Lors de notre conversation, tu as reconnu qu’il y a bien eu une création de l’univers, un moment où, au sein du rien, a émergé quelque chose : notre monde, notre planète, nous et toi. Une création, et donc un créateur. Tu ne l’as pas admis spontanément, tant cette idée heurtait ta conviction profonde qu’il n’y a pas de dieu. Mais tu es scientifique et le dossier élaboré depuis plus d’un siècle par l’élite des savants mondiaux t’a convaincu – ce qui prouve ton honnêteté foncière.
Et tu as compris qu’il y avait une première approche, dans l’émerveillement silencieux devant la beauté de la création, de ce qu’on appelle communément ‘’Dieu’’. Mais alors tu posais la question : ce ‘’Dieu’’, qui est-il ? Quelle est son identité ?
Tous croyants ?
Depuis l’apparition sur cette planète de l’espèce humaine, dans toutes les cultures, ‘’primitives’’ comme ‘’civilisées’’, on constate que des peuples ont cru et croient encore que ce créateur s’appelle ‘’Dieu’’, et qu’il y a quelque chose après la mort. Une conviction irrationnelle, profondément enracinée dans l’Homme dès l’époque préhistorique.
Puis il a fallu donner un contenu au mot ‘’Dieu’’. Et il y a eu, au fil des siècles, autant de façons d’imaginer et de décrire ‘’Dieu’’ que de cultures et de religions. Tu tires argument de ce fait historique pour dire que ‘’Dieu’’ n’est finalement qu’une création de l’espèce humaine dans son infinie diversité.
Un créateur créé par nous.
Mais en même temps, tu admets que la conviction qu’il existe quelque chose au-delà des apparences (au-delà de ce que nos sens ou notre esprit perçoivent) est universelle. Que la notion de ‘’Dieu’’ est profondément enracinée dans l’être humain – et c’est pourquoi elle a donné lieu à autant d’interprétations que de civilisations.
En somme, sur terre nous avons été et nous sommes, d’une façon ou d’une autre, tous croyants.
Une évolution de ‘’Dieu’’ ?
En même temps que l’évolution Darwinienne permettait à l’espèce humaine d’émerger, on voit dans son histoire une évolution de ‘’Dieu’’. Cela a commencé par l’animisme : chaque chose, animal ou objet, est habitée par un esprit. Le monde entier, animé ou inanimé, est ‘’spirituel’’ et nous pouvons entrer en contact avec ces esprits bienveillants ou malveillants. Le chamanisme prétend contrôler et utiliser ces forces invisibles à l’œil mais surpuissantes, pour protéger les amis et nuire aux ennemis.
Peu à peu on a pensé qu’il y avait une hiérarchie parmi les esprits. Et qu’au-dessus d’eux, régnant sur eux tous et les commandant tous, il y avait un « Maître des Esprits » auquel on a donné un nom. Ou plutôt des noms, une quantité de noms aussi divers qu’est variée l’espèce humaine.
C’est en Grèce semble-t-il que ces dieux ont pris visage humain. On leur a attribué des caractères, des tempéraments, des mœurs même semblables aux nôtres. Ils étaient bons ou méchants, violents et lascifs ou vertueux et protecteurs – bref, pour la première fois, les dieux avaient une identité.
Tournant capital dans la lente évolution de ‘’Dieu’’.
Entre nous et ces dieux qui nous ressemblaient tant il y avait des relations familières, presque familiales. Dans chaque foyer leurs images figuraient sur l’autel domestique, à côté de celles des ancêtres. Il suffisait de les satisfaire par quelque offrande de nourritures (ils avaient un appétit très modéré) pour qu’une convivialité heureuse s’établisse entre eux et nous.
Ces religions tranquilles, cette quasi intimité débonnaire avec les dieux fut violemment remise en question quand apparut le monothéisme.
Monothéisme : du ‘’Dieu’’ lointain au ‘’Dieu’’ amour
Un seul dieu ? Quelle drôle d’idée ! Une distance infranchissable s’instaura entre ‘’Dieu’’ et sa création, qui cessait d’être ‘’spirituelle’’ pour devenir hostile. Distant et lointain, ‘’Dieu’’ avait établi des lois auxquelles il fallait se conformer pour ne pas subir sa vengeance. Ce dieu-là était redoutable, on le craignait et l’on se prosternait devant lui.
C’est du moins ainsi que l’ont décrit les prêtres hébreux auteurs de la Torah, les cinq premiers livres de la Bible socles du judaïsme. C’était comme un fleuve sacerdotal et législatif, hautain, majestueux mais impersonnel, qui coulait dans le peuple juif et irriguait son Temple. Mais à côté du fleuve de la Loi il a existé très tôt un ruisseau prophétique qui refaisait régulièrement surface, puissamment attractif parce qu’il s’adressait au cœur de l’Homme plus qu’à sa raison. Dans ce ruisseau prophétique ‘’Dieu’’ était redevenu humain. Ou plutôt il avait avec nous des relations intimement proches, celles du fiancé avec sa fiancée, de l’amant avec son aimée, de l’époux avec l’épousée. Plus que le créateur, il était le père (Ab’ en hébreu) de chacun et du peuple juif tout entier.
On trouve dans les Psaumes, résumé de la Bible, l’expression la plus spontanée de cette transformation. Ab’ y est un père rempli d’amour et de tendresse, de bonté sans limite, qui pardonne à ses enfants (nous) les fautes qu’ils commettent contre la Loi. C’est-à-dire contre eux-mêmes – puisque la Loi ici est devenue une loi d’amour, de compassion, de respect de soi et des autres.
‘’Dieu’’ Abba
Avec le passage de Jésus parmi nous, ce ruisseau prophétique a trouvé son accomplissement final. Il a suffi au Galiléen d’ajouter deux petites lettres à Ab’ pour le transformer en Abba : terme affectueux par lequel l’enfant juif appelait son papa chéri, son daddy. Terme si familier que jamais ‘’Dieu’’ n’est appelé ainsi dans la tradition juive.
Tu remarqueras que Jésus, fidèle au ruisseau prophétique dont il est issu, ne donne aucune définition de ‘’Dieu’’. Il dit seulement que désormais une nouvelle relation peut s’établir entre lui et nous. Son ‘’Dieu’’ est celui de Moïse, sa révolution n’est pas dogmatique mais relationnelle. Quand il passe de Ab’ à Abba, il porte le judaïsme à sa perfection et donne un nom à celui dont parlait le Psaume 130 : « Mon âme est en moi comme un enfant, comme le petit enfant blotti contre le sein de sa mère » (car qui a dit que ‘’Dieu’’ était de sexe masculin ?).
De commencement en commencements…
Voilà, chère amie, ce qu’on peut dire de l’identité de ‘’Dieu’’, et je ne peux rien t’en dire de plus. Je ne te parle pas du dieu des philosophes, ces penseurs qui mâchouillent au bureau des mots creux à longueur de raisonnements. Mais du ‘’Dieu’’ dont tu peux faire l’expérience dans la réalité comme quelqu’un qui reste à découvrir quand on l’a rencontré, qui reste à connaître quand on l‘a reconnu, qu’on ne peut voir mais qui se laisse apercevoir au silence de l’âme.
Ainsi parlait Grégoire de Nazianze (IVe siècle) : « Ô Toi l’au-delà de tout, comment t’appeler d’un autre nom ? Quelle hymne peut te chanter, puisqu’aucun mot ne t’exprime ? Quel esprit peut te saisir puisque nulle intelligence ne te conçoit ? Tout ce qui se dit, tout ce qui se pense est sorti de toi : seul, tu es inconnaissable ».
Inconnaissable, oui, mais pas ‘’inatteignable’’. Au contraire, tout proche. Si proche que certains ont dit qu’il était déjà à l’intérieur de nous-mêmes, alors que nous vivons hors de nous.
Il te reste à choisir, dans la longue évolution de ‘’Dieu’’, l’étape qui te convient le mieux. Puisque tu es née dans un pays et une tradition chrétienne, je te suggère cette piste-là : mais rien ne te sera donné facilement ni sans effort. Tu auras à surmonter ta formation positiviste et la propagande laïcarde française. Tu auras à secouer des années d’idées toutes faites, de peines mal digérées, d’échecs mal attribués. ‘’Dieu’’ se donne à l’instant même où l’on perçoit le désir de le connaître, et se laisse longuement désirer pour qu’on creuse toujours plus profond.
Tu entreprendras alors ce cheminement, pleinement accompli dès lors que tu commences mais encore tout neuf devant toi. Après une vie bien remplie à son service, François de Sales répétait chaque jour en se réveillant : « Dieu, aujourd’hui je commence ».
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Quand Albert Einstein donnait une conférence dans les nombreuses universités des États-Unis, la question récurrente que lui posaient les étudiants était :
– Vous, Monsieur Einstein, croyez-vous en Dieu ?
Ce à quoi il répondait toujours :
– Je crois au Dieu de Spinoza.
Seuls ceux qui avaient lu Spinoza comprenaient.
Spinoza avait passé sa vie à étudier les livres saints et la philosophie, et un jour, il s’est dit qu’il écrivit :
« Je ne sais pas si Dieu a réellement parlé mais s’il le faisait, voici ce que je crois qu’il dirait aux croyants :
Arrête de prier et de te frapper la poitrine ! Ce que je veux que tu fasses, c’est que tu sortes dans le monde pour profiter de ta vie. Je veux que tu t’amuses, que tu chantes, que tu t’instruises, que tu profites de tout ce que j’ai fait pour toi. Arrête d’aller dans ces temples froids que tu as construits toi-même et dont tu dis que c’est ma maison ! Ma maison est dans les montagnes, dans les bois, les rivières, les lacs. C’est là où je vis avec toi et que j’exprime mon amour pour toi. Arrête de m’accuser de ta vie misérable, Je ne t’ai jamais dit qu’il y avait quelque chose de mal en toi, que tu étais un pécheur, que ta sexualité ou ta joie étaient une mauvaise chose ! Alors ne me blâme pas pour tout ce qu’ils t’ont dit de croire. Arrête de ressasser des lectures qui n’ont rien à voir avec moi. Si tu ne peux pas me lire à l’aube, dans un paysage, dans le regard de ton ami, de ta femme, de ton homme, dans les yeux de ton fils, tu ne me trouveras pas dans un livre ! Arrête de te faire peur. Je ne te juge pas, je ne te critique pas, et je ne punis pas. Je suis pur amour.
Je t’ai rempli de passions, de limitations, de plaisirs, de sentiments, de besoins, d’incohérences, et je t’ai donné le libre arbitre. Comment puis-je te punir d’être ce que tu es, si je suis celui qui t’a créé ?
Tu penses réellement que je pourrais créer un endroit pour brûler tous mes enfants qui se comportent mal, pour le reste de l’éternité ? Quel genre de Dieu peut faire ça ?
Respecte tes semblables et ne fais pas ce que tu ne veux pas que l’on te fasse. Tout ce que je te demande, c’est de faire attention à ta vie, que ton libre arbitre soit ton guide.
Toi et la nature vous constituez une seule entité, alors ne crois pas que tu as un pouvoir sur elle. Tu fais partie d’elle. Prends-soin d’elle et elle prendra soin de toi. Ne mets pas ton génie à chercher ce qui est mauvais pour cet équilibre. A toi de garder intact cet équilibre. La nature elle, sait très bien le garder, juste ne la trouble pas !
Je t’ai rendu absolument libre.
Tu es absolument libre de créer dans ta vie un paradis ou un enfer. Je ne peux pas te dire s’il y a quelque chose après cette vie, mais je peux te donner un conseil, arrête de croire en moi.
Je ne veux pas que tu croies en moi, je veux que tu me sentes en toi. Quand tu t’occupes de tes moutons, quand tu abordes ta petite fille, quand tu caresses ton chien, quand tu te baignes dans la rivière.
Exprime ta joie et habitue-toi à prendre juste ce dont tu as besoin !
La seule chose sûre, c’est que tu es là, que tu es vivant, que ce monde est plein de merveilles.
Ne me cherche pas en dehors, tu ne me trouveras pas. Je suis là.
La nature, le cosmos, c’est moi. »
Baruch Spinoza
Bonjour,
Merci pour vos réflexions toujours intéressantes.
Mais je ne comprends pas ce que vous appelez évolution de dieu, comme s’il y avait des dieux moins dieux que les autres. N’est ce pas une forme de condescendance vis-à-vis de ceux qui pratiquent l’animisme, parmi lesquels se trouvent beaucoup d’africains mais aussi les japonais? Et vous ne dites rien, ici sur les conséquences de cette notion de dieu unique: elle a engendré des querelles et des guerres incessantes pour démontrer que c’est mon dieu le meilleur alors que, s’il y a un dieu unique, c’est forcément le même.
« évolution de Dieu » : j’ai voulu parler de l’évolution de l’idée que nous nous faisions de « Dieu ». Conescendance envers l’animisme ? Oui, vous avez raison. Complexe de supériorité de l’occidental ?
Les conséquences du monothéisme : elles furent mixtes, heureuses et désastreuses. Le présent article n’était pas le lieu où aborder cette (énorme) question.
M.B.
Dieu » est Ineffable, on ne peut pas suffisamment judicieusement parler de Lui/Elle.
Mais peut-être peut-on se risquer à dire imparfaitement évidemment qu’Il/Elle est notre Source et notre Finalité et qu’Elle/Il ne peut qu’être Amour sans début ni fin.
Il/Elle – unique et pas trinitaire – nous invite dans le respect – ce qui va de soi – de notre liberté et de notre rythme, voire de notre stagnation, et même de notre régression provisoire à croître en amour non seulement d’Elle/Lui, mais forcément de Ses autres créatures pensantes également en cheminement
Il/Elle ne pouvait nous concevoir robot toujours obéissant, tout comme on ne peut concevoir pour un père ou une mère qu’il aime l’être pensant à qui il a « offert » un corps qu’il/elle soit programmé ou programmée pour lui être constamment agréable.
Elle/Il, avec un amour sans sans début et sans fin, avec un psychisme pas plus masculin, que féminin, en Père comme en Mère, nous a conçu diamant brut appelé à s’auto-ciseler, incarnation après incarnation (réalité amplement démontrée), dans un corps masculin ou féminin pas toujours identique, jusqu’au stade où nous pourrons retourner dans le Sein d’où nous venons sans faire tache. Peut-être non sans avoir peu avant exercé la fonction d’ « ange gardien » auprès d’autres créatures pensantes en chemin.