M.Y. Bolloré & O. Bonnassies, DIEU, LA SCIENCE, LES PREUVES. (III). Quand la politique s’en mêle…

 

Dans l’article précédent, je citais la déclaration de M.Y. Bolloré lors de sa conférence du 20 novembre dernier, à propos de son livre Dieu, la science, les preuves : « Ce livre a un seul angle, disait-il, c’est-à-dire une seule méthode : la raison et la science… Nous ne parlerons ni de religion, ni de foi ». Et je signalais que les auteurs n’ont pas tenu parole, puisqu’ils font appel à la foi chrétienne pour conférer leur réalité historique à certains récits mythologiques de la Bible. Contrairement à leur affichage, ils mélangent la foi et la science pour prouver des thèses qui n’ont rien de scientifique. Alors se pose la question : en publiant ce livre, quelle a été leur intention réelle ?

Cette intention, elle se démasque clairement dans le chapitre suivant : Le peuple juif : un destin au-delà de l’improbable. Les auteurs dressent pêle-mêle une liste des « anomalies de l’Histoire » dont ils entendent faire des « preuves » qui viendraient confirmer la 1re partie, scientifique, de leur livre.

Dieu existe puisque le peuple juif existe : les « preuves » 

1re ‘’preuve’’ : contrairement à leurs voisins, les Hébreux auraient été un peuple sous-développé. « Ils disposaient à cette époque d’une culture très rudimentaire… leur langue avait un vocabulaire limité… une quasi-absence de moyens d’écriture » (p. 353). Au contraire ! Seul parmi les peuples de l’Antiquité, les Juifs faisaient de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture une condition d’entrée dans la communauté. Comme ce fut le cas pour Jésus (Mc 4), au moins chaque aîné d’une famille juive, parvenu à l’âge de 12 ans, devait être capable de lire en public un passage de la Bible hébraïque. C’est pourquoi, dès la plus haute antiquité, les Juifs ont accédé aux postes prestigieux de secrétaires, de comptables, parfois de ministres des puissants, et aux professions médicales. Un peuple sous-développé ? C’était le peuple le plus éduqué de l’Antiquité !

Leur langue ? Par le jeu des suffixes et des préfixes, l’hébreu biblique permet d’exprimer les nuances les plus subtiles de la pensée et du sentiment. C’est une langue de terriens, elle traduit les concepts métaphysiques abstraits en images et en poésies sublimes, ce qui dépasse de loin la logique des raisonnements (lisez les Psaumes).

Bref, dire qu’on « ne retrouve chez les Hébreux aucun signe ou critère objectif qui correspondent à une culture élevée ou à une activité intellectuelle importante, rendant possible de grandes découvertes » (p. 330), c’est méconnaître à la fois la langue et la culture de ce peuple.

2e ‘’preuve’’ : « Comparé au niveau de développement élevé de leurs voisins… la quasi-absence de moyens d’écriture » des Hébreux (p. 353). C’est faux. Dès le VIe siècle avant J.C. les juifs ont commencé à écrire la Bible en hébreu, alors qu’il n’y avait pas encore d’écriture syllabique en Égypte ou en Grèce.

3e ‘’preuve’’ : C’est encore un syllogisme. Prémisses : « Selon les sociologues… pour considérer qu’un peuple a survécu, il faut trois conditions : (1) qu’il habite la même terre (2) qu’il parle la même langue (3) qu’il ait conservé la même religion » (p. 419). Or le peuple juif est « le seul peuple ayant traversé plus de 3.500 ans, de l’Antiquité à nos jours ». Donc « sa survie est un phénomène… merveilleux qui démontre que sa vie est gouvernée par une prédestination spéciale » (Berdiaeff, p. 420). Autrement dit, la restauration de l’état d’Israël en 1948 serait une autre preuve de l’existence de Dieu.

De ses prémisses à sa conclusion, ce syllogisme est faux. D’abord le territoire concédé aux Juifs en 1948 par l’ONU n’a rien à voir avec Heretz Israël, la terre de l’Israël biblique. Ensuite, si elle s’est inspirée de l’hébreu, la langue parlée aujourd’hui sur ce territoire, l’Ivrit, a de moins en moins de points communs avec lui. Enfin, dans la religion pratiquée  en Israël moderne, pays laïc, Moïse ne reconnaîtrait pas ses poussins, les rites, la théologie, la spiritualité de la religion du désert.

4e ‘’preuve’’ : La Bible fait preuve d’une « technique de communication permettant au sens de se transmettre sans déformation au fil des traductions » (p. 353). Ça ne tient pas debout ! La Bible est le livre le plus traduit au monde, et pour avoir collaboré en 1974 à la traduction officielle (TOB) des psaumes en français, je puis vous assurer qu’il n’y a, dans l’hébreu biblique, aucune « technique de communication » particulière ou d’une autre nature que les épopées poétiques de la même époque.

5e ‘’preuve’’ : « Un peuple qui a survécu à des épreuves extrêmes depuis l’exil biblique jusqu’au génocide nazi… tout en réussissant à conserver son identité » (p. 421). Les Hébreux de l’exil (586 avant J.C.) sont-ils les mêmes que les Juifs Séfarades chassés d’Espagne en 1494, que les Juifs Ashkénazes assassinés en masse à partir de 1941 ? Après 25 siècles, les Juifs d’aujourd’hui ont-ils « la même identité » sociale, culturelle, génétique que leurs ancêtres bibliques ?

6e ‘’preuve’’: « Le seul peuple qui, ayant entièrement perdu sa terre, l’ait retrouvée 18 siècles plus tard » (p. 423). On a déjà vu qu’en 1948, le territoire du nouvel état juif n’était pas « entièrement » Heretz Israël. Les auteurs alignent des chiffres et des tableaux comparatifs pour montrer la croissance de la population juive à Jérusalem et en Palestine. « Comment, disent-ils, ne pas faire le rapprochement avec … deux prophéties du Christ … qui touchent à notre temps présent et à un futur non encore accompli ? » (p. 427)

 Jésus aurait donc annoncé la restauration de l’état d’Israël en 1948, prédit et encouragé les opérations de reconquête de Heretz Israël auxquelles se livrent Netanyahu et sa droite radicale au mépris du droit international ? Pour le prouver, les auteurs se livrent à une exégèse de Mt 24 et Lc 21 uniquement appuyée sur le livre d’un jésuite traditionnaliste publié en 1933 (1).

Soyons sérieux ! Dans l’article suivant, nous reviendrons sur les méthodes et les références exégétiques des auteurs. Qui concluent imperturbablement : « Avec des prophéties aussi précises, les historiens critiques devront faire preuve de beaucoup d’imagination pour parvenir à écrire une histoire du peuple juif à la fois rationaliste et convaincante ! » (p. 429)

Je passe sur les ‘’preuves’’ suivantes : qu’Israël soit « un pays… cerné de toutes part de voisins hostiles dont certains réclament froidement la disparition… le seul pays dont la capitale… est le centre… des principales tensions géopolitiques actuelle. Le peuple dont est sorti le livre le plus vendu au monde » (p. 433), « le seul peuple qui entretient un rêve messianique et figure pourtant parmi les pays les plus high-tech au monde » (p. 437). Sans oublier la guerre des Six Jours, « une victoire … miraculeuse. Beaucoup déclarèrent que si cette guerre avait été gagnée en six jours, c’est parce que Dieu ne travaillait pas le septième ». Autrement dit, en 1967 la victoire fulgurante d’Israël sur les Arabes serait encore une preuve de l’existence de Dieu. D’ailleurs « une mystérieuse panne [aurait] paralysé tout le système aérien égyptien le 5 juin au matin » (p. 444). Dieu, merci !

Dans un ouvrage qui prétend avoir « une seule méthode : la raison et la science », ces ‘’preuves’’ dépassent l’entendement. Sans compter qu’elles dévoilent une étrange conception de la science historique.

Une étrange conception de l’Histoire

Car tout ceci est basé sur un énième syllogisme : les matérialistes « aimeraient pouvoir disposer d’une histoire du monde et de l’humanité cohérente, rationnelle et débarrassée de tout prodige divin ». Or « le destin hors norme du peuple juif se révèle être un obstacle de taille à ce désir de rationalité… c’est un sérieux défi à toute tentative de rédaction d’un récit rationnel de l’Histoire » (p. 414). Donc « ces anomalies historiques perturbent les croyances matérialistes [et cette question] concerne l’existence ou non de Dieu » (p. 417).

Mais l’Histoire n’a jamais été, n’est pas « rationnelle » ! L’historien n’obéit à aucune idéologie, à aucune religion, à aucune autre rationalité que celle de la méthode historique, précise et rigoureuse. Je crois savoir qu’il ne fait rien d’autre que d’étudier des faits advenus dans le passé et de chercher à les comprendre. Adopter une autre grille de lecture que celle des faits, c’est leur imposer une idéologie qui n’a plus rien à voir avec la science historique. Dire que le retour d’Israël sur la Terre Promise « met à rude épreuve la raison des historiens » (p. 423), cela porte un nom : le révisionnisme.

Ainsi s’impose la conclusion des auteurs : « L’unique objet de ce chapitre est d’offrir au lecteur qui chercherait… des signes de l’existence de Dieu, une problématique réelle et documentée… Est-il possible que [les faits] évoqués puissent résulter des seules lois de l’Histoire, de la seule logique des forces humaines ? … Le lecteur… aura trouvé [ici] un argument en faveur de l’existence d’un dieu, et même… d’un dieu qui intervient dans l’Histoire » (pp. 446-447).

Un sionisme chrétien

Leurs lecteurs doivent savoir que les auteurs propagent une pensée politique d’origine américaine bien connue, le sionisme chrétien. Environ 70% des chrétiens évangéliques américains sont des sionistes fondamentalistes. Ils croient que le retour de millions de Juifs en Terre sainte, la création de l’état d’Israël en 1948, la prise de Jérusalem en 1967 et la colonisation implacable des territoires palestiniens par la droite radicale israélienne sont les signes annonciateurs du retour du Christ et de la fin du monde tels qu’annoncés par les prophéties vétéro et néotestamentaires.

Leur soutien à l’état d’Israël est indéfectible, financier (2), militaire et diplomatique. Il ne s’agit pas de convertir les chrétiens au judaïsme : au contraire, ces fondamentalistes veulent renforcer Israël pour qu’il finisse un jour par reconnaître Jésus comme le Messie, sauvant du même coup les chrétiens qui se prostituent honteusement dans le matérialisme. Ces thèses sous-tendent la 2e partie du livre de M.Y. Bolloré et O. Bonnassies.

Sous couvert de science, ils exposent donc les idées d’un mouvement politique traditionnaliste, fondamentaliste et très marqué à droite. Mais ce n’est pas fini : le chapitre suivant va nous révéler encore d’autres surprises.

                                                           M.B., 11 décembre 2021
                                    À suivre : Pauvre Jésus !
(1) Ferdinand Prat, Jésus-Christ, sa vie, sa doctrine, publié en 1933. Pour la très officielle Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuse, 1934, p. 80, cet auteur « reste et entend rester dans les voies traditionnelles de l’exégèse catholique, [sans s’éloigner du] cadre de la doctrine la plus sûre » – entendez la plus catholique romaine.
(2) Entre 1994 et 2002, l’International Fellowship of Christians and Jews, puissant mouvement sioniste chrétien, a récolté 65 millions de dollars au profit de l’immigration juive en Israël. Une autre association très active, Christians for Israel/USA a financé depuis 1991 l’aliya (émigration) de 65.000 juifs ‘’soviétiques’’ en Israël. Avec Christian United For Israël, ces mouvements fondamentalistes ont des ramifications en Europe et en France.

6 réflexions au sujet de « M.Y. Bolloré & O. Bonnassies, DIEU, LA SCIENCE, LES PREUVES. (III). Quand la politique s’en mêle… »

  1. Gris

    Merci pour cette énumération détaillée qui permet de rationaliser et de prendre les problèmes un par un.
    Voyez-vous ceci permet aux gens qui ont une spécialité de faire leurs remarques appréciables, une critique qui ne porte pas sur la valeur des dires, ce qui fait l’intérêt de leurs remarques, mais qui contribuent à une réflexion salutaire sur des propos qui sont et seront (forcément) orientés. Ceci n’est d’ailleurs pas un problème, le jugement de valeur et l’impartialité font de nous des hommes en « perfectionnement » si l’on se réfère à l’adage « Soyez parfait comme le père est parfait ».
    Je n’ai qu’une culture générale (si on peut la nommer comme telle) et sachant que Jésus parlait l’ araméen, que l’hébreu est une langue quasi alpha-numérique et que le bassin méditérranéen commerçait en grec au sein d’un empire latin, je suppose que les doctes rabbins de l’époque n’étaient pas que des ignorants. Or les juifs étaient assez réputés pour être un peu « casse-bonbon » de ce côté là. voilà pour le côté raisonnement pluri-disciplinaire qui pouvait occasionner quelques turpitudes entre « gentils », « juifs » etc.
    De nos jours, les juifs ou que sais-je des séfarades ou ashkénazes, il est bon de lire « la treizième tribu » de Koestler (où, pour certains de ses écrits, une lecture pourrait éclaircir la teneur du livre de B&B – au petit déjeuner !) pour comprendre qu’entre la religion et la génétique il y a tellement de micmacs qu’on est en droit de relativiser une mission quelconque ou même toute finalité hypothétique du peuple juif.
    J’arrête ici mes remarques (quitte à les poursuivre dans le prochain numéro) en soulignant toutefois le biais « affectif » des B&B qui trahissent une volonté de donner tout Bonnement (entre autre B tel un Berechit du Commencement de la Bible) un sens à leurs vies. Mais ceci est une autre histoire et elle est psychologique.

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  2. Jojo

    Je n’ai pas encore lu ce livre, mais la « preuve historique » est totalement bidon et repose sur une ignorance étonnante. Quand on pense que les remarquables cours de T. Römer au Collège de France sont accessibles à tous sur internet, on est un peu abasourdi. Les deux auteurs en sont restés à ce qu’on appelait autrefois l’histoire sainte, dont il ne reste à peu près plus rien aujourd’hui, puisqu’on sait, par l’histoire, l’archéologie et la philologie, que ce n’était qu’une reconstitution illusoire, dont les figures directrices sont probablement fabriquées, Abraham et Moïse échappant totalement à l’histoire. Et quand l’archéologie montre que le polythéisme judéen persiste très longtemps, on comprend qu’il s’agit d’une fabrication, mais une fabrication à travers et au moyen de laquelle est passé quelque chose d’autre. Les faux et les contresens ont été porteurs d’une signification spirituelle, qui s’est incarnée en eux.
    Cela dit, votre critique, si juste qu’elle soit globalement, n’en comporte pas moins quelques approximations. Les juifs sont-ils le peuple le plus cultivé de son temps? Au cinquième siècle, les écoliers athéniens apprenaient Homère par cœur. À l’époque de Jésus, les juifs cultivés pensaient en grec. Le plus grand théologien de l’époque est Philon d’Alexandrie, qui ne connaissait pas l’hébreu, et le plus grand historien juif est Flavius Josèphe, qui écrit en grec, et qui dit que les Pharisiens avaient adopté la philosophie stoïcienne, qui n’était pas traduite en araméen. Pour un juif de l’époque, palestinien ou non, la culture est grecque.
    Et quand vous dites que les Grecs n’ont pas d’écriture syllabique avant le Vie siècle avant notre ère, il y a un problème. D’abord, les Grecs ont eu une écriture syllabique au milieu du deuxième millénaire avant notre ère, le linéaire B, qui écrivait le grec des Mycéniens, et qui était une écriture syllabique. Les écritures syllabiques ont toutes disparu, sauf le sanskrit, que pratiquent encore les Indiens cultivés (mais vous connaissez le pays bien mieux que moi…). Après l’effondrement du monde mycénien, les Grecs perdent l’écriture, et la redécouvrent grâce aux Phéniciens, avec lesquels ils sont en contact par leurs réseaux commerciaux en Italie. Issue du proto-sinaïtique, l’écriture phénicienne est alphabétique, mais incomplète, et les Grecs constituent un alphabet complet, rendu nécessaire par le caractère flexionnel des langues indo-européennes. Les premières inscriptions grecques datent du milieu du huitième siècle avant notre ère, comme celle de la célèbre coupe de Nestor, découverte à Ischia (colonie grecque de Pithécusses). L’alphabétisation de l’Italie, étrusque et romaine, date de cette époque. La prééminence des juifs en matière d’écriture est une illusion.
    Un contributeur précédent pose une vraie question: d’où vient l’incontestable supériorité juive en matière de science (mais aussi de musique), à l’époque contemporaine? On est parfois tenté de relier cela à l’histoire: les juifs seraient un peuple avec quelque chose de plus, comme le montrerait leur antique pratique de l’écriture. C’est un peu ce que disait Chaunu, si je me rappelle bien, mais ce n’est pas sérieux. D’abord, outre ce que nous venons de voir, le peuple juif est largement artificiel, et il est probable que bien peu de juifs contemporains ont des origines palestiniennes. Ensuite, pourquoi deux millénaires d’attente? La réponse est probablement ailleurs, mais toute simple. Comme disait l’éminent spécialiste qu’était M. Rodinson, les juifs ont toujours privilégié les intellectuels. À quoi il faut ajouter que, dépourvus de pays à défendre, ils ne cultivaient pas la guerre. On peut donc supposer qu’il s’est produit une sélection darwinienne au cours des siècles, avec ce résultat surprenant que, dans une même population où se sont côtoyés juifs et non-juifs, les juifs apparaissent aujourd’hui réussir incomparablement mieux. Ce n’est pas qu’ils étaient meilleurs avant, mais qu’ils ont été conduits, ou réduits, à une sélection qui a fini, au bout de longs siècles, par avoir des effets visibles. En tout cas, penser les juifs comme une entité, un peuple, est une illusion. Quant à l’histoire, les juifs ont toujours été vassaux de grandes puissances voisines, l’Égypte, la Mésopotamie, la Perse, le monde hellénistique, et l’empire romain. Il n’y a eu qu’une brève période de quelques décennies, avec le royaume asmonéen, entre les Séleucides et les Romains, où la judée a connu une indépendance de fait. Et, contrairement à la doxa, mais selon l’évidence historique, les juifs ont toujours mieux réussi dans la diaspora qu’en Palestine, ce qui signifie que leur chance historique a été l’empire romain, qui a assuré leur diffusion.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      -1- Relisez : je n’ai pas écrit que les Juifs étaient « le peuple le plus cultivé de l’Antiquité » mais « le plus ÉDUQUÉ ». Les petits athéniens qui apprenaient Homère par coeur étaient des enfants de citoyens, une minorité. La population vivant en Grèce était, comme partout ailleurs, illettrée. En revanche, le gamin de milieu populaire en Israël devait pouvoir déchiffrer la Torah pour être considéré comme Juif. Cas unique dans l’Antiquité. -2- Avant l’écriture en Hébreu de la Torah, il y a eu une écriture proto-hébraïque (proto-araméenne) comme le proto-grec. -3- La supériorité juive en matière intellectuelle & musicale ne vient-elle pas du fait rappelé ci-dessus, que beaucoup de garçons savaient lire dès l’enfance ? Quant à la « sélection darwinienne en ce cas, hum ! hum !
      merci de votre contribution, M.B.

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      1. Jojo

        Les termes « éduqué » et « éducation » sont devenus inutilisables du fait de leur pollution par l’anglais et de l’ignorance du français. L’éducation renvoie à l’apprentissage d’un savoir-être, d’un savoir se comporter, d’un savoir-parler, bref, d’être un individu social qui sait bien se comporter. Durant ma carrière universitaire, j’ai rencontré beaucoup de collègues, qui, si instruits qu’ils fussent, manquaient manifestement d’éducation. Alors, les juifs étaient-ils éduqués? Quand on lit les évangiles et les Actes, on est frappé de constater la violence des réactions hostiles, qui dégénèrent très vite en tentative de meurtre, réussie (Étienne) ou non (Paul). Les Grecs et les Romains étaient beaucoup plus civilisés, leur éducation leur permettait de s’affronter sans avoir recours à la violence. J’ai entendu un jour à la radio, il y a longtemps, Guy Sorman oser dire que c’était sa femme qui lui avait appris les bonnes manières, parce que les juifs ne les connaissaient pas. J’ai enseigné à l’Alliance française, dans un lointain passé, et j’avais constaté que les Arabes du Moyen Orient étaient beaucoup mieux éduqués que les Israéliens, en particulier les Irakiens et aussi les Syriens (mais non les Libanais, qui portent visiblement un passé très lourd). Chez les Israéliens, il y a un sans-gêne qui relève probablement aussi de l’image des immigrants du kibboutz qui retroussaient leurs manches pour construire un pays. Cela dit, je constate, en parcourant quotidiennement le Times of Israel, que les communautés arabes du pays ont un gros problème de violence. J’ai cependant, globalement, du mal à associer éducation au monde juif.
        Le cas grec est très différent. L’alphabet est une révolution socio-politique qui va être une des conditions de la démocratie. On n’a pas besoin d’aller à l’école pour lire le grec. La transcription graphique des sons se fait au moyen d’une vingtaine de lettres facilement mémorisables, ce qui est à la portée de tout le monde. La grande révolution tient à ce que les lois écrites sont accessibles à tous, raison pour laquelle certaines cités les faisaient graver sur un mur. Cependant, les Grecs en étaient restés à cette simple transcription du phonème en lettre, et, comme l’expression orale est continue, ils écrivaient en continu, c’est-à-dire qu’ils ne séparaient pas les mots et ne ponctuaient pas les phrases (comme nous parlons). Le texte écrit est, de ce fait, difficilement accessible, et on ne lisait pas directement. Bien plus tard, saint Augustin dira sa surprise la première fois qu’il avait vu quelqu’un lire sans parler. On pense généralement que le surnom d’Aristote, « le liseur », venait de cette même pratique exceptionnelle de la lecture. Alors, comment lisait-on? Tout simplement en faisant déchiffrer le texte par un esclave, qui servait ainsi de tourne-disque, en quelque sorte. La facilité de la lecture faisait qu’on pouvait très rapidement former un esclave à cela. N’oublions pas non plus que, dans le Ménon, Socrate donne une leçon de maths sur les irrationnelles à un jeune esclave. Phédon, l’éponyme du testament de Socrate, avait été esclave, et Platon lui-même aussi, brièvement. Il n’y a plus de scribes en Grèce parce que tout le monde peut lire et écrire, sans même être passé par l’école.
        Vous ironisez sur mon darwinisme. En fait j’ai toujours été très opposé à Darwin, qui part d’un principe idiot: si le moteur de l’évolution est la lutte pour la vie, pourquoi la vie a-t-elle évolué alors que ses premières formes ne connaissaient pas la mort, pour aller vers des formes de plus en plus complexes et donc plus mortelles? Toutefois sa véritable idée directrice, qui devait naître dans un pays d’éleveurs de chevaux, était qu’une sélection peut produire des individus porteurs de qualités plus développées. Il y a une sélection naturelle en fonction des biotopes: les pygmées sont les mieux conformés pour la survie dans la forêt équatoriale, les Inuits sont adaptés au grand froid… De même, l’environnement civilisationnel finit par avoir des effets sur les individus. Les riziculteurs sont bien mieux adaptés au travail collectif, après plusieurs millénaires au cours desquels les déviants ont été éliminés mécaniquement. Il me paraît donc clair qu’une civilisation qui privilégiait l’étude et se situait en dehors des codes guerriers, ait fini par produire des individus intellectuellement supérieurs, ce que n’étaient probablement pas leurs lointains ancêtres. Comment imaginer sérieusement qu’un Einstein ou un Horowitz puissent s’expliquer par les jeunes juifs d’un y a deux mille ans, d’autant plus qu’ils n’ont probablement aucun rapport génétique. L’idée de peuple juif est une illusion, ou plutôt une création artificielle. Les séfarades sont des convertis d’Afrique du Nord, et les ashkénazes sont surplombés par les fantômes des Kazars, qui étaient eux aussi des convertis qui n’avaient aucune origine palestinienne. Quand Sand a publié son livre qui a fait scandale, il découvrait ce que tous les antiquisants savaient, à savoir que les juifs n’avaient jamais été expulsés de Palestine, et que l’idée de retour était une falsification, puisqu’il n’y avait ni peuple ni retour. Les seules expulsions de juifs l’ont été de Rome (mais ils sont revenus très vite) et de Jérusalem, jamais de Palestine. Et la diaspora avait commencé bien avant. La première ville juive du monde était Alexandrie. C’était une émigration économique.
        Enfin, le rapport juif à l’écriture est ambigu. Le synagogues étaient pharisiennes, et on y pratiquait l’Écriture à travers les targoums, commentaires araméens, du fait que le peuple ne lisait plus l’hébreu. Or les juifs de la diaspora occidentale n’ont jamais amené leur langue avec eux, même ceux d’Alexandrie étaient de purs hellénophones. Ils lisaient tous la Bible en grec. N’oublions pas non plus que les penseurs juifs du monde arabe, comme Maïmonide, écrivaient en arabe.
        Excusez-moi d’avoir été long, mais ne croyez surtout pas que je cherche à vous convaincre. J’ai horreur de convaincre qui que ce soit, j’ai l’impression que ça me donnerait une responsabilité sur ce qu’on pourrait faire à partir de ce que j’ai pu dire, et qui risquerait d’être détourné ou mal interprété. Je ne cherche qu’une chose: ouvrir une fenêtre vers la vérité.
        Amitiés

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  3. Jean Roche

    Bonjour,
    Assez d’accord (étant entendu que je n’ai pas lu ce livre, et que je ne le lirai pas). Une réserve quand même : alors qu’aujourd’hui les Juifs accumulent les Nobel scientifiques, ceux de l’Antiquité n’ont rien apporté sur ce plan autant que je sache. Et même, les avancées scientifiques de ce temps sont plutôt venues de leurs pires ennemis : Egyptiens, Babyloniens, Grecs…
    Les raisons qui font que tel peuple ou telle culture se trouve à un moment donné « en pointe » seraient passionnantes à étudier, à condition de le faire sans parti-pris idéologique ou religieux. Le monde musulman s’est trouvé ainsi en pointe à une époque, mais c’était plutôt avec la domination mutazilite, laquelle n’a pas réussi à stabiliser l’ensemble (encore un aspect à approfondir). Elle a laissé la place au Sunnisme et à son « Coran incréé » qui a peu à peu tué l’élan scientifique, essayer de comprendre le monde autrement qu’avec le Livre devenait de la mécréance (voir la justification, attribuée au calife Omar mais bien plus tardive, de l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie). A ce jour, le seul Nobel scientifique produit par le monde sunnite, l’Egyptien Ahmed Zewail, travaillait aux USA.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      LA question que pose le livre de M.Y.B, c’est « Qu’est-ce que la science ? » Une suite de raisonnements logiques (syllogismes) ou une CONNAISSANCE des êtres & de l’Etre (suprême) ? Je terminerai cette série par un court article sur « Les degrés du savoir ».
      Merci, M.B.

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