TÉNÈBRE MA VIEILLE AMIE, SALUT !

Les anciens se souviennent du film Le Lauréat avec Dustin Hoffman, réalisé en 1967. Rythmé par la chanson de Simon & Garfunkel, Sounds of Silence, ce film connut un succès planétaire. On était en pleine révolution de mai 68, la jeunesse rêvait d’un monde nouveau, l’utopie était au pouvoir. Écrites par Paul Simon, les paroles décrivaient le monde dont on ne voulait plus et se terminaient par un cri de désespoir.

Depuis 55 ans, rien n’a changé. Voici un extrait de Sounds of Silence, traduit et adapté par mes soins.

Ténèbre ma vieille amie, salut ! Je viens encore parler avec toi. Car dans mes nuits sans sommeil je marche seul, et sous la lumière crue des réverbères je vois :

Des milliers de gens, des milliers et plus encore, qui se parlent dans le vide, qui entendent mais n’écoutent pas, qui écrivent et personne ne les lit.
Et personne, oh personne ! n’ose rompre cette chappe de silence.

 « Bandes de fous, ai-je dit, vous ne savez pas que le silence est un cancer qui dévore ! écoutez-moi, je vous parle ! prenez la main que je vous tends ! »

Mais mes mots tombèrent comme gouttes de pluie, sans bruit, sans écho, dans le gouffre du silence. Et la foule des esclaves se prosterna pour adorer les dieux électroniques qu’ils s’étaient fabriqués.

Les mots des prophètes sont écrits partout en lettres de feu, et nul n’est plus capable de les entendre

dans les fracas du silence.

Oui, l’électronique a fait naître un Homme nouveau, chacun est rivé à l’écran de son téléphone. On n’a jamais autant communiqué depuis les débuts de l’humanité, et on ne s’est jamais aussi peu écoutés, regardés, rencontrés, respectés. Avec la pandémie les visages se sont masqués, le sourire a disparu de nos rues. La méfiance de chacun envers chacun est devenue (et restera) une obligation : « Écarte-toi de moi ! Ne t’approche pas ! Va avec ceux qui pensent comme toi ! »

Rempli par le fracas des mots vides, le silence nous dévore comme un cancer.

« Le monde est en feu ! »

Au milieu du 17e siècle, Thérèse d’Avila fut la première à utiliser cette image, « Le monde est en feu ! » (1) Elle soulignait le désastre d’un monde sans Dieu, sans espoir, replié sur soi, sans ouverture vers L’au-delà des apparences (2). Rien n’a changé depuis. Rappelez-vous Jacques Chirac en 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ! » Comme un signal des catastrophes à venir, de gigantesques incendies se répandent aux quatre coins de la planète.

En France ou ailleurs, « Rien ne va plus, nulle part » dit la rumeur populaire. Difficile de rester optimiste.

Indispensable humour

Les Français sont (dit-on) plus inquiets, plus moroses, plus en colère que d’autres peuples. C’est sans doute parce que la pratique de l’humour nous est étrangère. Oh oui, nous savons nous moquer ! Mais depuis Rabelais-le-rebelle nous nous rions de l’autorité, quelle qu’elle soit. Depuis Voltaire l’ironique nous nous moquons des autres, jamais de nous-mêmes. Nous rions aux dépends des autres. Le monde est en feu, mais la satire, sport national, consiste à démolir autrui. Jamais on ne rit de soi. Se moquer de soi serait se déprécier aux yeux des autres, s’insulter soi-même, s’auto-flageller. L’humour, ce n’est pas sérieux.

Le Bouddha Siddhârta commence son enseignement sur la méditation (3) par un avertissement destiné à frapper les esprits par sa crudité : « Avant de t’asseoir pour méditer, rappelle-toi que tu n’es qu’un sac de peau qui produit environ 150 grammes de m…. par jour ». Voilà qui remet les choses à leur place. Sachant cela, comment peut-on encore se prendre au sérieux – ou pire, au tragique ?

Retour au spirituel

Rire de soi, se moquer de soi, savoir qu’on n’est rien ou pas grand-chose, première échappatoire au désespoir qui menace. Se critiquer soi-même pour apprendre à moins critiquer les autres : si elle ne transforme pas tout de suite nos sociétés, cette attitude débonnaire et bienveillante transformera notre regard sur le monde qui nous entoure, et elle transformera nos vies.

L’humour de dérision de soi et de bienveillance envers autrui est la porte d’entrée de la méditation, la clé de toute vie spirituelle. « Ça, ce n’est pas pour moi », direz-vous ? Détrompez-vous. Comme le laisse à entendre Sounds of Silence, ou bien on se prosterne devant la lumière d’un réverbère, ou bien on regarde plus loin, plus haut, à la recherche d’une autre lumière, une vraie lumière. Cette recherche, chacun(e) la mènera à sa façon, en fonction de ce qu’il / elle est. Il y a autant de chemins vers l’au-delà des apparences que d’êtres humains, et celui qu’on appelle ‘’Dieu’’ est assez immense pour accueillir tous ces cheminements. Plus on découvre qu’on n’est rien, plus on s’approche de cette lumière-là.

Merci à Paul Simon pour les paroles de sa chanson. Les mots des prophètes sont écrits partout en lettres de feu : mais seuls ceux qui ont un regard d’enfant (dit Jésus) sauront les lire.

                                                                          M.B., 7 août 2021
  • Le chemin de la perfection, chapitre 1er.
  • Voyez à droite de l’écran la ‘’catégorie’’ (tête de chapitre) « Au-delà des apparences » et les articles sur ce thème.
  • Sattipathânasutta, vingt-deuxième sutta du Digha Nikâya.

4 réflexions au sujet de « TÉNÈBRE MA VIEILLE AMIE, SALUT ! »

  1. Jon

    Les répercussions d’un monde en feu sont l’émanence de diamants rares, forgés dans la pression. Malheureusement les vanités et l’identité sont de curieux défauts extrêmement coriaces. J’ai été surpris de la ténacité des gens à leur identité, même au prix de leur bonheur, comme par peur inconsciente. Vous parlez régulièrement des spiritualités asiatiques et notamment du bouddhisme; Alors que je ne suis pas issu de ces civilisations, j’ai moi-même été touché par la grâce de celles-ci, qui m’ont ouvert la voie vers une compréhension hollistique de la vie. Et régulièrement je tombe sur mes pairs, ici, qui souffrent, mais s’offusquent souvent à l’idée d’une vraie pratique spirituelle issue de l’hindouisme ou du bouddhisme (raison probable pour laquelle on a du finir par ôter aux pratiques méditatives toute identité religieuse ou culturelle pour les introduire dans les milieux médicaux, preuve irréfutable de leur efficacité) ou à l’écoute de propos d’un sage indien, semblant indiquer qu’on a tout aussi bien « chez nous » et m’accuser de « vendu »… Malheureusement l’histoire prouve que nous avons continuellement proscrit ou edulcoré nos saints et nos gens de lumière, voire les avons remplacé par des copies. Lorsque l’égo fait obstacle à la grandeur de l’individu son évolution est dans une impasse…

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Avec Jésus, on a INFINIMENT MIEUX que le Bouddha. Cinq siècles après Siddhârta, Jésus ouvre une porte vers  »Dieu » que le Bouddha voulait obstinément tenir fermée.
      Ceci dit, Jésus a été tellement maquillé par les théologiens… Mais il reste lui-même, caché dans les évangiles (et pourquoi pas, dans nos coeurs)
      M.B.

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  2. Jean-Marie GLÄNTZLEN

    Beaucoup de faits et de paroles ou de faits de l’un ou l’autre des évangiles non pas « de » mais « attribué abusivement à » relèvent de la légende.

    Alors les paroles d’un des nombreux bouddhas, ici le plus célèbre Sidharta dont le vie est mal connue ….

    Pas nécessaire de passer par Isho pour essayer de vivre la conception (aux deux sens) tpio des êtres pensants par l’Ineffable.

    A propos cher Michel était-il possible que les Romains laisse la famille des suppliciés au pied du T (qui n’était pas une croix) ?

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Non, le Satiricon de Pétrone (1er siècle) est formel : la famille & les proches d’un crucifié étaient tenus à distance et ne pouvaient pas approcher de la croix
      M.B.

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