Au début du 21e siècle, nous avons pris conscience que nous étions parvenus à la fin d’un cycle de l’Histoire humaine. Épuisement des ressources de la planète, incertitude économique, crises financières, dangers sanitaires, montée en puissance de la violence, renforcement des dictatures… C’est la fin d’un rêve où la croissance infinie allait apporter à 8 milliards d’êtres humains la prospérité, la tranquillité et la paix. Nous sommes au bord du gouffre, tout le monde le sait et nous allons plonger (nous plongeons déjà) en fermant les yeux.
Des dizaines d’auteurs ont tiré et tirent encore la sonnette d’alarme. Nous allons prendre ici du recul pour retracer l’histoire d’un aspect moins médiatisé de ce Crépuscule des Hommes.
Naissance du bel Occident
Le 4 septembre 476, à Rome, l’empereur-fantoche Romulus Augustule abdiquait. On situe symboliquement à cette date la fin de l’Empire romain. Vingt-cinq ans plus tard, Clovis se faisait baptiser à Reims – et le peuple Franc avec lui. Mais l’Occident avait cessé d’exister : le christianisme y était déchiré par des hérésies, partout régnaient l’insécurité, l’ignorance et le chaos. Lorsqu’en 590 Grégoire le Grand fut élu pape, se comportant en exarque du lointain empereur de Constantinople il réclama sa part du défunt Empire romain. En quelques années il se trouva à la tête d’états pontificaux qui lui assuraient un revenu régulier, faisant de la papauté l’une des premières puissances financières de l’époque.
L’Occident était en train de renaître en s’appuyant sur deux pouvoirs qui découlaient l’un de l’autre : l’argent et la théocratie, confusion du religieux et du politique.
En se faisant couronner à Rome (Noël 800), Charlemagne reconnût qu’il recevait du pape le pouvoir impérial et lui offrit en échange sa protection. L’alliance entre les deux pouvoirs, religieux et politique, était proclamée à la face du monde. Un théologien, Alcuin, élabora la notion de « monarque de droit divin » qui allait façonner, pendant mille ans, l’identité de l’Occident.
La chrétienté, Gott mit Uns ! Une Europe seule au monde, unifiée par la même foi vivace, recouverte d’un manteau d’églises et de monastères, regroupée autour de ses universités où s’élaborait la vision d’un univers cohérent dont nous étions le centre ! Certains en ont aujourd’hui la nostalgie. Ils oublient qu’alors, quiconque ne croyait pas comme il faut était condamné par le pouvoir religieux et exécuté par le pouvoir civil. L’Europe chrétienne avait ses zones d’ombre.
Première déchirure : la laïcité
Dans l’article suivant nous reviendrons sur les crises qui remirent périodiquement en cause cette belle unanimité pendant le Moyen-âge, Cathares, Vaudois, Dolciniens. Même divisée par la Réforme luthérienne, au début du 18e siècle la chrétienté se présentait encore comme un bloc monolithique et puissant, notamment face à l’islam. C’est alors que se répandit en France l’idée qu’il fallait séparer politique et religion. La Révolution de 1789 mit cette idée en pratique avec un fanatisme au moins égal à celui de la religion qu’elle voulait éradiquer. Pour la première fois en Occident, Dieu fut exclu de l’espace public et remplacé par un Être Suprême vaguement tricolore – ce qui prouvait, déjà, que ni l’Homme ni la société ne peuvent se passer de religion.
En rétablissant le culte et le clergé catholiques, la Restauration pensait sans doute « effacer » la mauvaise plaisanterie révolutionnaire. Il n’en fut rien : baptisé laïcité, un étrange concubinage – unique au monde – s’installa en France entre l’État et l’Église. Chacun tenant l’autre par sa barbichette, chacun se méfiant de l’autre, chacun ayant besoin de l’autre tout en s’en défendant. La loi de 1905 officialisa un compromis dont on apprit à se satisfaire, mais c’en était fini de la chrétienté.
Deuxième déchirure : le relativisme
Avec la révolution industrielle du 19e siècle – qui était aussi une révolution des transports – le monde se globalisa à vive allure. Il était inévitable que les convictions et les croyances, confrontées aux mêmes réalités politiques et aux mêmes progrès scientifiques, perdent leur originalité et leur valeur propre. Fissuré de l’intérieur, l’Occident douta de lui-même et de sa supériorité culturelle. Il découvrit qu’ailleurs dans le monde, existaient des pensées et des religions qu’il apprit à connaître et à estimer. Dans les années 1960 le New Age, qui prônait l’égale valeur des spiritualités, se répandit aux USA et en Europe. Peut-être influença-t-il le concile Vatican II, autorité catholique suprême qui affirma en 1964 que « ceux qui… ignorent l’Évangile et l’Église… peuvent eux aussi être sauvés… Tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme… un don de Dieu » (1).
Ce qui n’était dans l’esprit du concile que désir d’ouverture fut interprété comme un aveu de faiblesse. La sincérité des convictions allait-elle prendre la place du dogme ? Si tout est relatif, si tout se vaut du moment que c’est « bon et vrai », y a-t-il encore des valeurs transcendantes ? Dieu lui-même aurait-il voulu que l’infinie diversité de l’humanité s’exprime dans une multiplicité de valeurs et de religions, toutes bonnes, toutes égales et menant toutes à lui ?
C’est ainsi qu’au nom du pluralisme religieux et culturel, des dictatures idéologiques, politiques, intellectuelles et religieuses s’engouffrèrent dans le vide du relativisme. Elles minèrent l’Occident de l’intérieur et l’attaquèrent à l’extérieur.
Troisième déchirure : la défiance
Si « tout se vaut » il n’y a aucune vérité absolue, aucune loi qui s’impose à tous et donc aucune autorité qui puisse l’affirmer. Chacun étant libre de ses opinions, de ses croyances mais aussi de ses comportements sociaux, la seule règle est celle que JE décide de respecter ou d’instaurer. N’ayant confiance qu’en MOI et en mon jugement, je me méfie de tous et je rejette toute autorité.
Autrement dit, le relativisme est la mère de la défiance généralisée qui gangrène nos sociétés. On n’avait déjà plus confiance dans les politiques « tous pourris », dans les médias « tous menteurs », dans les scientifiques « tous corrompus par l’argent » et même dans les profs « tous nuls ». Mais un phénomène nouveau a fait son apparition avec les abus sexuels du clergé catholique : les croyants n’ont plus confiance en lui, les incroyants ne le respectent plus.
Alors, à qui se fier ? Une désespérance sourde accompagne la perte de confiance en tout ce qui, jusque-là, structurait l’Occident de l’extérieur comme à l’intérieur.
Laïcité, relativisme, défiance, désespérance : quatre pathologies profondes de l’être occidental actuel. Oui, l’Occident est bien malade, on le dit même agonisant. C’est à partir de là que nous allons chercher à comprendre certaines tendances qui se font jour dans le monde religieux (2).
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Je vous remercie pour cette nouvelle série d’articles à venir. Vous me mettez l’eau à la bouche !
Cependant, je ne pense pas que l’Occident soit en décadence. Je trouve passionnant l’esprit de remise à plat actuel et m’émerveille de ce que la science, fruit principalement de l’Occident, nous apporte de connaissances et de doutes…!
un certain Occident appartient au passé, celui des débuts de l’article. Rien ne meurt. Mais que sera l’Occident du prochain siècle ?
M.B.
Votre introduction est trop pessimiste , proche du catastrophisme à la mode !
Nous ne sommes pas du tout « au bord du gouffre »
Il y a certes des évolutions et des comportements à corriger, mais la communauté des hommes n’a jamais été aussi paisible et prospère ,aussi lucide et consciente !
Je préfère les dictatures d’aujourd’hui à celles d’hier!
Nous sommes dans une sorte de « renaissance » pleine de promesses !
Nous progressons vers la Noosphère de Teillard de Chardin
Cordialement
Jean Devos
« paisible » ? 1/2 douzaine de guerres sur la planète, autant et plus encore de foyers de tensions extrêmes. « Prospère » ? un quart de l’humanité n’a pas de quoi manger, n’aura plus de uoi boire. « Lucide » ? les fanatismes hystériques se répandent en Occident, en Orient, en Amérique. « Conciente » : oui, sans doute, mais conscience sans action = suicide.
je ne vous souhaite pas de vivre sous la dictature de Poutine ou de Kim Jong le Coréen.
Teilhard de Chardin était un merveilleux poète des années d’abondance.
Merci, M.B.
Bonjour,
Petite imprécision historique : il y a toujours eu un clergé catholique en France sous la Révolution, et c’est Bonaparte qui a rétabli pour l’essentiel la situation antérieure.
Pour le Concile Vatican II et la nouvelle notion du salut (« hors de l’Eglise point de salut », c’était totalement discrédité) voici plus précisément ce que disent ses Actes : « Car ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l’Evangile du Christ et son Eglise, et cependant cherchent Dieu d’un coeur sincère, et s’efforcent, sous l’influence de la grâce, d’accomplir dans leurs oeuvres la volonté de Dieu telle qu’ils la connaissent par la dictée de leur conscience, ceux-là peuvent obtenir le salut éternel. La divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires pour leur salut à ceux qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance explicite de Dieu, et s’efforcent, non sans le secours de la grâce, de mener une vie droite« . On ménage la chèvre et le chou.
Sous la Révolution il y avait 2 clergé : les « jureurs » condamnés par Rome et donc non-catholiques, et les loyaux qui se cachaient ou crachaient leur tête dans le panier de la guillotine.
Vatican II : j’ai vécu aux premières loges le concile et l’après-concile. Il y a le texte in-extenson tel que vous le citez, et puis il y a la façon dont il été « reçu », c-à-dire mal compris ou instrumentalisé ! Je crois l’avoir dit en 1 phrase dans l’article.
Bonnes fêtes, M.B.
Tant qu’à préciser, je trouve un peu sommaire votre : « condamnés par Rome et donc non-catholiques ». Il y a toujours des gens qui se veulent catholiques tout en ne reconnaissant pas l’autorité du Pape, et je ne parle pas que des intégristes. Et le gallicanisme est bien antérieur à la Révolution.
comme l’appellation « Saint-Émilion », l’appellation « Catholique » est revendiquée par un tas de crûs non-authentiques
M.B.