La vérité historique du Treizième apôtre

          Le secret du treizième apôtre a été traduit en 18 langues. Albin Michel m’a demandé d’écrire, à l’intention de son public, un court essai qui rassemble les informations historiques et exégétiques que nous possédons sur la personne de ce mystérieux treizième apôtre.

           C’est chose faite : Jésus et ses héritiers, mensonges et vérités, est paru en 2008 chez Albin Michel (150 pages).

           Si vous désirez en savoir plus sur cet homme, dont la réalité historique ne fait aucun doute, lisez cet essai. Et notez que dans le titre, « Vérités » est au pluriel : un historien ne possède pas LA vérité, il tente de s’orienter (et de vous orienter) dans les méandres de sa recherche.

           Bonne lecture !

                                            M.B.

UNE CRITIQUE ANGLAISE DU ROMAN « Le Secret du 13° apôtre »

 

           LE « TREIZIÉME APOTRE » VU PAR UN ANGLAIS

      La traduction anglaise du Secret du 13° apôtre (The 13th Apostel, Alma Books, London) a été pour moi l’occasion d’un long entretien avec un  journaliste du The Independant de Londres (1). Son article vient de paraître. En voici la traduction, établie par mes soins. Fidèlement trancrits ici, les propos du journaliste anglais sont de sa seule responsabilité.

           Y A-T-IL UN ECO DANS TOUT CELA ?

     L’Église catholique a été un repaire de corruption et de mensonges depuis l’époque de saint Pierre, selon un roman qui vient de paraître. Surtout ne parlez pas de Dan Brown à son auteur.

                                         Une Interview de Peter Stanford

     L’ombre portée par le succès phénoménal du Da Vinci Code de Dan Brown plane sur Le Treizième Apôtre, récit des intrigues vaticanesques concocté par Michel Benoît, et qui a atteint la Grande Bretagne après une carrière de bestseller en France et en Espagne. Pourtant l’auteur n’accepte pas qu’on dise qu’il aurait mis ses pas dans ceux de Dan Brown – pas un seul instant : « Quand j’ai lu le Da Vinci Code, je me suis dit : « ce n’est pas possible, sur un sujet pareil, de dire tant de merdes » Il ne sait pas de quoi il parle : moi, oui ».

     Ceci dit avec l’arrogance habituelle aux français, mais dans ce cas c’est indéniablement vrai. Ancien moine bénédictin, Benoît a préparé un doctorat en théologie à Rome avant de retourner enseigner le Nouveau Testament dans son abbaye. Et pourtant son intrigue – une société secrète au coeur de l’Église, prête à tuer pour protéger un ancien secret qui, s’il était dévoilé, mettrait le christianisme en péril -, semblera familière aux lecteurs du trhiller de Brown. Je n’en dirai pas plus, pour ne pas  dévoiler le suspense : je dirai seulement que dans ce roman, Jésus apparaît être moins que ce qu’on en a fait.

     Également proche de Dan Brown est l’histoire à sensations des manipulations et falsifications historiques située par Benoît au coeur de l’Église. Il dépeint une corruption rampante à l’intérieur du catholicisme institutionnel qui commence avec un saint Pierre meurtrier pour aboutir au dernier « méchant », un certain cardinal Catzinger au début du 21° siècle. Je demande à l’auteur : « Le pape actuel n’a-t-il pas des motifs suffisants pour vous traîner en justice ? » – « A quoi pensez-vous, comme vous avez mauvais esprit ! », sourit Benoît. « Vous autres anglais, vous avez toujours l’esprit vicieux ! ».

     La soixantaine, grand et athlétique, Benoît est un charmeur. Bavardant dans l’arrière-boutique d’une librairie de Londres, il prend manifestement plaisir à défendre la dimension historique d’un roman que ses éditeurs décrivent comme « dangereux à lire pour les catholiques ». Après avoir rejeté Dan Brown, il m’indique quelle serait la bonne référence de sa première oeuvre de fiction populaire : Le Nom de la Rose d’Umberto Eco. « Voilà ma référence, dit-il, j’adore ce livre. Eco est un des meilleurs connaisseurs de l’histoire italienne du 14° siècle »

     Il est clair qu’il y a une recherche sérieuse et approfondie en arrière-plan du roman. Il juxtapose la lutte pour le pouvoir, et les convulsions qui agitèrent l’Église primitive, avec un complot qui traverse les siècles jusqu’à aujourd’hui pour cacher un document qui dénoncerait ces luttes sordides – au risque de ternir l’image de saint Pierre et de ses successeurs. Mais le livre de Benoît est aussi le reflet de son expérience personnelle.

     Il est entré très jeune dans l’Ordre bénédictin, avec en poche un doctorat en pharmacie et après avoir refusé les offres de Jacques Monod (prix nobel de biochimie) pour suivre ce qu’il pensait être sa vocation. Dès le début, il fut un client peu commode : à cette époque, les moines de choeur étaient automatiquement ordonnés prêtres. Il refusa tout net, s’appuyant sur un texte récent du Concile Vatican II, et fut parmi les premiers bénédictins à n’être que simple moine.

     Ne sachant que faire de lui, ses supérieurs l’envoyèrent à Rome, où il étudia pendant 4 ans 1/2. Cette expérience nourrit sa description de la corruption dans la Maison adonnée au business de Dieu. « J’en ai entendu bien plus que je n’en raconte dans mon livre : je suis en-dessous de la réalité. Mais je n’avais pas l’intention d’écrire un roman de caniveau »

     Ses études le rapprochèrent des Évangiles et de Jésus. « J’ai découvert que Jésus était juif ! C’était la première fois que je m’en rendais compte, on ne me l’avais jamais dit. Le Jésus qu’on m’a enseigné était né à Rome, il avait une culture grecque. Voilà quelle était la version politiquement correcte »

     [Le journaliste, lui-même catholique pratiquant, me fait alors remarquer que le Concile Vatican II a publié des textes qui réhabilitent la judaïté de Jésus, et que le problème a toujours été l’incarnation de Dieu dans un homme. Puis il raconte comment j’ai « été quitté » par l’Église pour déviationnisme idéologique].

     Depuis 25 ans, son chantier de travail principal est la redécouverte du Jésus historique. C’est après avoir publié un essai, Dieu malgré lui, nouvelle enquête sur Jésus, que l’idée du Treizième apôtre mûrit dans son esprit : « Cet essai s’est vendu à 5000 exemplaires – il paraît que ce n’est pas si mal pour ce genre de livre ! Mais j’était très déçu. Alors je me suis dit : faisons un thriller. Un « roman de merde », avec tous les ingrédients habituels – crimes, sexe, trafics, la totale quoi ! Et j’ai trouvé ça très amusant. Mais j’ai voulu que la fiction soit solidement documentée au plan historique, un roman qui ait aussi du fond. Je ne peux pas dire que sa dimension historique représente la vérité, puisqu’il n’y a pas de vérité en histoire, il n’y a que des hypothèses qui s’approchent de la vérité. J’ai voulu être très rigoureux avec les textes qui racontent les débuts de l’Église ».

     Pour donner une idée de la méthode de Benoît : selon lui, Judas est pris dans  une machination visant à livrer Jésus aux autorités du Temple. Pour qu’il ne risque pas de parler, Pierre, le chef des apôtres, l’éventre d’un coup de poignard. Il semble que Judas était un obstacle à l’ambition de Pierre sur la route du pouvoir.

     Je demande « Où avez-vous trouvé la preuve de ce que vous avancez ? » – « Si vous lisez les Évangiles, vous trouvez deux récits de la mort de Judas. J’ai retiré les lunettes de la foi, et j’ai étudié ces textes comme n’importe quels autres. Le premier récit est celui de Matthieu : Judas se serait suicidé par pendaison. Le second se trouve dans les Actes des Apôtres, qui décrivent l’éventration de Judas. Et qui en fait le récit circonstancié ? L’apôtre Pierre. Partant de là, j’ai fait tout un travail de critique de la « version officielle », avec sérieux »

     Je suggère à Benoît qu’aucun tribunal ne condamnerait Pierre sur ce genre de fait. « Je m’y tiens comme à une hypothsèe historique, confirmée par l’étude de l’ensemble des textes. Vous me parlez de faits : Le seul fait certain est que Jésus est mort. Pour le reste, il faut s’appuyer sur trois choses : les textes, le contexte, et le bon sens ».

        (Paru dans The Independant on Sunday du 12 août 2007)

(1)The Independant est un peu l’équivalent anglais de Libération : un journal de gauche (anglaise !), dont les journalistes sont réputés pour leur franc-parler.

Vient de paraître « JÉSUS ET SES HÉRITIERS, mensonges et vérités ».

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                      (150 pages)
                       
     Paru en mars 2006, Le secret du treizième apôtre a été inscrit sur la liste des best seller pendant plusieurs semaines, puis traduit en 18 langues étrangères. Il vient d’être édité dans le Livre de Poche.

     Très vite, d’Espagne, d’Italie, d’Angleterre, on m’a demandé : « Y a-t-il une vérité historique derrière ce roman ? Où s’arrête l’Histoire, où commence la fiction ? »

     Pour répondre à cette question, j’ai d’abord écrit une notice de 30 pages. Qui m’a vite semblé insuffisante : je l’ai amplifiée, et voici le résultat.

     Dieu malgré lui avait été écrit entre 1995 et 2000 : depuis, la recherche a beaucoup progressé. Si je devais refaire aujourd’hui cet essai, le fond en serait le même. Mais j’apporterais quantité de précisions, en le situant mieux dans le contexte de la « quête du Jésus historique ».
     C’est ce qui est fait dans Jésus et ses héritiers.

     Encore un livre sur Jésus ? Non. A l’éclairage direct, j’ai préféré l’indirect. 
     Que savons-nous d’historiquement fiable sur l’entourage du prophète Galiléen, sa famille, ses apôtres, le mystérieux treizième apôtre ? 
     Qui était Judas ? Est-il mort suicidé, ou bien… assassiné, et alors par qui ? Pierre fut-il l’Honnête Homme qu’on cherche à nous présenter dans le Nouveau Testament ? 
     Marie Madeleine enfin :  a-t-elle été l’amante de Jésus ? Si non, d’où vient la légende ?
     Sur tous ces personnages devenus légendaires, que disent les textes ? Écrite par les vainqueurs d’un combat pour la mémoire qui dura cinq siècles, l’Histoire qu’enseignent nos catéchismes, que répandent les romanciers, est-elle véridique ?

     Les lecteurs du Secret du treizième apôtre trouveront ici, en quelques pages, réponses à toutes leurs questions sur l’arrière-plan historique du roman. Du moins, ce qui concerne les événements du 1° siècle et du début du 2° siècle.

     En Histoire, il n’y a pas de vérités définitives : il n’y a que des hypothèses, de plus en plus affinées.
     Jésus et ses héritiers est une contribution sur ce qu’on peut dire, aujourd’hui, du mythe fondateur de notre civilisation.

                                M.B., 4 février 2008

Un article sur « Jésus et ses héritiers ».

          Le Parisien Dimanche, quotidien national français, publie en date du 24 février 2008 un article sur « Jésus et ses héritiers ».
     Je ne connais pas le journaliste qui a écrit cet article. Je ne suis pas actionnaire de ce journal.

       Comme sa photocopie (ci-dessous) est difficilement lisible, je vous en donne une retranscription exacte.

          MICHEL BENOIT DÉVOILE UN AUTRE JÉSUS

     L’homme peut se targuer d’un parcours atypique. Ancien moine, Michel Benoît a consacré sa vie à la recherche de sa spiritualité et de sa liberté.

     Cet écrivain – dont les romans et les essais sont publiés chez Albin Michel – présente aujourd’hui son dernier ouvrage, « Jésus et ses héritiers », qui est en librairie. Oubliées les thèses à l’emporte-pièce des « Da Vinci Code » et autres ersatz.

       Un véritable érudit

     L’auteur est un véritable érudit, jonglant avec les méthodologies et les références les plus rigoureuses. Le livre est un essai dans lequel l’auteur tente de faire, à travers les écrits sacrés ou scientifiques, un portrait plus moderne de Jésus. Il installe, dès les premières pages, une double identité, Jésus à la fois homme et figure sacrée. En véritable profileur, Michel Benoît suit les pas de son sujet, quitte à froisser certaines convictions.

     En une phrase, voilà qu’il replace les bases d’une religion qui naissait il y a deux mille ans : « Il (Jésus) n’a jamais voulu fonder le christianisme, mais réformer profondément le judaïsme ».

     Enrichi de références bibliographiques à foison, l’essai se lit comme un polar, une forme d’enquête passionnante.
          A.H.
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« LE SECRET DU TREIZIÉME APOTRE » en Livre de Poche.



          Le secret du treizième apôtre vient de paraître en livre de poche.

          On le trouve dans les Relay des gares et certaines grandes surfaces, au prix de 6,50 euros.

          Pour le prix d’un paquet de cigarettes, vous avez un roman qui vous donnera les clés de la crise de l’Occident, vous amusera et vous fera rêver (l’auteur est diplômé en modestie).

          A la demande de l’éditeur, il est augmenté d’une Postface qui résume, en 15 pages, la documentation historique sur le treizième apôtre déjà publiée en 2001 dans Dieu malgré lui, puis reprise en 2008 dans Jésus et ses héritiers (avec une argumentation plus serrée).

          Il a été sélectionné pour le Prix des Lecteurs, qui sera décerné en septembre 2008.

          Excellente lecture sur les plages, dans les campagnes ou les sommets de votre été.

« PRISONNIER DE DIEU » : réédition avec POSTFACE.



          En librairie le 3 novembre 2008
          Qu’est-ce qui pousse un jeune étudiant brillant, promis à une carrière de chercheur auprès de Jacques Monod, à tout quitter pour entrer dans un monastère catholique ?

          Comment y mène-t-il, pendant 22 ans, une quête éperdue de Dieu ?

          Pourquoi, et comment, est-il finalement « congédié » par son Église ?

          De qui était-il prisonnier ? « de Dieu », ou bien de lui-même et d’une idéologie totalitaire ?

          Avec lui nous découvrons (sans langue de bois) le monde mystérieux des abbayes, la façon dont les moines vivent la solitude, le silence et la sexualité.

          Les événements racontés ici se situent entre les années 60 et 80. Mais rétrospectivement, Prisonnier de Dieu se lit aujourd’hui comme un document historique – et à charge – sur la démarche sectaire universelle. « Ce qui s’est passé là (écrit l’auteur) aurait pu se produire, de la même façon, dans n’importe quelle secte, évangélique ou musulmane »

          Publié pour la première fois en 1992, Prisonnier de Dieu se terminait par une interrogation désabusée sur « Dieu ». Depuis, l’auteur a cheminé, ses ouvrages ultérieurs et ce blog en témoignent. Il pose maintenant les questions de fond : « Où en sommes-nous ? Qu’est devenue notre identité occidentale ? Pourquoi notre civilisation est-elle en crise si profonde ? »

          Une Postface, ajoutée au document originel, se fait l’écho de ces interrogations.

          La réponse (s’il y en a une) ne peut venir que par petites touches, lentement. Timides suggestions, et non affirmation brutale. Si j’en ai la force, je continuerai à m’y employer, en revenant inlassablement sur la personne et le message de Jésus, le prophète méconnu de l’Occident.
         
          Il n’est pas nécessaire de réussir pour espérer.
                                   M.B., 26 oct. 2008

Voir l’article dans « Le Parisien »

LA FIN DES ILLUSIONS : Postface à « Prisonnier de Dieu »

          Les éditions Albin Michel viennent de rééditer Prisonnier de Dieu. J’ai écrit à cette occasion une Postface (2008), dont voici un extrait.
                        
          « Au moment de mettre sous presse, nous n’avions toujours pas de titre. J’en avais proposé trente à l’éditeur, qui les avait rejetés l’un après l’autre. « Michel, ma-t-il dit alors que l’imprimeur s’impatientait, nous l’appellerons Prisonnier de Dieu : c’est un bon titre ».
          « Dieu n’a jamais fait de prisonnier : je m’insurgeais. C’est de moi que j’avais été prisonnier, de moi seul, de mes illusions et de celles d’une époque. Mais l’éditeur avait raison : ce fut un bon titre. Un mensonge efficace.
                             
          « Je suis devenu frère Irénée le 9 octobre 1962, trois jours avant que s’ouvre le concile de Vatican II. Alors, dans nos colonies à peine devenues indépendantes, les missions étaient toujours prospères. Alors les sectes étaient pratiquement inconnues en Amérique latine, en Afrique, aux Philippines, en Corée. Alors, et pour la première fois, le président des États-Unis était un catholique, John Kennedy.
         « D’Acapulco à Séoul, intouchée par les siècles, l’Église se voulait seule détentrice de Dieu et des aspirations humaines. Sa conception du monde, de la morale publique, des relations entre les hommes et les femmes, était largement partagée. Elle inspirait depuis l’antiquité nos lois civiles, nos coutumes, nos interdits, nos joies et nos peines.

          « Au moment où je me présente à la porte de l’abbaye, l’Église forme encore la charpente d’un vaste édifice, solide et triomphant : la civilisation occidentale. Vingt ans plus tard, lorsque je me retrouve à la rue, l’édifice et sa charpente chancellent, sans qu’on puisse savoir qui a entraîné l’autre dans cet imprévisible déclin.

          « Les événements rapportés ici se déroulent entre les années 1960 et 1980, dans un univers clos. Ils sont datés par l’époque et par le lieu, et pourtant, Prisonnier de Dieu dépasse largement l’horizon étriqué d’un monastère catholique.
          « Ce qui n’était que le récit d’une trajectoire individuelle apparaît maintenant comme une sorte de document historique, parce qu’il témoigne d’une période charnière : la fin du consensus tacite entre une religion, et la civilisation dont elle avait nourri, pendant des siècles, l’imaginaire.
          « Machinerie complexe, qui a explosé sous mes yeux.
                                      
         « Les racines de notre civilisation, qu’on le veuille ou non, sont chrétiennes : il semblerait que le grand arbre, qu’elles ont si longtemps alimenté de leur sève, ne tienne plus aujourd’hui que par son écorce.
                         
          « Les monastères ont toujours été le fer de lance de cette civilisation : l’Église y reconnaissait son idéal de perfection, mis en œuvre par la Règle de Saint Benoît (cliquez). 
          J’ai découvert que cette Règle était profondément stoïcienne : « Là où commence le plaisir, là commence la mort ». Cette obsession macabre n’est pas évangélique. Par ses paroles comme par ses actes, le rabbi Galiléen montre une absolue détestation de la mort.        
          « Cet homme n’a semé autour de lui que guérison et vie.
                           
         « Je sais maintenant que la chasteté du corps et de l’esprit ne peut être vécue qu’à travers l’exercice de la méditation, si bien décrit par le Bouddha. C’est pourquoi les monastères se vident : on va chercher ailleurs les voies de la sagesse et de la purification mentale. La méditation silencieuse, seule forme de prière pratiquée par le juif Jésus, c’est auprès des sages d’Orient qu’il faut en découvrir la théorie et la mise en œuvre. Pour continuer toujours de l’ignorer, l’Église occidentale voit se détourner d’elle les meilleurs de nos chercheurs d’absolu.
                           
          « On m’a reproché d’avoir appliqué à l’Église établie le terme de secte. Pourtant, c’est bien du mécanisme de l’enfermement sectaire qu’il s’agit. Libre de rentrer, j’étais libre de sortir à tout moment – et cependant, je ne l’ai pas fait.
          « Le sectaire s’enferme de lui-même dans la secte, et ne peut plus se déjuger sans reconnaître l’erreur que fut son choix, sa responsabilité dans les souffrances subies et causées par lui. Nul ne franchit ce pas décisif, si quelque force extérieure ne l’y oblige. 

          « Ce qui s’est passé au bord du Fleuve aurait pu se produire de la même façon dans une secte évangélique, musulmane, ou certains partis politiques.
                             
          « Il n’y a qu’une seule vérité, c’est la nôtre et tu dois la partager, sinon… » : voilà la secte. En bien des époques et en bien des lieux, « sinon… » a pu signifier les pires châtiments corporels, heureusement interrompus par la mort. Mais toujours et partout, « sinon… » signifie le châtiment dans l’au-delà, qui ne cessera jamais.
          « Au regard de l’Histoire, l’Église est une secte qui a réussi.
          « Il m’a fallu dix ans, ayant retrouvé ma liberté de mouvements, pour reconquérir ma liberté intérieure. Puis j’ai compris que le passé ne méritait pas d’être combattu : sur ces pierres éboulées, il fallait tracer un chemin. Dieu n’appartient à personne en particulier.
                            
          « Tant d’années pour comprendre que les Églises – toutes les Églises – sont des organismes de pouvoir, que leur ambition non-avouée est de le conquérir, puis de le conserver à tous prix. « Dieu premier servi » est le slogan affiché. Idéal que les fidèles cherchent, et parfois trouvent, dans l’institution. La générosité de leur quête leur permet de contourner ce malentendu. J’y vois maintenant une imposture, enfouie dans les replis de l’inconscient.
                  
          « L’Église m’avait enseigné le Christ : il m’a fallu la quitter pour découvrir le prophète de Nazareth. Extraordinairement féconde, cette découverte a donné un sens à l’échec du frère Irénée, elle éloigne définitivement les miasmes de la mort. Sous forme de romans ou d’essais, je ne cesse depuis d’approfondir et de partager les échos qu’elle suscite.
          « Dans le désert humain, moral et spirituel qu’est devenue notre civilisation, la redécouverte de l’homme Jésus est pour moi une vraie lueur d’espoir. Cet homme solitaire, et pourtant relié à tout, a voulu humaniser la planète en lui indiquant un chemin. Au cours des siècles, quelques grandes figures ont su l’emprunter, et quantité de merveilleux anonymes.
          « Pour nos sociétés, tout reste à faire.
                 
          « Une fois dépouillé de la mythologie chrétienne, le rabbi itinérant de Galilée apparaît totalement subversif. Il a rejeté l’Église de son temps, ses rites et son clergé. Il s’incline devant la domination de César, pour mieux s’en affranchir intérieurement. Il transgresse tous les tabous, franchit toutes les frontières de la coutume établie.
          « Pareille attitude ne peut prendre forme durablement dans aucune structure sociale, qu’elle soit civile ou religieuse. Jésus n’a pas fondé d’Église, et la chrétienté s’est construite en le trahissant.
          « Le jour où j’ai commencé à m’intéresser au juif Jésus, je me suis engagé sans le savoir dans un couloir qui ne pouvait mener qu’à la porte de sortie.
                             
          « La révolution Gutenberg a facilité l’expansion des différentes Églises chrétiennes nées en Occident. Objet fédérateur, le livre réunissait les communautés autour de ses commentateurs. Jusqu’au XIX° siècle, seuls les clercs pouvaient lire abondamment : le savoir venait d’en-haut. Sa diffusion correspondait à la structure pyramidale des hiérarchies, en même temps qu’elle la renforçait.
          « La télévision, puis la révolution Internet, bouleversent ce fonctionnement séculaire : la communication est désormais horizontale, sans médiation cléricale, sans intermédiaire, ni limitation ou censure.
          « Cela prendra-t-il la place des Églises ? Des communautés virtuelles s’esquissent déjà. On s’informe, on échange, on partage sur un clavier. Mais seule, la rencontre d’une personne peut bouleverser des vies, provoquer la métanoia – ce renouvellement intérieur profond, ce départ pour l’aventure, ce regain après la moisson des désespoirs.
          « Si Jésus s’était contenté de Google, aurait-il laissé comme il l’a fait sa marque sur la planète? La rencontre vivante et chaleureuse de cet homme ne passera jamais par la seule informatique.
                             
          « Les Églises ne disparaîtront pas : chrétiennes, musulmanes, juive ou hindouiste, l’histoire de l’humanité montre qu’elles ont toujours accompagné l’essor des civilisations. Lorsqu’une civilisation décline, meurt ou se transforme, il ne reste plus de son Église originelle que l’appareil extérieur.
                             
          « Le mot tradition vient du latin tradere, qui signifie à la fois « transmettre » et « trahir ». Peut-on transmettre sans trahir ?
          « Si j’ai pu connaître les Évangiles, si j’ai rencontré la figure du prophète Galiléen, c’est bien par l’entremise de l’Église catholique, et grâce à elle. Elle a été la structure, sociale autant que religieuse, qui m’a transmis une mémoire. C’est elle qui m’a fourni les outils avec lesquels j’ai pu, bien après, retrouver le visage de celui dont elle se réclame. 

          « Tu parviendras » : pour parvenir là où elle prétendait me mener, j’ai dû m’éloigner d’elle. Peut-être en va-t-il de même pour toutes les sectes ou Églises.
                             
          « Quand ma génération – celle qui a dû s’accommoder des transformations les plus rapides que la planète ait jamais connue, mais qui disposait encore de repères, de références, de trajectoires passées et d’horizons imaginables, bref, de tradition – quand cette génération aura disparu, qui transmettra (cliquez) ?

          « Dans un monde qui n’a plus d’autres valeurs que quantifiables, où les aspirations les plus secrètes vers la transcendance sont jetées sur le marché comme les autres, qui transmettra – et à qui ? »

                    © Michel Benoît, 21 mars 2008

Michel Benoit, Daniel Marguerat et Jésus : un article en Suisse.

          Lu dans Le Matin Dimanche, Genève, 21 Déc. 2008 :

                    Le Vatican dit-il la vérité ?

           Mode : Les églises se vident, sauf à Noël et à Pâques, et pourtant les libraires n’ont jamais autant vendu de livres sur le Christ. Pour la première fois depuis vingt siècles, cette figure a complètement échappé au contrôle des religieux et vit une nouvelle existence romanesque. Faut-il s’en réjouir ? Et quelles seront les conséquences de ce phénomène pour la chrétienté ?

                                     (par Jocelyn ROCHAT)

Après 17 siècles de contrôle féroce, le Christ a fini par échapper à la surveillance jalouse des Églises. Progressivement récupéré par les historiens dès 1778, Jésus est désormais tombé dans le domaine public. Le voici même, selon la formule de l’historien Michel Benoît, « devenu un people », comme Nicolas Sarkosy ou Paris Hilton.
          Grâce, ou à cause de Dan Brown et de son « Da Vinci Code« , on s’interroge sur la vie sexuelle de Jésus (a-t-il épousé Marie-Madeleine, lui a-t-il fait un enfant ?). Grâce, ou à cause de Mel Gibson, nous avons vu sur écran géant les détails les plus sanglants de sa Passion.

          La montre de Jésus

« Et si Jésus avait porté une montre comme notre président, on voudrait en connaître la marque », ironise le Français Michel Benoît. Pourtant l’historien est très loin de regretter cet intérêt pour le Jésus people. « Nous assistons à un phénomène nouveau. A travers des films et des romans à succès, un vaste public s’habitue à entendre parler de Jésus autrement, et il en redemande.

          A l’entendre, cette curiosité des foules pour un Jésus plus intime serait « une bonne nouvelle. Même si les réponses des romanciers ou des scénaristes sont souvent simplistes ou mensongères, ces nouveaux récits posent quand même la bonne question au grand public : qui était ce Jésus, sur lequel s’est construite l’identité culturelle de l’Occident ?Désormais, les gens se sentent autorisés à réclamer un droit d’inventaire, sans tabou. On peut s’interroger sur tout, et on ne se prive pas »

          « Enfin ! , s’exclame Daniel Marguerat, l’expert Lausannois du Jésus historique. Enfin le grand public se pose des questions sur Jésus et perd un peu de sa naïveté »
          Les deux chercheurs s’accordent cependant pour penser que cette nouvelle médiatisation est une arme à double tranchant. « Il faut se battre sur deux fronts : face à l’Église et face aux fausses pistes imaginées par des romanciers à succès mais peu sérieux », précise Michel Benoît. Question d’actualité, en cette période de Noël, la composition (contestée dans le camp catholique) de la Sainte Famille.

          Une histoire de fratrie

Jésus avait-il, oui ou non, des frères et soeurs ? « Si l’on consulte les évangiles, les données sont d’une évidence aveuglante : autant Marc que Matthieu, Luc et Jean mentionnent leur existence. Cette question a été contestée pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’Histoire », assure Daniel Marguerat.
          D’accord sur le côté utile de ce Jésus people qui passionne les foules à une époque où les Églises se vident, les deus experts divergent, en revanche, sur les conséquences de cet intérêt pour l’homme Jésus.
          Pour Michel Benoît, « les populations européennes éduquées d’aujourd’hui n’acceptent plus aussi facilement de croire à des choses inimaginables, par exemple l’histoire d’une vierge qui a eu un enfant en restant vierge avant, pendant et après, et elles devraient prendre leurs distances avec les Églises »
          Pour le protestant Daniel Marguerat, en revanche, « chercher à connaître le Jésus de l’Histoire n’est pas hostile à la foi. Il est utile pour les croyants de découvrir qui fut cette personne humaine en laquelle Dieu s’est incarné »

          QUI ÉTAIT « LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT » ?

C’est l’une des grandes questions « people », chère aux romanciers, et qui ouvre des perspectives théologiques fascinantes. L’évangile de Jean nous parle à plusieurs reprises du « disciple préféré de Jésus », mais ne lui donne pas de nom. On apprend notamment que, sur la croix, Jésus lui aurait confié sa mère.
          Pendant longtemps, les théologiens ont pensé qu’il s’agissait de l’apôtre Jean. Une théorie contestée dans de nombreux romans à succès. Dan Brown imagine ainsi dans son « Da Vinci Code » que ce disciple préféré était Marie-Madeleine. Et il en profite pour souligner le rôle très inhabituel accordé aux femmes qui suivaient Jésus.

          Auteur d’un autre best-seller international traduit en 18 langues, Michel Benoît donne des traits masculins à ce « disciple préféré ». Mais pas ceux de Jean. Dans Le secret du treizième apôtre  il le décrit comme un riche notable juif, qui résidait dans un beau quartier de Jérusalem et qui possédait la maison où fut célébré le dernier repas de Jésus.
           Selon lui, ce « préféré » savait que Jésus n’était pas un dieu fait homme, mais un humain inspiré. Une révélation qui pourrait faire vaciller le Vatican.

          Ce roman, sorti cette année au Livre de Poche, a été écrit par un auteur totalement atypique. Ancien moine bénédictin, Michel Benoît est théologien et docteur en Biologie. Il a quitté les Ordres en 1984, l’Église désapprouvant ses recherches sur la vie et la personnalité du Christ.
          Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre sa quête. Michel Benoît a aussi passé 5 ans proche du Vatican, et cette expérience a largement nourri son roman.

          Enfin et surtout, « Le secret du 13° apôtre » s’inspire largement des recherches de l’auteur, qu’il a défendues dans deux livres savants, aussi faciles à lire que troublants : Dieu malgré lui (2001) et Jésus et ses héritiers (2008)

UN ARTICLE DANS « Le Parisien » sur PRISONNIER DE DIEU.

          Lu dans Le Parisien Dimanche du 15 Février 2009

     L’ouvrage bouleversant d’un ancien « Prisonnier de Dieu »


                               (par Marie Persidat)


          « Je suis un post-chrétien »

          Michel Benoît n’a pas peur des mots. Et même à une époque où l’Église est chaque jour remise en cause, son récit n’a rien perdu de sa causticité. Sa maison d’édition, Albin Michel, vient de rééditer Prisonnier de Dieu. Un ouvrage bouleversant au cours duquel il revient sur les vingt-deux ans durant lesquels il a été « frère Irénée ».

          Ce premier livre, paru en 1992, avait alors été vendu à plus de 80.000 exemplaires. Seize ans après, il sonne toujours aussi juste. « Dans les années 1990, c’était surtout un témoignage individuel, se souvient-il. Aujourd’hui, avec le recul, c’est devenu un témoignage historique Entre-temps, la parole a commencé à se libérer. De grandes figures de la chrétienté ont ébranlé l’Église en tant qu’institution en se livrant sur le seuil de la mort, ou plus récemment en offrant au public des confidences posthumes. « Maintenant, on parle », souffle Michel Benoît.
         
          « L’abbé Pierre ou soeur Emmanuelle ont choqué en évoquant notamment la sexualité. Moi, je suis allé beaucoup plus loin. J’ai voulu montrer, par exemple, comment des gens qui ne travaillent pas peuvent vivre confortablement. D’où vient l’argent ? »
          L’ancien moine se défend de tout propos déformé ou trop engagé. « Je ne critique rien, je décris, c’est tout, et c’est beaucoup plus ravageur. Ce n’est pas un pamphlet » En effet, celui qui n’hésite pas à parler de « démarche sectaire » de l’Église va beaucoup plus loin. C’est l’effondrement de toute une société qu’il essaie de comprendre.

          Aujourd’hui âgé de 68 ans, Michel Benoît continue de garder la tête dans les livres. « Je travaille exactement comme quand j’étais à l’université !  » Après Prisonnier de Dieu il a publié deux essais,Dieu malgré lui puis Jésus et ses héritiers, mensonges et vérités. Des ouvrages destinés aux « catholiques déçus, et il y en a beaucoup – mais aussi, au-delà, à tous ceux qui cherchent »

          Il est surtout l’auteur d’un best-seller, son unique roman pour l’instant. Le secret du treizième apôtre s’est vendu à plus de 30.000 exemplaires et a été traduit en 19 langues. Il est sorti en poche il y a quelques mois.
          Lorsque Michel Benoît n’est pas auteur, il se plonge parfois dans la méditation. Car sa dénonciation de l’Église ne l’a pas écarté de toute quête spirituelle. « Dieu n’a rien à voir avec tout ça », sourit-il en désignant le livre autobiographique dans lequel il a enfermé tous ses souvenirs.

PASSION ÉCRIVAIN : quelques réflexions sur un métier déraisonnable.

             (Conférence au Rotary-club)

          Vous m’avez demandé de vous entretenir du métier qui est maintenant le mien. Pour commencer, je ferai une distinction entre les écrivains, et ceux qui écrivent afin de gagner des sous ou de faire parler d’eux.

          Je ne m’intéresse qu’aux premiers.

           Pour comprendre ce qu’est un écrivain, j’emprunte ces quelques lignes aux Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke :

           « Vous me demandez si vos vers sont bons, vous l’avez déjà demandé à d’autres. Hé bien, je vous prie de renoncer à tout cela. Personne ne peut vous conseiller ni vous aider, personne. Il n’est qu’un seul moyen : rentrez en vous-même. Cherchez la raison qui, au fond, vous commande d’écrire. Reconnaissez-le face à vous-même : vous faudrait-il mourir s’il vous était interdit d’écrire ?

          Ceci surtout : demandez-vous, à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : dois-je écrire ? Et si cette réponse devait être affirmative, si c’est un fort et simple « je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité »

           Un écrivain (je ne parle pas des autres) mène un combat pour sa vérité intérieure. Il sait que ce n’est pas toute la vérité, mais c’est la sienne, et il pense qu’elle vient d’assez loin au profond de lui pour pouvoir – pour devoir – être communiquée.

           L’acte d’écrire naît donc d’abord d’une passion – et le mot passion, puis-je vous le rappeler, vient du verbe latin pati, qui signifie souffrir.

          Cette passion d’écrire peut être égotique, à la limite de la psychose : peu importe, si elle est forte, si elle commande la vie de l’écrivain. De son déséquilibre, Rimbaud a su tirer une œuvre qui traverse le temps et l’espace. Depuis sa folie, le marquis de Sade mène une exploration du Mal qui n’a jamais été surpassée.

           Pour écrire, il faut avoir lu. Il n’est pas nécessaire d’avoir tout lu, mais il faut avoir bien lu. Avoir été enchanté par d’autres vrais écrivains, avoir vibré à leur style, à leurs images, leurs silences, à la force qui émane de leurs écrits. Il faut avoir des souvenirs d’émotions littéraires, pour puiser en eux – souvent de façon inconsciente – le vocabulaire de ses propres émotions.

           Ayant beaucoup lu et pas mal oublié, ce qui demeure c’est la musique intérieure de ces maîtres du passé ou du présent, à l’aide de quoi on construit peu à peu sa propre musique.

          Car on ne transmet pas, à un vaste public, des idées. Les grands philosophes, les grands idéologues qui ont changé la face du monde en alignant des mots, ont toujours été de grands émotifs, ou bien ont été relayés par des tribuns : sans Lénine, Karl Marx serait resté un sociologue. Sans Danton et Robespierre, les Lumières seraient restées un mouvement philosophique.

          On ne transmet pas des idées, mais d’abord des émotions : une musique intérieure. Et les idées (quand il y en a) passent à travers les émotions. Elles ne passent même qu’à travers elles.

          Des émotions, c’est-à-dire des images et non pas des concepts.

           Ces images émotionnelles, l’écrivain les tire de sa propre expérience. Il doit avoir souffert, plongé au profond de sa nuit solitaire, lutté pour conquérir sa paix ou sa joie, émergé d’un noir océan. Alors seulement il peut nous parler, nous toucher, ajouter sa propre pierre à l’édifice de nos vies en construction.

           C’est ainsi que beaucoup écrivent, mais peu sont écrivains.

          Parmi tant d’autres, je pense à Blaise Pascal. Grand mathématicien, philosophe, polémiste contre les jésuites, de ses Pensées surnage une phrase, que tout français éduqué connaît : « Joie ! Pleurs de joie ! », au cours d’une nuit fameuse d’émotion portée à son paroxysme.

           C’est pourquoi le roman est la forme privilégiée de la littérature, et de loin la plus populaire. Un roman, ce n’est pas une idée ou une thèse à défendre. Un roman, ce sont d’abord des personnages, qui doivent prendre chair non pas sous la plume de l’auteur, mais de sa propre chair et de son cœur.

          Chaque personnage est enfanté dans une longue et parfois douloureuse gestation. Une fois qu’il est né, il mène sa vie. Un personnage est bon (et un roman est réussi) quand l’auteur ne peut plus lui faire faire n’importe quoi : quand il devient en quelque sorte autonome, et qu’il échappe – comme tout enfant – à celui qui l’a mis au monde.

           En écrivant Le secret du 13° apôtre (cliquez), pour corser l’intrigue j’ai pensé un moment faire de Rembert Leeland, le moine américain, un agent double du Vatican : vaine tentative, je n’y suis pas parvenu ! Il avait son passé à lui, c’était un homme profondément droit, un idéaliste qui ne pouvait pas trahir son camp. En lui prêtant finalement des pulsions homosexuelles, j’ai trouvé sa faille. Je me suis inspiré des déboires de l’Église catholique, où tant d’hommes généreux sont étouffés par l’interdit de l’amour : Leeland ne pouvait pas être un traître, mais il était la victime d’un système idéologique.

          Cette évidence qu’il m’a imposée lui a donné toute sa profondeur, conférant à l’intrigue une richesse supplémentaire et la rendant cohérente. La thèse que je défendais – « l’amour ne connaît aucune frontière, il est divin quelle que soit son expression » – venait alors d’elle-même. Elle n’était pas exposée par des considérations théoriques, mais à travers la lutte de cet homme pour la fidélité à ce qu’il y avait en lui de meilleur.

           Une fois les passions cernées, le roman naît des étincelles de leurs chocs. Pour les décrire, l’écrivain ne peut pas ne pas les ressentir comme si elles étaient siennes. Il doit s’identifier à chacun de ses personnages. Cheminement chaotique, car il lui faut aller chercher au plus profond de lui-même des pulsions contraires : il se découvre alors des noirceurs dont il ne se croyait pas capable, dont il ne se sent aucunement complice, qui l’étonnent ou le terrifient. Mais c’est le prix à payer.

          Dans toute écriture il y a donc une part de psychanalyse, de la souffrance et du dégoût de soi. Mais aussi un chemin de rédemption, puisqu’à travers ses personnages l’écrivain mène sa propre quête de lumière et de paix.

           L’intrigue d’un roman ! Aux yeux du lecteur elle semble couler de source, suivre sa course de rebondissements et de moments apaisés. Mais où donc, dans la conscience de l’écrivain, prend-elle naissance ? Une « bonne idée » de départ ? Cela ne suffit pas, nous l’avons vu. Il faut qu’il ait quelque chose à dire. Quelque chose d’encore informulé, mais qui va mobiliser toutes ses passions.

          Lorsqu’elle écrit Bonjour tristesse, Françoise Sagan est habitée par un immense mal-être. Son intrigue est affreusement banale, la même situation rabâchée à l’infini depuis La Princesse de Clèves : deux femmes, et un homme. Ce qui fait de son petit livre un chef d’œuvre (et peut-être le dernier roman d’une certaine tradition française), c’est la flamme ténébreuse qui le parcourt dès les premières lignes. Dans laquelle elle s’investit tout entière. « Le roman part d’un blanc, du blanc qu’on arrache au silence. » (1)

           Ce n’est donc pas l’auteur qui invente l’intrigue : c’est une histoire, qui trouve son écrivain.

           Tout ce travail d’approfondissement s’effectue dans le silence, dans une inaction apparente et très pénible. Je pense à cette phrase de Marguerite Yourcenar, alors qu’elle possédait déjà en elle les Mémoires d’Hadrien mais était (temporairement) incapable de les formuler : « Enfoncement dans le désespoir d’un écrivain qui n’écrit pas. »

          C’est que le fruit n’était pas mûr, le temps d’écrire n’était pas encore venu.

           Vous remarquez sans doute que je n’ai jamais encore employé le terme galvaudé d’inspiration. On dit d’un auteur qu’il est inspiré, ou bien qu’il a manqué d’inspiration – comme si « quelque chose » de divin devait tomber sur lui, à l’égal du Saint Esprit sur les apôtres !

          Je crois plus volontiers ceux qui disent que l’inspiration est faite de 90 % de transpiration. Les 10 % restant, c’est cette émotion passionnelle qui traîne quelque part dans l’inconscient de l’écrivain, et va le pousser un jour à élaborer un projet littéraire. En l’absence de cette passion, dit Milan Kundera, « Le roman n’est plus une envie, mais un geste d’actualité sans lendemain.»

           Quand s’achève enfin cette période de gestation – qui peut durer des années – l’œuvre vient au jour presque d’une seule traite. C’est alors que l’écrivain retrouve son équilibre, qui est celui d’un artisan devant l’établi. Il lui faut traduire les passions en mots et en phrases, scier, ajuster, raboter, poncer. Travail qui fait penser à celui de l’ébéniste, qui jointoye les pièces jusqu’à ce qu’elles s’assemblent pour devenir le meuble dont il a eu la prémonition avant de commencer.

           Écrire à la main, ou sur un ordinateur ? Mon premier livre, Prisonnier de Dieu (cliquez) , a été rédigé à la main, puis tapé à la machine. Pour les suivants je me suis procuré un de ces petits boitiers, odieux et indispensables, alimenté par l’électricité atomique et muni d’un traitement de texte. J’ai remarqué que cela avait transformé mon style.

          Avant d’être couchés à la main sur papier, la phrase ou le paragraphe doivent être entièrement formés dans la tête de l’écrivain, avec leurs mots justes, leur rythme et leur coloration verbale. Le contact de la plume sur le papier oblige à une certaine lenteur : écrire, c’est dessiner, et chaque mot possède son esthétique propre, visuelle.

          Tandis qu’avec le traitement de textes on peut commencer une phrase sans savoir comment elle se terminera, lancer une esquisse, la modeler comme une motte de terre glaise, ajouter, corriger, couper, faire appel au dictionnaire des synonymes pour éviter toute répétition. Le texte y gagne en nervosité et en sveltesse, mais risque de perdre l’ampleur, le tempo de l’expression et même de la pensée.

           La mise par écrit, c’est le temps du dialogue avec soi-même par l’intermédiaire des mots et des phrases.

          Exercice solitaire et quasi pathologique : car si j’écris, c’est avec l’ambition d’être lu. Mais mon public est insaisissable, je ne l’ai pas sous les yeux et j’ignore même s’il y aura jamais – pour ce livre en voie d’écriture – un quelconque public. Personne, pas même l’éditeur, ne peut prédire avec certitude si tel texte trouvera ses lecteurs. Le succès d’un livre ne garantit pas le succès du suivant, à chaque fois c’est le frisson de l’inconnu. Peut-être tout ce labeur aura-t-il été pour rien, peut-être ira-t-il finir dans un de ces tiroirs où les écrivains enfouissent leurs espoirs déçus ?

          Croire que ce qu’on tire de soi et qu’on s’efforce de dire avec justesse pourrait un jour intéresser d’autres que moi, des gens que je ne connais pas, dont j’ignore tout, c’est bien un acte pathologique : l’égo des écrivains doit nécessairement être massif et hypertrophié, s’ils veulent puiser en eux la force de poursuivre en aveugle leur labeur aléatoire.

           Vient ce moment redoutable où l’écrivain, estimant que le meuble qu’il façonne si amoureusement et depuis si longtemps, tient sur ses quatre pieds et ressemble à ce dont il rêvait en se mettant à l’établi. Il se résout enfin à envoyer son manuscrit à un éditeur. Il le jette dans une boîte aux lettres, qui pourrait bien se transformer pour lui en irrémédiable poubelle.

          La relation auteur/éditeur a été merveilleusement décrite par Mme Claire Delannoy, qui est mon éditrice chez Albin Michel (1). « Tout éditeur, écrit-elle, est à la recherche d’un absolu, du manuscrit dans lequel se repère immédiatement le génie. C’est-à-dire ce style particulier, cette évidence de point de vue, les sons et les couleurs d’un monde en soi, cette souveraineté-là. » Et tout auteur, poursuit-elle, se trouve devant son éditeur comme devant un confesseur, un médecin, un avocat : il a peur de celui ou celle qui possède le redoutable pouvoir de donner à son texte la vie, comme de la lui refuser.

           Pourtant, les éditeurs ont besoin des auteurs, sans lesquels ils fermeraient boutique ! Mais l’auteur, charbon de la locomotive éditoriale, se sent en position inférieure devant son mécano d’éditeur. D’autant plus que la grande époque, où la passion d’un éditeur (je pense à Gaston Gallimard) rencontrait celle de ses auteurs et passait avant les impératifs du marché, cette époque-là semble tirer vers sa fin. Voyez les tables de vos librairies : le livre est devenu un objet commercial comme un autre. Le Buzz (c’est-à-dire le boucan créé autour d’un livre) a remplacé la passion, et si passion il y a, elle doit être immédiatement rentable : rien de tel par exemple qu’un moment agité de la vie politique, un auteur pipol qui sait se mettre en valeur, un bon scandale sulfureux…

          Quand Mme Catherine Millet (2) décrit avec complaisance le bruit produit par le frottement des parties génitales dans un acte pourtant réputé intime, c’est l’indignation, le concert des protestations, le succès médiatique : on en vend 700.000 exemplaires. L’éditeur s’est enrichi comme l’auteur, mais je me demande ce que la planète des mots y a gagné.

           Il reste pourtant quelques éditeurs qui n’ont pas perdu le sens de l’œuvre en train de s’écrire dans le temps long de la création littéraire, et qui prennent encore le risque de gonfler leurs voiles ailleurs qu’à des courants d’air.

          Ils savent détecter les possibilités d’un texte dès ses premières lignes : « Tout est là, écrit Mme Delannoy. Dans la première phrase d’un roman, courte ou longue, directe ou sinueuse, le ton est donné.» (1) Elle voit dans son travail d’éditeur « La part de la sage-femme qui aide à la naissance » : alors s’établit, entre le parturient et son accoucheur, une merveilleuse collaboration faite de respect et d’ambition pour l’œuvre à naître. L’éditeur suggère, propose des corrections, du travail de réécriture : il est « le gardien secret du texte » (1) .

          Collaboration qui fait penser à ces corridas miraculeuses, où le taureau et son torero cessent de se faire face pour créer ensemble un moment d’art pur et magique. D’autant plus précieux qu’il est éphémère, celui-là. Tandis que l’écrit, quand il a atteint son point d’équilibre, peut ambitionner à une vie longue. La passion mise en mots traverse alors les modes et les temps. Elle finira par nourrir des inconnus, qui n’étaient même pas nés le jour où l’écrivain saisissait sa plume (ou allumait son ordinateur) pour lui donner naissance dans la succession, banale et immuable, d’un sujet, du verbe et de leurs compléments.

           Timeo Danaos et dona ferentes, disait Virgile : « Je crains les Danéens et leurs dons empoisonnés ». Je crains ceux qui croient qu’il suffit d’aligner des lignes pour avoir fait acte d’écriture. Qui confondent démangeaison et passion – ou plutôt, qui n’ont pas assez fait couler la lave de leurs passions enfouies pour la purifier ensuite au creuset de l’artisanat des mots.

                M.B.  30 mars 2011

 (1) Claire DELANNOY, Lettre à un jeune écrivain, Panama, 2005, 72 pages.

(2) Catherine MILLET, La vie sexuelle de Catherine M., Seuil 2001.