Nous venons de vivre un moment particulier dans l’histoire humaine. Depuis 1945, aucune guerre entre les grandes puissances signataires de la Charte des Nations-Unies. Quarante ans plus tard, ces ‘’Grands’’ créaient l’OMC pour réguler le commerce mondial. Naissait le Droit international et une ‘’Communauté Internationale’’ (en fait, les démocraties) qui prétendait établir et faire respecter certaines lois morales. Certes, depuis 1945 le canon n’avait jamais cessé de tonner sur la planète, les ‘’Grands’’ de se faire la guerre par ‘’petits’’ interposés. Mais enfin l’Europe restait un havre de paix et de démocratie libérale.
C’est fini, ce temps a pris fin. Nous sommes aujourd’hui revenus 60 ou 100 ans en arrière. N’ayant rien appris de nos souffrances et rien oublié de nos vieilles querelles.
Et il nous va falloir (ré)apprendre à (sur)vivre, c’est-à-dire à résister.
Patriotisme et résistance
Il n’y a aucune documentation sur la résilience de nos ancêtres préhistoriques, dont nous savons seulement qu’ils durent lutter clan contre clan pour que l’homo sapiens finisse par émerger. L’épisode de l’enfant spartiate qui préféra se faire déchirer le ventre par un renardeau plutôt que d’être découvert et puni témoigne du mépris chez les Grecs anciens de la souffrance individuelle. Ce mépris permettra aux citoyens des villes grecques de faire passer avant toute autre considération personnelle les intérêts de leur communauté locale, les Spartiates préférant mourir plutôt que d’être sujets des Athéniens.
Ce sentiment va refaire épisodiquement surface après la fin de l’empire romain, comme lors de la bataille des Russes contre les Chevaliers Teutoniques en 1242, ou de l’engagement de Jeanne d’Arc pour bouter les Anglais hors du royaume. Mais il faudra attendre 1750 pour que le mot patriotisme, d’origine anglaise, apparaisse en France.
Est patriote celui qui, en plus de ses deux parents, considère qu’il a une autre mère, la Patrie, et qu’il est prêt à combattre et à mourir pour défendre la terre de ses Pères. En même temps que le patriotisme naissait l’idée de nation, c’est-à-dire d’une entité supérieure faite de solidarités, d’histoire et de destins communs, d’éducation, d’idéaux et de culture partagés.
Le patriotisme est donc quelque chose d’impalpable, logé dans la tête d’individus qui sont prêts à souffrir et à mourir en son nom. Il n’a pu se répandre qu’à partir du moment où un homme, une femme, voyait plus loin que sa famille ou son village. L’horizon du patriote n’est limité que par les frontières de sa Nation. Il résistera jusqu’à la mort à l’ennemi qui attaque ces frontières et souille la ‘’terre de ses Pères’’.
Le patriotisme a rendu possible la Révolution française, la victoire de 1918, la Résistance de 1941-44. Des français(es) ont trouvé en eux-mêmes la volonté et la force d’âme pour tenir tête à la fois aux ennemis, à la faim et au froid. Puis est venue la douce illusion et la somnolence égoïste des années d’après-guerre, jusqu’à… il y a peu de temps.
Résister au nom de Dieu
Mais la première de toutes les résistances documentées a été religieuse. Ce furent les Hébreux contre Pharaon, les trois enfants juifs qui préféraient être brûlés vifs plutôt que d’abjurer leur foi. Et ces millions d’hommes et de femmes au cours des siècles, qui ont résisté à tout (et même à la mort) au nom d’un dieu ou d’un catéchisme.
Ceci, jusqu’à aujourd’hui. Le sang des ‘’résistants pour Dieu’’ coule toujours et coulera tant qu’il y aura des hommes pour imposer aux autres une foi plutôt qu’une autre.
Cette extraordinaire capacité de résistance ne trouve pas son origine dans l’amour d’une patrie ou d’un groupe humain. Ni dans l’attachement à une idéologie, comme ce fut le cas par exemple de quelques communistes. Mais dans la conviction qu’il existe un autre monde que celui que nous voyons. Que la mort n’est qu’un passage de cette vie-ci vers une autre vie, vers la rencontre de celui qu’on appelle ‘’Dieu’’ et de tous ceux qui nous ont précédé, y compris nos aimés. Et dans une relation personnelle, difficile à expliquer mais réellement vécue, avec cet autre monde et ses habitants.
Cette résistance-là est donc intime, intérieure. Elle s’alimente, dans ou hors d’une Église, par l’étude, la réflexion, la prière, les rencontres et surtout le partage d’amour. Elle est joyeuse, croit en l’humain et ne désespère jamais. Elle est indestructible.
Résister aujourd’hui ?
On peut dater le basculement de l’ancien monde dans le nôtre à l’effondrement des tours jumelles de Manhattan en 2001. C’était un an après la prise du pouvoir en Russie par V. Poutine. Au même moment s’affirmaient les deux puissances du mal qui ont depuis vingt ans semé autour de nous et chez nous la souffrance et la mort.
Chez nous aujourd’hui, à l’époque de la mondialisation il n’y a plus de ‘’patrie’’ mais seulement des pouvoirs au service d’intérêts. Plus de ‘’patriotes’’ prêts à avoir faim et froid, à souffrir et à donner leur vie pour la France. Plus que des horizons limités au cercle familial ou aux ‘’amis’’ des réseaux sociaux. L’Église catholique ? Elle est discréditée et a quasiment disparu de l’espace public.
Plus de patriotisme, aucun organisme pour nous aider à trouver le chemin d’une transcendance, d’une religion quelconque. Plus d’idéal qu’individuel. C’est donc dans une très grande solitude que chacun va devoir apprendre à résister aux temps qui viennent, et qui seront rudes.
Heureux ceux qui sauront par expérience que le monde n’est pas seulement un amas de guerres et de souffrances. Heureux ceux qui trouveront dans la prière ou la méditation la source d’eau vive au milieu du désert. Heureux ceux qui croiront assez fort dans quelque chose qui les dépasse pour faire briller, en eux et autour d’eux, des étincelles de lumière dans la nuit.
M.B., 11 déc. 2022
Merci, Michel, très intéressant, comme souvent !
Sur la résistance civile non-violente, https://www.irnc.org/IRNC/Diaporamas/464 et diaporamas suivants