Les musulmans pourront-ils un jour sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvent, la compréhension et l’appréciation du Coran ? Deux articles publiés dans Le Monde du 7 février (1) ajoutent aux ‘’frémissements’’ que j’ai déjà signalés ici (2),
Nommer l’impasse
Le déni de réalité enfonce dans l’impasse. Pour en sortir, il faut d’abord avoir le courage d’ouvrir les yeux et de nommer l’obstacle :
« Les actions terroristes commises au nom de l’islam [sont] justifiées au nom du Coran… Aucun livre sacré n’est aujourd’hui aussi souvent invoqué à l’appui de la violence ou de l’oppression. Au point qu’il est légitime de se demander ce qui, dans ses versets ou dans son statut même, peut prêter à une telle instrumentalisation politique et religieuse. » (SG)
Je n’ai cessé de le dire (3), le problème des musulmans et le nôtre, c’est le Coran.
D’abord parce que « Le Coran [n’est pas] un récit linéaire ou chronologique. La pure louange, les préceptes moraux, les épisodes édifiants, les imprécations, les rappels historiques s’entremêlent… Un livre [qui] peut sembler touffu, décousu, répétitif et surtout contradictoire… où alternent l’explicite et l’ambigu… assez pour y perdre son latin ou au contraire pour [le] mettre au service d’une cause, en le tirant dans un sens ou dans l’autre. » (SG)
Ensuite à cause du statut du Coran. Pour des raisons complexes exposées dans Naissance du Coran, un dogme s’est très tôt imposé : le Coran est incréé. S’il avait été créé par Dieu comme le ciel et la terre, il pourrait être remis dans son contexte, soumis à la critique historique et exégétique, aux sciences archéologiques, linguistiques, épigraphiques, comme n’importe quel texte ancien. Mais pour la majorité des musulmans, le Coran est incréé et donc « intouchable, sacré à la lettre près et non interprétable. Un texte d’ordre divin que nul ne peut remettre en question… C’est la parole de Dieu matérialisée. » (SG) Chaque mot du Coran est aux musulmans ce que sont les sacrements pour les chrétiens, une manifestation de la présence divine. Les conséquences de cette divinisation du Coran sont la principale source de l’impasse musulmane.
Ensuite, le texte est tellement ambigu – et parfois incompréhensible – que très tôt (malgré l’interdit) il a fallu l’interpréter. On a alors puisé dans les hadiths (4) et la Sîra, histoire légendaire du Prophète écrite par des historiographes au service des califes, l’une et les autres « utilisés à des fins politiques, notamment par les plus fondamentalistes des musulmans. » (SG) C’est pourquoi dans Naissance du Coran je n’ai utilisé aucun de ces hadiths, bien qu’ils contiennent peut-être des informations historiques sur le Prophète. « Le Coran a aboli toute interprétation imposée par une Église. En islam, chacun peut interpréter selon ses moyens, même le plus simple des croyants. Seule compte l’intention (5). »
Là aussi, les conséquences sont incalculables.
Enfin « la religion du Coran ne rompt pas avec celles qui précédent, le judaïsme et le christianisme, elle veut en être le parachèvement. » (SG) Un parachèvement qui rend caduc et même néfaste tout ce qui précède. Endoctrinés par des judéo-chrétiens (les nazôréens) qui voulaient n’être ni Juifs ni chrétiens tout en se réclamant à la fois du judaïsme et du christianisme, le Coran est structurellement anti-juif et anti-chrétien – c’est-à-dire anti-occidental.
Voilà les principaux obstacles, et il est réconfortant de les voir clairement nommés dans Le Monde.
Sortir de l’impasse ?
Mais aucun de ces auteurs ne va jusqu’au bout, la remise en cause de l’origine du Coran, de la personne du Prophète et du rôle qu’il a pu jouer dans l’écriture de ce texte. Un jour viendra où les hypothèses des chercheurs rassemblées dans Naissance du Coran seront largement admises. Pour l’instant – et c’est un bon début – AN constate que « nous avons trop longtemps négligé le travail intellectuel sur le Coran et l’islam. » À Berlin s’est mis en place « un important projet de recherche, sous l’égide de l’Académie des sciences de Berlin- Brandebourg… Réunir les trois branches des sciences du Coran… La première branche est l’étude des manuscrits. La deuxième s’intéresse aux références de l’Antiquité tardive – les deux siècles qui précédèrent la chute de l’Empire romain, en 476 : nous avons rassemblé une base de textes hébreux, araméens, grecs, éthiopiens qui forment le contexte théologique et exégétique dans lequel est apparu le Coran. La troisième branche consiste à commenter les sourates en cherchant à relier le texte coranique aux débats de son temps. » (AN)
Les Berlinois appellent ce travail en cours le Corpus Coranicum. J’espère qu’à la suite des chercheurs cités dans Naissance du Coran ils remonteront plus haut que l’Antiquité tardive, jusqu’aux textes esséniens qui ont imprimé au Coran ses accents d’extrême violence. Qu’ils montreront eux aussi la filiation étroite qui relie le messianisme guerrier et intolérant de ces textes au Coran – qui les cite.
J’espère surtout que des chercheurs musulmans auront enfin le droit de s’inscrire dans ce travail sans risquer leur vie. Jusqu’ici ce n’est pas le cas : pourtant eux seuls ont la nécessaire légitimité . Eux seuls sauraient formuler leurs conclusions en sorte qu’elles finissent par être acceptées par les djihadistes eux-mêmes.
On a le droit de rêver.
M.B., 8 février 2015
(1) Sophie Gherardi (citée ici SG) et Faker Korchane, Le Coran, voix divine, voix humaines, et Angelina Neuwirth (citée ici AN), Nous avons trop longtemps négligé le travail intellectuel sur le Coran et l’islam, dans http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20150207 …
(2) Islam : une lueur d’espoir. la déclaration d’Al-Sissi à Al-Hazard, et Les musulmans dans l’impasse (II) : quelques réactions de musulmans.
(3) Dans Naissance du Coran et les précédents articles de ce blog.
(4) Paroles du Prophète rapportées par une tradition orale supposée remonter à ses premiers compagnons. Il y en a plus d’un million, écrits au cours des siècles.
(5) Youssef Seddik, réalisateur en 2001 pour Arte d’un Mahomet en cinq épisodes, cité par SG.
Il faut éviter d’employer le terme antisémitisme, si vous dites à un arabe ou même à un musulman (il s’identifie à l’arabité) qu’il est antisémite, il vous répondra qu’il n’est pas antisémite car il est lui-même sémite et cela en jouant sur les mots. Le terme sémite est un terme de linguistique: les langues sémitiques comme l’arabe, l’araméen, l’hébreu pour les plus connues. Il faut utiliser le terme de judéophobie.
en effet, merci. M.B.
Depuis que l’antisémitisme a été lancé par Wilhelm Marr dans les années 1870 il n’a jamais visé que des Juifs vrais ou supposés. Ce n’est pas au moment où il reprend vigueur qu’on va remplacer le terme par un autre à l’étymologie moins tordue.
Question de mots. La réalité, hélas, est l)
M.B.
Il faut éviter d’employer le terme antisémitisme, si vous dites à un arabe ou même à un musulman (il s’identifie à l’arabité) qu’il est antisémite, il vous répondra qu’il n’est pas antisémite car il est lui-même sémite et cela en jouant sur les mots. Le terme » sémite » est un terme de linguistique: les langues sémitiques comme l’arabe, l’araméen, l’hébreu pour les plus connues. Il faut utiliser le terme de judéophobie.
Il est vrai que le mot « antisémitisme » a été très mal choisi (autant que je sache, par l’homme qui a lancé l’antisémitisme contemporain, à savoir Wilhelm Marr), mais il est devenu d’autant plus incontournable et indispensable qu’il a toujours désigné la même chose : une hostilité par principe aux Juifs (race supposée) ou supposés tels, et personne d’autre, et que ça a conduit aux pires horreurs humaines.
« Seul Allah peut interpréter le Coran »
À la lecture du Coran, j’avais bien relevé ce verset. Et je m’étais dit que, si les mots ont un sens, alors ce verset n’en a aucun réel. Car comment savoir quelle est l’interprétation du Coran par Allah, si ce n’est par l’affirmation de je ne sais quel imam ou théologien musulman qui devrait alors assurer avoir reçu cette interprétation directement d’Allah ? Quel crédit y apporter ?
Mais alors, si je bute sur un verset incompréhensible (il y en a) ou incompatible avec un autre, si je ne peux pas interpréter ni savoir quelle interprétation en donne Allah, comment vais-je faire ?
Je suis conscient que l’on peut se poser la même question relativement à l’interprétation de tel passage des autres Écritures lorsqu’elle est le fait d’un théologien qui affirmerait dans le même temps que ces Écritures sont (réellement) « paroles de Dieu » lui-même.
Amicalement
Les califes, responsables de la rédaction définitive du Coran, ont voulu sécuriser le texte qui auto-interdit sa propre interprétation.
M.B.
Le commentaires m’apparaissent apparaître dans un certaibn désordre chrnologique ! Que fait le webmaster?
Ce qu’on appelle la « fermeture des portes de l’ijtihad », c’est quelque chose de postérieur à la fixation du texte du Coran ? Ce ne peut donc être un verset du Coran ? Sait-on de quels faits, décisions, on parle quand on parle de la « fermeture des portes de l’ijtihad » ?
Puis-je vous rappeler que je ne suis pas un spécialiste de l’islam ? Je ne connais que le Coran, et sa période de formation, de 610 environ à Abd-al Malik (691). Les étapes de l’interprétation postérieure du Coran ne sont pas mon sujet d’étude.
M.B.
Vous avez parfaitement raison, le statu de Coran incréé est la cause de toutes les difficultés de l’islam : son déclin scientifique mais aussi son archaïsme civilisationnel.
Seul son statu de livre incréé a interdit que le Coran ne soit purgé de ses versets inadmissibles.
Or ce concept n’a rien d’historique. Il a été instauré en 848, quand les mutazilites ont été déclarés hérétiques.
Par ailleurs, les découvertes épigraphiques prouvent, sans doute possible, que le Coran est un texte qui a été élaboré sur plus d’un siècle : je pense par exemple aux manuscrits de Sanaa, qui prouvent que la rédaction du Coran a été progressive.
Par ailleurs, la découverte d’apocryphes sur des supports d’origine permet de retracer le cheminement de bien des légendes que l’on trouve dans le Coran.
J’ai rédigé un texte de synthèse qui reprend tout ce que la science et l’archéologie nous ont appris sur la naissance des monothéismes. Je vous laisse le lien au cas où cela pourrait vous intéresser : HISTOIRE ILLUSTRÉE DES MONOTHÉISMES : http://1drv.ms/1BAvD7J
Bien cordialement à vous.
Pierre-Elie
Je vous remercie VIVEMENT. Tout ce que vous dites ici est le substrat dont j’ai tiré « Naissance du Coran », que je vous conseille de lire (nombreux articles dans ce blog à la catégorie « L’islam en questions »)
M.B.
Le Coran incréé est ce qui a à la fois stabilisé et sclérosé le courant principal de l’Islam, cassant l' »âge d’or » islamique. Il y a une analogie à étudier avec la Trinité chrétienne.
Beaucoup d’analogie entre « l’invention » du christianisme et celle de l’islam !
M.B.
Je ne vois pas bien en quoi le concept de Coran incréé serait de même nature que la définition du Dieu Trinité des chrétiens ?
Ce sont manifestement deux questions qui n’ont rien en commun ???
Le « processus de fabrication légendaire » est le même.
M.B.
Je crois que nous en avons déjà discuté ailleurs. Le problème fondamental du monothéisme est qu’il ne sert à rien de croire en Dieu si on ne Lui donne pas la parole. Cela suppose de la discerner quelque part dans Sa supposée création. Mais, si l’élément dont on tire cette parole fait purement partie de cette création, on pourra toujours lui opposer un autre élément. Donc, on déclare Jésus « genitus non factus », « engendré, non pas créé », c’est la formulation du dogme trinitaire dans le Credo, et autant dire « incréé »… comme le Coran dans la conception sunnite majoritaire. Dans les deux cas, encore une fois, c’est ce qui a permis de stabiliser le système.
Pour comprendre un pb complexe, il faut sortir du cadre. Partir du contenu du Coran en le supposant authentique est déjà une démarche de foi (musulmane). Le Coran est incohérent, parce que sa rédaction est humaine. De mon point de vue, les contradictions internes du Coran sont utiles à relever pour discuter avec des musulmans et aider à prendre conscience de l’origine humaine de leur croyance. Nul besoin de s’arracher les cheveux à trouver une cohérence au Coran. Il n’y en a pas. Laissons cela à l’interprétation musulmane. C’est la seule activité intellectuelle autorisée aux musulmans depuis 1200 ans. C’est leur esclavage et leur triste devoir.
Nous serons donc décapités avec le même sabre !
M.B.
Pouvez-vous expliquer la contradiction apparente entre:
– « chaque musulman peut interpréter selon ses moyens, même le plus simple des croyants. Seule compte l’intention » (AN)
et
– le Coran est incréé et donc « intouchable, sacré à la lettre près et non interprétable ».
Les « les portes de l’itjihad » , c’est à dire de l’exégèse, ne sont-elles d’ailleurs pas closes depuis le XIIème siècle ?
« Seul Allah peut interpréter le Coran » – verset du Coran.
Il y a sans doute une différence entre l’exégèse (itjihad) et l’interprétation pratique de l’application de tel ou tel verset (qui ne touche pas au sens du verset, mais à son application dans les faits).
M.B.
Je faisais référence à :
Les asharites considéreront au 11ème siècle que leur travail d’interprétation des textes fondateurs est achevé et a valeur définitive. Un consensus s’établira entre les ulémas pour décréter la « fermeture des portes de l’ijtihad » et proclamer le principe de « l’innovation blâmable ». Dès lors, la pensée islamique s’enfermera dans une culture de répétition.
http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1507
Il y a des milliers, peut-être même des millions, de musulmans qui en sortent, de l’Impasse. Comment ? En cessant d’être musulmans. Encore faut-il leur en donner acte et les écouter.
Dans les ressorts de la poussée intégriste actuelle, il y a le sentiments que l’on peut reprendre la marche en avant, que l’Islam se réveille après deux siècles de léthargie, mais aussi la peur des vagues d’apostasie qu’on signale (et dénonce d’un point de vue islamiste) en Kabylie, en Afrique noire, en Indonésie.
Ainsi Berlin, grâce aux documents conservés par l’ancien interprète du Deutsch-Arabisches Bataillon N° 845, Anton Spitaler, est devenu un haut lieu de l’étude du Coran. C’est l’occasion de rappeler le rôle du nazisme dans la constitution de l’extrêmisme musulman. Par exemple, tout le monde a le souvenir du mufti de Jérusalem, Hadj Amin el Husseini, réfugié auprès d’Hitler à Berlin en 41 et donnant sa bénédiction aux troupes musulmanes du Reich, notamment les bosniaques de sinistre mémoire. Récupéré en 1945 par les français, il n’a pas été jugé et n’est mort qu’en 1974 à Beyrouth, après avoir distillé son venin jusque là. Sa famille est toujours très estimée et -mais peut-être suis-je sourd, je n’ai guère entendu de critiques de leur part sur ce gentil tonton.
Ce qu’il faudrait combattre, ce n’est pas tant le Coran, que sa lecture nationale-socialiste. C’est elle que nous voyons à l’oeuvre.
Oui, les liens entre arabes & nazis sont un secret bien gardé.
Quant à la « lecture nazi » du Coran…. En fait, le Coran est imprégné d’un messianisme qui ressemble fort à celui des nazis. Voyez « Naissance du Coran », chap. 20 (Les hommes supérieurs) et 21 (Le choc des messianismes)
M.B.
Les similitudes entre l’actuelle poussée islamiste et le nazisme sont nombreuses et profondes :
– même prétention de représenter une catégorie (race ou religion) intrinsèquement supérieure et qui doit dominer…
– même exacerbation des frustrations et humiliations (réelles) engendrées par des défaites militaires (réelles)…
– même antisémitisme fondé sur les mêmes textes…
– même embrigadement forcené de tout ce qu’on peut embrigader…
– même entrisme (on se mêle de tout)…
– bref, même type de dynamique totalitaire…
Il y a plus que ça, un « tronc commun » entre le Coran, le nazisme et le communisme : c’est le messianisme. Je le signale rapidement en fin de « Naissance du Coran », page 129 en note. Voyez les chapitres 20 et 21.
M.B.
Les liens du Mufti Al Husseini avec le nazisme sont plus anciens et profonds que ça. Avant la guerre, Adolf Eichmann a été envoyé en Palestine pour étudier la faisabilité d’une déportation massive des juifs d’Europe (il ne savait pas qu’il y finirait ses jours sans pour autant y être inhumé). Dans le cadre de cette mission il a rencontré le Mufti, qui ne voulait pas entendre parler de cette déportation. Ils ont sympathisé, et par la suite coopéré pour la solution finale. Hitler a dit de lui : « Le Grand Mufti est un homme qui en politique ne fait pas de sentiment. Cheveux blonds et yeux bleus [pas exceptionnel en fait pour un Turc], le visage émacié, il semble qu’il ait plus d’un ancêtre aryen. Il n’est pas impossible que le meilleur sang romain soit à l’origine de sa lignée »…
Bonjour à tous,
Connaissez-vous cette nouvelle ?
http://www.france24.com/fr/20150212-parti-musulman-candidats-departementales-umdf-elections-islam-france-politique-houellebecq-soumission/
Vigilance !!!
Cordialement,
H de D.