quoi que ce soit de Dieu. C’est-à-dire de le capter par une armature dogmatique, d’en devenir d’abord propriétaire, puis exploitant exclusif.

 Une impasse, une issue ?

           L’impasse est connue, décrite par tous les observateurs : performante ou pas, ce n’est pas la méthode qui est en cause, c’est le contenu.

           L’issue ? On ne l’entrevoit guère. Les lecteurs de ce blog (comme de mes livres) savent que j’ai choisi de me tourner vers le prophète juif qui fut confronté, en son temps, à une situation semblable de la nôtre, et eut le courage de proposer ses solutions. Quitte à en mourir.

          Solutions originales, mais jamais entendues, et jamais mises en œuvre au niveau institutionnel (1).

           Dans un livre à paraître chez Albin Michel en mars 2011, je rappellerai quelles furent ces solutions, ou du moins dans quelles directions Jésus se proposait de répondre à la crise de sens qui évidait alors sa société, comme elle évide aujourd’hui la nôtre.

           Je le ferai sans illusions, mais sans baisser les bras.

                                       M.B., 12 juillet 2010

(1) De nombreux hommes et femmes, connus ou inconnus, ont fait pour leur part et font encore ce chemin de retour à la personne de Jésus. Ils n’ont jamais été écouté par les Églises, et ne le seront jamais.

LE PAPE ET LE PRÉSERVATIF : petite explication de texte.

          Jamais jusqu’ici le Vatican n’avait varié de sa position traditionnelle : la sexualité humaine ne peut avoir qu’un seul but, faire des enfants.

          Le plaisir partagé ? C’est un à-côté de l’amour, pas sa finalité (1).

          Si on fait l’amour, c’est pour procréer.

          Or donc, le préservatif est à jamais inconciliable avec le catholicisme.

           Mais voilà qu’un livre est paru, où le pape, pour la première fois, semblerait justifier son usage… Ô Ciel ! Ce pape annulerait-il tout ce que ses prédécesseurs ont toujours enseigné ?

           Suivons sa déclaration à la trace.

          Dans son édition du samedi 20 novembre 2010, l’Osservatore Romano publie en avant-première des extraits du livre d’entretiens du pape avec un journaliste allemand, destiné à être traduit en plusieurs langues. Selon l’Osservatore, le Pape a déclaré que :

          « l’utilisation du préservatif, pour des cas particuliers comme un prostitué, peut être un premier pas vers une moralisation, une humanisation de la sexualité ».

         Il faut savoir que, depuis sa fondation en 1861, l’Osservatore Romano est l’organe officiel du Vatican. Il joue le même rôle que le Journal Officiel en France : c’est là, et là seulement, qu’on trouve la version authentique des propos du Pape.

            Or, dans l’édition allemande qui paraît 3 jours après l’Osservatore, comme dans sa traduction française, on peut lire que :

          « l’utilisation d’un préservatif peut constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine. »  (2) .

           On voit qu’il manque deux mots, qui changent tout :

 1) « Un » (pas une : Relation homosexuelle)

           Dans cette relation, de toute façon il n’y a aucun risque que soit engendré quoi que soit. Le crime a été commis en amont de la semence, au moment où l’homosexuel commence à passer à l’acte. Sa semence a été détournée de sa destination naturelle avant son émission, par la nature même de la relation sexuelle.

            Alors, semence perdue pour perdue… ça ne compte pas.

 2) « Prostitué »

           Le pape précise qu’il n’envisage pas qu’une relation homosexuelle puisse être un acte d’amour. Il la réduit à un geste tarifé, donc dégradé, infrahumain. Il écarte l’idée que deux hommes puissent faire l’amour… par amour.

           En éliminant ces deux mots de sa version destinée au public allemand, puis français et italien, le journaliste fait dire au pape ce qu’il n’a jamais dit, ce qu’il ne peut pas dire : que la relation sexuelle pourrait avoir une autre finalité la reproduction. Qu’elle pourrait tirer sa valeur divine du plaisir partagé.

           Ensuite, il évite de heurter les homosexuels, « des gens qui ne pratiqueraient le sexe qu’en l’achetant ».

           Enfin, il trompe les chrétiens en leur laissant croire que l’utilisation du préservatif « peut constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement ».

             Et puis, il trompe l’opinion publique. Qui, à vrai dire, s’en balance.

                                          M.B., déc. 2010

 (1) Voir mon bref article de 2009, Dieu nous préservatise du pape ! (cliquez).

(2) Lumière du Monde, paru le 27 novembre 2010 aux éditions Bayard, p. 141.

CINQUANTE ANS APRÉS VATICAN II : le chant du cygne ?

          Ils étaient tous là, ce 11 octobre 1962.

          Tous assis en rangs d’oignons, le crâne rasé, le visage fatigué et les yeux cernés par l’observance monastique. « Mes frères ! », me suis-je dit en les regardant !

          Deux jours auparavant, j’avais tout quitté pour entrer au noviciat de cette abbaye bénédictine.

           Tous assis, fascinés par cette petite boîte (prêtée pour l’occasion) dans laquelle défilaient des images somptueuses. Ciel ! une télé, à l’intérieur des murs de l’abbaye ! C’était la première fois depuis sa fondation, une télé pour voir le pape marcher vers l’autel dans la nef de St Pierre de Rome.

          La deuxième fois, ce serait en juillet 1969, pour voir un autre homme marcher sur la lune.

          Avec le Vatican et la lune, les moines avaient fait le tour de l’univers : plus jamais une télé ne franchirait le seuil de l’abbaye.

           Quand le pape Jean XXIII, agenouillé devant le maître-autel, s’est levé pour ouvrir solennellement le Concile Vatican II, en l’abbaye lointaine les moines se sont dressés, d’un seul bloc. Et c’est debout, figés d’émotion, qu’ils ont entendu les premier mots du pape : « Ego, papa Johannes… »

          Je les entends encore, comme si c’était hier.

           Dans mon milieu de bourgeoisie athée, on ne parlait pas du Concile : mais sur la planète, son annonce avait suscité une curiosité et un espoir immenses. En m’accueillant le 9 octobre, le Père Abbé (mon supérieur) m’avait seulement dit : « Mon frère, un concile va s’ouvrir dans deux jours, beaucoup de choses vont changer. En attendant, vous vivrez ici comme un mérovingien. »

          Je devins donc un mérovingien en attente de mutations.

           La Curie romaine avait annoncé que le Concile durerait trois semaines : il a duré quatre ans. Deux mille évêques au chevet de l’Église et du monde pendant quatre ans.

          La première session fut un round d’observation, qui commença par le rejet des Pères conciliaires de tous les textes préparés par la Curie, et qu’elle voulait leur faire voter tels quels pour se débarrasser au plus vite de cette assemblée dont elle se méfiait.

           Ầ juste titre : les évêques avaient bien l’intention de se faire entendre.

           Jean XXIII mourut peu après la fin de cette première session. Il y en eût trois autres, qui suscitèrent dans l’Église catholique et dans le monde une fermentation incroyable, dont devaient en partie sortir les révoltes de mai 68 : un monde nouveau allait naître ! Enfin, la voix du Jésus de l’évangile allait se faire entendre, par-dessus et au-delà de l’épaisse carapace des traditions et des dogmes !

           Des textes furent votés, qui ouvraient en effet les perspectives d’un aggiornamento, d’une mise à jour de l’Église. Parmi eux :

           1. Un texte sur la liturgie, qui introduisait la langue et les coutumes de chaque peuple dans la prière officielle de l’Église. Symbole parlant, visible, de sa volonté de s’adapter à un monde qui avait changé depuis la Renaissance.

            2. Un deuxième sur l’œcuménisme, qui aurait rendu possible l’union de tous les chrétiens. Dans les couloirs de l’abbaye, on avait placardé une grande affiche : une église catholique avec son clocher, une orthodoxe avec son bulbe et un temple protestant, qui n’étaient plus séparés que par les ruines de murs écroulés.

          La légende : « Les murs de la séparation ne montent pas jusqu’au ciel ! »

           3. Un troisième sur l’ouverture de l’Église au monde contemporain, qui n’était plus considéré comme un terrain de jeu occupé par les forces du Mal, mais l’espace dans lequel les hommes et les femmes trouveraient le chemin du salut, grâce à une Église accueillante.

           Après des discussions épiques, un dernier texte ne fut pas voté : celui qui transformait le gouvernement de l’Église en instituant la collégialité épiscopale. Une majorité d’évêques voulaient abolir la monarchie papale absolue, les décisions étant prises par le pape et par les évêques.

          Devant les menaces de la minorité conservatrice, le pape Paul VI céda et ‘’se réserva la question’’.

           En octobre 1967, un an après la clôture du Concile, j’arrivai à Rome, petit étudiant perdu dans la Ville éternelle.

          J’ai assisté à la rencontre historique entre le Patriarche Athénagoras et Paul VI, à St Paul-hors-les-murs. Après la cérémonie, Athénagoras a voulu recevoir les moines un à un : quand je me suis agenouillé devant lui, il a pris ma tête dans ses mains fines et a embrassé mon crâne rasé : sur ma tête, l’Orient venait de rencontrer l’Occident.

           C’était un sommet, après lequel il n’y eût plus que glissades et abandons du formidable élan – et de l’immense espoir – suscités par le Concile.

          Arrivé au pouvoir en septembre 1978, Jean-Paul II s’employa à revenir en arrière, aidé efficacement par un certain Joseph Ratzinger.

           1. Sur la liturgie, les conservateurs faisaient une fixation à cause de sa visibilité. Jean-Paul II tint bon, mais son successeur officialisa le retour aux rites de la Renaissance.

           2. Sur l’œcuménisme, des conversations, discrètes, avaient été entamées entre Paul VI et l’archevêque de Westminster. On était sur le point de reconnaître la validité des ordinations anglicanes, réintégrant ainsi dans l’Église catholique non seulement l’Église anglicane (présente partout dans le Commonwealth) mais les Méthodistes américains.

          Dès l’arrivée de Jean-Paul II, un coup d’arrêt définitif fut donné à ces conversations : les murs de la séparation montaient bien jusqu’au ciel.

           3. L’ouverture au monde : le polonais fit une fixation sur la sexualité, et remplaça l’ouverture au monde par des voyages dans le monde, ce qui n’était pas la même chose.

           Enfin, Paul VI avait mis en œuvre un timide essai de collégialité épiscopale : Jean-Paul II y mit brutalement fin. On lira dans ce blog le témoignage de Mgr Rembert Weakland (cliquez), avec lequel j’ai vécu pendant quatre ans, sur la brutalité de la reprise en mains de l’autorité monarchique de l’Église.

            On dit que les cygnes, avant de mourir, déploient leurs ailes pour lancer un dernier chant. Un demi-siècle plus tard, on constate que Vatican II a été le chant du cygne de l’Église catholique. L’occasion qui s’offrait à elle – redevenir ce qu’elle prétend être, un ferment qui fait lever la pâte – a été manquée.

          Une occasion qui ne se représentera pas.

           Avant de mourir le 31 août dernier à l’âge de 85 ans, le cardinal Martini rédigea son testament, dont voici un extrait (1) :

           L’Eglise est fatiguée, dans l’Europe du bien-être et en Amérique. Notre culture a vieilli, nos églises sont grandes, nos maisons religieuses sont vides et l’appareil bureaucratique de l’Eglise gonfle, nos rites et nos habits sont pompeux. Ces choses expriment-elles ce que nous sommes aujourd’hui ? Nous nous trouvons là comme le jeune homme riche, qui s’en va triste, lorsque Jésus l’appelle à devenir son disciple. Où sont chez nous les héros desquels s’inspirer ?

          L’Eglise est en retard de 200 ans. Comment se fait-il qu’elle ne se réveille pas ?

           Il semble qu’il soit trop tard : la planète s’est aperçue qu’elle n’avait plus rien à attendre de cette Église qui ne vit plus que de ses souvenirs.

          Trop tard pour se réveiller : le réveil a sonné le 11 octobre 1962, il a sonné longuement pendant quatre ans.

          L’Église l’a réduit au silence, et s’est retournée sur elle-même pour se rendormir.

                           M.B., 9 octobre / 11 octobre 2012

(1) Le Corriere della Sera du 1 septembre 2012.

CINQUANTE ANS APRÉ VATICAN II : la dés-espérance

          Ầ la fin du 1° siècle, L’Empire romain commençait à se défaire de partout, les religions orientales s’implantaient dans un chaos social et politique de plus en plus insupportable.

          Dans ce contexte troublé, l’une de ces religions étrangères souleva autour de la Méditerranée une immense espérance : le christianisme.

           En se séparant du judaïsme, le christianisme avait conservé sa principale caractéristique, l’idéologie messianique. Trois piliers :

 – L’utopie (inventer un autre monde, meilleur que celui-ci),

L’apocalypse (cette utopie se réalisera plus tard, dans une fin du monde violente),

– Et l’attente d’un homme providentiel (le Messie) dont la venue fera naître ce Monde Nouveau.

 I. Le temps de l’espoir

           Les premières générations chrétiennes semblent avoir tenu ces promesses. Une communauté de frères solidaires (c’est au sommet qu’on se déchirait, pas à la base), la fin de l’argent-roi. Malgré s. Paul, des femmes respectées, actives et responsables, certaines ayant même le titre d’apôtres. Une morale familiale, et une morale tout court. La fin des classes sociales, le culte sacrificiel remplacé par un culte en esprit

           Tout cela suscita dans l’Empire mourant une vague d’espoir sans précédent : l’utopie était en train de se réaliser, un monde nouveau naissait sous les yeux des croyants.

          Mais le christianisme n’avait pas abandonné les deux autres piliers du messianisme, l’apocalypse et l’attente du Messie. C’est seulement quand le Christ reviendrait que le Monde Nouveau prendrait définitivement forme. Alors, les ‘’méchants’’ seraient anéantis dans un cataclysme et les ‘’Justes’’ triompheraient. Lisez, entre autres l’Épître aux Hébreux et l’Apocalypse dite de saint Jean : la violence extrême de ces textes fondateurs du christianisme se retrouvera mot pour mot, six siècles plus tard, dans le Coran.

           Quand les Barbares dévastèrent ce qui restait de l’Empire romain, l’espérance d’une vie meilleure après la mort permit aux peuples devenus chrétiens de supporter leurs immenses souffrances.

          Aux V° et VI° siècles, la seule autorité, la seule organisation, la seule colonne vertébrale de l’Occident ruiné furent leur clergé, leurs monastères (scriptorium, écoles, hospices) et leurs papes.

          En ces temps-là la sécurité, la justice, la charité, l’enseignement, la culture et l’art, c’était l’Église.

           Le christianisme semblait avoir accompli ses promesses d’espérance.

 II. Le messianisme dévoyé

           Vint alors l’ivresse du pouvoir.

          Pour légitimer sa toute-puissance, l’Église fabriqua deux faux documents : la Donation de Constantin, par laquelle elle s’attribuait la primauté sur l’Orient et l’autorité suprême sur l’Occident. Les Fausses Décrétales, qui établissaient l’immunité juridique des évêques et faisaient d’eux la source unique du Droit.

          En propageant la doctrine du souverain de droit divin, le théologien de Charlemagne, Alcuin, acheva la transformation de l’Occident en théocratie.

           S’opéra alors une transformation radicale du messianisme chrétien.

          Officiellement, l’Église attendait toujours le retour du Christ-Messie : mais en réalité, dans les faits comme dans sa doctrine, elle se substitua à lui. Le Messie, c’est-à-dire l’unique instrument du salut des Hommes, désormais c’était elle, l’Église.

          En son sein (et nulle part ailleurs) résidait le salut de l’humanité et la fin de ses souffrances. Le slogan des origines – « Jésus reviendra, Maranatha » – fut remplacé par un autre : « Hors de l’Église, point de salut, extra ecclesiam, nulla salus. »

           Passé inaperçue, cette transformation idéologique eût des conséquences considérables.

          Désormais ce n’est plus le Messie qui réaliserait l’utopie, mais une organisation humaine. Et cette organisation – l’Église – s’attribuait le droit à la violence qui accompagne toute apocalypse : violence sur les esprits, par le monopole de la vérité, et violence physique par la chasse aux dissidents, les hérétiques.

          L’utopie ? Elle était abandonnée à tout jamais, puisque l’Église avait pris le pouvoir : il n’y aurait pas d’autre monde que celui-ci. L’Église recueillit le pouvoir des rois pour le confier à ses Princes.

          Devenue incontestable, elle ne contesterait plus l’ordre du monde. Jésus avait imprudemment parlé d’un Royaume : elle établit le sien. Ầ Canossa, l’Empereur Henri IV alla s’humilier publiquement, pieds nus dans la neige, devant le pape Grégoire VII.

          Moment symbolique, par lequel le Pontife souverain montrait à tous que c’était bien lui le maître de l’univers.

           Dans la chrétienté, l’espoir avait été remplacé par le pouvoir.

 III. L’autre utopie : l’islam

           Au moment où l’Occident oubliait l’espérance d’un Messie-individu pour se soumettre à une Église-messie, en Orient un texte se diffusait, qui se présente lui-même comme une arme de guerre : le Coran.

          On sait maintenant qu’il puise ses sources dans un judéo-christianisme totalement messianique. Mais on voit que lui aussi avait abandonné l’espérance du retour d’un Messie-individu, pour la remplacer par la création d’une communauté-messie, l’Umma musulmane.

          Deux communautés, deux puissances messianiques se trouvèrent dès lors dans un face-à-face mortel. Elles ne pouvaient que s’affronter, elles s’affrontent toujours.

          Ầ Lépante, la flotte papale donna un coup d’arrêt à l’invasion de l’Umma, pendant que sur terre les souverains espagnols commençaient la reconquista.

           Affaiblie, divisée, l’Umma musulmane entra en somnolence pour quelques siècles.

           En Occident cependant, le désir d’utopie n’était pas mort, il connaissait des sursauts : les Vaudois, les Cathares, les Dolciniens… Rome créa l’Inquisition pour leur faire comprendre que si l’Église prêchait l’évangile, elle n’avait aucunement l’intention de le mettre en pratique.

          Plus fort qu’elle, Martin Luther créa d’autres Églises, vite semblables à celle de Rome par leur appétit de pouvoir. Les musulmans se tenant tranquilles, les chrétiens eurent tout le loisir de se faire la guerre entre eux.

           En Occident, plus personne ne rêvait d’espoir.

           Vinrent les Lumières, les Révolutions, les Restaurations. Au XIX° siècle, où donc l’espoir s’était-il réfugié ? Dans la révolution industrielle et agricole. Devenu riche, l’Occident ne perdait plus son temps à rêver d’utopies.

          Quoique… Passée des mains du clergé à celles de la bourgeoisie, la richesse excitait la convoitise des pauvres. Karl Marx inventa alors une utopie qui se substituerait – pensait-il – à celle de l’évangile : la société sans classes, la dictature du prolétariat.

           Ce fut un incroyable renouveau de l’espoir : le Grand Soir n’était pas pour plus tard, c’était pour ce soir. « Le changement, maintenant ! » La moitié de l’humanité se reprit à rêver.

          Devant une utopie facile à comprendre, efficace, l’Église sentit le danger : il ne pouvait pas y avoir sur terre d’autre utopie que la sienne. Même si personne ne comprenait plus rien à ses dogmes, aucun autre ne devait prendre leur place.

           Jean XXIII décréta un Concile, une ‘’mise à jour’’… mais de quoi ? De l’immense édifice dogmatique ? Dès l’ouverture de la 2° session, son successeur mit les points sur les i. Il assigna au Concile un seul but, répondre à la question : « Église, que dis-tu de toi-même ? ».

          Les deux mille Pères conciliaires se penchèrent donc sur leur nombril. On s’occuperait du fonctionnement de l’Église, sans le bouleverser. On dirait au monde qu’il était à nouveau digne d’intérêt, sans répondre à son besoin d’espérance. Bref, on astiquerait l’écorce de l’arbre, sans toucher à la seule chose qui aurait pu soulever comme autrefois la planète : le retour de l’utopie.

           Entre temps, personne en Occident ne s’était aperçu que les musulmans s’étaient réveillés avec Mohammed Abdelwahhab, ni que son wahhabisme avait inspiré en 1928 Hassan el-Banna, fondateur des Frères Musulmans.

          Uniquement préoccupée d’elle-même, l’Église catholique ignora totalement l’émergence d’une idéologie bien plus dangereuse que le communisme. Pour se réveiller – avec nous, qui n’avions rien vu venir non plus – dans un XXI° siècle où elle brillerait par son absence.

           Une absence idéologique, la pauvreté d’une pensée dogmatique que le Concile n’avait eu ni l’ambition, ni peut-être les moyens de repenser.

           Tandis qu’en face, le monde musulman avait ses certitudes idéologiques, son utopie de conquête, et la ferme volonté de les imposer aux occidentaux qui ne croyaient plus en rien, pas même en eux-mêmes.

 III. Le temps de la dés-espérance

           Lui aussi, Jésus avait annoncé un monde nouveau, mais pas pour plus tard : pour tout-de-suite, dès maintenant.

          Et pas au prix d’une apocalypse : il n’a jamais prêché la Révolution. Connaissant l’obsession messianique juive, il a catégoriquement refusé que ses disciples le prennent pour un Messie. Quand Pierre lui dit « Tu es le Messie ! », il menace ses disciples pour que jamais plus ils ne disent une chose pareille à son sujet (Mc 8,30).

           Les individus, comme les peuples, ont besoin d’utopies, c’est-à-dire d’un espoir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, qu’un autre monde que celui-ci est possible.

          Que nous ne sommes pas condamnés à la fatalité, que l’impasse n’est que provisoire.

          Quelle utopie ? Peu importe, peut-être. Demande-t-on à une utopie de se réaliser, ou de nous donner l’énergie du lendemain, un rêve vers lequel aller ?

           Toutes, elles ont fait faillite avec des résultats souvent dévastateurs.

          Il y a pourtant eu en Occident une voix, qui s’est fait entendre. Que disait-elle ?

           « Ce monde-ci est à bout de souffle. Je vous propose un changement, maintenant. Pas un bouleversement social par le haut, mais une transformation de chacun, à son niveau. Pour changer la société, commence par te changer toi-même. Met ton espoir dans la contagion, pas dans la Révolution. »

           Entrés dans le temps de la désespérance, pouvons-nous rêver aujourd’hui que la voix du prophète galiléen soit à nouveau entendue ?

 

                                       M.B., 11 octobre 1962 / 11 octobre 2012

Si ce sujet vous a intéressé, voyez dans ce blog :

Cinquante ans après Vatican II : le chant du cygne ?

– La série  »Peut-on changer le monde ? » 1 ; 2 ; 3 (cliquez sur les chiffres)

– « Jésus, le premier altermondialiste  »

– « La mondialisation, Jésus, le christianisme… et nous »

– « Messianismes et problème palestinien »

– « Les chrétiens, les musulmans et l’Histoire »

– « Crise de la civilisation occidentale et choc des fondamentalismes »

–  « La crise de l’Occident : fondamentalisme musulman et chrétien face à face

– « Mondialisation : fin du catholicisme ? »

 

DÉMISSION DE BENOIT XV : la fin de l’incarnation ?

          Un nouveau pape, c’est un peu comme les saisons qui se suivent : ça va, ça vient, et rien ne change. Que restera-t-il de celui-là ?

 Un pape écrivain

           Pendant son pontificat, Benoît XVI a publié deux livres sous le nom de Joseph Ratzinger. Or un pape, ça fait des Bulles, des Encycliques, des Motu Proprio, mais jamais à titre personnel : quand le pape parle ou publie, à travers lui c’est l’Église (c’est-à-dire Dieu) qui s’exprime, jamais l’individu.

          Dès son élection le pape cesse d’être un particulier, l’homme disparaît derrière la fonction divine.

          Jusqu’alors, un pape qui signerait de son ancien nom un livre destiné à un vaste public, cela ne se concevait pas. En écrivant ‘’je’’ au lieu du ‘’Nous’’ traditionnel, en séparant l’écrivain du pape, Ratzinger plantait un coin qui créait une première fêlure dans le trône de Pierre.

           Mais il y a plus : ces deux livres ne sont pas des pavés doctrinaux, ils se présentent explicitement comme une recherche exégétique sur la personne de Jésus de Nazareth.

          Le pape (ou plutôt Mr. Ratzinger) voulait-il ainsi contribuer lui aussi à la Quête du Jésus historique (cliquez) ? Non, il s’efforçait seulement d’éteindre l’incendie provoqué par ses chercheurs. Jusqu’ici, l’Église avait superbement ignoré ces exégètes, dont les travaux remettent en cause le dogme de l’Incarnation, la nature à la fois humaine et divine de Jésus. En se mettant à leur niveau, en acceptant de croiser le fer avec eux, en devenant chercheur parmi les chercheurs, Ratzinger enfonçait un peu plus le coin dans la fente qui fragilisait le trône de Benoît XVI.

          Car un pape ne peut pas participer à la recherche de la vérité.  Un pape ne cherche pas la vérité : il la publie au nom de l’Église qui la possède.

          Ratzinger écrivain-chercheur tournait ainsi le dos à Benoît XVI pape : inédite schizophrénie.

 La fin de l’incarnation ?

           Après avoir fait du pape le successeur de Pierre, au fil du temps les catholiques l’ont transformé en Vicaire du Christ. Vicaire, c’est-à-dire son représentant sur terre. En quelque sorte son double, son incarnation visible.

          Au haut Moyen âge, la Règle de saint Benoît reprit à son compte cette idéologie et l’appliqua aux moines : pour chacun d’eux affirme-t-elle, l’Abbé c’est le Christ.

          Tu es Petrus était devenu Tu es Christus.

           C’est pourquoi les papes sont élus à vie. On n’endosse pas temporairement la nature christique : quand on en a été revêtu, on ne peut plus s’en défaire que par la mort.

          Un pape ne démissionne pas. Le Christ ne démissionne pas, il meurt.

           Nécessaire puisqu’elle tient à son identité papale, la mort du Pontife se doit d’être souffrante et publique, comme le fut celle du Christ. Jean-Paul II l’avait parfaitement compris : en mettant en scène son agonie, en affichant heure après heure sa douloureuse descente au tombeau sur les écrans du monde entier, il réaffirmait l’incarnation du Christ en sa personne. Grâce à lui, en 2005 nous avons pu sans quitter nos fauteuils passer quelques semaines au pied du Golgotha.

           Il remettait aussi au premier plan ce dogme qui colle au catholicisme depuis ses origines : il n’y a de rédemption que par la souffrance. Notre souffrance, dit Paul de Tarse, est bonne et souhaitable puisqu’elle ajoute ce qui manquait à celle du Christ en croix.

          « On ne descend pas de la croix », aurait répondu Jean-Paul II à ceux qui lui suggéraient de démissionner.

           Benoit XVI démissionne, il demande à mourir comme un homme ordinaire ? Il prive ainsi les catholiques de la mort sacrificielle et publique du Christ réincarné en sa personne. Il les prive du spectacle de son agonie et de sa souffrance, il semble même leur refuser d’alimenter ce dolorisme dans lequel ils se complaisent avec délectation.

           Les catholiques de la base ne s’y sont pas trompés, qui expriment leur désarroi avant de saluer, dépités, le courage d’un pape se dérobant à un Golgotha qui leur était dû.

          J’ai quand même entendu quelques officiels murmurer ce qui les inquiète le plus : la démission du pape Benoît devenu homme ordinaire enfonce toujours plus le coin avec lequel l’écrivain Ratzinger fendillait déjà le dogme de l’incarnation.

           Quand la chrétienté se rendra compte de ce que signifie cette démission, ira-t-elle jusqu’ou bout ? Après l’abandon de l’incarnation christique du pape, s’interrogera-t-elle sur la réalité et la pertinence de son dogme fondateur, l’incarnation du Christ ?

          Reviendra-t-elle enfin à la personne lumineuse de l’homme Jésus, qui a toujours eu horreur de la souffrance et a tout fait de son vivant pour la soulager ? (1)

                                                  M.B., 12 février 2013

 (1) J’ai développé ce point dans Le silence des oliviers, qui va paraître prochainement en  »Livre de Poche » sous un nouveau titre, Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire.

PAPY PAPE PART : un pape s’en va, la papauté reste

« L’Église est une barque qui prend l’eau de toutes parts » : ce commentaire lucide et désabusé, c’est à Benoît XVI lui-même qu’on le doit, lors de son élection.

Pendant près de vingt ans, il avait été le Premier Ministre de Jean-Paul II : affaires de mœurs, pédophilie, opacité complice, trafics financiers, ambitions et luttes de pouvoir au Vatican – tout ça, il connaissait par cœur en pénétrant au centre du ring. Alors, pourquoi jette-t-il l’éponge avant la fin du combat, avant d’être évacué comme il se doit, inanimé, sur une civière ?

Qu’une partie du clergé soit dévoyée, infidèle, corrompue, cela ne date pas d’hier et n’a jamais fait couler l’Église. Le pape peut les dénoncer, « ces gens-là ce n’est pas nous, ce n’est pas mon Église ». Il l’a fait, partiellement.

A eux seuls, des rameurs médiocres ne provoquent pas le naufrage d’une barque. Ce que le pape dit, c’est que la coque elle-même est pourrie, il y a des voies d’eau. Il se voit incapable de les colmater, et quitte la barre d’une barque qui « prend l’eau de toutes parts ».

La principale voie d’eau, l’a-t-il au moins identifiée ? Je crois que oui.

Pendant son pontificat, il a écrit trois livres auxquels il attachait tant de prix qu’il n’a pas voulu les publier en tant que pape, sous le nom de Benoît XVI, mais en tant que chercheur, sous le nom de Ratzinger : chose tout à fait inédite (cliquez).

Ces livres n’ont qu’un seul objectif : démontrer une fois de plus que Jésus et le Christ ne font qu’un. Que la vie de Jésus, c’est la vie de Dieu incarné sur terre.

Protéger le dogme de l’Incarnation, menacé par les chercheurs de la Quête du Jésus historique (cliquez).

Réaffirmer que Jésus était Dieu, et qu’il a fondé l’Église : « Tu es Pierre, et sur cette pierre… ». C’est vrai, parce que c’est Jésus-Dieu qui l’a dit, c’est écrit.

Or on sait maintenant que tout ce qui est écrit dans les évangiles ne vient pas du Christ-Dieu, ne vient même pas toujours de l’homme Jésus. On sait qu’avant de nous parvenir, les évangiles ont été remaniés par les deux premières générations chrétiennes qui avaient un but : prendre le pouvoir.

Le seul pouvoir qui dure, parce qu’il va être gravé dans une civilisation qu’il contribuera à fonder : le pouvoir sur les esprits et les cœurs.

Le pouvoir spirituel, c’est-à-dire religieux : le pouvoir des dogmes.

Et ceux qui ont écrit les évangiles dans leur version finale ont parfaitement réussi, puisqu’après une brillante carrière de dix-sept siècles, l’Église est toujours là.

Mais elle prend l’eau, dit le pape sortant. Où ça, comment ça ?

La principale voie d’eau, c’est la corrosion du dogme fondateur de l’Église sous la morsure des chercheurs de la Quête du Jésus historique. C’est la fin, mise en évidence par leurs travaux scientifiques, du dogme qui commande tous les autres, celui de l’Incarnation. Si Jésus n’était pas Dieu en même temps qu’homme, s’il n’était qu’un homme – pire que cela, un Juif ! -, s’il n’est pas ressuscité, alors « vaine est notre foi » disait déjà s. Paul.

Pape érudit, parfaitement au courant des recherches de la Quête, Benoît XVI a publié ses trois livres pour tenter de colmater la voie d’eau qu’elle ouvre. Il est conscient de n’y être pas parvenu, et jette l’éponge.

Pourquoi ? Après tout, les travaux des exégètes de la Quête sont pratiquement inconnus du public, on ne les enseigne dans aucun catéchisme. Pourquoi ne pas laisser quelques chercheurs publier des livres que personne ne lit, pourquoi réaffirmer le dogme de l’Incarnation, comme s’ils risquaient de le mettre en péril par leurs ouvrages savants, confidentiels ?

C’est que le peuple chrétien leur donne raison sans avoir eu besoin de les lire.

C’est que dans les pays où la chrétienté a pris naissance, plus aucun croyant n’est en mesure de comprendre les dogmes fondateurs de sa foi – Incarnation, Trinité, transsubstantiation, etc.

C’est qu’on a besoin désormais de comprendre ce qu’on croit, parce qu’on connaît et qu’on comprend l’univers comme jamais auparavant. Credo quia absurdum, je crois parce que c’est absurde : le temps est passé, où cette affirmation lapidaire suffisait aux braves gens pour croire, et rester en paix.

En leur donnant les moyens de distinguer ce que Jésus a dit de son vivant, de ce qu’on lui a fait dire après sa mort.

En démaquillant le Christ, pour retrouver, derrière l’épaisseur des dogmes, le visage du prophète juif Jésus.

En redécouvrant Jésus avant le Christ,

les chercheurs de la Quête offrent aux braves gens, non pas un tampon pour colmater des voies d’eau, mais une nouvelle barque capable de naviguer sur nos eaux tourmentées.

Parce que celui dont ils mettent en lumière à la fois les paroles et les gestes authentiques se montre incroyablement proche de nous, de nos préoccupations, des questions que nous nous posons aujourd’hui.

Ce faisant, ils mettent en évidence pourquoi, et comment, la vieille barque qui prend l’eau de toutes parts risque de couler avec ses dogmes irréels, ses préjugés transhumains, ses sacrements incapables de sacraliser un monde en perte de sens.

Peut-être est-ce pour cela que le pape s’en va, tragiquement lucide.

Son successeur va tenter de reprendre les rameurs en main, il va faire du bruit, donner à voir et à commenter aux journalistes.

Pendant qu’au fond de la cale, l’eau, inexorablement, continuera de suinter par des brèches qu’il n’aura ni la lucidité, ni la volonté, ni surtout la possibilité de colmater.

M.B., 27 février 2013

P.S. : Où trouver les écrits de la Quête du Jésus historique ? Je m’appuie sur eux pour tenter de vulgariser leurs recherches, vous trouverez leurs références dans mes ouvrages (page d’accueil du blog).

 

ISRAEL : COMBIEN DE TEMPS ENCORE ?

          Problème palestinien ? Problème juif ?

         Prendre du recul. Relire des extraits de la plus ancienne presse du monde – la Bible.

          Vers l’an 1200 avant J.C., on peut lire dans le Livre de Josué : « Tous ses voisins sont unis pour combattre Israël : une coalition nombreuse comme le sable ! Mais Josué est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivis jusqu’au Liban » (1) .

          Après cette première version d’une Guerre des Six Jours qui permit l’implantation en Palestine des envahisseurs israéliens, la Bible décrit le début d’un premier génocide palestinien : « Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous sont passés au fil de l’épée. C’est comme cela qu’il a soumis tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant. » (2)

          S’ensuivit une main-basse systématique sur la Palestine : « Les Israélites se sont emparés de tout le pays, de la vallée du Liban au Mont Hermon, du Négueb au Bas-Pays. Aucune ville n’est en paix avec eux : ils s’emparent d’elles par la violence, ils en éliminent les Palestiniens par le massacre, sans rémission. Quand il n’est plus resté aucun Palestinien, Josué a pris possession de cette terre et l’a distribuée aux tribus juives. » (3)

          Après quoi le général Josué fit une déclaration officielle : « Prenez possession de leurs terres : des terres qui ne vous ont demandé aucune fatigue, des villes bâties par d’autres dans lesquelles vous allez vous installer, des vignes et des oliveraies que vous n’avez pas plantées – et qui vous nourriront. Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous. » (4)

          Puis ce fut la création des premiers camps palestiniens : « Jéricho est enfermée et barricadée : nul n’en sort ou n’y rentre. On signale qu’après avoir pénétré dans un camp, les juifs ont massacré tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants. » (5)

          Déjà, c’était « eux ou nous » – impossible coexistence : « Nous devons savoir, déclare un responsable juif de l’époque, que les populations autochtones que nous n’avons pas réussi à chasser vont constituer pour nous une menace permanente, une épine dans notre flanc et un chardon dans nos yeux. Et ceci, jusqu’à ce qu’ils nous aient rayés du sol ! » (6)

          Premières protestations de l’autorité palestinienne, vers 1100 avant J.C. : « Nous faisons la guerre aux juifs parce qu’ils se sont emparés de notre pays. Rendez-nous ces terres, maintenant ! » (7)

          Début des colonisations illégales et sauvages : On ne compte plus les exemples où, après affrontements avec les Palestiniens, « des juifs reviennent dans les terres spoliées, rebâtissent les villages et s’y établissent. » (8)

          Et l’inexorable engrenage de la violence : « Samson déclara : nous ne serons quitte envers les Palestiniens qu’en leur faisant du mal ! » (9)

           La première Intifada, la guerre des pierres ? Elle fut juive : L’adolescent « David choisit dans un torrent cinq pierres bien lisses. La fronde à la main, il courut vers le palestinien Goliath, et tira une pierre qui l’atteignit au front. Elle s’enfonça dans son crâne, et il tomba face contre terre. » (10)

          Le premier terroriste kamikaze ? Un juif, arrêté après avoir incendié les récoltes des palestiniens : « Tous les responsables palestiniens se trouvaient dans un édifice, avec une foule de 3000 civils. Samson cria : « Dieu, donne-moi la force de me venger des palestiniens d’un seul coup ! » Il s’arc-bouta contre les colonnes en hurlant « Que je meure avec les palestiniens ! », puis il poussa de toutes ses forces. L’édifice s’écroula sur lui et sur la foule : les morts furent très nombreux. » (11)

          En parcourant le Livre de Josué et des Juges qui relatent la chronique des XI° et X° siècles avant J.C., on croirait entendre les informations de la semaine dernière.

          Rien n’a changé.  En 3000 ans, rien n’a été appris.

          Cette situation sans issue, et qui perdure identique depuis trente siècles, semble provenir d’une dramatique confusion. Peut-on la résumer d’un mot ?

          Est juif celui qui est habité par la Loi, est juif celui qui habite la Loi.

          Sitôt créé par David, le premier État juif s’est effondré dans les querelles domestiques, puis par la déportation. Et c’est dans la diaspora où ils ont passé le plus clair de leur histoire, que les juifs ont pris conscience de leur identité, qui n’est pas territoriale mais spirituelle.

          Pour avoir confondu patrie spirituelle et patrie terrestre, ne se condamnent-ils pas eux-mêmes à la haine, au sang, à la guerre, à la souffrance sans fin ?

Comme me le faisait remarquer un journaliste de L’Express, « les réalités actuelles sont moins simples » que cette mise en perspective du passé et du présent.

          Il faudra donc revenir, ici, sur cette question : qu’est-ce qu’être juif ?

                                       M.B., Fév. 2011

(1) La Bible, Livre de Josué, chap. 9 et 11.

(2) Livre de Josué, chap. 10

(3) Livre de Josué, chap. 11. J’appelle « Palestiniens » les premiers habitants du pays, qui ne prendront ce nom (les phalestim) qu’à l’arrivée des Philistins, quelques années plus tard.

(4) Livre de Josué, chap. 24

(5) Livre de Josué, chap. 6. J’appelle « camps » les villages dans lesquels les Palestiniens de l’époque furent contraints de se retrancher.

(6) Livre de Josué, chap. 23

(7) Livre des Juges, chap. 11

(8) Entre autres : Livre des Juges, chap. 21

(9) Livre des Juges, chap. 15

(10) I° Livre de Samuel, chap. 17 (vers 1040 avant J.C.)

(11) Livre des Juges, chap. 16