ISRAEL : LA DÈRIVE FASCISTE

Depuis des années, l’État d’Israël sombre dans une dérive fasciste vertigineuse, affolante, et que rien ne laissait prévoir. Qu’on se rappelle des Pères fondateurs, Théodore Herzl, Chaïm Weismann, Martin Buber… comment en est-on arrivé là ?

I. Au commencement était le messianisme

Au 6e siècle avant J.C. des scribes hébreux, exilés à Babylone, écrivirent l’Histoire de leur passé à partir de traditions orales éparses. Ils s’inventèrent une mémoire recomposée pour se donner une identité, pour ne pas disparaître dans une civilisation et une religion bien supérieures à la leur. Ainsi de la conquête de Canaan par Josué, le successeur de Moïse : c’est de l’Histoire fantasmée, mise au service d’un rêve et d’une ambition politique. Lisez dans ce blog l’article Israël : combien de temps encore ? qui cite les Livres bibliques de Josué et des Rois. Vols, expropriations, massacres d’innocents, création de camps d’internements : remplacez « Cananéens » par « Palestiniens », et vous aurez le journal paru hier. Dès sa mise par écrit, la Bible justifiait pour les siècles à venir la naissance d’un État par la spoliation et le génocide.

Ensuite, ces scribes vont faire de David le conquérant du « Grand Israël », Héretz Israël. Et comme ils sont exilés, ils rêvent de son retour sous la forme d’un Messie armé, d’un guerrier conquérant et victorieux qui anéantira les populations autochtones et tiendra tête aux voisins d’Israël. L’idéologie la plus dangereuse au monde, le messianisme, venait de naître. Une idéologie de conquête au nom de Dieu : l’autre est un ennemi avec lequel il est impossible de composer ni de s’assimiler, qui doit donc être éradiqué d’Héretz Israël. La « solution finale » était déjà au programme de ce messianisme-là. Dans Naissance du Coran j’ai montré comment, 900 ans plus tard, des Arabes s’en sont inspirés dans leur volonté de conquête planétaire (toujours actuelle).

II. Le premier Sionisme

En 1897 Théodore Herzl proclama l’existence d’un peuple juif dispersé, l’impossibilité de son assimilation par d’autres peuples, la nécessité de créer un État particulier pour ce peuple. Il parlait d’un « État juif » » et non de « l’État des Juifs. » Cet État, il le décrivait comme « une utopie sioniste », une Palestine démocratique, dans laquelle Juifs et Arabes disposeraient des mêmes droits fondamentaux – respect mutuel, droit de vote, accession aux postes-clés.

Ce sionisme était un humanisme socialisant, pacifiste. Enraciné dans le lointain passé d’Israël, il était d’essence religieuse : « C’est la volonté de Dieu, écrit Herzl, que nous revenions sur la terre de nos pères. »

Revenir, oui, mais pas chasser, exproprier, tuer les Arabes chrétiens et musulmans qui vivaient sur cette terre, qui y avaient vécu bien plus longtemps que les Juifs au cours de leur histoire.

En 1917 la Déclaration Balfour évita soigneusement les deux mots ‘’messianisme’’ et ‘’sionisme’’. Elle préconisa « L’établissement en Palestine d’un Foyer national pour les Juifs… étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civiques et religieux des collectivités non-juives existant en Palestine ». Éviter un problème, ce n’est pas le résoudre.

Ce « foyer national » ne serait ni Héretz Israël, ni une terre promise par Dieu aux Juifs. Ce serait un lieu de refuge pour apatrides, censés y trouver un Homeland et la sécurité, sans y introduire l’utopie sioniste ni la violence messianique génocidaire.

III. Martin Buber

Après la Shoah, l’un des penseurs du nouvel État créé en 1948 a été Martin Buber. Philosophe, il avait approfondi la notion de rencontre et l’avait placée au centre de sa pensée sur l’Homme vivant en société. L’être humain, dit-il, se construit par la rencontre de l’autre. Buber remplace ainsi le « Je pense, donc je suis » par un « Tu es, donc je suis.» Il voit dans le double ‘’Je’’ mis en avant par Descartes l’origine de l’égoïsme, de l’individualisme et finalement de l’impérialisme occidental centré sur soi-même. « Je défini par Je » ne peut conduire qu’à l’opposition des uns aux autres, à l’affrontement, à la violence et à ses suites. En revanche, « Je » défini par la rencontre du « Tu » ouvre la porte à la coexistence pacifique

 Pour Buber, « Au commencement était la rencontre. » C’est un nouvel humanisme qui veut revenir au judaïsme originel, celui d’avant le messianisme agressif. Pour Buber « il y a la Bible qui parle à moi, et moi qui reçois la Bible. » Le « tu » qui désigne l’autre n’est que l’écho du « Tu » qui désigne Dieu.

Entre Buber et les fondateurs du nouvel État naissait donc un profond malentendu. Au début, il adopta volontiers le mot « sioniste », en se méprenant sur le sens politique que lui donnait Ben Gourion. Il savait qu’Israël allait se trouver confronté à l’autre (les Arabes), mais ce qu’il envisageait c’était la création d’un centre spirituel du judaïsme, pas d’un État juif. Un foyer de spiritualité juive, irrigué par les Écrits Hassidiques dont il s’était fait le traducteur et l’éditeur, un lieu de rencontre entre le « Je » juif et le « Tu » Arabe.

Très vite il va déchanter et s’élever contre « ces impérialistes [juifs] assoiffés de réussite, nationalistes déchaînés, ivres de pouvoir, méprisant les populations autochtones. » Si semblables aux nationalistes européens dont il avait vécu dans sa chair l’aspiration vers l’anéantissement de l’autre, qui venait de culminer dans la Shoah. Il se rendit compte que son sionisme humaniste et proto-biblique n’était pas celui de Ben Gourion et s’éloigna de lui. Il vit poindre le retour du messianisme, de son nihilisme, et termina sa vie dans un silence d’infinie tristesse.

IV. Messianisme et fascisme

Martin Buber marquera pourtant la création du nouvel État, qui ne s’appellera ni un « État juif », ni « l’État des Juifs », mais l’État d’Israël. Par ce mot, il se référait encore à l’ensemble du passé et de la tradition biblique, donc aussi au judaïsme originel cher à Buber. Un judaïsme de la rencontre entre le ‘’Je’’ juif et le ‘’Tu’’ Palestinien ou Arabe.

Cette référence-là, l’État d’Israël va s’en éloigner Après l’assassinat de Yitzhac Rabin (novembre 1995) une droite de plus en plus nationaliste, sioniste et messianique, prit le pouvoir : on connaît la suite.

Cette suite, elle vient d’accomplir un virage terrifiant. La Knesset, dominée par des partis d’extrême droite (dont l’un s’appelle « Droite Messianique ») vient de voter une loi constitutionnelle qui définit Israël comme État national juif. En abandonnant le mot « Israël » de sa constitution, l’État juif rompt le lien ténu qui le  raccordait implicitement à l’utopie sioniste de Herzl, à la tradition originelle de l’Israël biblique de Buber. Car dans « État juif » il faut entendre « État des Juifs », et d’eux seuls. Le texte définit Jérusalem comme la « capitale complète et définitive » de cet État, l’hébreu comme sa seule langue officielle. Il accorde une « valeur nationale » à l’extension des colonies juives en territoire palestinien, instaure une justice politique, soumet les Palestiniens à cette justice.

Cette loi marque une avancée importante vers l’annexion. Il s’agit de normaliser la présence israélienne en Cisjordanie pour en faire un simple district israélien. Cela s’appelle un Anschluss sournois, instauré par la loi du plus fort. Et comme à Munich en 1938, les européens restent inertes.

Conséquence logique, Benjamin Netanyahou vient de se rapprocher de Viktor Orban, des nationalistes d’extrême droite du Groupe de Visegrad (Europe centrale) et du nouveau Chancelier Autrichien, qui cache à peine ses sympathies pour les néo-nazis d’Autriche et d’Allemagne.

Expropriations massives, créations de Ghettos (Gaza), massacres d’innocents, annexion du Lebensraum (1), volonté affichée de nier aux Palestiniens le droit d’exister, négation de tout autre que le ‘’Je’’ Juif. Le peuple juif devenu comme le Herrenvolk d’Hitler un Messie conquérant, son dirigeant proche des nationalistes parfois néo-nazis d’Europe : Vernichtung, la Solution Finale est bien en marche sur Héretz Israël. Osons le dire, les Palestiniens sont devenus les Juifs des Israéliens, qui leur appliquent les mêmes méthodes, dans le même but, que les Nazis appliquèrent autrefois aux Juifs d’Europe.

Heureusement pour lui, Martin Buber est mort avant de voir « ça ».

                                                                M.B., 23 juillet 2018
Sur le messianisme, voir les articles du blog en tapant ce mot dans la case « rechercher ». Voir aussi l’étude complète publiée dans Naissance du Coran, aux origines de la violence. Sur le problème palestinien, articles au mot-clé « Israël » et l’article Le vieil homme et la clef.
  (1) « Espace vital » considéré par Hitler comme appartenant de droit au peuple allemand.

6 réflexions au sujet de « ISRAEL : LA DÈRIVE FASCISTE »

  1. Lebrun Jacqueline

    Que la situation actuelle en Israël soit déjà annoncée et vécue dans la Bible me parait une alléguation hasardeuse. Que la source de la foi de Jésus soit présentée ainsi la discrédite complètement. Pourquoi le Père de Jésus aurait-il choisi alors ce peuple-là ? Dieu est-Il lui-même plein de violence ? Professeur de religion catholique durant mes 40 années de service dans les écoles c’est dans la Bible que nous avons trouvé, mes jeunes élèves et moi-même la meilleure approche de notre vie et de Dieu plein de tendresse.Le film » le tout nouveau Testament de Jaco Van Dormael témoigne du résultat d’un enseignement religieux basé sur la peur de Dieu que nous avons fabriqué à notre image.

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  2. Roland Leblanc

    Désolant; sommes=nous suffisamment conscient?
    En nous, pouvons=nous en prendre la responsabilité de ce qui se passe?
    Après Tout , Nous sommes Tous Passants!
    Bon Chemin de Vie à Nous Tous; malgré…
    Roland

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  3. Stéphane MICHAUD

    Merci cher Michel pour cet article.
    Car il est patent que cet état d’Israël n’a fait que durcir ses positions vis à vis des autres habitants, historiques eux aussi, ce cette région.
    Malheureusement, il est devenu totalement impossible de critiquer en aucune manière que ce soit les actions orales ou militaires de cet état, sans se faire taxer d’anti-sioniste ou même pire! Votre analyse est d’une clarté lumineuse pour qui n’aurait pas compris les origines de cette situation.
    Il est vraiment inquiétant de voir, un peu partout dans le monde, refleurir ces populismes, ces nationalismes, ces fascismes qui prônent la haine de l’autre et le repli sur soi.
    Avez-vous déjà écrit un (ou des) article sur les raisons politico-religieuses de ces dérives?
    Bien cordialement
    Stéphane michaud

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Voyez « Naissance du Coran » (L’Harmattan, et par contraste « Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire ». Tous deux à commander chez votre libraire ou Amazon.com
      Nombreux articles dans le blog (mots-clés signalés en finale), au fur et à mesure que j’avance dans la recherche
      Amicalement
      M.B.

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  4. Jean Roche

    Bonjour,

    Quelle dérive fasciste ? L’opposition de gauche peut toujours impunément critiquer le gouvernement, que je sache. Mais est-ce de leur faute si à chaque fois qu’ils s’engagent dans la voie des concessions et de l’apaisement ils encaissent encore plus de coups ? S’il y a un fascisme dans cet affaire, un totalitarisme, c’est du côté du Hamas. Il a bien compris l’intérêt des idiots utiles (si on ne sait pas ce que ça veut dire, http://bouquinsblog.blog4ever.com/nekrassov-jean-paul-sartre ) et comment on les suscite.

    Accepterez-vous le point de vue israélien ? Ils défendent leur peau, tout ce qui est dénoncé ici s’est révélé à un moment la seule façon d’éviter des vagues d’attentats meurtriers. Y compris la « colonisation » en Cisjordanie (de terres qui soit dit en passant étaient occupées par des Juifs depuis des générations lors du partage de 1948, il n’y a pas eu de réfugiés d’un seul côté), c’est aussi parce que la forme même d’Israël, avec cet étranglement au milieu, n’est viable que dans un contexte de paix assurée.

    Quant aux récents événements du côté de Gaza, que s’est-il passé ? D’un seul coup, sans avertissement, des dizaines de milliers de gens ont manifesté l’intention de pénétrer dans une zone qui leur était interdite. Personne ne peut dire jusqu’où ils seraient allés et ce qu’ils auraient fait si on les avait laissé passer. La solution classique pour empêcher ça consiste en nombre suffisant d’hommes armés de matraques, soutenus par des canons à eau. Encore faut-il pouvoir en disposer à n’importe quelle moment sur une frontière de dizaines de kilomètres. On a choisi de tirer dans les jambes (pas de chance, quelqu’un atteint aux jambes est porté à se coucher donc exposé à prendre une balle ailleurs). On aurait très facilement pu faire pire. Mieux ? A voir.

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    1. nadab

      Merci à Jean Roche de ramener ce débat à la raison.
      Je voudrais ajouter que l’on oublie en général que les palestiniens qui sont partis en 48, partis, pas tous chassés, c’est qu’ils espéraient bien revenir avec les superbes armées arabes victorieuses et en finir avec les juifs. Ils ont été déçus et ensuite, les pats arabes ont tout fait pour éviter de les intégrer pour toutes sortes de mauvaises raisons, favorisant des mouvements terroristes qui rendent la paix impossible.
      Quand on parle des palestiniens spoliés, on oublie systématiquement les juifs de nombreux pays arabes qui pour beaucoup, ont tout perdu en quittant leur pays d’origine pour venir en Israël ou dans le reste du monde libre. ont-ils tous leur clé autour du cou ?
      Le fascisme a quand même bien le plus souvent été du côté des régimes politiques des pays arabes et de la mafia palestinienne.
      Cela dit, nous ne pouvons que nous inquiéter de voir naître un état à deux catégories de citoyens. J’en ai connu un dans ma jeunesse, la République française qui était organisée ainsi, avec un classement suivant la religion qui était en Algérie largement administrée par l’État pource qui concernait l’islam et, pendant longtemps, trois droits civils, « français de France », islamique et mosaïque. Pour ce dernier point on se souviendra que les juifs du Mzab, en 1962, étant dans un territoire sous administration militaire, étaient encore soumis à la loi mosaïque et que la polygamie leur était autorisée.
      Cela ne conduit pas forcément au fascisme mais mène à des situations douloureuses qui peuvent devenir sanglantes.
      Quant aux palestiniens d’aujourd’hui, parfois Marouane Bargouthi me donne des espoirs. viendra-t-il au pouvoir ? Pourra-t-il faire vraiment quelque chose ?
      En attendant, je suis bien d’accord avec Jean Roche, les juifs ont bien le droit de se défendre. C’est curieux, les juifs ne sont supportables à certains yeux que quand ils sont en situation de faiblesse.
      Pour finir, j’aime beaucoup Martin Buber et son oeuvre. Mais il faut préciser que c’est un homme qui est passé, en les évitant, à travers les dangers et qui a toujours bénéficié d’une situation de fortune confortable qui lui permettait de s’adonner à ses chères études. Israël a été fait par des pionniers et des réfugiés qui étaient passés par les pires souffrances. Et, par pitié, que ne soient pas oublié non plus ce qu’ils ont subi en 1948.

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