Un lecteur m’a fait parvenir un commentaire sur mon dernier article, JÉSUS PORTAIT-IL UN GILET (jaune) ? Son commentaire est suffisamment documenté pour que je le publie ici, après l’avoir légèrement réécrit (passages entre crochets).
Dans votre article, vous relativisez très bien la Révolution de 1789, qui constitue un pan majeur de notre mythologie nationale – au point de constituer un colossal montage de fake news, comme on dirait aujourd’hui. Une monstrueuse (c’est malheureusement le terme) légende urbaine.
Le problème initial de l’époque n’est pas l’absence de corps intermédiaires [que vous signalez dans votre article], mais leur opposition systématique à un pouvoir qui voulait opérer d’indispensables réformes. En accédant au trône, le roi Louis XVI avait su s’entourer des meilleurs économistes de son temps. Il savait qu’il lui fallait mettre à contribution l’aristocratie française pour sauver le budget de l’État. Il s’est heurté non seulement à la résistance de la noblesse d’épée, mais aussi – et c’est plus grave – à la noblesse de robe [bourgeoise] qui, dans les Parlements de province, a bloqué toutes les tentatives de réforme. Il a fini par essayer de passer en force et de court-circuiter les Parlements pour réformer sans leur aval. Les privilégiés se sont alors arc-boutés de toutes leurs énergies pour défendre leurs acquis, d’autant plus que l’appauvrissement de la vieille aristocratie [terrienne] la conduisait déjà à ce qu’on a appelé « la réaction nobiliaire ». Tous les corps intermédiaires de l’époque se sont donc dressés contre un pouvoir royal bien intentionné. Et ce fut l’Assemblée de Vizille, qui marqua le premier acte officiel de contestation du souverain. Elle conduira aux États Généraux.
Pourquoi la Révolution ne s’est-elle pas arrêtée au lendemain de la nuit du 4 août 1789 ? Les privilèges étaient abolis mais les fortunes n’avaient pas changé de main. La suite est une course à l’abîme, dans laquelle la bourgeoisie émergente va utiliser la basse plèbe parisienne pour prendre le pouvoir et capter tous les biens de l’aristocratie et du clergé. Les acteurs de la Révolution sont des hommes des corps intermédiaires du monde judiciaire, avocats, magistrats. Et les quatre années suivantes vont constituer une colossale opération patrimoniale : [on disait qu’il fallait prendre aux riches pour donner aux pauvres. En fait,] par le jeu des appropriations et des ventes aux enchères (accessibles uniquement aux amis de la Révolution), les révolutionnaires vont acquérir au moins le cinquième de tout le patrimoine français pour une bouchée de pain.
La Terreur a été un mode très efficace de dégagisme : elle a gouverné en manipulant la populace, [qu’elle appelait « le peuple »]. Ce fut un moment de spoliation et de spéculation déchaînées, mais ce qu’on ne dit jamais, c’est que derrière chaque révolutionnaire il y avait des banquiers et des financiers venus d’un peu partout. L’un des plus féroces, Barrère (appelé « l’Anachréon de la guillotine ») envoya à la mort plus de condamnés que Robespierre lui-même. [Entre deux coups de rasoir national], il se livrait à des parties fines avec un ami banquier dans un château des environs de Paris. Quand à Danton, il avait fait fortune en quelques mois. Si Robespierre a été appelé l’Incorruptible, c’est parce qu’il était le seul (avec Saint Just) à ne pas trafiquer.
Mais la corruption était un jeu dangereux où beaucoup ont laissé leur tête. Aussi, quand tout le pays fut redistribué, les Conventionnels décidèrent d’arrêter de jouer : ils avaient déjà tout gagné. Ce n’est pas un hasard si les deux hommes du 9 Thermidor – Barras et Tallien –, immensément riches, étaient intimes des banquiers, notamment par l’intermédiaire de Teresia Cabarrus.
Alors ce fut le Directoire : après avoir acquis en quelques mois des fortunes incroyables, les révolutionnaires ne pensaient plus qu’à une chose : faire la fête, et une fête à tout casser. En à peine cinq ans, le Directoire va créer son style à Paris et en province, [un style de nouveaux riches]. Pendant ce temps la France était ruinée, son économie détruite : ce fut la famine, la dernière famine dans laquelle on soit mort de faim en France. À Paris, entre 1790 et 95, le prix du pain a été multiplié par cinq, et les salaires… par deux. Et encore, le prix du pain était contrôlé mais tous les autres prix avaient beaucoup plus augmenté que cela. Les pauvres se jetaient dans la Seine pour ne pas attendre de mourir de faim. Ies Incroyables et les Merveilleuses se déchaînèrent et la Révolution nous laissa une bourgeoisie [enrichie], toujours en place.
Mais les finances de l’État étaient à plat : on se lança donc dans des guerres de pillage chez nos voisins européens. On sait que les exactions des « chauffeurs du nord » suivaient le trajet des glorieuses armées de la Révolution. Armées sans intendances, qui se nourrissaient en pillant les récoltes et les réserves des paysans. En Italie Bonaparte [sa correspondance l’atteste] vola tout ce qu’il pouvait, les riches, les pauvres et les banques, et renfloua ainsi les caisses du Directoire.
Pourtant les nouveaux riches commençaient à s’inquiéter : et si les aristocrates émigrés revenaient ? Pour conjurer leur peur de tout perdre, il fallait un pouvoir fort : un militaire, un général. Les financiers essayèrent avec Joubert, qui refusa, puis avec Moreau qui mourut au combat. Restait le petit Corse qui avait fait des merveilles en Italie : on lui offrit sur un plateau le coup d’État du 18 Brumaire. Ce jour-là, Cambacérès était à la manœuvre. Il avait fait la plus grosse fortune révolutionnaire et ne chercha pas le pouvoir, la richesse lui suffisait.
Dès lors Bonaparte ne refusera jamais rien aux puissances d’argent. Les banques et les financiers étaient partout – notamment les Suisses Delessert et Perregaux, Constant dans une moindre mesure. Et comme tout ça ne suffisait pas, les financiers proposèrent à Bonaparte de fonder une dynastie, pour garantir la stabilité de l’État et sa reconnaissance internationale. Bonaparte deviendra donc Napoléon et épousera une princesse autrichienne, pour effacer l’assassinat de Marie-Antoinette.
Les nouveaux riches et les financiers pouvaient respirer, ils ne rendraient pas l’argent. Devenu empereur Napoléon leur fit un cadeau somptueux, la création de la Banque de France confiée à Perregaux, qui livra les finances du pays aux financiers privés.
En 1815 les banquiers comprendront quand même qu’ils ne pouvaient plus soutenir l’aventure militaire impériale qui avait ravagé d’Europe, avec quelques millions de morts à son actif. Mais la finance |internationale] était reconnaissante, et le Congrès de Vienne laissera la France aussi étendue qu’avant ce quart de siècle monstrueux.
Voilà ce qu’on n’enseigne pas à l’école. Depuis Michelet, les profs d’histoire ont réussi à masquer la vérité, à cacher que la Révolution et l’Empire ont été vingt-cinq années de guerre civile, de pillages, de massacres finissant en apothéose dans une guerre européenne. Les classes populaires [au nom desquelles la Révolution avait été lancée] en ont été les premières victimes… mais c’est la bourgeoisie victorieuse qui a écrit l’histoire Et depuis cette époque nous sommes en guerre civile, le plus souvent larvée mais qui se réactive de temps à autres.
Votre article évoque enfin Jésus : certes, les dirigeants religieux de Jérusalem étaient les grands bénéficiaires de la collaboration avec Rome. Mais ils étaient [mieux informés] et plus conscients de l’état pré-insurrectionnel du peuple juif. C’est pour cette raison qu’ils ont fait éliminer Jésus
Jean-Joël Duhot (1)
Commentaire de M.B. :
Merci d’avoir effeuillé ce que je n’ai fait qu’effleurer dans mon article. Ce que vous dites là, il a été interdit de le dire et de le penser jusqu’au début du XXIe siècle. On ne touche pas à la Révolution française, on ne parle pas de ses crimes ! Et le livre de Reynald Sécher, Vendée. Du Génocide au mémoricide. Mécanique d’un crime légal (2), qui ose pour la première fois employer le terme de « génocide vendéen », a été violemment critiqué à sa sortie par la Pensée Unique parisienne.
Quand vous soulignez le rôle joué par la « grande finance » dans la Révolution de 1789, on ne peut s’empêcher de penser à la situation actuelle. Que se passera-t-il si elle tourne mal ? N’y a-t-il pas eu des voix pour faire appel à un général, Pierre De Villiers, après que M. Macron eût été destitué par un référendum d’initiative populaire ?
L’Histoire se répète-t-elle donc sans fin, et les souffrances des peuples n’ont-elles pas de fin ?
M.B., 8 janvier 2019
(1) Auteur de L’Affaire Jésus, un quiproquo ? dont j’ai rendu compte dans mon article Jésus superstar ? Trois exégètes récents
(2) Éditions du Cerf, Paris, 2011.
Merci d’avoir reproduit ma note. Petite précision, le sinistre Barère s’écrit avec un seul « r », et, puisque vous rappelez le monstrueux massacre vendéen, il faut savoir qu’il l’a explicitement demandé à l’Assemblée, dans ce que les historiens considèrent aujourd’hui comme un appel au génocide. Le terme est approprié, puisqu’il exigeait explicitement de tuer les Vendéens.