BONJOUR VIEILLESSE

                    Bonjour vieillesse, adieu vieillesse

                    Tu es inscrite

                    Dans les rides de mes mains

Hier, je me suis aperçu que je vieillissais de vingt-quatre heures par jour. Rien, à vrai dire, ne m’avait préparé à cette stupéfiante découverte, puisque dans ma tête j’avais toujours entre 15 et 16 ans, l’âge des illusions généreuses, des projets fous, des tristesses infinies. Mais enfin il fallait bien se rendre à l’évidence : mon corps, ce serviteur si fidèle et si prompt à m’obéir, mon corps me lâchait par petits bouts.

Bonjour vieillesse

Oh ! rien de spectaculaire ni de tonitruant. Non, mais une artère par-ci, la prostate par-là, une incertitude dans mes pas (les vieux, ça tombe), les oreilles devenues murailles et les yeux, phares usagés de voiture, n’éclairant plus la route… Bref, frère corps y allait à tâtons mais avec une détermination sourde, cachée. C’était comme un murmure inavoué : « Mon garçon, prépare-toi, nous allons nous séparer ».

Était-il donc hypocrite, cet étonnant amalgame de cellules, d’os et de peau avec lequel j’avais toujours vécu ? Car il me signalait l’approche de la mort, mais sans jamais me la donner. J’étais toujours vivant et chaque jour m’apportait son information de nouvelles limites, d’usures certaines. Pourquoi ce manque de franchise et pas une mort claire et nette, dans le sommeil si possible ? La prolongation d’un sommeil qui serait sans réveil ?

Mais non, mon corps s’y refusait et s’obstinait à se dégrader lentement, hypocritement. La vieillesse s’insinuait en moi sournoisement, de façon malhonnête somme toute. Alors il fallait que je sois honnête à sa place, honnête pour deux : que signifiait cette étrange étape de ma vie, et comment la vivre – puisque j’étais encore vivant ?

Les psaumes envisagent cette question de façon dramatique. « Nous voilà anéantis, épouvantés ! Tous nos jours s’enfuient. Le nombre de nos années ? Soixante-dix, quatre-vingt pour les plus vigoureux » (Ps 89). Et alors, quand on a dépassé quatre-vingt, comment vit-on ? On vit mal, d’après le Ps 70 qui dit à ‘’Dieu’’ : « Tu m’as fait vivre tant de maux et de détresse, ne m’abandonne pas aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs ! ». Autrement dit, vieillir c’est se sentir abandonné. Même si l’on s’adresse à ‘’Dieu’’ pour tenter d’y échapper, le grand âge a des allures de naufrage.

Adieu vieillesse

Dans ce domaine comme dans les autres, Jésus apporte un regard neuf et qui change tout. L’érudit juif Nicodème lui pose la question qui hante les Faust et les Dorian Grey de l’humanité : « Quand un homme est vieux, comment peut-il redevenir jeune ? » Et il ajoute, avec une pointe d’ironie : « Un vieux peut-il entrer une seconde fois dans le ventre de sa mère et… et renaître ? » La réponse fuse, elle parcourt les évangiles : « Si vous ne devenez pas comme des enfants… »

Redevenir jeune, ce n’est donc pas revenir 50 ou 60 ans en arrière. Mais aller chercher l’enfant qui sommeille encore en soi. Laisser la vieillesse le nettoyer de ce qu’on a mis si longtemps à accumuler pour recouvrir et masquer sa nudité : pouvoir, prestige, santé, indépendance, influence, mémoire, beauté même… Le naufrage nous oblige à jeter à la mer, l’une après l’autre, chacune des cargaisons accumulées pendant toute une vie. Alors adieu veillesse, bonjour légèreté, étonnement, sourires, ouverture à l’imprévu de l’enfant qui n’a rien parce qu’il reçoit tout de ses pères & mères.

Simplification

La vieillesse, une dépendance ? Oui. Un effroi, des souffrances… ou une simplification progressive, qui dénude lentement de tout pour retrouver l’essentiel ? N’ayant pas choisi d’être quitté par ce qui faisait un personnage soigneusement construit au fil des ans, accepter de n’être plus que cette personne qui reçoit tout ce qui advient comme un don précieux. Et, pour certains d’entre nous, comme un don de ‘’Dieu’’.

Rappelez-vous ce que ses voix disaient à Jeanne, enchaînée dans un cachot et surveillée jour et nuit par des soudards anglais qui ne songeaient qu’à profiter d’un moment d’inattention : « Jeanne, prend tout en gré ».

 Prendre tout en gré, ne s’étonner de rien, ne se révolter contre rien, voir en tout ce qui advient un don précieux : la vieillesse peut alors être vécue comme la grande simplification qui mène à la simplicité de l’enfant. Non pas un arrachement, un dépouillement, mais une préparation à l’ultime simplification.

« Soyez simples comme des enfants, libres comme des colombes », aurait dit Jésus. Résumant d’une phrase l’enseignement de certains des penseurs de l’Antiquité. Mais plaçant l’enfant re-né sous le regard de ‘’Dieu’’, ce qu’aucun philosophe n’avait su faire.

Sous son regard, et en sa présence.

                      Adieu vieillesse, bonjour vieillesse

                    Tu es inscrite dans les yeux de l’enfant

                    Tu n’es pas tout à fait la misère

                   Car son sourire te dénonce dans la confiance.

                                                                              M.B. (d’après Paul Éluard)
                                                                                   15 septembre 2023

Voyez aussi l’article Grand âge nous voici

5 réflexions au sujet de « BONJOUR VIEILLESSE »

  1. Isabelle MH

    Tu passes les 80 ans, je passe les 60. Tout incroyable que cela puisse paraitre, ‘son sourire te denonce dans la confiance’. Mille bises à prendre tout en gré. xxxoo I.

    Répondre
  2. Abbes

    Merci Mr Benoît…vos messages sont toujours plein d espoirs et de sagesse. Par les temps qui courent c’est un véritable bonheur de vous lire. Un bonheur qui ne se dément pas avec les années. Je compte sur vous pour m accompagner encore TRÈS longtemps.
    Amicalement

    Répondre
  3. Pascal JACQUOT

    Que l’enfant qui sommeille encore dans notre vieillesse nous apprenne « à ne s’étonner de rien, ne se révolter contre rien, voir en tout ce qui advient un don précieux »…
    et nous invite à nous laisser « nettoyer ce qu’on a mis si longtemps à accumuler pour recouvrir et masquer sa nudité » …
    Merci, Michel, de nous le rappeler … pour retrouver l’essentiel !
    Cordialement.
    Pascal

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>