Lu, dans la presse féminine, un dialogue entre le philosophe André Comte-Sponville et l’écrivain E.E. Schmitt.
« Est-ce que Dieu existe ? Je ne sais pas, mais… je crois », dit Schmitt. A quoi Comte-Sponville répond : « Je ne sais pas si Dieu existe, mais je crois qu’il n’existe pas »
Deux esprits aussi brillants ne peuvent accoucher que de brillantes formules. Ils ne sont pas les premiers : au cours des siècles, l’éventail des possibilités a été exploré jusque dans les moindres recoins. Depuis le « Je crois en Dieu, parce que c’est absurde » (la foi du charbonnier) jusqu’au « Je crois en Dieu, parce que la raison me le démontre » (certains théistes des Lumières). Entre-deux, on trouve la formule de St Anselme « Je crois en Dieu, afin de comprendre Dieu » – laquelle n’est pas éloignée de la position des musulmans,
On n’en sort pas, les opinions s’opposent sans jamais se rencontrer. Pourquoi ? Peut-être parce que la question est mal posée.
En effet, tout ce brillant monde parle de « Dieu ». Le mot est indistinctement employé, aussi bien par ceux qui pensent croire en lui, que par ceux qui refusent la foi, ou qui sont entre les deux. Et l’on philosophe, on philosophe…
Or, c’est le mot Dieu lui-même qui est piégé, et rend toute réponse impossible à la question de la foi.
Car « Dieu » est déjà, en lui-même, une invention des théologiens ou des penseurs. Quand un Occidental ou un Moyen-oriental dit « Dieu », automatiquement, sans qu’il puisse y échapper, il introduit dans son esprit – avec le mot – un vaste champ sémantique. Très différent, certes, selon les civilisations et les époques, mais très prégnant. Le mot « Dieu » véhicule ainsi avec lui, au choix : l’image du Tout-Puissant qui régit tout, celle de l’auteur ou du complice du Mal, du Père inhibiteur ou source de dépendance, de l’Amant absolu, du père fouettard, que sais-je… Jusqu’au vieillard à barbe blanche assis sur son nuage, tout là-haut, au ciel de nos enfances.
Les théologiens sont responsables de cette enflure sémantique, sur laquelle débouche automatiquement le mot « Dieu ». Et ceci a commencé très tôt, dès la deuxième étape de l’écriture de la Bible (habituellement appelée élohiste). A partir de là, à cause du texte lui-même qui se met à nommer « Dieu », puis à le décrire de plus en plus précisément, le judaïsme, suivi du christianisme et de l’islam, vont parler, et parlent encore, de « Dieu ».
Il n’en allait pas ainsi pour la première mise par écrit de la Bible (le yahviste), ou pour l’hindouisme. Là, on sait encore qu’on ne peut pas nommer « Dieu » : la toute première Bible le désigne par quatre consonnes qui ne signifient rien, et que les juifs pieux remplacent (aujourd’hui encore) par une seule, le yod ou ‘. Quant aux hindous, ils remplacent la désignation de « Dieu » par une simple vibration, « Ohhhmmm…. »
Quand un occidental se demande s’il croit en Dieu, il se demande en fait s’il adhère à telle ou telle représentation de « Dieu » – qu’il ira puiser, selon sa formation ou sa tradition, dans telle ou telle partie du champ sémantique générée par le mot « Dieu ».
Vous me demandez si je crois en « Dieu » ? La réponse est claire, sans appel : c’est non. Non, je ne puis adhérer à aucune des représentations ouverte par le champ sémantique « Dieu ». Il me faudrait alors choisir entre les opinions des uns ou celles des autres, alignées dans les rayons de nos bibliothèques depuis plus de 25 siècles.
Alors, en quoi croyez-vous ?
Je ne crois pas : je constate (et il m’a fallu pour cela toute une vie de recherches tâtonnantes, d’expériences douloureuses) que derrière ce monde des apparences, il y a une réalité que la plupart appellent « Dieu », mais que je me refuse à nommer parce qu’elle est au-delà de tout mot.
Une personne ? Mais non ! Si je dis « une personne », je rentre déjà dans la querelle des mots, dans une cage assemblée depuis les premiers conciles jusqu’à E. Mounier. Un existant ? Pas plus, vous me traînez chez Heidegger ou Sartre.
Alors, quoi ?
Une expérience, faite à la fois dans la vie et par l’esprit. La vie devançant presque toujours l’esprit, le travail de l’esprit éclairant lentement la vie. Une expérience, qui ne peut donc se réduire à aucun mot, même quand c’est une expérience que l’esprit prétend analyser.
Une expérience ne se met pas en formules, ni en mots. Elle ne se décrit pas, elle est au-delà des mots. Elle se constate, quand toutefois la conscience finit, enfin, par acquiescer – toutes murailles intérieures renversées – à la force de l’évidence.
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