M.Y. Bolloré et O. Bonnassies, DIEU, LA SCIENCE, LES PREUVES (IV) : Pauvre Jésus !

Le chapitre 18 de Dieu, la science, les preuves pose la question « Qui peut être Jésus ? ». Les deux auteurs, ingénieurs et rationalistes, campent ainsi le décor : « Contrairement aux chapitres scientifiques [qui précèdent], tout le monde ici peut arriver à une conclusion par ses propres moyens… Cher lecteur, prenez place parmi les jurés, l’audience commence » (p. 384). Autrement dit, bien qu’ils prétendent que « ce livre a une seule méthode, la raison et la science », ils ne traiteront pas la question brûlante de l’identité de Jésus de façon scientifique. Mais accoudés à la buvette du Prétoire.

Car depuis plus de deux siècles la question « qui était l’homme Jésus » a été scrutée sous toutes ses coutures par des scientifiques de haut niveau, parmi les meilleurs dans leurs disciplines. Et ce n’est pas à la portée de tout le monde de parvenir à une réponse argumentée. « La Quête du Jésus historique a frayé lentement son chemin, les chercheurs Allemands, Anglais, Américains, Français, chrétiens et Juifs allant d’hypothèses en conclusions provisoires pour que sédimentent, finalement, quelques certitudes acquises. Un travail pluridisciplinaire acharné, papyrologie, linguistique, histoire et historiographie, exégèse, archéologie… On ne peut plus parler aujourd’hui de Jésus, dit le Christ, comme on en parlait à l’époque de la théologie triomphante » (1).

C’est pourtant ce que font nos deux auteurs, ignorant splendidement l’immense travail de recherche de ces spécialistes. Ils n’en citent aucun, mais seulement deux écrivains traditionnalistes, F. Prat (2) et C.S. Lewis (3). Eh bien, c’est un peu court, jeune homme ! Ce mépris (je n’ose parler d’ignorance) pour le savoir de tous ceux qui les ont précédés discrédite leur démonstration. « La science, les preuves » ? Ils ne prouvent plus, ils plaident (mal) une cause. Ce n’est plus de la science, mais du militantisme. Et pas n’importe lequel.

Une arrière-boutique

Pour savoir « qui était Jésus ? », avant de s’aligner platement sur le dogme catholique les auteurs égrènent six « réponses données dans l’Histoire, qui sont logiquement les seules possibles ». 1° Jésus n’a jamais existé, 2° c’était un grand sage, 3° un fou, 4° un aventurier, 5° un prophète, 6° le Messie mais un homme (p. 383). À quoi ils ajoutent que « la totalité de la planète… signe ses contrats, ses actes juridiques, ses publications… en se référant à son année de naissance (4) ». Que « plus de 20.000 livres ont été écrits sur lui », alors que « en toute logique, Jésus aurait dû rester… inconnu ». Bref, un grand n’importe quoi qui fait appel à l’affectif plus qu’à la raison et à la science. Ces six questions et les arguments qui les démolissent rassemblent sur 33 pages une suite pêle-mêle d’arguments populistes et de lieux communs appuyés sur des citations bibliques entassées sans critique.

La vraie question

À y regarder de plus près, on aperçoit l’idée obsessionnelle qui sous-tend tout ce chapitre : anéantir l’hypothèse selon laquelle, si le tombeau provisoire de Jésus a été trouvé vide au matin du 9 avril 30, ce n’est pas parce qu’il est ressuscité mais parce qu’il en a été retiré par des mains humaines.

Cette hypothèse, elle a circulé dès l’origine, comme en témoigne l’évangile de St Matthieu : « Qu’on garde le sépulcre, de peur que ses disciples ne viennent le dérober et ne disent… ‘‘Il est ressuscité d’entre les morts’’. Et cette dernière imposture serait pire » que les autres (Mt 27, 64). Le cadavre de Jésus enlevé du tombeau ? L’idée a circulé pendant des siècles, jusqu’à ce que la recherche permette de proposer une hypothèse solide, appuyée sur les connaissances du milieu juif de l’époque et sur une lecture scrupuleuse des évangiles. Oui, le cadavre de Jésus a été enlevé du tombeau à l’aube du 9 avril 30. Mais pas par ses disciples : par des « hommes en blanc », c’est ainsi qu’on appelait à l’époque les esséniens. Bien que Jésus n’ait jamais fait partie de leur secte, ils ont voulu que ce Juste selon leur cœur soit enterré en terre pure, dans l’une de leurs nécropoles.

Et oui, après sa mort il s’est rendu visible à ses proches. Cela n’a rien d’exceptionnel, comme on peut le voir dans l’hindo-bouddhisme. Cela est arrivé et arrive à de nombreux mystiques chrétiens d’Orient ou d’Occident.

Les auteurs luttent de toutes leurs forces contre cette hypothèse : « Aller dérober le corps de Jésus, l’enterrer à nouveau puis proclamer la résurrection ! Quel serait le but de ce scénario rocambolesque ? » (p. 402). « Cette mascarade d’une pseudo-résurrection (p.399)… ce scénario ne contient pas la moindre parcelle de raison » (p. 395). « D’un point de vue rationnel… il ne tient pas » (p. 402). « L’attitude… incompréhensible des chefs des Juifs ne plaide pas en faveur de cette thèse » (401).

Cette thèse, je l’ai reprise, retravaillée et étoffée dans 5 ouvrages successifs, elle a été présentée dans l’émission Secrets d’Histoire de Stéphane Bern « Un homme nommé Jésus ». Elle aurait mérité d’être examinée et critiquée autrement que par des brèves de comptoir.

Pauvre Jésus !

Le livre de M.Y. Bolloré et O. Bonnasies est le fruit d’un gros travail et de fortes convictions. Quel dommage qu’après une 1re partie brillante et prometteuse, ils n’aient pas tenu parole puis se soient laissés aller à propager les thèses du sionisme chrétien pour finir ici dans un plaidoyer sur Jésus qui ne convaincra, hélas, aucun jury.

Le Jésus qu’on vénère, celui qu’a patiemment mis en lumière la Quête du Jésus historique, l’homme doux et exigeant, infiniment aimable, le guide de tant de chercheurs de Dieu, à la fois inspiration et source de vie, méritait d’autres avocats.

                                                           M.B., 16 décembre 2021
(1) Michel Benoit, Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire, Postface. Voyez les articles consacrés à la Quête du Jésus historique en cliquant sur le mot-clé colonne de droite.
(2) P. 382. Ferdinand Prat, Jésus-Christ, sa vie, sa doctrine, publié en 1933, déjà cité dans l’article précédent. Pour la très officielle Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuse, 1934, p. 80, cet auteur « reste et entend rester dans les voies traditionnelles de l’exégèse catholique ».
(3) P.396. Écrivain anglais médiéviste, auteur des Chroniques de Narnia parues entre 1950 et 1957 et portées au cinéma (Le monde de Narnia). Dans une note en bas de page 388, les auteurs citent un seul spécialiste, P. Schäefer, qui a écrit sur le judaïsme et la judéophobie. Ils trouvent dans ses travaux un appui à leurs thèses analysées dans l’article précédent.
(4) Ce qui prouve seulement qu’à partir du 16e siècle, l’Europe a su imposer par la force son calendrier Grégorien au reste de la planète.

4 réflexions au sujet de « M.Y. Bolloré et O. Bonnassies, DIEU, LA SCIENCE, LES PREUVES (IV) : Pauvre Jésus ! »

  1. Gris

    Bonjour,
    Vous écrivez « Et oui, après sa mort il s’est rendu visible à ses proches. Cela n’a rien d’exceptionnel, comme on peut le voir dans l’hindo-bouddhisme. Cela est arrivé et arrive à de nombreux mystiques chrétiens d’Orient ou d’Occident. »
    Quel est votre ouvrage qui détaille cet enlèvement par les hommes en blanc ?
    Les gens qui voient les apparitions de Jésus après sa mort le décrivent ils comme vivant ou mort ?
    Si vivant, comme vous le laissez entendre, puis-je connaître certaines références au sujets des mystiques qui apparaissent en visions post-mortem ?
    Merci pour ces analyses et pour votre temps employé à me lire ainsi qu’à l’éventuelle réponse.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Sous forme d’essai, « Dieu malgré lui » (Robert Laffont). Sous forme de roman (qui dit la même chose à travers une intrigue) « Le secret du 13e apôtre » (Albin Michel).
      les gens qui voient les apparitions de Jésus (évangiles ou mystiques de tous les temps) le décrivent comme vivant. Ce que l’Église primitive a traduit par « résurrection », terme mal adapté puisque tous les morts vivent, après leur mort terrestre, dans une autre réalité dont nous ne savons pas grand-chose si ce n’est qu’elle existe.
      Quelques mystiques parmi les catholiques (il y en a d’autres !) : Thérèse d’Avila (16e siècle), le curé d’Ars (19e siècle), Yvonne-Aimée de Malestroit (20e sioècle)
      M.B.

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