Un intellectuel, c’est quelqu’un qui cherche à comprendre (intellligere) le monde tel qu’il est, et les humains tels qu’ils sont.
Dans cette quête, Platon, Aristote et leurs successeurs (Thomas d’Aquin) ont isolé des transcendantaux, attributs généraux de l’Être qui dépassent toutes ses manifestations ou catégories. Les transcendantaux expriment les propriétés communes à tout ce qui est, ils sont convertibles l’un dans l’autre. On en distingue principalement quatre : l’Être (le fait d’être), l’Un (l’unité de l’Être), le Vrai (la vérité de l’Être) et le Bon (la qualité de l’Être avant ses manifestations accidentelles).
Y a-t-il une seule Vérité ?
Cette réflexion métaphysiques prend toute son actualité autour de l’un des transcendantaux, la Vérité. Pendant de siècles les religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam) ont affirmé que la Vérité était une (puisque l’Être est un) et elles en ont tiré leur conclusion : « Il n’y a qu’une seule vérité, la nôtre, elle est immuable. Cette vérité elle est bonne, nous la possédons et nous l’imposerons au monde pour son bien »
Comment ? En théorie par la persuasion, mais en fait par la force et la violence faite aux consciences et aux corps. Ce fut l’Inquisition, c’est le sionisme et l’islamisme.Puis vint l’époque de monsieur Freud & successeurs : les intellectuels découvrirent que dans le monde des humains la vérité n’était pas une et immuable. Qu’il y avait autant de vérités que de consciences humaines, que la vérité de l’un n’était pas celle de l’autre. Qu’à travers leur perception accidentelle (au sens métaphysique) de la vérité, les humains tendaient vers une Vérité universelle mais impossible à atteindre, en tout cas à déterminer de façon absolue et recevable partout et pour tous.
Face à cette découverte, le catholicisme réagit en condamnant le relativisme, le communisme en excluant les dissidents, l’islam radical en tuant les impies qui n’adoptaient pas sa lecture fondamentaliste du Coran. Unis dans la même conviction qu’il n’y a qu’une seule vérité et que c’est la leur, ces totalitarismes ont mené depuis des siècles et mènent toujours des guerres idéologiques qui asservissent le monde, l’ensanglantent et lui font craindre une apocalypse.
Vérité et liberté
« La vérité vous rendra libres » : cette parole de l’évangile, qui n’a pas été prononcée telle quelle par Jésus, résume bien son action et son enseignement. Elle a été le fil conducteur des combats menés par certains intellectuels, dont André Glucksmann.
Voilà en effet un philosophe qui fut d’abord militant maoïste, c’est-à-dire communiste libertaire. Puis changea radicalement son fusil d’épaule en devenant atlantiste et finit par soutenir Nicolas Sarkosy. Indignation des intellectuels français qui lui reprochèrent d’être passé de la gauche à la droite, d’avoir abandonné une vérité pour une autre.
Sans vouloir admettre que la seule Vérité de Glucksmann a été, au cours de sa vie, la dénonciation de tous les totalitarismes – et d’abord celui de la Pensée Unique.
Insupportables intellectuels
C’est que le vrai intellectuel n’accepte pas l’unité transcendantale de l’Être et sa manifestation la plus contraignante, l’unité de la Vérité. Il se critique lui-même, peut changer de vérité parce qu’il ne change pas de trajectoire. Il reconnaît s’être trompé, s’être laissé abuser par une vérité contingente qu’il abandonne dans sa quête d’une vérité de l’Être à la fois transcendante et inatteignable – mais qu’il ne renonce jamais à atteindre.
Il est donc insupportable à tous ceux qui défendent leur vérité – dont il perçoit qu’elle n’est en fait que la vérité de la Pensée Unique du moment, celle d’une majorité dogmatique au pouvoir.
Qu’un intellectuel, dans sa recherche de compréhension, évolue, change d’avis, revienne sur ce qu’il a cru ou cru croire, c’est là toute sa noblesse. C’est la garantie de son authenticité, de sa probité, et il n’a pas à en avoir honte.
Avec André Glucksmann, nous perdons un des ces intellectuels dont l’horizon dépassait les prises de position politiquement correctes. Oui, il a varié, fluctué comme je l’ai fait moi-même en abandonnant l’Église catholique et ses dogmes pour me recentrer sur la personne et l’enseignement de Jésus.
Il a été attaqué, méprisé par ceux qui possèdent leur vérité. Mais sa recherche de la Vérité a fait de lui un homme libre.
Insupportable, mais libre.
M.B., 11 novembre 2015
En lisant ce texte j’ai d’abord penser à un poisson d’avril,mais en novembre?
A.Glucksmann faisait parti des nouveaux intellectuels.. symbole de l’échec de la gauche prolétarienne, notamment avec BHL ,autre « grand penseur » de notre époque…
Il était Maoïste quant il fallait être communiste et logiquement dans le camp des libéraux à l’air du libéralisme, et puis tant qu’a faire atlantiste à l’heure de la suprématie américaine…puis proche de N.Sarkozy quant celui là était président…c’est quoi la chanson de Jacques Dutronc déjà? « Je retourneee ma vesteeee toujouuurs du bon coté »!
Vous jugez uniquement à charge. A l’occasion de la mort d’A.G., j’ai voulu comprendre ses « retournements de veste » par une analyse philosophique (A.G. était un philosophe) de la notion de vérité. Si la vérité est unique, et si c’est vous qui la possédez, alors tout changement de trajectoire ne peut qu’être trahison opportuniste. Mais si la vérité est multiple, et si l’intellectuel cherche le transcendantal Vérité, alors il est normal que sa recherche de vérité l’amène à en changer.
Non, ce n’était pas un poisson d’Avril. D’ailleurs, je suis végétarien.
M.B.
Ping : POUR UNE SCIENCE DES CONS | Une vie à la recherche de la liberté intérieure, morale et politique
C’est amusant de lire ici une apologie/plaidoirie des Frères Trois Points. Que d’illusions cache-sexes
Quoiqu’il en soit de qui est constitué le jury qui décerne le titre d’intellectuel et a fortiori de philosophe ?
Pour chercheur – plus ou moins performant – de vérités et de la Vérité, pas besoin de jury
Il y a vérité et vérité; il y a même authenticité. l
Le plus souvent, le jury qui décerne le titre d’intellectuel est constitué par les cons – voyez l’article à paraître aujourd’hui dans ce blog sur « la science des cons ».
M.B.
» Sans vouloir admettre que la seule vérité de AG a été au cours de sa vie celle de la dénonciation de tous les totalitarismes et d’abord celui de la pensée unique »
Mr Benoit vous oubliez que cet « intellectuel » n’a jamais dénoncé le sionisme comme un totalitarisme. Bien au contraire il le défendait même par une islamophobie pathologique …
Alors soit vous êtes d’accord avec ses « pensées transcendantales » soit votre éloge funèbre est pour le moins déplacé ( d’un point de vue Palestinien en tout cas ) …
Quand à la vérité elle ne rend pas libre, mais fou (aux yeux d’autrui bien entendu). Demandez à Galilée ou Copernic entre autres. Ils vous le confirmeront comme je vous affirme que tout sioniste est un inquisiteur qui s’ignore et applique l’inversion accusatoire …
Bien à vous
J’ai cru comprendre que Glucksmann avait évolué dans sa défense du sionisme comme pour le reste.
Oui, la vérité rend fou aux yeux des cons. Bienheureuse folie, si peu répandue & acceptée !
M.B.
Franc-maçonnerie, une autre Eglise? Vous faites ici, Cher Michel, un amalgame dangereux qui pousse encore aujourd’hui l’Eglise Catholique à considérer la Franc-maçonnerie comme incompatible avec ses préceptes, allant jusqu’à excommunier ses propres pairs qui ont osé s’y approcher d’un peu trop prêt (je veux faire ici allusion à l’affaire Pascal VESIN, ce prêtre cadra, curé de la paroisse de Megève, qui a été demis de ses fonctions et excommunié par sa hiérarchie pour avoir été initié Franc-Maçon. Je vous invite à lire son ouvrage intitulé « Etre frère, rester père » qui ne manquera pas de faire résonance avec votre magnifique ouvrage « prisonnier de Dieu ». Je ferme ici la parenthèse).
Sans entrer dans le détail de l’argumentation romaine ou épiscopale, il importe de mettre en évidence une erreur de perspective qui vicie tout le raisonnement. Elle consiste à voir dans l’Eglise et la Maçonnerie des institutions symétriques, ce qu’elles ne sont aucunement. Appliquer sur la Maçonnerie la grille de lecture qui convient à l’Eglise entraîne fatalement l’incompréhension, la concurrence et le conflit. Cela se vérifie, entre autres, en matière de foi, d’état d’esprit et de rituel.
Concernant la foi religieuse et la foi Maçonnique :
L’Eglise a foi en Jésus, son sauveur. La Franc-maçonnerie a foi en l’homme et le croit perfectible.
Avant de devenir chrétien, on naît homme. Honorer son humanité, ce n’est retirer l’honneur de personne et certainement pas, si l’on est croyant, à Jésus, « Fils de l’homme ». Dans son essence traditionnelle, la Franc-maçonnerie ne vise nullement à enlever à l’initié les êtres et les valeurs auxquels il adhère librement et légitimement, bien au contraire. Or, la foi chrétienne et catholique de surcroît est fondamentalement adhésion à quelqu’un.
L’Eglise catholique se veut garante de la transmission et de la propagation d’un message reçu, celui de Jésus, qu’elle n’a cessé de répandre alors qu’il la condamnait dans ses infidélités. La Franc-maçonnerie se veut dépositaire d’une méthode de progression initiatique, élaborée par les hommes, pour les hommes.
En outre, au cours des siècles, l’Eglise a constitué un énorme corpus doctrinal. Elle s’efforce de dire et d’intellectualiser sa foi en faisant appel aux concepts et à la logique (théologie). Inversement, les catéchismes maçonniques, si vous me permettez l’expression, Cher Michel, sont minuscules, et les commentaires publiés par tel ou tel frère, fut-il Grand Maître, n’engagent jamais que leur auteur. Enfin, on cherchera en vain la doctrine maçonnique ; force est de constater qu’elle n’existe pas ! Non dépourvu de certains axiomes, d’une certaine foi, la Franc-maçonnerie propose une « praxis », une pratique, dont elle ne saurait dire elle-même ce qu’en pourra tirer le sujet. En ce sens, il n’est pas inexact de parler de relativisme maçonnique, mais sans en faire reproche au système : une expérience est nécessairement relative au sujet.
Concernant l’état d’esprit :
L’état d’esprit des croyants se caractérise, en général, par une attitude de réceptivité à l’égard de l’Envoyé et de son message. Le fidèle accueille dans l’humilité la réponse ultime, la révélation d’en haut. La recherche n’est pas exclue, quoi que… mais l’accueil est premier. Le maçon, quant à lui, interroge et s’interroge. Sans nier, à priori, la réponse d’en haut, il est cherchant, actif, constructeur de sa vérité. Tout lui est présent en forme de question : parole et silence, connaissance de soi, mort et vie, sens, vérité et vertu.
concernant le Rituel :
C’est en matière de rituel que la distance est la plus grande et, à mon avis, doit rester telle.
C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, l’Eglise a confirmé, dans les années 80, sa conviction de l’incompatibilité fondamentale entre les principes de la franc-maçonnerie et ceux de la foi chrétienne. En effet, pour parvenir à une vérification objective des questions pendantes concernant un possible rapprochement, l’Eglise catholique a considéré qu’il était nécessaire d’étudier l’essence de la franc-maçonnerie à travers ses rituels officiels. Erreur fondamentale!
On s’obstine à confronter les sacrements et les cérémonies maçonniques. Or, les sacrements sont, pour ceux qui y croient, les vecteurs efficaces de l’intervention du Christ vivant. Dans le cérémonial maçonnique, c’est l’attention du récipiendaire qui donne un sens à ce qui est vu et entendu.
Le comble de l’aberration est de lire un rituel maçonnique pour en extraire une traduction doctrinale univoque.
Nous respectons les rites dont nous sommes les dépositaires, mais nous ne les sacralisons pas comme ont tendance à le faire, parfois abusivement, les esprits religieux.
Analogues, à certains égards, aux coutumes initiatiques des peuples, nos cérémonies maçonniques sont la concrétion de procédés, de gestes, de paroles et d’objets symboliques, retenus et agencés par des hommes, pour des hommes, dans la perspective de l’initiation. Les références religieuses qu’elles y incluent, par exemple le Temple de Jérusalem, sont purement symboliques, ce qui ne veut pas dire pour autant décoratives. Avec ces références, qui voisinent avec des références cosmiques et artisanales, il n’est bien entendu pas question d’entrer en concurrence avec les religions, au même plan, dans la voie d’une sorte de syncrétisme douteux.
Cher Michel, la franc-maçonnerie n’est pas une religion, ni un substitut de religion. Elle ne propose aucun système de foi qui lui soit propre. Il n’y a, dans la franc-maçonnerie, aucune tentative pour réunir les religions entre elles. Il n’y a donc pas un Dieu maçonnique composite. Elle n’a ni dogme, ni théologie. Elle n’offre pas de sacrement et n’a pas la prétention de conduire au salut par des travaux ou quelques enseignements secrets.
Etre franc-maçon, c’est s’engager dans un voyage spirituel dont on ne sait par avance où il mène, c’est vivre à longueur d’années un pluralisme ardu et éprouvant que la vie profane met le plus souvent entre parenthèses, c’est courir aussi le risque des confusions simplistes et des synthèses prématurées, c’est peut-être priver l’Eglise d’une collaboration qu’elle ne cesse de réclamer en ces temps difficiles.
la franc-maçonnerie nous invite et nous aide à nous perfectionner, à poursuivre la vérité et le bien, à devenir plus transparent à nous-mêmes et donc plus libre. Pareille démarche n’a, semble-t-il, rien de négatif. On pourrait dire qu’elle tend même à valoriser nos engagements personnels, l’engagement religieux en particulier pour les frères qui ont la foi.
Un supplément d’âme n’a rien que de constructif et, comme le suggère si bien Charles Péguy, « tous les prosternements du monde ne valent pas le bel agenouillement droit d’un homme libre. »
Cher Michel, j’ai appris à vous connaitre à travers vos nombreux livre. j’y ai découvert vos qualités humaines indéniables et cette soif de liberté intérieur et de vérité.
Tout ce qui monte converge…
Permettez moi donc de réitérer mes dires : Quel grand Franc-maçon vous auriez pu être !
Jean-Baptiste
Merci. Je sais tout ça, encore une fois j’ai été pressenti à plusieurs reprises par des loges.
Mon parcours a ceci de particulier que j’ai rencontré un homme (Jésus le nazôréen) avec lequel j’ai noué des relations d’amitié/confiance très fortes. Cela me suffit ! Même si les « amis » de Jésus, comme lui-même d’ailleurs, sont condamnés à une grande solitude dans un monde de partis et de partisans.
Amicalement
M.B. – . . . de coeur.
Au soir de ma vie, je détiens une vérité, absolue : nul ne peut dire ce qu’est LA vérité (ne me comparez pas au Crétois menteur). J’ai des croyances, plus réellement fortes, il me semble, que lorsque je doutais moins… Je veux dire qu’elles ont évolué et qu’elles ne s’appuient plus guère sur des idées formatées.
Je ne crois pas – non qu’il existe une vérité absolue, ce serait alors ne pas croire en Dieu – qu’il y ait une vérité à nous accessible ici-bas. Toute vérité est en ce sens, entachée de notre subjectivité. En ce sens, le sujet de l’ouvrage de Michel Foucault, « Vérité et subjectivité » me semble très pertinent. Même si je suis beaucoup plus réservé sur sa manière de traiter le sujet, volontiers jargonesque et logomachique.
Il est vrai qu’un « intellectuel » qui ne changerait jamais d’opinion serait sujet à caution.
Et deviendrait supportable dans une société formatée ! L’exemple de Jésus, sa confrontation avec la Pensée Unique de son temps, et très éclairant. Un homme libre, qui en est mort.
M.B.
Oui, sans doute, Jésus n’avait pas besoin d’être vu par certains comme Dieu pour être un être exceptionnel.
Bien vu ! M.B.
Veritas vos liberabit cher Michel
Quel grand Franc Maçon vous auriez pu être !
Ils m’ont plusieurs fois approché. J’ai répondu que je sortais déjà d’une Église… Too late.
M.B.
MERCI !
Welcome !
M.B.