« Saisissez-les, tuez-les partout où vous les trouverez » (1) : souvent répétée dans le Coran, cette injonction génocidaire vise explicitement les Juifs et les chrétiens. Pourquoi ?
Les Juifs « recouvreurs »
Rappelons (2) que le Coran s’est formé à partir des catéchèses d’un groupe de judéo-chrétiens réfugiés en Syrie à leurs voisins arabes. Souvent cités dans le Coran, ces nazôréens se disaient « à la fois Juifs et chrétiens » (3). Leur judaïsme était celui de la diaspora, façonné par le Talmud dont l’écriture finale se situe à la fin du 5e siècle.
Qu’est-ce que le Talmud ? Un gigantesque commentaire de Loi juive qui rassemble les prescriptions qu’un Juif exilé parmi les nations doit observer pour rester Juif. Des milliers de discussions entre rabbins, chacun citant ses prédécesseurs pour confirmer ou préciser sa position sur tel ou tel aspect – parfois minuscule – de la vie quotidienne.
Tel était le judaïsme des judéo-chrétiens du 7e siècle, plus talmudique que biblique. Dans leurs catéchèses aux Arabes les nazôréens ont voulu réformer ce judaïsme, revenir aux origines, à la pure religion d’Abraham. Quand le Coran parle des Juifs il emploie la racine KFR – kâfar – qu’on traduit souvent par mécréant, impie, renégat, mais qui signifie exactement « recouvreur » : pour le Coran, les Juifs ont renié Dieu en le recouvrant de leurs interprétations : « Vous avez volontairement falsifié [la Bible] après l’avoir entendue », vous l’avez « remplacée par des élucubrations tirées de vos rêves » (4).
Pourtant, le Coran se réfère aux grandes figures fondatrices du judaïsme comme à ses sources, à commencer par Abraham et Moïse. C’est le côté ‘’Juif’’ des judéo-chrétiens nazôréens. On peut donc dire que le Coran n’est pas antisémite au sens où nous l’entendons : il n’en veut pas aux Juifs en tant que Juifs, mais à ce qu’ils sont devenus – selon lui.
Les chrétiens « associateurs »
Tout aussi grave est ce qu’il reproche aux chrétiens (5) : le Coran les accuse d’avoir associé au Dieu unique deux autres dieux (le Christ et l’Esprit-Saint). « Ceux qui disent : la vérité c’est que Dieu est le troisième de trois, ceux-là sont des impies ! S’ils ne renoncent pas à ce qu’ils disent, un châtiment terrible les atteindra. Dieu ne pardonne pas qu’on lui associe qui que ce soit.» (6) Pour le Coran les chrétiens sont des polythéistes, c’est à dire d’abominables païens. Associateur est synonyme de condamné à mort.
C’est là qu’on voit le tort qu’ont pu faire à l’humanité les querelles inter-chrétiennes des 4e et 5e siècle sur la nature du Christ et de la Trinité (conciles de Nicée et Chalcédoine). Et c’est aussi ce qui explique que le bassin méditerranéen ait si vite, et si facilement, basculé du christianisme vers l’islam. Les populations chrétiennes étaient lassées des guerres byzantines que se livraient les tenants de l’une ou de l’autre doctrine christologique. Sans doute ont-elles été soulagées de la paix qui accompagnait un monothéisme affirmé, simple et qui répondait à leurs aspirations.
Comme pour les Juifs, la haine du Coran envers les chrétiens vient de ce qu’ils ont renié la vraie religion, celle du Dieu unique. Monothéiste, l’islam se présente comme un progrès contre le polythéisme des chrétiens (6), une religion plus parfaite – la seule vraie religion.
Une impasse sans issue ?
Le Coran est donc une réforme du judaïsme et du christianisme. Une réforme par le retour au mythe des origines, comme l’était le protestantisme qui voulait revenir à l’Écriture par-delà le Tradition catholique : sola scriptura. De même que le protestantisme, la réforme coranique a donné naissance à une guerre de religion, tout aussi acharnée, qui dure encore aujourd’hui.
C’est une impasse, car le judaïsme contemporain reste talmudique (et hassidique pour les Sépharades) comme le christianisme reste trinitaire. Aucune de ces deux traditions religieuses, qui ont façonné la civilisation occidentale, n’est prête à revenir sur ce qu’elle est devenue au fil de deux millénaires. Les Juifs ne renonceront pas au Talmud, les chrétiens ne renieront pas la Trinité. Inscrite dans le Coran, leur condamnation est d’actualité et elle le restera.
À moins que les musulmans n’entreprennent le long travail d’exégèse historique et critique de leur texte sacré qu’ont entrepris les chrétiens à partir du 19e siècle. Certes, chez certains de leurs intellectuels les choses bougent (7), mais la masse des croyants musulmans mettra très longtemps avant d’intégrer dans sa foi cette critique du Coran que rejette absolument leurs autorités religieuses et politiques.
Au 7e siècle, l’ensemble du bassin méditerranéen – arabes y compris – était majoritairement chrétien. Ce monde chrétien auquel s’attaque le Coran (les Roums) est devenu aujourd’hui l’Occident. Pour les djihadistes contemporains, l’appel au meurtre des chrétiens qu’ils lisent dans le texte s’identifie donc à un appel de Dieu pour détruire l’Occident. Ce n’est pas seulement un choc des civilisations, mais plus profondément (et plus radicalement) le choc de deux messianismes antagonistes. Après avoir décrit l’idéologie messianiste, j’ai montré dans Naissance du Coran pourquoi l’affrontement entre musulmans et chrétiens / occidentaux ne cessera que par la soumission ou la disparition de l’un ou de l’autre. Parmi nos intellectuels et politiques rares sont ceux qui l’ont compris – et l’on fait taire ceux qui osent le suggérer (8) en les qualifiant d’islamophobes.
Aveuglement fanatique d’une minorité de djihadistes. Silence d’une majorité de croyants musulmans empêchés de les désavouer à cause du texte du Coran. Ignorance et lâcheté des élites occidentales qui refusent d’identifier et de nommer l’impasse pour l’affronter : nous ne sommes pas sortis de l’auberge.
Il est important en effet de souligner que le Talmud est fait de déclarations souvent contradictoires de nombreux rabbins. Tout citation du Talmud qui ne comporte pas au minimum « Rabbi Untel a dit… » est fallacieuse (en outre, il y a de faux extraits haineux du Talmud qui circulent).