J’interromps la série d’articles en cours Le coronavirus et nous (1) pour rapporter quelques événements récents, survenus dans mon entourage, et qui montrent à quel point les Français sont devenus fous.
On sait que certains maires ont conseillé à leurs administrés de dénoncer « ceux qui ne respectent pas les règles de confinement ». Ainsi, une amie à moi a demandé à un prêtre de venir célébrer une messe dans l’intimité de son appartement du 15e arrondissement de Paris. La messe à huis clos n’était pas terminée que la police, sur dénonciation d’un voisin, a fait irruption dans l’appartement. Le prêtre en a été expulsé, mis à l’amende tout comme mon amie.
Un autre ami, âgé, habitant un petit village de l’Aisne, a besoin pour sa santé d’exercice quotidien. Chaque jour il traverse son jardin et va marcher dans la solitude des allées cavalières d’une forêt toute proche. Récemment il a été survolé avec insistance par un drone qui tournait sans s’arrêter au-dessus de sa tête. Terrorisé, le pauvre vieil homme n’ose même plus sortir dans son jardin.
Dans l’Oise, la gendarmerie de Clermont se plaint d’ailleurs de recevoir des centaines de lettres de dénonciations anonymes pour « non-respect des règles de confinement… »
Rappelons que quand en 1946 on a ouvert les archives des nazis, on a découvert qu’à population égale, de tous les pays occupés par eux, la France était celui où la Gestapo avait reçu le plus grand nombre de dénonciations anonymes : « Monsieur l’Officier, moi je suis un bon français, mais mon voisin… »
Bonne nouvelle ! Grâce au confinement, nous venons de rajeunir d’un coup de 80 ans. Voici revenu l’heureux temps du début des années 40, celui des mouchards, quand Reinhard Heydrich et Heinrich Müller, chefs de la Gestapo française, prenaient un soin attentif et particulier de la loyauté civique des Français.
Mais il y a mieux. Le 23 mars dernier une amie, pharmacienne dans un quartier populaire d’une ville de Picardie, voit arriver dans son officine une dame qu’elle ne connaît pas et qui lui demande si elle a des masques. « Oui répond-elle, j’ai un vieux stock qui date de la dernière épidémie de H1N1 mais je ne peux pas vous en vendre ». La dame insiste, se fait charmante puis suppliante : « ma famille, vous comprenez… ». Émue par sa détresse apparente, mon amie accepte de lui céder un masque. Dix minutes plus tard la cliente revient, accompagnée de deux policiers : « Rassurez-vous madame, c’est la France, c’est la police française ! » (2). La cliente, soudain beaucoup moins aimable, exhibe sa carte tricolore : c’était une policière en civil, embusquée, venue tendre un piège à la pharmacienne qui avait voulu la dépanner.
Les policiers écartent mon amie sans ménagement, perquisitionnent à fond sa pharmacie, éventrent des cartons, et saisissent sa provision de vieux masques. Ils lui intiment l’ordre de les suivre immédiatement au commissariat. Elle refuse de fermer sa pharmacie en pleine épidémie. De mauvaise grâce, ils la convoquent pour le lendemain matin 8 heures.
Elle s’y rend avec son avocat, fait sa déposition et apprend qu’elle sera jugée le jour même en comparution immédiate, dans le bureau d’un juge. L’avocat s’indigne : « Depuis la Révolution française, la justice est rendue publiquement ! » Les policiers cèdent, mon amie sera jugée en audience publique à un tribunal de Grande Instance pour « refus de déférer à une réquisition de l’autorité administrative en cas de menace sanitaire grave ». Elle risque 10.000 € d’amende et six mois de prison
Je rêve… ! Ça ne vous rappelle rien ? La police de Vichy, dirigée par Pierre Laval et René Bousquet, utilisait elle aussi des agents provocateurs pour débusquer les « mauvais citoyens » et les arrêter. Décidément nous rajeunissons, que ça fait plaisir.
À un journal local mon amie a déclaré : « J’ai 44 ans d’exercice au service de la population de ce quartier pauvre, 10 ans de présidence de l’Ordre des Pharmaciens et je n’ai jamais eu un seul souci. Et maintenant, parce que je me suis laissé apitoyer par une policière déguisée en cliente, on me traite comme une voleuse ou un dealer ! Et savez-vous qui est en 1re ligne dans cette épidémie ? C’est nous, les pharmaciens. En ce moment je travaille douze heures par jour sans répit. Deux fois déjà j’ai été agressée physiquement depuis janvier, et à ces occasions-là je n’ai pas vu les policiers ».
Lisez les articles précédents : voilà à quoi aboutit la dynamique de la peur et de l’abus de pouvoir des petits chefs aux gros bras. Mais trop, c’est trop : je lui ai dit que je serai présent son audience.
Drones; suite et… fin ?
https://www.mediapart.fr/journal/france/180520/le-conseil-d-etat-suspend-l-usage-de-drones-par-la-prefecture-de-paris utm_source=20200518&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-20200518&M_BT=711233846416
Je comprends votre émotion, néanmoins, je trouve très Franco-français de vouloir mélanger la délation des juifs et le non respect de lois. En temps d’urgence, la limite peut évidemment devenir plus mince, mais je pense qu’il s’agit ici d’un cas très typique de la « loi » de Godwin (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Godwin).
A nouveau, comme vous en discutiez il y a quelques semaines, il y a un aspect culturel fort qui sous-tend cette discussion: ce que certains appellent « délation » et lient assez rapidement aux juifs durant la seconde guerre, d’autres appellent ça … le civisme. Si le civisme était une vertu plus répandue, peut-être que nous verrions également une réduction des actes … « d’incivilité »
Bref, à chaque pays/région de vivre avec ce qu’il considère être le bon niveau de civisme… et les avantages/inconvénients que cela comporte. C’est un tout à mon avis. On ne peut pas critiquer certains comportement de « laisser-allé » et crier à la délation des juifs quand une dame fait venir une visite chez elle en quarantaine (le fait que cela soit pour la messe ou pas est hors propos) ou qu’un drone survol un monsieur (drone peut-être appartenant à un gosse de 15 ans qui s’amusait…)
Bref, je propose une bonne tasse de thé, et une bonne inspiration: ces périodes de quarantaine sont très anxiogènes.
Entre 1941 et 44, le »civisme » consistait à dénoncer les Juifs. Pendant l’épuration (1945), le »civisme » consistait à dénoncer les collaborateurs. Et c’étaient souvent les mêmes qui dénonçaient. Alors, dénoncer des citoyens qui ne font de mal à personne en ne respectant pas à la lettre des lois absurdes, oui, cela permet le rapprochement.
Car la dénonciation, la méfiance, la jalousie, sont des traits de caractère franco-français.
Depuis au moins la « Loi des Suspects » de 1793.
merci pour la tasse de thé, je la partage volontiers avec vous.
M.B.
Certes, Libre à chacun de considérer ce qu’est une loi absurde ou non. Si vous assistiez à un meurtre, et identifiez le criminel, iriez-vous le dire? Ou serait-ce de la délation? A chacun de mettre le curseur de son civisme là où bon lui semble.
Pour comprendre ce que j’entends par « lois absurdes », je vous suggère de lire les articles précédents de la série « Le coronavirus et nous ». Il est épidémiologiquement absurde de confiner 67 millions de personnes (D. Raoult). Le masque n’étant utile et indispensable que pour les personnes contaminées, il est absurde de le faire porter à 67 millions, etc.
Mais ceux qui ne disent pas ce qu’il faut dire sont mal vus (vieille histoire).
M.B.
Ping : FIN DU CAUCHEMAR ? Le coronavirus et nous (VII) | Une vie à la recherche de la liberté intérieure, morale et politique
En complément de votre article et son épisode du drone… ci-joint article de ce jour paru dans MEDIAPART :
« Avec le confinement, les drones s’immiscent dans l’espace public.
Sans que l’on sache s’ils filment, si les images sont conservées ou croisées avec d’autres fichiers, ces appareils survolent villes, littoraux et parcs depuis le début du confinement.
La situation inquiète grandement les défenseurs des libertés publiques. »
https://www.mediapart.fr/journal/france/250420/avec-le-confinement-les-drones-s-immiscent-dans-l-espace-public?
Bonjour cher Michel,
un article édifiant effectivement…
Pour mettre un peu d’humour grinçant dans ce témoignage, je citerais Desproges qui disait à peu près ceci (je cite de mémoire): » En France, pendant la guerre, on a dénoncé les Juifs par milliers sans vergogne, par contre on n’a jamais divulgué un coin à champignon » …
Quelle époque…
Bonsoir,
il n’y a pas moyen de faire circuler une pétition pour soutenir votre amie?
Bien à vous.
Louis Renard(Belgique)
C’est fait (dans son quartier populaire). Je vais lui proposer de passer au niveau national. Acceptera-t-elle ?
Merci, M.B.
Je vous souhaite bon courage, cher tonton, à vous, aux gens de bonne volonté, à moi-même, aussi!
Il faut continuer à parler. Je constate d’ailleurs que ces masques qu’on veut nous obliger à porter nous donnent l’air d’être bâillonnés. La Parole, encore et toujours.
Je vais partager ça, à ma petite échelle.
Bien cordialement, je vous souris sans masque.
Sur les dénonciations sous l’occupation, même pas anonymes d’ailleurs en général, un ouvrage éloquent : http://bouquinsblog.blog4ever.com/la-delation-sous-l-occupation-andre-halimi
M. André Halimi va pouvoir mettre en chantier le 2° tome : « La délation pendant l’épidémie, 2020 à 2040″
Merci, M.B.
Bonjour,
Cela me désole de lire des choses pareilles! Les gens n’ont ils pas autre chose à faire que de surveiller leurs voisins et surtout de les dénoncer?? C’est bien triste!! J’ai honte pour eux!!
Cet article concernant les mises en garde des abus policiers est au combien appréciable, en ces temps où les libertés sont, ou vont être dangereusement grignotées, sinon mises à mal.
J’aimerais pouvoir le diffuser, mais je suis freiné par le premier exemple que vous avez retenu.
Le déplacement d’un prêtre chez un tiers pour dire la messe peut-il se justifier en ces temps de confinement. Quelle était la nécessité ou l’urgence absolue motivant ce déplacement ?
supprimez ce 1er exemple, que j’ai cité parce que je connaissais personnellement la dame, que j’avais confiance dans l véracité de son témoignage.
Et Diffusez le reste !
M.B.
P.S. : la notion d' »urgence spirituelle » existe-t-elle en droit ?
Merci Michel, c’est diffusé…
Partagé sur Facebook également !
Merci !
M.B.
Je suis abasourdie.
Il s’agit de votre amie et ce genre d’affaires n’est jamais agréable. Et la vous avez explicité … sa version. Mais la justice verra ce que ses comptes diront et croyez moi, la police ne débarque sûrement pas pour un seul masque donné. Les cas recensés judiciairement sont bel et bien des cas où ces commerçants profitaient de la crise pour vendre non pas 5 ou 10 masques mais ….. 2000 à 3000 masques par officine. En plus vous parlez de masques issus de l’apparition de H1N1 ? … en 2009-2010 ? des masques de …. 20 ans ? Quid de la péremption ?
1- Je me suis basé sur l’article du » Parisien en France » que vous pourrez consulter. J’ai juste ajouté l’aspect émotionnel, sans rien changer aux faits.
2- Je connais cette amie depuis 20 ans, et j’ai travaillé pendant plusieurs années chez elle comme pharmacien-assistant. C’est la pharmacienne la plus à cheval sur les règles particulières de son métier que je connaisse. Je l’ai souvent trouvée trop scrupuleuse ! Impensable qu’elle se soit livrée à un trafic de masques (d’ailleurs, elle n’aurait pas su)
3- Elle ne jette jamais rien et avait gardé une boite de masques d’épidémies précédentes. Pour ces objets en toile, en cas d’urgence il n’y a pas de date de péremption (même si les fabricants en mettent une pour faire vendre)