Interrogeant la vague de ‘’déclinisme’’ qui déferle sur la France depuis des années, j’ai publié ici plusieurs articles sur l’affaiblissement de notre monde occidental (1). L’Occident, cet Empire composite qui a dominé le monde pendant si longtemps, est-il en train de mourir ? On cherche dans l’Histoire un autre exemple de ce phénomène dramatique. Or des recherches récentes d’archéologie humaine, végétale et tellurique permettent aujourd’hui de mieux comprendre comment a pu disparaître autrefois un Empire comparable au nôtre, le plus grand de l’Antiquité, Rome.
En l’an 165, l’Empire romain était au sommet de sa puissance. Il s’imposait de l’Angleterre au Maghreb et de l’Espagne à la Grèce. Contrôlant le commerce mondial, immensément riche, il semblait éternel. Pourtant ce géant va disparaître en un peu plus de deux siècles. Cette mort lente s’est déroulée en étapes parfois simultanées, que les chercheurs ont mises récemment en lumière.
1re étape : pandémies et défaites militaires
Depuis un siècle Rome convoitait les voies commerciales contrôlées par le vaste Empire Parthe (Iran actuel). En l’an 116 de notre ère, l’empereur Trajan s’élança vers la Mésopotamie à la tête de ses soldats : jamais une armée romaine ne s’était aventurée aussi loin. Cinquante ans plus tard son successeur; Marc Aurèle, concentra sur les rives de l’Euphrate les forces les plus nombreuses et les plus puissantes du monde.
Mais dans l’hiver 168-169, ces troupes furent décimées par une épidémie qui fit des ravages dans leurs rangs. Sans doute s’agissait-il de la variole, maladie virale inconnue alors. Ȧ partir de là l’épidémie se répandit dans tout l’Empire, jusqu’en Angleterre. Elle contraignit l’empereur à revenir à Rome en catastrophe et l’armée romaine à abandonner une partie de ses conquêtes d’Orient. On considère que cette pandémie marque le début du déclin de l’Empire, qui pour la première fois reculait. Vaincu non pas par les armes, mais par un minuscule virus.
2e étape : l’Empire s’installe dans le confort
Ces maladies nouvelles, les légions romaines qui se déplaçaient jusqu’aux confins de l’Empire les rapportaient chez elles. En même temps elles diffusaient partout le confort à la romaine, c’est-à-dire les Thermes. On en trouvait dans la moindre bourgade, luxe inconnu des peuples conquis qui se plongeaient avec délices dans la succession des bains. L’eau n’étant ni chlorée ni filtrée, on pense que le mode de vie à la romaine et le luxe de son confort aggravèrent la succession des pandémies meurtrières.
Ainsi en 251 une nouvelle épidémie, de fièvre hémorragique cette fois, produisit les mêmes effets que celle de 169 : ruine de l’armée romaine et avancée des Barbares sur toutes les frontières.
3e étape : la religion s’invite dans la guerre
Alors se produisit un phénomène qui atteignit l’Empire au cœur : non contents de dévaster le pays, les envahisseurs se mirent à incendier les temples les plus vénérables de la religion impériale, à les piller et à emporter dans leurs contrées lointaines les objets sacrés du culte. Pour la première fois, une guerre d’invasion prenait une dimension religieuse.
Superstitieuses et attachées à leurs anciens rites, les populations de l’Empire prirent peur devant ces profanations qui s’attaquaient à l’identité même de Rome. Elles perdirent confiance en elles-mêmes.
4e étape : dévaluation et inflation
Jusqu’alors la monnaie romaine était la valeur sûre dans laquelle s’effectuaient toutes les transactions. La perte de confiance en soi et en l’Empire des populations provoqua des dévaluations successives. La chute de la monnaie entraîna l’effondrement du pouvoir d’achat des classes moyennes, qui étaient le pilier de l’Empire.
Immigrations barbares, pandémies successives, appauvrissement : l’Empire vacillait et ne dut sa survie qu’à l’émergence d’une nouvelle religion, le christianisme. Appuyés sur le réseau des monastères, les papes et les évêques maintinrent le malade en survie et sauvegardèrent pendant les siècles suivants un semblant d’administration impériale.
5e étape : changement climatique et vagues migratoires
Au début du IIIe siècle, nouveau coup porté à l’Empire ; le climat changea brusquement et une mini-période glacière s’abattit sur son territoire. Partout les récoltes furent compromises. Le froid et la faim provoquèrent à ses frontières des vagues d’immigrations économiques incontrôlables. Affamés, les Huns (entre autres) abandonnèrent leurs terres appauvries de l’Altaï pour se ruer sur l’Ouest et piller les richesses de l’Occident.
6e étape : des armements nouveaux
Leurs avancées foudroyantes, jusqu’aux portes de Paris, s’expliquent par une arme nouvelle qu’ils étaient seuls à posséder : l’arc composite moderne. Face à cette arme et à la mobilité des Huns, ce qui restait des armées impériales, mal équipées, sous-armées, reculèrent encore et encore. Jusqu’au sac de Rome en 410, qui signa la fin de l’Empire romain d’Occident en 419. Il aura duré un peu moins de cinq siècles.
7e étape : catastrophes climatiques
Restait l’Empire d’Orient. Au début du VIe siècle, depuis Byzance l’empereur Justinien tenta de reconquérir l’unité et l’universalité de l’Empire romain. Après avoir repris l’Afrique du nord il se dirigeait vers l’Italie quand une nouvelle catastrophe climatique s’abattit sur lui : en Islande, en 535, une gigantesque éruption projeta dans l’atmosphère des milliers de tonnes de dioxyde de soufre et de cendres volcanique. Le ciel s’obscurcit et le soleil cessa de briller pendant 18 mois, entraînant les températures les plus froides depuis 2000 ans.
Alors, comme par le passé, des vagues d’immigrations ‘’barbares’’, poussées par la faim, submergèrent l’Empire. Mais une nouvelle religion allait faire son apparition, l’islam. En 1453, neuf cents ans après Justinien, Constantinople tombait aux mains des Ottomans musulmans.
Comme dans un miroir…
On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre la chute de l’Empire romain et le déclin de l’Occident chrétien. Les mêmes causes semblent se reproduire avec les mêmes effets : affaiblissement militaire de l’Occident en Afrique et en Europe, maîtrise d’armements terrifiants par ses ennemis. Conjonction entre des pandémies qui le désorganisent et des catastrophes climatiques qui provoquent des immigrations économiques incontrôlables. Inflation élevée qui s’accompagne de la perte du pouvoir d’achat des classes moyennes. Devant l’urgence d’un sursaut, d’un changement radical de mode de vie, refus de l’Occident d’abandonner ses multiples conforts…
Mais il y a un phénomène nouveau, que n’avaient pas connus l’Empire romain et l’Occident chrétien. Depuis environ un siècle, les anciens et traditionnels christianismes catholique et protestant agonisent lentement; remplacés aux USA par la montée des évangélismes nationalistes et politiques. En face, l’orthodoxie russe est docilement revenue aux ordres d’un pouvoir belliqueux, cruel et avide de conquêtes.
Privé de l’ossature religieuse qui l’avait fondé et protégé pendant 1500 ans, face aux défis successifs qu’il n’a pas su relever l’Occident chrétien est devenu un ventre mou dans lequel s’enfonce facilement une religion qui ne doute pas d’elle-même : l’islam.
Le pire n’est jamais certain. L’Empire romain défunt a donné naissance à l’Occident chrétien. Nous aussi nous ferons face, mais au prix de combien d’invasions, de destructions, de sang versé et de souffrances anonymes ?
M.B., 16 février 2024
(1) Dans la colonne de droite, case ‘’rechercher’’, tapez « fin de la civilisation occidentale ».
De la religion chrétienne nous avons gardé certaines valeurs bloquantes, teintée de morale et de bonne conscience, en tout cas officiellement, qui retiennent l’Europe ( les autres pays de l’occident, surtout les US ne s’embarrassent pas de scrupules) , qui retiennent l’Europe, donc, en tant qu’institution de céder aux vertus de la realpolitik. Pendant ce temps, les autres religions, dans laquelle j’inclus le communisme, asservissent et mènent à la baguette des peuples complètement soumis à leur cause et intérêts. Les US, eux ont la religion du dollar, très efficace. Les musulmans ont cette motivation de conquête que nous n’avons plus, et finalement, ce sont bien les totalitarismes américains, chinois, indiens, musulmans, qui l’emportent face à la vertueuse Europe. Pour ma part, je vois dans cet affaiblissement de l’occident, surtout l’affaiblissement de l’Union européenne, qui n’a d’unie que le nom.
« Privé de l’ossature religieuse qui l’avait fondé et protégé pendant 1500 ans » nous dites vous.
Mais était ce réellement la religion, c’est à dire une spiritualité ?
Ce qui ressort du monde occidental, en tout cas depuis le 18è siècle, c’est surtout l’essor des puissances financières qui se sont effectivement et ouvertement développées derrière la bannière du monde religieux: construction d’églises dans tous les villages (priez et venez travailler dans nos usines), conquêtes des colonies confortées par la conversion des populations au christianisme…
Alors « fin de l’occident chrétien » ?
La spiritualité ce n’est pas la religion.
La spiritualité est une activité qui mène au silence de l’esprit et de la volonté (ce qu’on appelle parfois « mystique »)
La religion est un système de dogmes, de valeurs et d’idéologies dont la nature profonde est de prendre le pouvoir.
Pour vivre l’aventure spirituelle, point n’est besoin de passer par une religion. Cependant certaines religions comme le christianisme ont donné naissance à de puissants courants mystiques, illustrés par des figures humaines & spirituelles remarquables.
Merci
M.B.