L’UTOPIE SOCIALISTE : LES MOTS, ET LA RÉALITÉ

            Utopie vient du grec où-topos qui signifie exactement « lieu non-inexistant. »

            L’utopie est une réalité virtuelle, qui n’existe nulle part ailleurs que dans les mots qui la décrivent.

            Des mots qui font rêver à une société parfaite, dans laquelle les individus vivraient dans l’harmonie, l’égalité, l’abondance.

Le premier « programme de gauche »

            Je vous renvoie à un article écrit en 2012 dans ce blog sur « Le premier programme de gauche » attesté par l’Histoire. C’était à Jérusalem, peu après la mort de Jésus. Chaque converti à la nouvelle religion était invité à « ne pas considérer comme sa propriété l’un quelconque de ses biens… Nul parmi eux n’était [plus] indigent : ceux qui possédaient des terrains, des maisons [ou des biens] les vendaient, apportaient l’argent et le déposaient aux pieds des apôtres. Chacun en recevait une part selon ses besoins. » (1)

            Le résultat, ce fut la faillite de l’Église de Jérusalem. Une faillite tellement retentissante, que Paul de Tarse fut obligé d’organiser dans tout l’Empire une collecte pour venir en aide à la communauté socialiste de Jérusalem, sinistrée financièrement.

            Pourtant Jésus n’a jamais condamné le système capitaliste qui était en vigueur de son temps. Jamais il n’a condamné la richesse des riches : il conseille seulement de se « faire des amis avec l’argent trompeur », c’est-à-dire de bien gérer son capital, dans la justice (cliquez).

 François Mitterrand et l’argent

             Faut-il rappeler que Mitterrand a d’abord été élève des bons Pères d’Angoulême avant de faire ses classes politiques chez les Pères Maristes de la rue de Vaugirard ? C’est en catholique convaincu qu’il écrivait alors : « Il n’y a qu’un seul rôle à jouer dans les groupes politiques auxquels il faut adhérer, et qui sont admis par l’Église : les directives et les principes de notre foi… Seul le christianisme est capable d’entreprendre une rénovation totale. » (2)

            En 1968, après un parcours tortueux à Vichy d’abord puis sous la IVe République, il devient un « homme de gauche ». C’est dans le plus pur jargon catholique qu’il explique sa conversion au socialisme : « Je ne suis pas né socialiste, la grâce efficace a mis longtemps à faire son chemin jusqu’à moi. J’ai dû me contenter de la grâce suffisante… Le socialisme… dispose de plusieurs vérités révélées et, dans chaque chapelle, des prêtres qui veillent… J’ai lu ses livres sacrés… Hélas, le socialisme produit plus de théologiens que de servants. »

            À cette époque, Guy Mollet dira de lui : « Mitterrand n’est pas devenu socialiste, il a appris à parler socialiste, nuance ! »

            Des mots donc, les mots de l’utopie : « Les socialistes estiment qu’il ne peut exister de démocratie réelle dans la société capitaliste. C’est en ce sens qu’ils sont révolutionnaires. Le socialisme a pour objectif le bien commun et non le profit privé. Il ne s’agit pas d’aménager un système, mais de lui en substituer un autre. »

            Et encore : « La structure économique du capitalisme est une dictature… La mutation que nous proposons doit aboutir à la suppression du capitalisme. »

            Des mots qu’il enfonce au Congrès d’Épinay de 1971 : « Réforme, ou révolution ? … Oui, révolution ! Rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste. »

            Et enfin, cette profession de foi qui en rappelle une autre :

            « Le véritable ennemi, le seul… c’est… toutes les puissances de l’argent, l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes !

            On sait ce qu’il en sera de l’utopie quand elle sera confrontée à la réalité : en 1983, virage à 180° et gestion prudente de la société capitaliste. Avec des trous à boucher.

            Même chose chez François Hollande : un discours de campagne où il affirme que son « seul ennemi, il est invisible, c’est la finance ! » Et deux ans plus tard, tournez casaque.  Avec des trous qui se creusent.

            Autrement dit, d’abord un discours utopique pour attraper les mouches. Car il y a dans la société française, depuis 1792, une stupéfiante permanence du gauchisme utopique. Il ressurgit périodiquement, en 1848, en 1871 avec la Commune de Paris, en 1936, en mai 1968.

            Cette frange de la société française parle haut et fort, descend dans la rue, clame l’utopie, le « lieu de nulle part. »

            Et ensuite, vient la réalité.

            L’utopie ne sert que quand on s’en sépare.

          On se souvient du discours de Tony Blair devant le Parlement Français : « Il n’y a pas une économie de gauche et une économie de droite, il y a l’économie qui marche et celle qui ne marche pas. »

            Si l’utopie pouvait devenir réalité, si l’idéologie socialiste pouvait « marcher », il y a longtemps que la planète serait socialiste, et moi le premier.

            Car l’utopie est fascinante, elle est parée de tous les attraits, elle captive comme un rêve éveillé.

            Mais les vrais réveils sont vraiment douloureux.

                                                M.B., 21 novembre 2014
(1) Actes des apôtres, 4, 32.
(2) Je tire ces propos de François Mitterrand de l’excellent ouvrage de Catherine Nay, Le noir et le rouge, Grasset, 1984.

16 réflexions au sujet de « L’UTOPIE SOCIALISTE : LES MOTS, ET LA RÉALITÉ »

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  2. Angelini Jean-Claude

    Mitterrand et Hollande socialistes ????????? !!!!!!!!!!!! Vous plaisantez j’espère. Comme si les discours suffisaient à faire un socialiste !…

    L’utopie socialiste n’est pas encore arrivée au pouvoir dans aucun pays du monde. Pour le moment et depuis des siècles l’argent est du domaine privé. C’est pour cela qu’il demande des intérêts usuriers … Le socialisme pourra s’appliquer un jour si l’argent redevient du domaine public et prêté sans intérêts par les états à leur trésor public, cad au citoyens …
    Les USA virent au système totalitaire et nul besoin de socialisme pour ça.
    Article partisan et non objectif. La connivence entre le grand capital et l’église n’est plus à démontrer malheureusement …
    Quand à l’utopie : C’est un lieu qui n’existe pas pour le moment. C’est un lieu à créer pour l’avenir …

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      « U-topos » : « lieu de nulle part »
      L’utopie socialiste n’existe que dans les rêves de ceux qui se disent socialistes.
      Contrairement au milieu dans lequel il vivait (messianistes zélotes et autres), Jésus n’était pas un utopiste. Méditez ce point, il est essentiel.
      Amicalement, M.B.

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    2. Lucien MARTIN

      L’idéologie n’a jamais su entendre raison, je veux dire : entendre les raisons de ceux qui pensent autrement. C’est bien pourquoi socialisme et démocratie n’ont jamais fait bon ménage.

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  3. NM

    Le socialisme est comme vous le notez une utopie,celle ci devait permettre selon ses fidèles d’atteindre le communisme,sorte de parousie matérialiste.
    Les idéalismes étant coupés de toutes réalités,ils finissent irrémédiablement en dictatures.
    Pour autant notre président actuel n’a de socialiste que le discours,celui ci est en réalité comme sont prédécesseurs un agent du système économique,placé pour que tout reste en place…
    Si le socialisme est mort,il a laissé pourtant la place à une utopie bien plus sournoise:l’expansionnisme économique,appelé de façon réductrice « capitalisme ».
    C’est actuellement cette idéologie qui représente une menace pour notre biosphère,car si les anciennes utopie ne fonctionnaient que par le discours,l’expansionnisme économique quant à lui « marche » à merveille,preuve en est du mondialisme actuel.
    Cette réussite est simple à comprendre,si la course vers une croissance infinie(le nouveau messie) est clairement utopique,le fonctionnement du système quant à lui repose sur un rationalisme d’une terrible efficacité.
    Il n’est pas difficile de comprendre le processus évolutif qui c’est développé dans notre société:après avoir « tuer Dieu » en le remplaçant par des idéologies socialistes ou romantiques inopérantes,les populations se sont tournées vers un système idéaliste ou Dieu à été remplacé par une abstraction plus palpable mais non moins virtuelles: »l’argent ».
    Il ne manquait plus qu’un messie que l’on attendrait de toute hâte dans les moments difficiles:la croissance,c’est celles ci qu’invoque sans cesse nos mages-politiciens, et ceux au grand dame des réalités scientifiques…
    Cordialement.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Merci, . Puis-je me permettre nuances ?
      1- Vous savez que kla notion de « progrès » a été introduite en France au XVII° siècle finissant, par certains révolutionnaires influencés par les Lumières.
      2 Ce « progrès » devant être infini, la « croissance » qui est son expression financière doit être infinie.
      3- Mais on oublie que la planète a des ressources finies, non-renouvelables.
      M.B.

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  4. Lucien MARTIN

    Comment ne pas partager votre manière de voir ? Et l’utopie, précisément parce que déconnectée du réel et souvent messianique, conduit aisément à l’arbitraire et à la dictature. Dans son « Histoire des doctrines économiques », René Gonnard, disparu en 1966, écrivait : « « Si donc c’est l’égalitarisme qui fait le fond de la manière de penser socialiste, le socialisme libéral paraît bien n’être qu’une contradictio in terminis. Le socialisme logique, c’est le socialisme autoritaire ». Je ne crois pas que l’histoire d’aucun régime qui prétendait déconstruire le monde « naturel », pour en construire un autre, supposé plus rationnel et plus « juste », démente cette constatation qu’il s’achève dans la dictature, voire la violence d’État, l’oppression.

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  5. Jacques Dalem

    La seule forme de socialisme qui fonctionne est la social-démocratie ( ou si l’on veut le social-libéralisme), le reste est, en, effet, utopie. Avec parfois des conséquences gravissimes. Jean-François Revel a très bien montré combien François Mitterrand avait de maigres notions en économie et était fort peu désireux de se renseigner sur ces sujets. C’est tès bien expiqué dans les mémoires de Revel ( Le Voleur dans la maison vide, chez Plon.)

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  6. Jean Roche

    L’épisode d’Ananias et Saphira (Actes 5:1-11) suggère, pour le moins, que cette utopie frisait déjà la terreur totalitaire.
    Mais il y avait déjà eu des programmes « de gauche ». Par exemple, un siècle avant, et préconisant y compris l’abolition de l’esclavage, parmi les partisans les plus zélés de Marius, dans la première guerre civile romaine.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Le programme de Marius était surtout une réforme agraire = donner les terres des grands propriétaires fonciers aux pauvres. Je ne crois pas qu’il avait un projet de « nouvelle société »
      C’est ce projet, détruire ce monde imparfait pour en mettre un autre à la place, qui est le noyau dur de tous les messianismes (Voyez « Naissance du Coran »)
      M.B.

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      1. Jean Roche

        Je vais essayer de retrouver, mais je crois bien qu’il y a eu, chez certains marianistes, un tel projet.
        Sans oublier les révoltes d’esclaves. En Sicile, l’une d’entre elle a réussi à maintenir un vrai état pendant plusieurs années. C’est d’ailleurs en tentant de gagner la Sicile que Spartacus a été écrasé (mais on ne sait pas vraiment si lui-même avait un projet politique).

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      2. Debanne

        Bonsoir Michel Benoit,

        Je suis un peu hors-sujet mais je me permets une question au spécialiste en araméen que vous êtes.
        Est-il vrai que Jeshua ben Joseph, lorsqu’il parlait de « péché » utilisait le mot « khtahayn », lequel signifie plutôt « erreur », dans le sens où ce que l’on fait n’est pas adapté ?
        D’autre part, pour parler de ce qui est « mal » il disait « bisha », qui veut plutôt dire inadéquat : qu’en pensez-vous ?
        Si cela est vrai, on est loin de la faute morale que l’église a utilisé depuis toujours…
        Autrement dit commettre des « péchés », à l’origine correspondait plutôt à se tromper et s’éloigner d’un but, d’un objectif ?
        Avec mes plus sincères remerciements !
        Bien à vous,
        H de D.

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        1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

          Je me débrouillais en araméen il y a 30 ans, c’est si loin !
          L’hébreu/araméen est une langue de paysans. Toutes les notions morales/philosophiques sont traduites dans un langage concret. Péché = erreur = sillon mal engagé. Mal = inadéquat = mauvaises semences. L’abstraction est d’origine hellénique, quand le Xme s’est hellénisé il s’est abstrait ce qui lui a permis de devenir moralisateur.
          M.B.

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