MANIPULER L’HISTOIRE : un éternel recommencement ?

L’Histoire se répète. Comme si les humains, privés de mémoire, lobotomisés, étaient irrésistiblement attirés vers les mêmes dérives. L’humanité serait-elle incapable d’apprendre de son passé ? Incapable de progresser ? Doit-elle encore et toujours commettre les mêmes crimes contre elle-même ? La Russie d’aujourd’hui se comprend-elle mieux à la lumière du précédent allemand ?

Le précédent allemand : Ahnenerbe

Fondée par Himmler en 1925, la SS était une milice paramilitaire jouissant d’une autonomie et d’une liberté d’action complète. Ses hommes étaient souvent recrutés parmi les déclassés sociaux, les marginaux, voire les délinquants. Dès 1940 sa branche militaire, la Waffen SS, entra en compétition puis en rivalité avec l’armée régulière allemande. Ses ‘’soldats’’ purent commettre leurs innombrables crimes de guerre et contre l’humanité avec une impunité totale.  Après la guerre, très peu furent recherchés, jugés, condamnés.

Comment leurs chefs ont-ils pu pousser ces hommes à devenir des criminels sans scrupules ? Comment ont-ils justifié leurs actes, d’abord à leurs propres yeux, puis à ceux du peuple allemand ?

En falsifiant l’histoire des origines et de l’identité allemande.

En 1935, Himmler fonda une organisation secrète, l’Ahnenerbe ou « Société pour la recherche et l’enseignement sur l’héritage des Ancêtres. », qui devait fournir à la SS les bases idéologiques nécessaires à la planification et à l’accomplissement méthodique de ses innombrables crimes.

L’Anhenerbe regroupait plus d’une centaine de membres éminents de la communauté scientifique allemande, qui cautionnèrent les mensonges du régime. Ils reçurent pour mission de déformer la réalité historique en fabriquant un mythe, l’appartenance de droit de certains peuples au peuple allemand. Au nom d’un passé recomposé, soumettre ces peuples ne serait jamais une annexion, mais un retour à la normale – une rectification de l’Histoire qui avait eu le mauvais goût de les éloigner temporairement de la Germanité.

Le meilleur moyen de dominer l’autre, c’est de dire que « l’autre, c’est moi. » Le nazisme était un discours sur l’Histoire qui anéantissait l’identité des peuples en déclarant qu’ils ont toujours été Allemands. Quiconque s’opposait à cette réécriture de l’Histoire était un ennemi.

L’Anhenerbe démontra qu’en déclarant la guerre à l’Europe, elle était du côté de la justice, du droit et du bien. Pour revenir à la ‘’normalité historique’’, aucun sacrifice, aucune souffrance ne seraient épargnés ni aux les Allemands, ni aux les peuples annexés.

Une puissante propagande s’employa à irriguer toute la société allemande qui finit par croire qu’invasion et annexion étaient naturels parce qu’ils obéissaient à une nécessité historique. Comme leurs dirigeants, les Allemands se réfugièrent dans un monde parallèle, celui de la « Grande Allemagne. » Personne ne pouvait s’opposer à Hitler, et derrière le Führer, il y avait Himmler et son Ahnenerbe.

Il ne lui suffit pas de truquer le passé : il voulut que le « retour à la germanité » s’accompagne d’une germanisation forcée des peuples annexés. Il fallait donc éliminer toute trace de leur passé. La SS pilla méthodiquement les trésors artistiques, culturels, archéologiques des pays conquis afin d’anéantir leur âme en l’absorbant. C’était légitime, puisqu’à ses yeux ces peuples n’avaient pas d’existence propre.

Les falsificateurs de l’Histoire étaient devenus de vulgaires pilleurs.

 Un parallèle terrifiant

Relisez ce qui précède : quiconque a suivi l’actualité récente verra un parallèle entre l’Allemagne hitlérienne et la Russie de Poutine.

Comme la SS, la milice paramilitaire Wagner a une autonomie et une liberté d’action complète. Ses ‘’soldats’’, parfois recrutés parmi des criminels, jouissent d’une impunité totale pour leurs crimes de guerre et contre l’humanité.

Comme la SS, Wagner est en compétition ouverte avec l’armée régulière, et comme la SS elle n’a aucune considération pour la vie humaine. La tête de mort qui ornait le casque des SS figure au centre du drapeau de Wagner. Et son nom même fait référence au musicien préféré d’Hitler et à sa Chevauchée des Walkyries.

Féru d’Histoire et relayé par ses lieutenants, V. Poutine a réinterprété le passé pour justifier sa guerre. Selon lui, l’Ukraine a toujours été russe, elle appartient de droit à l’Empire Russe. Comme les nazis il se réfugie dans un monde parallèle, la « Grande Russie » qui nie l’identité et l’existence de l’Ukraine. Comme eux il a fait piller les musées et les églises de Karkiv et Kherson. Comme sous Hitler, des populations ont été déportées et remplacées par d’autres pour russifier l’Ukraine. La ‘’vérité historique’’ russe en action n’épargnera aucune souffrance aux Russes ni aux Ukrainiens.

Etc.

Si vraiment l’Histoire se répète, sachant comment s’est terminée l’aventure d’Hitler et de l’Ahnenerbe, on ne peut qu’être inquiet pour l’avenir.

                                                                                       M.B., 12 mars 2023
Ȧ lire : Heather PRINGLE, Opération Ahnenerbe, Comment Himmler mit la pseudo-science au service de la solution finale, Presse de la Cité 2007, 428 pages.

3 réflexions au sujet de « MANIPULER L’HISTOIRE : un éternel recommencement ? »

  1. JEAN-FRANCOIS LECOCQ

    Bonjour Michel,
    La guerre est une horreur sans nom, celle-ci n’échappe pas à la règle. J’écoute des personnes qui ont des références et des compétences pour parler, comme Caroline GALACTEROS ou Jacques BAUD, malheureusement invisibilisés par nos médias « mainstream ». Ce qui permet de comprendre que la manipulation n’est pas à sens unique et qu’elle est plus que jamais pratiquée par nos gouvernants actuels.
    Saurons-nous décerner le bien du mal, le vrai du faux, dans cette « guerre de l’information » , à une époque où il n’y a jamais eu autant de moyens de communication ( et de censure) ? Pas rassurant dans tous les cas !

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  2. Jean Roche

    Bonsoir,
    Une expérience archi-connue a un peu répondu à la question https://bouquinsblog.blog4ever.com/soumission-a-l-autorité-stanley-milgram
    Après, les waffen SS qui ont détruit Oradour-sur-Glane étaient pour partie des Alsaciens même pas forcément volontaires pour ces unités. Les waffen SS étaient essentiellement des troupes de chocs, envoyés sur les secteurs les plus brulants, et tenus en réserve autrement. La Wehrmacht a aussi commis des atrocités et participé à l’occasion à la Shoah.
    On pourrait aussi parler du Rwanda, en 1994, et même de ces mystérieux soldats blancs, parlant français, venus épauler avec des armes lourdes les génocidaires locaux tenus en échec à Bisesero, dans l’ouest du pays, le 13 mai de cette année (au moins 40.000 morts).
    Par ailleurs, pour revenir à Poutine, il est exact qu’au temps des tsars l’Ukraine était partie intégrante, pas seulement colonie, de la Russie. Pouchkine et Gogol, entre autres, l’ont bien fait entrer dans les têtes russes. La tentative d’émancipation la plus sérieuse, celle d’Ivan Mazepa, n’a pas fait l’unanimité parmi les Ukrainiens. Malgré son alliance avec la Suède, Mazepa a été écrasé par Pierre le Grand en 1709.

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