Dans nos conversations, tu revenais sans cesse à cet argument imparable : s’il y a un ‘’Dieu’’ créateur, si sa création est « toute bonne » comme l’affirme la Bible, pourquoi tant de maux et de souffrances sur terre ? ‘’Dieu’’ a-t-il créé Le Mal ? Et si ‘’Dieu’’ est amour, pourquoi tant de haines et de détresses ? Ce ‘’Dieu’’ nous a-t-il donc créés pour la souffrance ?
Les tâtonnements
L’Antiquité occidentale ne se posait guère ce genre de question : ayant constaté que la souffrance est inévitable et partout présente, ceux qui en avaient les moyens cherchaient à ne pas se laisser contrôler par le désir, le plaisir, la peur ou la douleur : c’était la vertu des Stoïques, qui se voulaient capables de résister par la connaissance et la force de caractère aux chocs du malheur.
Solution valable pour les forts et des instruits. Les gens du peuple, incultes et misérables, ne pouvaient que souffrir sans échappatoire avant que la mort vienne, enfin, les délivrer de cette vallée de larmes.
Au même moment, l’Orient faisait une percée considérable. Confronté au spectacle de la souffrance, de la maladie et de la mort, le jeune Siddhârta découvrait que la méditation, menée à son terme, permet de parvenir à l’Éveil et d’accéder après la mort aux mondes supérieurs. Mais elle se heurte aux Maras, ces démons des mondes inférieurs qui tentent, par les mirages de la convoitise, d’obscurcir la claire lumière de la méditation et de la rendre inaccessible.
Pour la première fois cependant, le Mal prenait une identité. Le Bouddha ayant enseigné que rien ne se crée et que rien ne se perd, les Maras n’étaient pour lui que des êtres rétrogradés : Sur l’échelle de l’Éveil ils se trouvaient à un niveau inférieur aux humains et même aux animaux. Ayant alourdi leur karma, ils étaient tombés au plus bas et se voyaient condamnés à empêcher ceux qui veulent s’élever par la méditation.
L’impasse
Les Maras n’étaient pas opposés aux esprits supérieurs, mais aux méditants. Tandis que dans la Bible, Shatân – le diable – s’est rebellé contre ‘’Dieu’’ avant de venir sur terre persécuter les humains. Il est une créature de ‘’Dieu’’, mais une créature déchue. Comment ? Pourquoi ? À part quelques légendes (inspirées de Babylone), la Bible l’ignore – et nous aussi. Elle constate que Satan est là, c’est tout. Artisan du mensonge, de la haine, des trahisons, des souffrances infinies. La Bible, qui lui donne plusieurs noms – le Malin, l’Adversaire, le Prince des Ténèbres – ne répond pas à la seule question qui vaille et qui est la tienne : pourquoi ‘’Dieu’’ a-t-il créé le Mal ? Pourquoi l’a-t-il laissé s’introduire dans sa création, la ronger, faisant ainsi de la souffrance une réalité universelle qui accompagne les vivants (animaux comme humains) depuis leur naissance jusqu’à leur mort ?
Cette question le Livre de Job la pose avec douleur : « Périsse le jour qui m’a vu naître ! Ce jour-là, qu’il soit ténèbres ! Que Dieu, de là-haut, l’ignore. Oh ! Si l’on pouvait peser mes souffrances, les mettre sur une balance toutes ensemble, elles seraient plus lourdes que le sable des mers ! » Les amis qui sont venus visiter Job dans son infortune lui répondent sans pitié : « La souffrance ne pousse pas toute seule sur le sol : c’est toi qui engendres ta souffrance. Heureux es-tu si Dieu te corrige ainsi ! »
Cette réponse, dans sa brutalité, Job ne peut l’accepter : « Que de fois j’ai entendu ce discours creux, et quels tristes consolateurs vous faites ! » Puis il se dresse contre Dieu : « Cesseras-tu enfin de t’occuper de moi ? Laisse-moi respirer ! Qu’est-ce que je t’ai fait, à toi ? Pourquoi me fais-tu souffrir, pourquoi me charges-tu de poids trop lourds pour moi ? »
À la fin, Job se soumet en aveugle, sans comprendre. Le judaïsme pouvait-il en rester là ?
Les psaumes
Non, parce qu’il a donné dans les psaumes ‘’de David’’ une vision plus réaliste sur la nature humaine, un espoir moins pessimiste sur sa destinée que le Livre de Job. « L’Homme ici-bas n’est qu’un souffle. Il va, il vient, ses tracas ne sont que du vent. Alors je me suis tu, je n’ouvre pas la bouche car c’est toi qui es à l’œuvre : tu me redresses, tu me corriges ». Et pourquoi ? Parce que « avant d’avoir souffert, je m’égarais. Oui, j’avais le cœur saignant, les reins transpercés. J’étais stupide, comme une bête. Je ne savais pas, mais pourtant tu étais là. Tu m’as saisi par la main droite et tu me conduis comme tu l’entends, pour me prendre un jour dans ta gloire ».
La souffrance comme pédagogie ? Nous avons du mal à l’admettre, mais c’est la seule réponse à notre disposition. Se laisser travailler comme une glaise qui peu à peu prend forme. Être malléable dans la main de ‘’Dieu’’ : « Seigneur je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse. Mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant blotti contre le sein de sa mère » (1)
Jésus, la souffrance et le démon
Cette voie d’enfance, Jésus en a fait le cœur de son enseignement. Celui ou celle qui ne redevient pas comme un enfant ne peut aller vers ‘’Dieu’’. Ni échapper à la souffrance et à celui qui en est l’auteur : le Shâtan, le diable.
Car Jésus déteste la souffrance, qu’il rencontre à chaque instant sur les chemins de Galilée. Pour lui elle est bien l’œuvre du démon, et c’est pourquoi les évangiles présentent ses nombreuses guérisons comme autant de luttes contre l’Adversaire, qu’il finit par expulser du malade en le guérissant.
Pas plus que la Bible, il ne répond à la question : « Pourquoi Dieu a-t-il créé le démon et la souffrance ? ». Comme tu le sais, depuis Job cette question n’a jamais trouvé de réponse. Le démon est là, et dans les évangiles dès que Jésus apparaît sur scène c’est pour être violemment attaqué par lui. Qui ne va pas le lâcher jusqu’à la défaite finale, la crucifixion.
Défaite à laquelle Jésus échappe en se montrant vivant les jours qui suivent. Car la mort n’existe pas et le démon, qui le sait, fait tout pour nous empêcher de vivre à jamais.
Voilà, chère amie. Tu es la seule à pouvoir répondre à ta question, en allant chercher au fond de toi-même les dépassements qui mènent à la lumière. Et qui sont à ta portée – si toutefois tu acceptes de n’être plus seulement une « grande personne ».
M.B., 29 mai 2022
Ayant œuvré tout l’hiver, je pars pour quelques semaines au désert. Je vous dis donc à bientôt Inch’Allah
(1) Florilège des psaumes 38, 72, 118, 39 et 130.
Ping : SOUFFRANCE … (Élie Wiesel) | Une vie à la recherche de la liberté intérieure, morale et politique
Le Mal…
Dieu, le Mal, le diable, les anges, les saints…
Toutes ces personnifications anthropomorphiques de notre environnement non matériel relèvent d’un nécessaire besoin de personnifiez nos relations et réflexions y compris avec les êtres spirituels.
Mais cette personnification est également la conséquence de la création par les juifs, polythéistes à l’époque, mais captifs à Babylone dans les années 550 ans av JC, d’un « dieu unique ». Cette création divine leur a permis, comme vous le précisez dans vos livres, non seulement de se démarquer du polythéisme des babyloniens, mais aussi de se situer plus haut et plus fort que tous les autres dieux, invention qui a marqué au fer rouge nos civilisations monothéistes, donc exclusives : judaïsme, christianisme et islamisme.
Cette domination d’un seul dieu, fut la base de toutes les guerres de religion : chrétiens éliminant les juifs, chrétiens se déchirants entre vaticanistes et protestants, musulmans ayant l’obligation d’éliminer tous ceux qui ne croyaient pas en Allah…
C’est aussi ce « dieu unique » et donc au-dessus de toutes les autres civilisations, qui a justifié et accompagné la morgue envahissante des capitalistes occidentaux qui ont massacré et esclavagisé les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique.
Et c’est ce concept de « pensée unique » qui a été ensuite repris et imposé à l’époque moderne par les différents dictateurs dont les communistes Staline et maintenant Poutine et Xi Jinping en Chine.
* * *
Alors que si nous réfléchissions à la divinité, bien sûr que l’homme n’est pas que matière, sinon ce serait un robot strictement sans intérêt.
La partie immatérielle de notre existence est « divinité », c’est-à-dire que nous baignons dans les forces spirituelles qui structurent le monde vivant, y compris les arbres et le monde animal.
Les civilisations dites ancestrales l’avaient bien compris, elles qui mettaient des dieux en toutes choses, et donc qui respectaient le monde vivant et la nature… (ce que nous redécouvrons péniblement…)
De surcroit, nous savons depuis la découverte en 2012 du boson de Highs, que la masse de l’univers n’est pas composée de matière mais de relations, de paroles, de logos. « L’assise ultime de l’univers, ce n’est pas la matière, l’atome, les particules, c’est une parole, c’est un logos » Bernard Despagnat.
Mais ces forces non matérielles ne nous imposent pas d’aller obligatoirement vers le bien. (Sinon nous ne serions à nouveau que des robots programmés…)
C’est bien parce que nous avons toujours le choix d’opter pour le bien ou pour le mal (notions débarrassées de toutes connotations religieuses…), que nous pouvons progresser intérieurement en harmonie avec les autres (hommes, animaux, végétaux etc…), ou au contraire avoir une progression égocentrique, mais qui se fait le plus souvent au détriment des autres.
Donc le bien ou le mal sont nos fondements.
Jésus, Siddhârta, Mandela et tous les Eveillés, tous ont été confronté au Mal.
Ils auraient pu comme beaucoup sombrer dans la vengeance (Mandela) ou les richesses du pouvoir (Siddhârta), voire devenir le Messie et reconquérir Jérusalem comme le voulaient ses disciples (Jésus).
Tous ont souffert. Tous ont résisté au diable/mal, et tous en sont ressortis plus forts et ont apporté leur part de bonté et de bienveillance à notre humanité.
Vous ajoutez, Michel, l’importance d’Abba, « petit papa », dans l’approche de dieu par Jésus.
C’est une approche accueillante, apaisante et dynamique.
Mais elle a à affronter la réalité de notre monde, où l’égocentrisme est la règle quasi universelle.
C’est donc un combat permanent, y compris bien sûr pour nous même…
Enfin, si la notion de « multivers », initiée par Stephan Hawking peu de temps avant sa mort, et qui semble se préciser scientifiquement, nous faisait découvrir que d’autres êtres intelligents ont existés ou existent dans d’autres mondes, il faut bien avouer qu’un soi-disant dieu unique nous ayant créé pour faire venir son fils sur notre petite terre, né de surcroit d’une vierge, est un aimable concept inventé par ses disciples, quelques années après la mort de Jésus, simplement pour justifier la puissance du dieu unique occidental sur l’ensemble du monde, ce qui fut la réalité pendant deux milliers d’années….
“Le mal commence avec l’indifférence et la résignation.” Françoise Héritier
Modeste contribution faillible d’un réincarnationniste (certitude scientifiquement démontrée qui change le regard)
Ce qui nous fait mal, voire nous tue, est toujours le fruit de la liberté que ne pouvait que nous laisser à tous notre Ineffable Source et Finalité non seulement de progresser et de stagner, mais encore de régresser
Il/Elle ne pouvait pas nous concevoir robot obéissant et/ou aimant. Si un être qui vous est cher était constitutionnellement programmée pour vous être agréable, auriez-vous la moindre raison de l’aimer ?
Le « mal » que vous faites que vous faites à vous-même ou à d’autres est une triste occasion , saisie ou non plus ou moins très douloureuse, de l’analyser et de progresser. Sauf si on en meurt évidemment
Le « mal » qu’on vous fait est une triste et regrettable occasion plus ou moins très douloureuse de l’analyser et de progresser incarnation après incarnation.
C’est la rançon du « plaisir » de pouvoir progresser en amour
Un grand merçi pour ce nouvel èclairage
Ainsi vont chrétiens et musulmans qui croient à l’existence d’un esprit du mal… Et parfois le prient, pour le chasser !?
Fort heureusement, ma bible n’a pas de Nouveau Testament. Le serpent de la Genèse n’est qu’une manière allégorique de nommer la tentation, rien d’autre. Et de même que Rachi, déjà, nous expliquait qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre le récit de la création, en croyant que Dieu a tout fait en une de nos semaines, il ne faut pas penser que la tentation est un personnage doté d’une existence propre. c’est seulement le désir dont nous savons si bien qu’il a une face noire. Il y a toujours lieu de ramener l’homme à sa responsabilité. Après l’histoire d’Ève et du serpent, il y a la déception de Caïn, c’est la suite de la leçon.
Le mal subi, me direz-vous, n’est pas toujours d’origine humaine, il y a les maladies, les catastrophes naturelles, etc. Le pauvre Job en est l’illustration. Il n’en a pas la clé mais sa foi en Dieu finit par les dépasser. Nous devrions pouvoir lire ce livre sans la » happy end » où il retrouve tout ce qu’il avait perdu. ce qu’il retrouve ou conserve, c’est l’amour de Dieu. Rappelons-nous que c’est le premier commandement.
Désir, déception du désir et, faudrait-il ajouter, volonté de puissance de l’homme. aucun réalisation de l’homme ne peut aboutir sans la volonté divine. Ainsi, Moïse fut puni par Dieu, à la suite de l’affaire des eaux de Mériba, simplement parce qu’il avait dit » pouvons-nous ? « , au lieu de « l’Éternel peut-il ? « . Il n’entra pas en Terre Promise.
Ah, exigence terrible du monothéisme ! Il n’est pas étonnant que les uns et les autres inventent des échappatoires.
Au fond, Thérèse d’Avila avait raison : » Solo Dios basta ».
Vous voyez que je ne donne pas tort à tous les chrétiens. Il en est de supérieurs, comme certains musulmans, d’ailleurs.
Merci de nous donner à réfléchir.