IMPOSSIBLE ‘’NOUVEAU MONDE’’ ? E. Macron à la croisée des chemins

      Changer le monde, faire advenir un monde différent, meilleur, qui supplanterait ‘’l’Ancien Monde’’ pourri, ce n’est pas nouveau mais est-ce réaliste, ou bien utopique ? Hannah Arendt définit l’utopie comme une abolition « de la distinction entre la réalité et la fiction. » Plus de limites, les valeurs traditionnelles s’effacent devant l’urgence du rêve à accomplir. L’utopie possède une vérité supérieure à toutes les autres, elle est donc foncièrement religieuse, aussi absolue que Dieu lui-même. La remettre en cause c’est aller à contresens de l’ordre du monde, refuser le sens de l’Histoire.

I. Naissance de l’utopie

Au tournant du 1er millénaire s’est affirmée en Israël une idéologie qui avait pointé le nez lors de l’exil des Juifs à Babylone, le messianisme (1). Il fallait détruire physiquement les tenants du monde tel qu’il était, pour faire advenir un Autre Monde. La mère des utopies, et la plus dangereuses de toutes, venait de naître, violente, génocidaire (2). Elle imprégnera le christianisme dans ses heures sombres, puis sera la matrice fondatrice de l’islam, du communisme, du nazisme (3)

Ce messianisme juif trouva sa formulation définitive dans les textes esséniens découverts à Qumrân. Selon eux, la domination romaine et les collabos qui en profitaient représentaient l’Ancien Monde : il fallait les éliminer par la violence pour instaurer un Royaume juif soumis à Dieu seul. Fréquentes, les révoltes juives étaient étouffées dans le sang par les légions romaines.

Vers l’an 30, un jeune rabbi galiléen suscita en Israël une vague d’espoir. Ne condamnait-il pas la corruption, l’argent-roi ? Ne proclamait-il pas un « royaume de Dieu » qui prendrait la place de l’occupant et de ses collaborateurs ? Dans un premier temps, les nationalistes juifs mirent en lui leur espoir, puis déchantèrent vite : car Jésus se refusait d’anéantir l’Ancien Monde pour créer un Autre Monde. Il voulait transformer, modifier, améliorer ce qui existait pour faire advenir un Nouveau Monde soumis à un Dieu non plus dominateur et exclusif comme celui des nationalistes, mais plein de tendresse paternelle pour tous les humains.

Jésus n’était pas un utopiste, mais un réformateur. Son rejet de l’utopie messianiste lui valut d’être livré par les Juifs aux Romains, et crucifié.

II. Faut-il mettre fin à l’Ancien Monde ?

Après tout, pourquoi changer ce qui existe ? Le changement, en soi, n’est-il pas contraire à la nature humaine ? Il y a toujours eu, il y aura toujours des forts et des faibles, des parvenus et des exploités, des riches et des pauvres, des bien-portants et des malades, etc. Pourquoi vouloir changer ce monde ? Tel qu’il est, l’être est immuable, en soi le changement s’oppose à lui – c’est ce que pensaient certains philosophes Grecs de l’Antiquité. L’histoire politique de l’Occident peut se résumer par l’opposition entre conservateurs et novateurs, entre ceux qui veulent que rien ne change et ceux qui veulent tout changer. Certains ‘’libéraux’’ de l’Ancien Régime avaient trouvé une formule cynique rapportée par Giuseppe di Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».

Mais ce sont ces mêmes libéraux qui introduisirent la notion de progrès : aux XVIIIe et XIXe siècle, le progrès des sciences, des techniques et de notre connaissance du monde étaient tels que l’être humain, lui-même, se devait de progresser – c’est-à-dire de changer dans sa nature profonde. Un nouvel être humain – ou bien un autre être humain ?

III. Autre Monde, ou Nouveau Monde ?

Altermondialistes, ou réformateurs ? La tension entre ‘’Autre Monde’’ et ‘’Nouveau monde’’, entre réforme et utopie, parcourt toute l’Histoire de l’Occident. On a vu qu’elle est de nature religieuse, c’est pourquoi elle se posera brutalement dès les premières années du christianisme naissant (4). L’Église ne parviendra jamais ni à la résoudre, ni à étouffer les soubresauts qu’elle provoquera. En son sein ce seront les révoltes des Dolciniens, des Vaudois et des Cathares au Moyen âge, de Luther (5) à la Renaissance, des modernistes à la fin du XIXe siècle, des progressistes au XXe. Le Concile Vatican II était réformateur, il s’est heurté frontalement aux altermondialistes.

Politiquement, l’aspiration vers la création d’un Autre Monde s’exprima dès la Révolution française avec la volonté de faire « table rase » du passé. Puis dans les diverses mises en œuvre du communisme (URSS, Cuba Cambodge, Corée du Nord) avec la volonté affichée de faire naître un ‘’Homme Nouveau’’. C’est-à-dire de changer l’être, dont Parménide avait pourtant montré qu’il était immuable et inchangeable.

On le sait, toutes ces tentatives d’Autre Monde ont échoué : Parménide avait raison, l’être est immuable. Les religieux soulignent qu’il a été créé tel quel par Dieu et que vouloir le changer c’est prendre la place de Dieu en voulant faire (ou refaire) une autre création que la sienne.

Mais la nostalgie, le rêve d’un Autre Monde, différent de celui-ci, continue de hanter nos consciences. Et alimente les slogans des politiques de l’extrême-gauche comme de l’extrême-droite.

IV. Emmanuel Macron et l’Ancien Monde

Je trouve insupportable qu’on ne retienne du Président que quelques phrases lâchées devant une foule, et quelques selfies ravageurs. ‘’On’’, ce sont les médias et les politiciens qui se montrent indignes de leurs responsabilités et se vautrent dans le racolage. Résaux sociaux aidant c’est ainsi, et Macron semble mal maîtriser cette communication de caniveau qui lui échappe. Alors que dans quelques discours remarquables, il a dessiné sa position par rapport à l’Ancien Monde (qu’il a été élu pour le changer ?) En les relisant, on s’aperçoit qu’il navigue entre ‘’Nouveau Monde’’ et ‘’Autre Monde’’, entre réforme et refondation. Ambigüité qui lui sera peut-être fatale. Car notre Histoire récente montre que la France n’a pu s’engager dans un Autre Monde qu’à deux occasions : la Révolution Française, et la guerre de 39-45. Deux cataclysmes qui ont fait table rase de tout ce qui existait auparavant, structures sociales et politiques. Mais aussi deux hommes qui ont su s’emparer du vide créé par ces cataclysmes pour faire accepter aux Français un changement radical : Bonaparte et De Gaulle.

À part ces deux moments, deux tragédies uniques en leur genre, la France contemporaine s’est adaptée au progrès par des changements cosmétiques : tout changeait autour d’elle, sauf les profondeurs de son grand corps malade. M. Macron semble vouloir s’attaquer à l’os, du moins il le dit quand il parle d’Ancien Monde, de refondation de l’Europe et du système social français, des conservateurs opposés aux progressistes. Mais nos raideurs sont telles en France qu’on peut craindre qu’il ne parvienne pas à faire advenir un Nouveau Monde. S’il échoue, le risque immense c’est que ceux qui rêvent d’un Autre Monde prennent sa place. Avec les résultats que l’on sait, puisque l’Histoire nous les enseigne.

Mais les Français d’aujourd’hui semblent ne plus rien savoir de leur Histoire, ou l’avoir oubliée.

                                                                                       M.B., 6 octobre 2018
 (1) Voir dans ce blog les article sur ce sujet en cliquant sur le mot ‘’messianisme’’ dans la case ‘’rechercher’’
(2) Lisez dans ce blog les articles Utopie nazie, chrétienne, islamique : la fin du mondeDe l’utopie au pouvoir : socialisme et christianisme,   Socialisme et utopie : les mots et la réalité
(3) A ce sujet, lisez Naissance du Coran – Aux origines de la violence, l’Harmattan, 2014, et le roman que j’en ai tiré, La Danse du Mal, Albin Michel, 2017.
(4) Voyez l’article Le premier « programme de gauche : un échec retentissant
(5) Sur le plan de la discipline ecclésiale seulement. Socialement, Luther était un conservateur.

10 réflexions au sujet de « IMPOSSIBLE ‘’NOUVEAU MONDE’’ ? E. Macron à la croisée des chemins »

  1. Gris

    Billet d’actualité ! Le GIEC nous annonce ce week-end l’enfer sur terre. Macron est porteur de cette idéologie apocalyptique-la terre brûle et l’homme suffoque – dont le mensonge consiste à imputer à l’homme la variation du climat dans sa mauvaise gestion du CO2 (comme gaz à effet de serre).
    La prévision météo qui se prévaut d’être une science expérimentale est une utopie : les modèles qui font de la simulation ne sont pas la réalité (inconnue des paramètres, incrémentation des données initiales partielles ou biaisées pour ne citer que ces principales causes des erreurs potentielles d’une simulation).
    Quand A est relié à B et B à C, par transitivité la logique raccorde A à C.
    Ou Macron est un « prophète » d’un changement progressif ou Macron ment dans la lignée de l’idéologie qu’il incarne par ignorance ou sciemment dans un délire psychopathologique (atteint du complexe de Jocaste).
    Pouvoir politique et pouvoir d’une religion vont de pair : on a ramené l’enfer du ciel vers la Terre dans la culpabilisation du peuple traité d’ignorant ou populiste face aux savants (élites) autoproclamés progressistes.

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  2. NM

    Quel rôle peut bien jouer l’actuel président Français si ce n’est celui de « gestionnaire en contradiction »?
    Comment concilier écologie et libre échange?Liberté individuelle et sécuritarisme?
    Macron c’est l’illusion que la croissance économique et l’innovation pourront régler tout nos problèmes, cette idéologie relève effectivement de l’utopie,mais les faits sont durs,tout cela devrait rapidement s’effondrer.
    Le nouveau monde se profil et celui ci se traduira par une contraction de l’économie,d’ici là l’actuel locataire de l’Élysée sera déchu,mais il aura jouer le rôle qui lui était dévolu:maintenir le plus longtemps les Français dans la subjectivation.
    Cordialement.

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  3. Ange lini

    Bonjour Mr Benoit
    D’après Wikipedia le mot utopie signifie étymologiquement « en aucun lieu ». Mais ne peut-on pas étirer l’étymologie au débat philosophique :  » en aucun lieu » interdit-il « le lieu à créer » ? … Car si Parménide avait raison, est ce à dire que l’histoire est finie ? Dieu à donc conçu un Univers en mouvement avec un humain figé ? Où peut être ais je mal compris son raisonnement…et le votre…

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      « Parménide propose une théorie générale qui permette de concilier la permanence du monde et le changement non moins permanent de tout de ce qui est » (Wikipedia). Dans les Psaumes (qui sont un condensé de la Bible), YHWH est le seul permanent, inchangé, tandis que l’Homme vit dans un monde changeant et n’est qu’une herbe qui se fane.
      M.B.

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      1. Ange lini

        « L’homme n’est qu’une herbe qui se fane ». Paradoxalement les Psaumes définissent le monde matériel et en oublient le monde spirituel…Comme sont bizarre les écrits religieux…L’homo-sapiens vit une double évolution. L’une dans l’expérience physique que l’on pourrait qualifier de Darwinienne et l’autre sur le plan de l’esprit que l’on pourrait appeler Conscienca (avec la science)… L’association de ces 2 plans s’exerce par le discours intérieur entre la raison et l’émotion. Et à chaque fois qu’un choix se présente à lui (à part en cas de danger où l’instinct prends le relais) il doit choisir entre chaque éventualités que lui proposent ces 2 voix (voies ?) intérieures…Au plus l’homo-sapiens choisira la raison entre toutes, au plus son élévation au plan mental sera grande… Nous y avons tous accès. Encore faut-il le savoir. Mais au delà de tout il manque une synchronicité générale… Un évènement mondial peut être… Quand à Parménide il est excusable il ne connaissait pas encore l’énergie…Que l’on pourrait qualifier de « stade infinitésimal de la matière infiniment en mouvement »…C’est pas loin de Dieu ça sans doute. Merci de votre réponse.
        Amicalement

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  4. Debanne

    Bonjour,

    Je ne partage pas vos vues sur ce si « éminent » et ultra-libéral Macron, président des riches et des très riches… Avoir supprimé l’ISF en dit long sur son programme social (sic) quand on sait que, notamment, 80 % des retraités vont perdre du pouvoir d’achat. La théorie du ruissellement » n’a jamais existé que comme idéologie pour faire passer la pilule aux plus pauvres. Quand vous avez beaucoup d’argent, l’investir dans des entreprises ferait rire un étudiant de première année d’économie ! Macron ancien banquier le sait bien sûr. Par curiosité, je vous invite à aller voir un avocat fiscaliste en lui disant que vous avez beaucoup d’argent à placer : et écoutez sa réponse ! Elle est à l’extrême opposé des entreprises : placement trop risqué et peu rémunérateur ! Non, il y a beaucoup mieux à faire …
    Mais là n’est pas le plus grave au fond. Ce qui m »inquiète le plus c’est que l’ultra-libéralisme pour se maintenir au pouvoir est capable des pires compromissions. N’ayant pas le temps de développer davantage, je me permets, une fois n’est pas coutume, de vous renvoyer à deux articles de presse dont je partage totalement les analyses :
    http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2018/10/05/31001-20181005ARTFIG00341-face-a-l-islamisme-nos-elites-ont-trahi.php
    https://www.marianne.net/%C3%A9conomie/le-grand-mensonge-du-pouvoir-d-achat

    Bonnes lectures !
    Amicalement,

    H de D.

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  5. Roland Leblanc

    Et si le changement commençait par l’introspection en Soi de tous. Et si nous devions participer à la rectification ou réparation de ce monde. Combien plus facile si chacun savait ce que la Vie attend de lui. Il pourrait faire sa part et s’adapter à réparer sans tarder, sans essayer de changer l’autre. Qu’en pensez=vous?
    Bon séjour ici.
    roland

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Je suis le seul territoire sur lequel j’ai une possibilité d’action. Je peux me changer. Mais changer les autres ???
      M.B.

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    1. Debanne

      Bonjour,

      Voici encore un article de journal. Lequel retranscrit en partie les propos d’Emmanuel Todd. Ce dernier est l’un des rares vrais intellectuels français. Je le connais depuis de nombreuses années… Son analyse est d’une pertinence hors-pair ! Je souhaiterais que ses propos fassent « le tour de France » afin que les français se réveillent de leur « hallucination collective » et qu’ils arrêtent de prendre un banquier pour l’homme providentiel, qu’on a jamais vu et qu’on en reverra jamais ! A ce sujet, bien que très distant de la politique et de son monde qui ne m’inspire que du dégoût, j’attends avec impatience les résultats des prochaines élections européennes…
      Bonne lecture !
      Amicalement,

      H de D.

      https://www.marianne.net/politique/un-puceau-de-la-pensee-elu-dans-une-hallucination-collective-le-macronisme-selon-emmanuel

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