Archives pour la catégorie CRISE DE L’OCCIDENT

L’occident chrétien en crise.

ISRAËL EN PALESTINE : LE QUATRIÈME REICH ?

Une fois de plus, Israël massacre impunément des civils Palestiniens, et cela dure depuis cinquante ans. Aucun « processus de paix » n’a abouti, aucun n’aboutira jamais.

Pour comprendre, il faut relire quelques passages du Livre de Josué, écrit au milieu du VI° siècle avant J.C., quand les Hébreux exilés à Babylone recomposaient un passé devenu mythique.

La Shoah des Palestiniens (Nakbah)

Il est donc écrit dans la Bible que sur l’ordre de son dieu, Josué envahit la Palestine : « Tous ses voisins se sont unis pour combattre Israël. Mais Josué est tombé sur eux à l’improviste, les a battus et poursuivis jusqu’au Liban (1). » Vient ensuite la description complaisante du premier génocide attesté par l’Histoire: « Josué attaque les villages en partant du centre, et massacre tout être vivant, sans laisser échapper personne. Tous sont passés au fil de l’épée. Il soumet ainsi tout le pays jusqu’à Gaza, sans laisser un seul survivant (2). » Génocide accompagné d’une spoliation des biens : les Juifs « s’emparent des villes par la violence, ils en éliminent les autochtones par le massacre, sans rémission. Quand il n’est plus resté aucun Palestinien, Josué a pris possession de cette terre et l’a distribuée aux tribus juives (3). » Puis il déclare : « Toutes ces populations que nous avons exterminées, Dieu les a dépossédées pour vous… Prenez possession de leurs terres, des terres qui ne vous ont demandé aucune fatigue, des villes bâties par d’autres dans lesquelles vous allez vous installer, des vignes et des oliveraies que vous n’avez pas plantées (4)… Les juifs bâtirent des villages dans les terres spoliées, et s’y établirent (5). »

Il encercle Jéricho dont la population est systématiquement éliminée, comme celle du ghetto de Varsovie : « Jéricho est enfermée et barricadée : nul n’en sort ou n’y rentre. Après y avoir pénétré, les juifs ont massacré tous ceux qui s’y trouvaient, hommes, femmes, enfants (6). »

Cela ne vous dit rien ? Spoliations des biens, ghettos anéantis, extermination programmée… Hitler n’avait rien inventé, tout était déjà dans la Bible.

Entre les populations spoliées et leurs spoliateurs, aucune coexistence ne sera jamais possible : « Nous devons savoir, déclare Josué, que les populations [autochtones] que nous n’avons pas réussi à chasser vont constituer pour nous une menace permanente, une épine dans notre flanc et un chardon dans nos yeux. Et ceci, jusqu’à ce qu’ils nous aient été rayés du sol (7). » C’est eux, ou nous. S’engage alors un engrenage de la violence, et plus tard le héros juif Samson déclare : « Nous ne serons quitte envers les autochtones qu’en leur faisant du mal (8). » À quoi ils répondent : « Nous faisons la guerre aux Juifs parce qu’ils se sont emparés de notre pays. Rendez nous ces terres, maintenant ! » (8)

 Le Messianisme et l’obsession du Royaume

Dans Naissance du Coran, j’ai raconté comment, à partir du Livre de Josué, était née l’idéologie messianique chez les Juifs exilés à Babylone qui rêvaient de reprendre possession de leur terre : le Royaume de David et surtout Jérusalem, lieu du retour du Messie et donc centre du monde.

Ce Royaume de David, qui se serait étendu de l’Euphrate (Irak) jusqu’à Gaza, on sait maintenant que c’est un mythe. L’ambition des Juifs se limitait à sa reconquête. Ils avaient dû émigrer par la force, et c’est par la force qu’ils reviendraient. S’ils considéraient que ce retour se ferait, comme autrefois sous Josué, par une guerre d’extermination, jamais leur ambition n’a été mondiale. Elle se limitait à Heretz Israël, le Grand Israël, avec Jérusalem pour capitale.

Issue du judaïsme, la chrétienté a hérité de son idéologie messianique en étendant son ambition à la terre entière. La Cité des hommes devait devenir la Cité de Dieu.

Dans Naissance du Coran, je montre comment des Arabes, endoctrinés par des judéo-chrétiens nazôréens, ont adopté au 7e siècle ce messianisme dans sa version la plus dure. Ils résidaient en Syrie : voulant rééditer les exploits mythiques de Josué, ils se sont d’abord appelés les émigrés, muhadjirûn, « ceux qui reviennent chez eux ». Mais contrairement aux Juifs leur ambition ne se limitait pas à la reconquête du Royaume de David, elle était devenue mondiale. Au bout d’un siècle, abandonnant le mot muhadjirûn, ils s’appelèrent eux-mêmes mouslims – « ceux qui sont soumis à Allah », au Coran et à son Prophète.

Depuis lors, deux puissances messianiques se sont affrontées, elles s’affrontent toujours. L’Occident chrétien et le monde musulman, animés de la même ambition planétaire : leur Royaume, c’est le monde entier.

Pourquoi alors les musulmans s’en prennent-ils aux Juifs, dont l’ambition de conquête n’a jamais dépassé le Grand Israël ?

À cause de Jérusalem, lieu saint par son Histoire – et parce que c’est là que le Messie doit revenir.

Pendant plusieurs siècles, la conscience messianique des Arabes et l’ambition qui l’accompagne s’étaient endormies. Elle se sont réveillées au 20e siècle sous l’action de plusieurs facteurs – fin de l’époque coloniale et de ses humiliations, perte d’identité de la chrétienté, argent du pétrole.

Coïncidence ? Au même moment, deux totalitarismes adoptaient une version laïque du messianisme : le communisme, et le nazisme. Avec les méthodes qui furent celles de Josué, la conquête par l’extermination.

Le communisme s’est effondré, le nazisme a été vaincu. Restent face à face trois puissances messianiques : les Juifs qui jamais n’abandonneront le rêve du Grand Israël, l’Occident qui n’a pas oublié ses racines chrétiennes, et l’islam.

Les civilisations apparaissent, puis disparaissent. Le messianisme ne disparaîtra pas, parce qu’il possède sur elles un atout essentiel : il offre à ses adeptes le rêve du retour à un paradis perdu. Qu’il faille, pour y parvenir, violer les lois établies pour la préservation de l’humanité, cela importe peu à un messianiste. L’humanité qu’il veut rétablir n’est pas celle-ci, qui doit disparaître pour que naisse le monde nouveau. Société sans classes, Reich Aryen ou Paradis promis aux mouslims, ce sont des rêves.

Les rêves ne meurent pas.

C’est en journaliste et en témoin scrupuleux que Charles Enderlin a publié récemment Au nom du Temple. Son livre est une illustration de Naissance du Coran : il décrit le retour irrésistible du messianisme au sein des gouvernements israéliens successifs, appliquant aux infortunés Palestiniens les méthodes qui ont autrefois tenté d’éradiquer les Juifs du Troisième Reich.

Après les crimes de la dernière guerre dont il fut l’artisan ou le complice, tétanisé par sa mauvaise conscience, l’Occident ferme les yeux et laisse faire la Nakhbah, équivalent palestinien de la Shoah. Et si certains chez nous s’indignent du traitement appliqué aux civils de Gaza, nos ministres se contentent « d’appeler le gouvernement israélien à la modération », comme M. Le Drihan ce matin.

Appeler des messianistes à la modération, on croit rêver ! C’est ignorer ce qu’est le messianisme, c’est méconnaître les trois mille ans d’Histoire au cours desquels il s’est exprimé dans une longue traînée de sang et d’horreur.

J’ose imaginer que ces ministres sont tout, sauf ignorants.

Si ce n’est pas de l’ignorance, alors, de quoi s’agit-il ?

                                                                                          M.B., 13 juillet 2014.
P.S. : pour ceux que cela intéresse, en plus de Naissance du Coran cliquez en haut sur « Articles ». A droite cliquez sur « Liste des Catégories » : dans la catégorie « Judaïsme », vous trouverez plusieurs articles sur le sujet.

(1) La Bible, Livre de Josué, chap. 11.

(2) Livre de Josué, chap. 10

(3) Livre de Josué, chap. 11. J’appelle Palestiniens les populations locales, qui ne prendront ce nom (phalistin) que plus tard.

(4) Livre de Josué, chap. 24

(5) Livre des Juges, chap. 21

(6) Livre de Josué, chap. 6.

(7) Livre de Josué, chap. 23

(8) Livre des Juges, chap. 11

 

LAÏCITÉ À LA FRANÇAISE ET ISLAM : L’ÉCHEC

Les musulmans peuvent-ils s’insérer dans un état laïc comme la France ? Peut-il y avoir un « islam de France » ?

Naissance de la laïcité en France

On connaît les étapes au cours desquelles le principe de laïcité a fini par s’imposer, douloureusement, à la société française. Le mouvement des Lumières, aboutissant à la constitution Civile du Clergé en 1790. Robespierre tentant de remplacer en 1794 le catholicisme par le culte de l’Être Suprême. La révolte des provinces, notamment les Chouans et les Vendéens. Bonaparte reprenant les choses en mains par le Concordat de 1801. Le retour en force de l’Église à partir de 1815, la reprise des hostilités sous la 3e République, la nouvelle révolte des catholiques lors de la séparation de l’Église et de l’État en 1905…

Il a fallu la boucherie de 14-18 pour que la République reconnaisse, tacitement, le retour de catholiques qui avaient généreusement versé leur sang dans les tranchées. Puis la Résistance de 1940-44, où des prêtres et des communistes avaient lutté fraternellement, côte à côte. Pour que finalement, en 2005, l’Église de France soit la première à souhaiter que rien ne soit changé aux lois qui l’avaient tant révoltée cent ans plus tôt. Reconnaissant que sa séparation d’avec l’État lui convenait parfaitement, qu’elle garantissait à la fois la liberté religieuse et la paix civile dans un pays déchiré par la question religieuse depuis 400 ans.

Deux siècles pour parvenir à une laïcité apaisée, bienfaisante.

Ou plutôt trois siècles, si l’on compte le 18e siècle au cours duquel l’idée même de séparation du religieux et du profane a lentement mûri chez les élites.

Trois siècles pour que cette révolution idéologique, d’abord imposée par la force, soit consentie par l’ensemble des français qui ont fini par voir dans ce consensus leur bien le plus précieux.

Comprenons bien : la révolution laïque n’a été rendue possible que parce qu’elle avait été précédée par une révolution idéologique, la raison acquérant sa juste place aux côtés de la foi. Cet équilibre entre raison et foi, il avait été initié par Thomas d’Aquin – mais on était alors au 13e siècle, l’Église et les États européens ne faisaient encore qu’un. Il a fallu Descartes, puis les philosophes du 18e siècle, pour demander et exiger que la raison (le pouvoir public) et la foi (le pouvoir de l’Église) fassent chambre à part.

Jésus et la laïcité

La chrétienté occidentale aurait pu pourtant s’épargner ces longs siècles de tâtonnements, de confrontations violentes et de révolutions, si elle avait tout simplement appliqué l’enseignement de Jésus.

Rappelons qu’à son époque, non seulement pouvoir civil et pouvoir religieux ne faisaient qu’un, mais l’empereur était divinisé, et son culte obligatoire dans tout l’Empire romain. En Palestine, les Juifs avaient obtenu un statut spécial, le pouvoir religieux était double. Celui du divin César, obligatoire. Et celui du Sanhédrin, toléré par l’occupant romain qui lui laissait l’application des lois religieuses propres au peuple juif, notamment le droit d’exécuter les blasphémateurs et les adultères par lapidation.

Lorsque des théologiens juifs demandent à Jésus s’il convient à un Juif de se soumettre au pouvoir (religieux) de César, sa réponse surprend tout le monde tant elle est révolutionnaire dans ce contexte : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Personne dans l’Empire n’avait jusque là osé pareille séparation des pouvoirs, et aucun Juif ne pouvait s’y risquer : c’est cette réponse qui a valu à Jésus d’être définitivement brûlé aux yeux du clergé juif, appuyés en l’occasion par les nationalistes Zélotes pour qui « rendre quoi que ce soit à César » était une provocation, un scandale et un crime envers Israël (1).

Distinguer les deux pouvoirs, rendre à chacun ce qui lui est dû dans l’autonomie de leurs sphères respectives, c’est exactement le point d’équilibre auquel la société française est parvenue. Pourquoi l’enseignement de Jésus n’a-t-il pas été suivi dès le début, nous épargnant tant de violences ?

Parce que 30 ans après Jésus, Paul de Tarse a déclaré que le chrétien devait se soumettre à ceux qui détiennent un pouvoir dans la société civile. Et parce qu’en 381-90, la religion chrétienne est devenue religion officielle de l’Empire. De persécutés, les chrétiens sont devenus persécuteurs, le trône de Pierre s’est identifié assez vite au trône de l’empereur. Jusqu’à ce qu’Alcuin, théologien de Charlemagne, élabore la théorie du souverain de droit divin.

On était alors au 8e siècle. C’était le moment où le Coran s’écrivait, pour lequel pouvoir religieux et politique ne font qu’un.

Au même moment, deux sociétés (musulmane et chrétienne) allumaient chacune une bombe qui, depuis, n’a pas cessé d’exploser.

Le messianisme coranique et le pouvoir

Dans Naissance du Coran, aux origines de la violence, je décris l’idéologie messianique dont sont nés à la fois le judaïsme, le christianisme et le Coran : je vous renvoie à ce petit livre, paru chez l’Harmattan, et à la conférence que je viens de donner à ce sujet. Vous y verrez que « pour les messianistes, religion et pouvoir n’ont jamais fait qu’un. Dans le Coran, tout appartient à Dieu, corps, âmes et biens, le passé, le présent comme l’avenir. Il ne distingue pas le matériel du spirituel, tout revient à Allah. Il veut accoucher d’un Homme Nouveau, dans une société totalement soumise à une Loi divine.»

Autrement dit, s’ils suivent le Coran les musulmans en sont encore à l’union-fusion des deux pouvoirs, religieux et civil, qui prévalait en Occident avant le 18e siècle.

« S’ils suivent le Coran » : car là est pour eux aujourd’hui toute la difficulté. Certes, la majorité des musulmans, tout comme nous, n’aspire qu’à vivre en paix. Certes, les musulmans français voient ce qu’est une société apaisée par la laïcité. Certes, ils sont comme nous horrifiés par la violence des djihadistes. Mais au nom de quoi peuvent-ils les condamner ? Car musulmans pacifiques comme fanatiques se réclament du même texte, le Coran. Lequel appelle clairement et de façon répétée les croyants à l’extermination des non-croyants, Juifs et chrétiens.

Parce qu’il est messianiste, le Coran divise l’humanité en deux : nous, les mouslims (soumis au Coran) et les autres, tous les autres. Lesquels n’ont qu’un seul choix : se convertir, être mouslims (soumis au Coran) – ou disparaître physiquement.

C’est seulement quand ils auront accompli la révolution idéologique entreprise chez nous au 18e siècle, que les musulmans pourront être en paix. En eux-mêmes d’abord, puis avec le reste de la planète.

Échec de la laïcité

Notre laïcité à la française suppose que les deux partis, le religieux et le civil, parlent le même langage. Qu’ils parviennent à un accord pour cheminer côte à côte, sans se mélanger, sans empiéter l’un sur l’autre, sans se faire concurrence. Un consensus dans la pensée d’abord, dans les faits ensuite : respectés par le pouvoir, les croyants occidentaux respectent le pouvoir. Chacun chez soi.

Ce consensus, c’est une tragique illusion que de vouloir l’appliquer à une religion qui ne reconnaît qu’une seule autorité ultime, s’appliquant à tous : le Coran. Les mots n’ont pas le même sens, nos lois si difficilement acquises ne s’appliquent pas aux musulmans extrémistes. Ils ne les reconnaissent pas, ne les acceptent pas.

Comment jouer au foot quand une équipe applique certaines règles du jeu, règles que l’équipe d’en face rejette pour en appliquer d’autres ?

Vous connaissez la Pensée Unique, obligatoire, ressassée à longueur d’ondes. Par exemple Manuel Valls tout récemment : « C’est toute une nation qui dit que l’islam a toute sa place en France, parce que l’islam est une religion de tolérance, de respect, une religion de lumière et d’avenir (2). »

C’est stupéfiant. M. Valls oublie de dire que le Coran s’impose à tout musulman. Et semble ignorer que le Coran n’est ni tolérant, ni respectueux (des non-croyants, des femmes). Qu’il n’a pas été écrit par les philosophes des Lumières, mais sous l’impulsion de califes imprégnés de messianisme. Et qu’il ne propose aux habitants de la planète qu’un seul avenir : se soumettre au Coran et appliquer la Charia, ou disparaître.

Manifestement, M. Valls ne sait pas de quoi il parle. Il devrait demander à l’un de ses conseillers de lire mon petit livre, et quelques-uns des ouvrages dont je donne la référence – travaux de chercheurs dont j’ai fait mon miel pour écrire Naissance du Coran.

La schizophrénie est une maladie grave, pratiquement sans traitement.

Mais nos politiciens & journalistes ont-ils d’autre choix que de nous entretenir dans la schizophrénie, affirmant d’un côté une chose dont ils savent (ou devraient savoir) d’un autre côté qu’elle n’existe pas ?

Il n’y a pas, il n’y aura jamais d’islam de France, car il ne peut pas y avoir d’islam non-coranique. Puissent nos amis musulmans, qui doivent souffrir autant que nous de cette schizophrénie, commencer un jour la révolution idéologique que nous avons entreprise, avec tant de mal, il y a 3 siècles.

Leur paix intérieure, et la paix du monde, est à ce seul prix.

                                                M.B., 2 juillet 2014

(1) Voyez Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire (Dans le silence des oliviers), Albin Michel & Livre de poche 2011.

(2) Déclaration à l’issue de sa visite à l’Institut du Monde Arabe, publiée dans Le Parisien du jeudi 26 juin 2014.

 

L’ISLAM EN QUESTION : PAIX, OU AFFRONTEMENT ?

Le Coran conduit-il les musulmans à la violence ?

La réponse politiquement correcte, vous la connaissez : « Non, le Coran comme l’islam ne sont que paix et tolérance. » Mais quand on le lit sans préjugés, la réalité est tout autre : oui, ce texte est intrinsèquement violent.

Né du Coran, l’islam est-il condamné à l’affrontement ?

Pendant 40 ans, j’ai travaillé en historien sur les origines du christianisme, ces deux ou trois générations de la fin du 1er siècle qui ont donné naissance à la civilisation occidentale. C’était naturel, puisque je suis né et j’ai grandi dans un monde chrétien. En revanche je ne suis pas un historien de l’islam, immense civilisation, multiple et complexe, qui n’est pas la mienne. Malgré le titre je ne vous parlerai donc pas de l’islam, mais uniquement de son texte fondateur, le Coran.

Pourquoi, après le christianisme, me suis-je intéressé au Coran ?

Au cours de mes travaux, j’avais découvert l’existence d’une secte juive peu connue dont Jésus aurait fait partie, les nazôréens. On ne sait rien d’eux à son époque, mais on sait que les tout premiers chrétiens ont d’abord été appelés nazôréens.

J’ai eu la surprise de voir réapparaître ces nazôréens dans le Coran, sous leur transcription arabe, nasârâ. Y aurait-il un lien historique entre les nazôréens du 1er siècle, et le Coran qui apparaît à la fin du 7e siècle ?

J’ai tiré ce fil, et toute la pelote est venue.

Mais comment procéder ? Les musulmans d’hier et d’aujourd’hui se heurtent à une barrière infranchissable : il leur est interdit d’étudier le Coran comme n’importe quel autre texte ancien, avec les méthodes de l’exégèse historico-critique qui ont fait leurs preuves. Pour eux, le Coran est descendu du ciel, fidèlement transmis au monde par le Prophète Muhammad. Chaque mot est la parole de Dieu lui-même. Matériellement, grammaticalement, le Coran est de nature divine, et on ne soumet pas Dieu à l’examen critique. Les rares érudits musulmans qui s’y sont risqués ont été assassinés, torturés ou exilés.

Alors, je me suis tourné vers quelques chercheurs de haut niveau, tous d’origine chrétienne, et donc libres d’appliquer au texte du Coran la méthode de critique historique qui a permis aux chrétiens de porter sur la Bible un regard nouveau. Depuis un siècle les travaux de ces chercheurs non-musulmans, inconnus du public, transforment complètement la compréhension du Coran et des débuts de l’islam.

Ces travaux, j’ai voulu les ramasser en peu de mots, de façon lisible malgré la complexité du sujet : c’est mon livre Naissance du Coran, aux origines de la violence.

Donner au public non spécialisé des clés de lecture, ouvrir des portes.

Ce petit livre permet de mieux comprendre quelques uns des drames qui ont secoué et secouent toujours la planète : pourquoi tant de violence au nom d’Allah, et pourquoi cet affrontement inexpiable entre l’Orient né du Coran, et l’Occident né du christianisme ?

Sans parler des Juifs, épine plantée au cœur des musulmans.

 

Mais revenons aux nazôréens du 1er siècle.

Ce qu’on sait d’eux, c’est qu’ils étaient judéo-chrétiens. C’est-à-dire qu’ils n’étaient plus Juifs, puisqu’ils considéraient que le Messie était venu en la personne de Jésus, mais ils n’étaient pas non plus chrétiens, puisqu’ils refusaient sa transformation en Dieu. Pendant les premiers temps du christianisme, ces judéo-chrétiens se sont opposés à la fois aux Juifs et aux chrétiens dont ils se séparaient, puis ils ont disparu, tous, au 3e siècle.

Tous… sauf les nazôréens. Saint Jérôme les a rencontrés à la fin du 4e siècle en Syrie, d’où il écrit à saint Augustin : « Ces gens veulent être à la fois Juifs et chrétiens, mais ils ne sont ni Juifs, ni chrétiens. »

Ni Juifs, ni chrétiens : c’est la définition des nazôréens. Opposés par nature à la fois aux Juifs dont ils ont rejeté la tradition, et aux chrétiens qu’ils refusent de suivre.

Au début du 7e siècle, la Syrie était presque entièrement chrétienne. Les nazôréens que saint Jérôme a rencontrés s’y étaient réfugiés pour fuir la persécution des Juifs et des chrétiens de Byzance. Ils s’étaient attachés à convertir à leur judéo-christianisme particulier des bédouins Arabes, sédentarisés dans la région côtière autour de Lattaquié.

Pendant ces six siècles de sommeil, ils s’étaient imprégnés du messianisme, une idéologie née dans le peuple juif exilé à Babylone en 587 avant J.C., et devenue flamboyante au tournant du 1er millénaire – c’est-à-dire à l’époque où vivait Jésus.

Dans mon livre, je résume la dérive de ce messianisme flamboyant dont on ne savait pas grand-chose, avant la découverte en 1947 des Manuscrits de la Mer Morte dans les falaises surplombant Qumrân, le haut-lieu des Esséniens. L’idéologie dont témoignent ces manuscrits, rédigés un peu avant et pendant le 1er siècle, est d’une extrême violence. Elle a profondément influencé les nazôréens – et à travers eux les Arabes qu’ils catéchisaient en Syrie, au début du 7e siècle.

Ce messianisme repose sur 3 piliers, qui n’ont pas changé jusqu’à aujourd’hui :

1- Utopique, il rêve du retour à un monde disparu, meilleur que celui-ci.

2- Apocalyptique, ce retour se fera par une guerre d’extermination, menée au nom de Dieu.

3- Messianique, il attend le retour d’un homme providentiel, le Messie sauveur.

La guerre, et la guerre totale, était pour eux le seul chemin offert à l’humanité pour qu’elle retrouve sa pureté, celle du paradis perdu par la faute d’Adam. Affamés de purification, ces messianistes divisaient l’humanité en deux : nous, les croyants qui ont reçu de Dieu la mission de dominer le monde, pour le purifier des autres, les incroyants.

Lesquels devront soit se convertir à notre vision du monde et aux lois qui en découlent, soit disparaître physiquement.

Voici un passage du Règlement de la guerre, texte essénien retrouvé à Qumrân : « L’extermination des nations impies est décidée. Sur les trompettes de la tuerie on écrira : ‘’Main puissante de Dieu dans le combat, pour faire tomber tous les infidèles ! ’’ Sur nos étendards on écrira ‘’Moment de Dieu, tuerie de Dieu’’, et après le combat on écrira ‘’Dieu est grand ! ’’ »

« Dieu est grand », en arabe Allah ou’akbar. C’est le cri de ralliement des musulmans, et c’est en le poussant que des fanatiques tuent ou se font tuer au nom d’Allah. Cette violence, elle leur vient des Esséniens, disparus en l’an 70 mais dont les écrits ont profondément influencé les nazôréens qui ont lancé, bien plus tard, des Arabes sur les pistes du désert.

Mais, me direz-vous, le Coran n’est pas né en Syrie ! Tout le monde sait qu’il a été révélé à un visionnaire arabe de La Mecque, le Prophète Muhammad  qui n’a fait que répéter ce qu’il entendait du ciel ! Eh bien, c’est là que la recherche indépendante sur le Coran a cueilli ses premiers fruits. En montrant que tout ce qu’on dit et qu’on enseigne de Muhammad, de sa vie et de ses débuts à La Mecque, ne relève pas de l’Histoire mais de légendes construites un ou deux siècles après sa mort, par des historiographes au service des premiers califes de l’islam naissant, à Jérusalem d’abord puis à Damas et à Bagdad.

L’ambition de ces califes était politique. Pour transformer leurs conquêtes militaires en civilisation triomphante, ils avaient besoin – comme toute civilisation – d’un mythe fondateur. À partir d’un guerrier arabe, qui a bien existé mais dont on ne sait pas grand chose, ils ont donc forgé la personne du Prophète de l’islam, Muhammad.

Exactement comme les premières générations chrétiennes, pour fonder le christianisme, avaient forgé un Messie à partir d’un homme, Jésus.

Y a-t-il des éléments historiquement fiables dans la légende de Muhammad, construite par la Sirâ (Histoire officielle de l’islam), les Hadîths (paroles du Prophète) et la Sunna (ensemble de la tradition musulmane) ? Actuellement, il est impossible de répondre à cette question. Il faudra attendre que des chercheurs travaillent sur de nouvelles bases, et cela prendra du temps. Je m’en suis donc tenu strictement au texte du Coran tel qu’il nous est parvenu, laissant de côté l’ensemble des traditions séculaires à travers lesquelles les musulmans d’aujourd’hui se doivent de lire et de comprendre leur texte fondateur.

Le premier problème que j’ai rencontré était celui de la langue. Le Coran est écrit dans un arabe archaïque du 8e siècle, très différent de l’arabe parlé aujourd’hui. Une langue tellement étrange, si pleine de points de suspension et d’allusions obscures, que personne ne s’accorde sur le sens de nombreux passages. J’ai donc examiné six traductions françaises pour en choisir finalement quatre autres qui font autorité, et sont accompagnées d’un appareil critique important, à la fois linguistique et historico-littéraire. J’ai confronté l’une à l’autre chacune de ces traductions pour m’approcher du sens le plus vraisemblable, indiquant en note les différences d’interprétation qui justifient mes choix.

Ensuite, il y a la structure de ce texte, qui ressemble à un puzzle dont on aurait jeté les pièces au hasard sur une table. Voici ce qu’en disait le grand savant et philologue musulman Al-Kindi, cent ans après la mort du Prophète : « La conclusion est évidente pour quiconque a lu le Coran et vu de quelle façon, dans ce livre, les récits sont assemblés n’importe comment et entremêlés. Il est évident que plusieurs mains – et nombreuses – s’y sont mises et ont créé des incohérences, ajoutant ou enlevant ce qui leur plaisait ou leur déplaisait. »

« Plusieurs mains, et nombreuses » : comme toute œuvre littéraire, le Coran n’est pas né de rien, il n’est pas descendu du ciel. Il a une histoire, que seule l’exégèse historico-critique permet de comprendre.

Aucune logique donc dans ce texte, un fouillis inextricable. Tous ceux qui ont tenté d’y mettre de l’ordre ont dû y renoncer. Dans son état actuel le Coran est un peu comme un océan, on s’y plonge sans savoir d’où viennent, ni où vont les courants qui le traversent.

Soit on surnage, soit on s’y perd et on s’y noie. J’ai tenté de surnager.

Ce qui frappe, c’est que le Coran est d’une très grande beauté littéraire. D’où lui vient ce souffle, cette musicalité perceptibles même pour ceux qui ne le comprennent pas – c’est-à-dire la grande majorité des musulmans, pour qui cette langue si particulière est encore plus incompréhensible que ne l’était le latin d’Église pour les chrétiens ?

D’où vient la beauté du Coran ?

Il faut revenir à ses premières esquisses, c’est-à-dire au 7e siècle, en Syrie, dans ces communautés et ces monastères où des nazôréens catéchisaient des Arabes.

Pour leurs élèves, ils composaient des florilèges de textes tirés de la Bible, ou plutôt de l’une ou l’autre de ses versions talmudiques. Le Talmud est un immense commentaire de la Bible, écrit par des rabbins autour du 5e siècle après J.C. Ces textes, les nazôréens les psalmodiaient ou les chantaient devant les Arabes qu’ils voulaient convertir. « Coran » vient du verbe Quara’a, qui veut dire « réciter » : avant d’être écrit, le Coran a été récité et chanté dans des assemblées liturgiques, d’où sa beauté, sa musicalité entrainante.

La Bible du Coran n’est donc pas celle que nous connaissons, c’est la Bible du Talmud et de ses commentaires. De même que les évangiles que cite le Coran ne sont pas les nôtres : on les appelle apocryphes, ils sont remplis de légendes sur Jésus et sa mère, et ont été écartés quand l’Église a choisi de n’en retenir que quatre, jugés plus fidèles à la personne et à l’enseignement de Jésus.

Une Bible enjolivée par les rabbins du Talmud, des évangiles folkloriques et fantasmagoriques : ajoutez d’obscures légendes du désert, des allusions incompréhensibles à des divinités ou à des coutumes locales, et vous avez la moitié du Coran.

L’autre moitié, c’est tout un code de lois médiévales, mélangé à des appels véhéments au combat et à l’extermination, que j’appelle les versets brûlants.

Ces versets exigent des croyants qu’ils combattent contre les forces du Mal. Un combat messianique c’est-à-dire sans merci, sans rémission, qui durera tant qu’il y aura sur terre des infidèles qui refusent de se soumettre au Coran – et au pouvoir des califes.

Car pour les messianistes, religion et pouvoir n’ont jamais fait qu’un. Dans une communauté messianique, tout appartient à Dieu, corps, âmes et biens, le passé, le présent comme l’avenir. Notre laïcité, héritage du siècle des Lumières, est incompatible avec le Coran. Il ne distingue pas le matériel du spirituel, tout revient à Allah. Il veut accoucher d’un Homme Nouveau, dans une société totalement soumise à une Loi divine. Dans un monde purifié des démons de l’Occident chrétien. Boko Haram veut dire « enseignement interdit » – entendez : « enseignement occidental. »

Évidemment, pour la majorité des musulmans qui ne sont ni extrémistes, ni fanatiques, ces appels au meurtre de masse qui parcourent le Coran posent question : c’est le djihâd, le combat pour Dieu.

Pour rendre le Coran acceptable, on a donc cherché à distinguer deux sortes de djihâd : le petit djihâd, qui serait la violence du combat armé, et le Grand Djihâd qui serait le combat intérieur, celui de l’âme contre les tentations du démon. Une immense littérature a été écrite à ce sujet, dès le Moyen-âge, mais c’était oublier que le Coran puise ses sources dans le messianisme apocalyptique de ses origines. Pour que le monde retrouve la pureté du paradis perdu, une guerre d’extermination est nécessaire. C’est la seule façon de le purifier des forces du Mal incarnées par l’infidélité des Juifs et des chrétiens. Comme dans les écrits guerriers de Qumrân dont s’inspiraient les nazôréens, le djihad du Coran n’est pas un traité de spiritualité, c’est un chemin de violence et de sang.

Pour lancer les Moudjahidin au combat et à la mort, le Coran a dû reprendre une notion apparue dans le judaïsme au 2e siècle avant J.C., celle du martyre pour Dieu. Ceux qui se font tuer dans la guerre sainte menée pour la purification du monde, le djihâd, sont assurés d’aller au paradis. Et s’ils tuent ou massacrent, ils ne commettent pas un péché : « Quand tu lances ta flèche, dit le Coran, ce n’est pas toi qui lances la flèche, c’est Allah qui la lance. » Autrement dit, quand des Moudjahidin se font exploser en public, ils vont au paradis et ne sont pas responsables de la mort des innocents : « Ce n’est pas toi qui as tué, c’est Allah qui a tué. »

Quelques siècles plus tard, saint Bernard, Docteur de l’Église catholique, reprendra exactement les mêmes termes dans sa Règle aux Templiers, pour les appliquer aux combats des chevaliers du Christ lancés dans des croisades contres les musulmans impies. Vous voyez que les chrétiens n’ont pas de leçons à donner aux musulmans.

Car bien avant le Coran, l’idéologie messianique avait infesté le christianisme. On la trouve déjà dans des textes du Nouveau Testament comme l’Apocalypse dite de saint Jean ou l’Épître aux Hébreux. À partir de cette origine, le messianisme a évolué dans une direction commune à la chrétienté et au Coran, faisant couler des fleuves de sang sur la planète.

Rappelez-vous les trois piliers du cette idéologie : l’utopie, un monde nouveau à faire naître. L’apocalypse, ce monde ne naîtra qu’au prix d’une guerre d’extermination. Et le retour d’un homme providentiel, le Messie.

Rapidement, le Coran va abandonner le troisième pilier, l’attente d’un Messie personnel. Il va affirmer que le Messie est déjà venu, il est là, et c’est la Communauté des vrais croyants, l’Oumma – nom par lequel les musulmans se désignent. Et il va dire à ces croyants : « Vous êtes la meilleurs Oumma réalisée par Dieu pour les hommes », verset du Coran qui est devenu la devise de la Ligue Arabe basée au Caire.

Je retrace dans mon livre ce glissement, dans le Coran, de l’attente d’un Messie personnel vers l’affirmation que ce Messie est arrivé, et c’est une communauté impersonnelle mondiale, l’Oumma musulmane. D’ailleurs la profession de foi musulmane, « il n’y a de Dieu qu’Allah et Muhammad est le prophète d’Allah », ne mentionne plus l’attente d’aucun Messie.

Le drame, c’est que le christianisme a subi la même évolution. Théoriquement, les chrétiens attendent toujours le retour du Messie sauveur. Mais dans les faits, c’est l’Église qui est devenue pour eux le seul lieu du salut sur terre. Elle a repris à son compte et popularisé l’enseignement de saint Cyprien de Carthage (3e siècle) : Extra Ecclesiam nulla salus, hors de l’Église pas de salut.

Depuis lors et jusqu’à maintenant, sur la planète  ce n’est pas au choc des civilisations que nous assistons : c’est au choc de deux messianismes. D’un côté « hors de l’Église pas de salut », et de l’autre « la meilleure Oumma réalisée par Dieu pour les hommes. »

Deux communautés-Messie qui ne pouvaient que s’affronter, qui s’affrontent toujours.

Les musulmans se trouvent donc dans une impasse mortelle, et nous avec eux. Leur immense majorité n’aspire qu’à la paix et ne se joint pas aux Moudjahidin fanatiques. Mais les uns comme les autres, les fanatiques comme les braves croyants pacifiques, tous invoquent le même texte fondateur devenu sacré, intangible et même intraduisible : le Coran.

On nous répète à longueur de médias la Pensée Politiquement Correcte : « Surtout, pas d’amalgame ! Ne confondez pas une poignée d’islamistes fanatiques avec les bons musulmans ! » Comme Tariq Ramadan, qui déclarait récemment : « Les islamistes prétendent que les musulmans sont dans la vérité, et tous les autres dans l’erreur. C’est une distorsion complète du message de l’islam. » (1)

De l’islam, peut-être. Du Coran, certainement pas.

Et quand il ajoute « il faut que les responsables musulmans condamnent fermement [cette idée] », c’est de l’hypocrisie. Car ces responsables ne peuvent pas condamner la violence des djihadistes, puisque que le texte du Coran est là, avec ces versets brûlants qui appellent les croyants à l’extermination des infidèles, et entretiennent depuis 13 siècles le feu sur la planète.

Comprenez bien : la violence du Coran ne réside pas d’abord dans ces versets brûlants. Si le Coran est violent, c’est avant tout parce qu’il sépare l’humanité en deux portions inconciliables, qui ne peuvent que s’affronter : ceux qui sont soumis à Allah-et-son-Prophète, et les autres – tous les autres.

Pendant 17 siècles, des chrétiens ont pratiqué exactement la même violence, à la fois idéologique et physique. Et pour la même raison, un messianisme entretenu par la lecture fondamentaliste de la Bible. Ils n’ont pu faire la paix en eux-mêmes et avec le reste de l’humanité (celle qui était « hors de l’Église »), puis entrer sans crainte dans la modernité, qu’à partir du jour où ils ont enfin accepté de lire et de comprendre leurs textes fondateurs à la lumière de l’exégèse historique et critique. C’est ce tournant idéologique qui leur a permis, non sans réticences, de faire un tri dans la Bible. Pour ne retenir que le meilleur du message des prophètes et de Jésus lui-même. Sans plus se sentir concernés par les appels à la violence qui parcourent la Bible et trouvent, comme le Coran, leur origine dans le messianisme flamboyant.

Jésus vivait au moment où ces textes ravageurs étaient mis par écrit et se diffusaient autour de lui. J’ai découvert qu’il était parfaitement au courant de l’idéologie messianique dont ses disciples étaient imprégnés, comme tous les Juifs d’alors. Cette idéologie, il l’a clairement et explicitement rejetée.

Jamais il n’a prétendu être le Messie attendu par les Juifs. Toujours, il s’est situé dans la continuation du mouvement prophétique initié par le prophète Élie.

J’ai mis en scène ce choix décisif dans mon dernier roman, Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire. Ce n’est qu’après sa mort qu’il a été transformé en Messie, par les judéo-chrétiens de Jérusalem que côtoyaient les nazôréens. En franchissant ce pas, ils ont légué à la planète un lourd fardeau. Car faire du christianisme un mouvement messianique, c’était introduire dans la civilisation chrétienne en train de naître, puis plus tard dans le Coran, une utopie aux conséquences dramatiques : la nécessité, et la justification, des guerres d’extermination pour Dieu.

Cette idéologie judéo-chrétienne violente et conquérante, elle est l’utérus dans lequel le Coran a pris naissance et s’est développé.

Ensuite, le messianisme a poursuivi sur la planète sa carrière meurtrière. Au 20e siècle, il a inspiré deux idéologies totalitaires : le communisme, pour qui le Messie était la classe des travailleurs, qui l’emporterait sur la classe possédante en supprimant le capital et ceux qui en profitent. Et le nazisme, pour qui le Messie était le Herrenvolk, le peuple aryen des Seigneurs qui devait l’emporter en anéantissant les races inférieures.

Mais ce feu brûle toujours aujourd’hui. « L’Empire du Mal » : cette expression, écrite en toutes lettres dans les textes de Qumrân, vous l’avez entendue comme moi dans la bouche du Président des États-Unis. Les fondamentalistes américains (2), messianistes chrétiens, ont pris le pouvoir avec George W. Bush pour lancer, selon ses propres mots, une « croisade contre l’Empire du Mal. »

Depuis 2000 ans, rien n’a changé.

Les connaisseurs me reprocheront d’aller un peu vite aux conclusions : c’est possible, mais ils trouveront dans les notes de mon livre les références à mes sources, et les justifications de ce que j’affirme.

En fin de parcours, j’aborde enfin quelques questions brûlantes. La naissance de la première société totalitaire, à laquelle on assiste dans le Coran. Ce sont les califes qui ont esquissé les contours de la première police politique, surveillant une population interdite de penser et de s’exprimer. Cette réglementation qui asservit les croyants, hommes et femmes, ce sont bien les cours califales qui l’ont élaborée, en l’attribuant au Prophète.

J’ai tenté enfin de comprendre d’où venait l’antiféminisme agressif qui parcourt le Coran. Comment les califes ont-ils pu s’éloigner du judaïsme et du christianisme, au point d’introduire dans ce texte un mépris, on pourrait presque dire une haine des femmes, absente du judaïsme, du christianisme et des sociétés patriarcales de l’Antiquité ?

Il y a deux façons d’aborder un texte sacré : comme un monument qu’on ne visite qu’à genoux, face contre terre. Ou bien comme l’aboutissement d’une Histoire, et le commencement d’une autre.

C’est en apprenant à lire la Bible de façon exigeante, à la fois critique et respectueuse, que les chrétiens ont pu récemment s’apaiser, et accepter l’autre sans haine ni complexes.

Puissent les musulmans, dont la culture a pris naissance dans la même tradition, puissent-ils trouver, avec un regard nouveau porté sur leurs origines, le chemin de la paix.

D’abord en eux-mêmes, et ensuite avec le reste de l’humanité.

                                                                 (Conférence donnée en Bourgogne, juin 2014)
P.S. : Je m’absente, et ne pourrai répondre à vos commentaires & messages qu’après le 29 juin

(1) Dans Le Point du 15 mai 2014.

(2) Voyez dans ce blog la catégorie « Les américains et la religion », et le mot-clé « messianisme »

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VALLS MÉLANCOLIQUE…

À mes lecteurs affamés d’art, puis-je chanter l’un des plus beaux poèmes de Baudelaire ?

             Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

            Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

            Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir

            Valls mélancolique et langoureux vertige !

 

            Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

            Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;

            Valls mélancolique et langoureux vertige !

            Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

                        … Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.

(Charles Baudelaire, Harmonie du soir)

Le langoureux vertige de Valls se figera-t-il dans un ciel triste et beau comme un soleil qui se couche ?

                         M.B., cœur qu’on afflige, 2 avril 2014

 

INCULTURE, BETISE ET LAICITÉ : le Maire de Brest.

La bêtise et l’inculture, mieux vaut en rire.

Sur le site de Fr3 Iroise, je lis que « la Mairie de Brest a décidé de toute urgence de retirer, dans les écoles de la ville, les couronnes qui accompagnent traditionnellement la galette des rois, pour ne pas faire entrer le religieux à l’école. » Pourquoi cela ?

Parce que « L’intérieur des couronnes comportait l’inscription « Épiphanie ». Une référence trop évidente à une fête chrétienne et qui aurait pu froisser certaines communautés. Le maire PS de la ville, François Cuillandre  a donc préféré éviter tout incident en supprimant les couronnes « litigieuses ».
Inculte, le Maire de Brest ignore que les « rois » qu’on fête partout en France à cette époque sont les rois mages des évangiles de l’enfance de Jésus, telle que racontée par Luc et Matthieu.

Ce ne sont pas les couronnes, mais la fête elle-même qu’il fallait interdire par arrêté municipal. Logique avec lui-même, le Maire interdira ensuite la Toussaint, Noël, Pâques, Pentecôte et le 15 août, cinq fêtes « litigieuses ». Puis il interdira aux français d’avoir leurs racines culturelles, avant de leur interdire d’avoir une mémoire.

Brest a donc fêté les rois sans couronnes. Et pour ne pas « froisser certaines communautés », le Maire a publié un communiqué expliquant aux Brestois qu’ils célébreraient désormais les rois Abd-el-Malek, Fouad, Saoud, Sissi-Seko, Atahualpac ou Li-Peng – selon leur communauté.

La laïcité est sauve.

La joie des petits bretons aussi.

                              M.B. (qui préfère rire pour ne pas pleurer), 2 mars 2014

 

ET LE SOCIALISME, si ça marchait ?

Si le socialisme ça marchait, je serais socialiste depuis longtemps. Vous aussi sans doute, et toute la planète.

Le travail et les richesses équitablement partagés, la fin des patrons rapaces, le pouvoir à ceux qui produisent et non aux fainéants qui en profitent, une société où chaque individu – devenu centre du monde – serait récompensé en fonction de ses mérites. Où l’État assisterait les plus faibles au lieu de laisser l’impitoyable sélection naturelle les engloutir… Qui refuserait ce merveilleux programme ? Aucun être humain digne de ce nom.

Or – c’est l’historien qui parle – le socialisme, ça ne marche pas.

Hélas.

 Le christianisme, antisocial ?

La première tentative de socialisme intégral nous est bien connue, c’était à Jérusalem, peu de temps après la mort de Jésus. Les disciples, autoproclamés apôtres, décidèrent que les adeptes de la nouvelle religion mettraient tout en commun. L’échec fut tel, qu’il fallut d’urgence organiser dans l’Empire une collecte de fonds pour soutenir la communauté de Jérusalem en faillite. Et l’on vit naître un clergé, les anciens pêcheurs du lac, dont le niveau de vie s’éleva brusquement. Devenus oisifs, ces apparatchiks percevaient l’impôt volontaire des travailleurs et en disposaient à leur guise, sans autre contrôle qu’un vague programme de redistribution.

Je vous renvoie à l’article Le premier programme de Gauche dans ce blog, où vous trouverez les détails.

Ensuite, l’Église créée par les apôtres s’accommoda du capitalisme, en devint le promoteur, le principal acteur et bénéficiaire. François d’Assise fut une parenthèse immédiatement fermée par son successeur à la tête de son Ordre. Et quand des franciscains dissidents, les Dolciniens, voulurent rappeler à l’Église l’urgence du partage et de la pauvreté, ils furent condamnés par l’Inquisition. Qui extermina ensuite par le feu d’autres égalitaristes chrétiens, les Vaudois et les différentes sortes de Cathares.

Luther voulait réformer cette Église ? Mais il soutint les Princes allemands dans leur féroce répression des paysans révoltés par leur pauvreté. Et c’est dans les nations protestantes que le capitalisme a connu sa mutation moderne, son plus bel épanouissement jusqu’à nos jours.

Le siècle des Révolutions

La Révolution Française fut faite par des bourgeois et des nobles, effrayés dès le pillage de l’entreprise Réveillon (juin 1789) par la naissance d’aspirations égalitaires dans le prolétariat parisien. La Déclaration des Droits de l’Homme affirme haut et fort le droit à la propriété, elle est résolument capitaliste.

Au XIXe siècle vinrent les premiers socialistes déclarés, en France et en Allemagne. Mais c’est Lénine qui fit pour la première fois l’expérience grandeur nature du socialisme, dans la Russie devenue URSS sous Staline. On connaît la suite : à bout de souffle, épuisée, la patrie du socialisme réel s’effondra sous les coups du capitalisme triomphant de Reagan.

Aucun des pays où le socialisme a été mis en œuvre n’a jamais réussi. Partout, ce fut la dictature des idéologues : Mao, Pol Pot, Castro, Kim Jong-il… Un désastre social et humain.

Quitter le socialisme ?

Alors on servit à l’Europe un plat nouveau, ni chair ni poisson, la social-démocratie. Le plus bel exemple est Tony Blair, socialiste qui poursuivit l’œuvre de M. Thatcher et permit à l’Angleterre de se relever. On se souvient de la phrase qu’il prononça devant le Parlement français : « Il n’y a pas une économie de droite ou une économie de gauche : il y a l’économie qui marche, et celle qui ne marche pas. »

C’était proclamer la fin de l’idéologie socialiste, condamnée par son inadéquation à la réalité humaine et sociale.

Le socialisme ne marche que quand on le quitte.

Il semble que M. Hollande l’ait enfin compris, en tout cas il le dit. Mais s’il passe aux actes, il va se trouver face aux enfants attardés du prolétariat parisien de juin 1789, les idéologues d’une idée généreuse qui a fait la preuve de son incapacité à exister dans la réalité. Il y aura avis de tempête, et l’on souhaite à ce grand louvoyeur de pouvoir nous en sortir. S’il y parvient, il aura réussi là où tous ses prédécesseurs ont échoué : mettre un point final au socialisme à la française. Exploit qui fera de lui un grand président.

Jésus, socialiste ?

J’ai montré dans les Mémoires d’un Juif ordinaire que Jésus n’a jamais eu ce que nous appelons aujourd’hui une doctrine sociale ou politique. Dans ses paroles comme dans ses actes, il s’est tenu soigneusement à l’écart des combats politiques de son époque. S’il a parlé du prolétariat (parabole de l’ouvrier de la onzième heure), c’est pour proposer une solution qu’aucun syndicat n’accepterait : la rémunération au bon vouloir du patron. Et dans d’autres paraboles, il semble non seulement admettre, mais encourager le capitalisme.

Jésus était réaliste. Il ne propose pas de réformer la société, c’est aux individus qu’il s’adresse : le monde tel qu’il est, tu ne le changeras pas. Mais tu peux te changer toi-même, tu le dois. Transforme ton regard sur les autres, ta façon de te comporter avec eux, ta relation personnelle à l’argent et aux biens de ce monde.

Tu n’as de pouvoir que sur toi-même. Mais sur toi-même, tu as tout pouvoir.

Ne cherche pas à changer les autres : change-toi toi-même.

Et en changeant ce que tu es, par contagion tu transformeras le monde.

                                     M.B., 19 février 2014

 

PENSÉE UNIQUE, NOVLANGUE, FIN D’UN MONDE (II.)

Une enquête chiffrée publiée par Le Parisien (1) me permet de compléter l’article d’hier.

J’y reprenais des passages du roman 1984 de George Orwell, dans lequel il décrit la mainmise d’un Parti totalitaire sur la planète. C’est ce qui nous arrive aujourd’hui, sauf que le Parti n’a ni capitale, ni siège social, ni structures visibles.

Il a des militants : entre autres des géants de l’informatique (Microsoft, Facebook, Twitter…), des politiciens, des enseignants et leurs lobbys, des éducateurs, des médias.

Et des dizaines de millions d’adeptes répandus sur tous les continents : blancs ou colorés, éduqués ou non, riches ou pauvres… Ces adeptes n’ont en commun que deux points :

– ils ont moins de 30 ans, ou à peu près,

– et parlent la même langue (la novlangue). Pour l’instant ils sont encore bilingues, peuvent comprendre leur langue natale mais la parlent de moins en moins bien. On en voit qui ne connaissent plus que la novlangue, et ont l’air tout surpris si on leur parle « comme dans les livres » – qu’ils ne lisent pas, puisqu’ils sont écrits dans une langue qu’ils ne comprennent plus.

« Lire une conversation entre deux ados sur un réseau social, c’est un peu comme regarder une chaîne cryptée sans décodeur… un épais brouillard d’incompréhension vous empêche de bien capter… Ce n’est pas seulement le langage des ados, mais aussi celui des enfants de 9 à 12 ans que les plus grands ne parviennent plus à déchiffrer. » (1)

La novlangue est la nouvelle patrie des adeptes, c’est là qu’ils habitent et ils se sentent à l’étranger dès qu’ils en sortent. Cette patrie – leur habitat réel – est virtuelle : 91 % des 6-8 ans et 99% des 9-12 ans sont des accros du Web, ordinateur ou téléphone portable. Il arrive que des groupes de jeunes se trouvent réunis dans un même lieu, sans se regarder ni se parler : les yeux rivés sur l’écran, ils communiquent avec leur voisin qui se trouve à quelques mètres d’eux.

De la novlangue, 72 % des parents disent qu’ils comprennent moins de la moitié des mots. C’est un savant mélange d’abréviations, de smileys et d’expressions forgées par les adeptes.

Par exemple, 9% seulement des parents savent que « chiler » signifie « prendre du bon temps, que « gb » veut dire « gros Bill », terme péjoratif pour désigner quelqu’un de trop arrogant. Que « tfk » sert à demander « tu fais quoi ? », que « mdr » c’est « mort de rire ».

La langue traditionnelle d’origine est souvent l’anglais.Ainsi « yolo » veut dire « profites-en », mais il faut savoir que cela vient de you only live once, « on ne vit qu’une fois ». Quand à « bitcher », qui signifie « dire du mal de… », il vient de l’injure anglo-américaine son of a bitch, « fils de p… »

Et pourtant, très peu d’adeptes comprennent l’anglais…

Le Parisien donne un exemple de conversation novlangue :

« Wsh koi 2 9 ? – Ma besta ma traité de fdp – Épic ! Ma mer ma clashé osi + de sortie ! – Omg ! – Mdr ! Je vi1 qd mm 2m1. »

Traduit en français : « Bonjour. Quoi de neuf ? – ma meilleure amie m’a traité de fils de p… – Incroyable ! J’ai aussi eu une dispute avec ma mère. Je suis privée de sortie ! – Oh my god ! – Mort de rire ! Je viens quand même demain. »

Ceci, c’est la novlangue basique qu’on apprend vite, parce qu’elle est issue d’une langue traditionnelle connue.

Mais le domaine de prédilection de la novlangue, c’est la technique (2). Piqué au hasard du ouèb : « J’voulais customiser ma page, j’l’ai pimpée avec un plugin, mais faut qu’je change de portfolio. Y s’ra disponible en podcast, etc. » Tous les utilisateurs d’Internet (blogs, sites) ont dû d’abord consulter un dictionnaire pour comprendre ce langage.

Quelques conclusions (3) :

1) La novlangue n’est pas un langage à double sens. Au contraire, elle conduit l’esprit dans un sens unique. Rien de plus précis, de plus encadré, de moins équivoque.

2) Elle ne peut exprimer qu’une seule vérité à la fois : celle de la Pensée Unique.

3) Hors de la Pensée Unique, il n’y a pas de vérité exprimable.

4) Pour un adepte, ce sont les langues traditionnelles  qui l’induisent en erreur, puisqu’elles peuvent exprimer des sentiments ou une pensée à la fois complexe, nuancée et élaborée.

5) La novlangue n’est créée par personne en particulier, et c’est ce qui fait sa force. Ce sont les adeptes qui la créent, en inventant des termes ou des expressions qui deviennent à la mode. L’adepte est totalement soumis au diktat de la mode verbale, il ne peut plus penser autrement.

Je salue ceux qui sont restés comme moi échoués sur l’îlot isolé, abandonné, des langues natales traditionnelles dans lesquelles s’est exprimée une culture que j’ai aimée.

Avant de disparaître, des touropérators organiseront des visites pour savoir « comment c’était… avant ».

P.S. : Vous trouverez des liens avec le même thème dans le premier article, Pensée unique, novlangue, fin d’un monde (G. Orwell)

                                                   M.B., 11 février 2014

(1) Parlez-vous le Web des jeunes ?, dans Le Parisien du 11 février, p. 14. Résultats d’une enquête réalisée par l’Institut des mamans le 26 décembre 2013.

(2) Relisez l’article d’hier.

(3) extraites des commentaires au premier article.

PENSÉE UNIQUE, NOVLANGUE ET FIN D’UN MONDE : G. Orwell (I.)

Peut-on encore communiquer ?

Chaque jour désormais, plusieurs milliards d’individus sont interconnectés en permanence par Internet. Ầ quoi mène cette hyper-communication ?

Ầ la création d’un nouveau langage qui remplacera bientôt nos langues traditionnelles, celles que nous ont légué vingt siècles de civilisation.

Une langue nouvelle, une novlangue.

Son inventeur, George Orwell, décrit la novlangue comme le moyen utilisé par un système totalitaire pour atteindre son objectif, la soumission totale et consentie d’une vaste population aux non-valeurs d’un Parti unique, à la fois partout présent et insaisissable. 1984 met en scène la fin d’un monde et le début d’un autre, celui qui impose lentement mais sûrement sa Pensée Unique par l’usage d’une langue universelle.

Voici quelques extraits de ce roman prophétique (1) qui fait froid dans le dos.

« Bientôt la novlangue sera adoptée par tous : dans la mesure où la pensée dépend des mots qui l’expriment, toute idée contraire à la Pensée Unique sera littéralement impensable.

« Le but de la novlangue est de fournir un moyen d’expression aux habitudes mentales des membres du Parti invisible, mais surtout de rendre impossible toute autre forme de pensée que la leur.»

La création de la novlangue commence par un appauvrissement à la fois méthodique et radical du vocabulaire :

« Le vocabulaire de la novlangue exclut toute autre idée que la Pensée Unique, et même la possibilité de chercher à la formuler. L’appauvrissement du vocabulaire est une fin en soi, aucun mot ne doit subsister dont on pourrait se passer. La novlangue n’est pas destinée à étendre le domaine de la pensée, mais au contraire à le restreindre. Pour atteindre ce but, la quantité de mots offerts à la nouvelle communication sera réduite au plus strict minimum.

« La novlangue tire son origine de la langue que nous parlions autrefois. Pourtant, beaucoup de phrases novlangues sont à peine compréhensibles pour ceux qui ne la connaissent pas et ne la pratiquent pas. Son vocabulaire est composé de mots que nous croyions connaître, mais leur sens est limité de façon à la fois imprécise et rigide, parce qu’on les a débarrassés de toutes les nuances qui permettaient autrefois l’expression d’une pensée riche et fine. Un mot novlangue n’est qu’un son exprimant un seul concept, destiné à formuler une seule pensée, simple, objective, se rapportant à des objets concrets ou à des actes matériels.

« Ce vocabulaire est inutilisable dans une discussion sur des sujets politiques, philosophiques, religieux ou littéraires.

« La novlangue est née du besoin d’un parler rapide et facile.

«  Rapide : la novlangue est une sténographie verbale qui entasse en quelques syllabes un ensemble d’idées successives. Elle  atteint son objectif avec plus de justesse et de force que les langues héritées du passé.

«  Facile : s’il est difficile à articuler, un mot sera modifié pour couler avec plus de fluidité. La grammaire est toujours sacrifiée à l’euphonie, puisque ce qu’on veut obtenir ce sont des mots courts, faciles à prononcer et qui éveillent le minimum d’échos dans l’esprit de celui qui parle.

« Leur emploi entraîne une élocution volubile, martelée et monotone : le discours doit devenir indépendant de la conscience. Chaque Nouveau Citoyen doit pouvoir émettre un jugement aussi automatiquement qu’une mitraillette : la texture des mots, avec leur son rauque et leur laideur, contribue à l’automatisme de la pensée. Le but de la novlangue n’est pas d’exprimer des idées, mais d’en détruire.

« Chaque mot rendra le sens d’une série d’autres mots, dont il supprime l’existence puisqu’ils sont devenus inutiles.

« Comparé au vocabulaire des langues traditionnelles, celui de la novlangue, extrêmement réduit, doit s’appauvrir d’année en année. Chaque diminution du nombre de mots employés est un gain pour la Pensée Unique. Puisque moins le choix des mots disponibles est étendu, moins on est tenté de réfléchir.

« Notre but, c’est de faire sortir du larynx un langage articulé qui ne mette jamais en jeu les centres plus élevés du cerveau.

« La novlangue est truffée de mots scientifiques et techniques, définis avec précision mais qui ne peuvent être compris que par les spécialistes de cette science ou de cette technique. Chaque science et chaque technique prise une à une sera séparée des autres, cloisonnée dans les esprits par son vocabulaire propre, en sorte qu’aucune pensée globale ne soit jamais possible.

« En novlangue, une pensée autre que la Pensée Unique est impossible : il faudrait lui opposer une argumentation raisonnée, ce qui est exclu puisque les mots nécessaires à l’exprimer manquent.

« Le souvenir des anciennes langues aura disparu avant deux générations. Une personne dont l’éducation a été faite en novlangue n’aura plus accès à l’ancienne littérature, qu’elle ne comprendra pas puisqu’on n’aura pas la possibilité de la lui traduire en novlangue. Seule la littérature technique, ou qui décrit des actions très simples de tous les jours, pourra être traduite en novlangue et comprise par les élèves. Pour eux, la civilisation véhiculée par les littératures traditionnelles sera perdue à tout jamais.

«  Pour ces jeunes éduqués en novlangue, la littérature du passé n’existe plus. Donc le passé n’existe plus, l’Histoire commence avec eux. »

« Celui qui contrôle le présent, contrôle le passé.

                        Celui qui contrôle le passé, contrôle l’avenir. »

Je laisse à mes lecteurs le soin de faire le lien avec ce qu’ils voient tous les jours. Les réseaux sociaux – le plus efficace, Twitter, oblige à exprimer sa ‘’pensée’’ en 140 signes. Les SMS, qui s’écrivent de plus en plus en novlangue. Le Rap, ou tout simplement certaines conversations entre moins de 30 ans entendues dans le métro.

Adolescent, j’ai eu la chance d’être obligé de lire Montaigne, Victor Hugo et Baudelaire. Jamais je ne remercierai assez les maîtres qui m’y ont contraint, tandis que j’étais plus intéressé alors par le vol des mouches contre les vitres du collège, puis du lycée.

L’école de cette époque a fait de moi un individu libre, capable d’une pensée autonome, membre d’une communauté de mœurs et d’idées qu’elle appelait la France.

Je crains fort que cette époque ne soit révolue.

Et tremble à l’idée que déjà, il semble que les novlandais soient parvenus au pouvoir.

                                               M.B., 9 février 2014
à suivre : cliquez

(1) Tirés de l’Appendice à 1984 de George Orwell, Gallimard Folio n° 822, 1950. Je corrige et résume par endroits la traduction de l’original anglais.

Quelques articles autour de ce thème : Rire, pour ne pas pleurer ; Qu’est-ce que la Vérité ? ; L’histoire, un enjeu politique ; Les chrétiens, les musulmans et l’Histoire ; et la catégorie « Crise de l’Occident »

« TU DOMINERAS LE MONDE » : le christianisme adversaire de l’écologie ? (N. Hulot)

Le christianisme est-il incompatible avec l’écologie ?

I. Le constat

1- Nicolas Hulot

Il vient de publier dans Le Monde (1)  un article sur le changement climatique : « Nous sommes passés en vingt-cinq ans de l’indifférence à l’impuissance … Une alliance entre l’écologie scientifique, humaine, et la théologie en tant que réflexion métaphysique, n’est pas inutile pour appréhender en profondeur la crise de civilisation que nous vivons. Il est fondamental que les Églises … clarifient la responsabilité de l’Homme vis-à-vis de la « Création », pour reprendre le langage des croyants. L’Homme est-il là pour dominer la nature, comme l’affirment certains textes ? Les Églises peuvent-elles rester aussi peu audibles alors que l’œuvre de la Création est en train de se déliter sous leurs yeux ? »

2- Jean-Claude Lacaze

Il vient de publier un essai (2) où il dit lui aussi que « face à la crise écologique, le silence du christianisme est étonnant. Plombé par ses dogmes… il tourne le dos aux sciences de la nature, aux réalités écologiques. Le constat est accablant : pour l’Église catholique, la cause de l’environnement paraît marginale alors qu’elle se manifeste, au contraire, comme le lieu où se posent aujourd’hui les questions de Dieu, de l’expérience spirituelle et de l’engagement éthique.»

II. Aux origines du christianisme : un divorce

D’où vient la « construction chrétienne ? … On attribue l’origine de la tyrannie exercée par l’Homme sur la nature à la fameuse phrase de la Genèse (1,28) : ‘’Remplissez la terre et soumettez-la. Dominez [le règne animal]’’… La Bible n’incite pas l’homme à maltraiter la nature. Mais… comme la nature est faite pour lui… elle engendre une vision étroite et anthropomorphique (3) de l’univers qui conduit à une coupure » entre l’Homme et la nature. (4)

Contrairement à ce que dit Nicolas Hulot, la théologie n’est pas « une réflexion métaphysique », c’est-à-dire basée sur l’usage de la raison. C’est un ensemble d’affirmations dogmatiques tirées de l’interprétation des textes sacrés. Pour la Bible, l’Homme est bien là « pour dominer la nature », et la théologie n’a fait que suivre et développer ce présupposé dogmatique. Jamais le christianisme ne s’est écarté de sa source biblique, pour laquelle l’Homme est distinct de la nature qu’il a pour mission d’asservir et de dominer. « Le christianisme est la religion la plus anthropocentrique que le monde ait jamais connue… Non seulement… il instaure un dualisme entre l’Homme et la nature, mais il insiste sur le fait que l’exploitation de la nature par l’Homme… résulte de la volonté de Dieu. » (5)

Lacaze parcourt rapidement l’histoire de la pensée chrétienne, jusqu’au pape Jean-Paul II qui n’a pas compris que « les activités humaines ne peuvent être fiables que si, en amont, les réalités écologiques sont rigoureusement prises en compte. » (6)

Donc, rien à attendre du christianisme officiel pour qui l’exploitation de la planète est nécessaire au bien-être et  au développement de l’homme. Certes, cette exploitation doit se faire dans la justice et le partage, mais elle ne connaît pas de limites.

Le christianisme n’est pas ennemi de l’écologie : simplement il l’ignore, et en l’ignorant il condamne les efforts de ceux qui s’en soucient parce qu’ils en ont pris conscience. Suicidaire d’épuiser indéfiniment les ressources non-renouvelables de la planète ? Ce n’est pas le problème de l’Église catholique. Pour elle, il est écrit que l’humanité doit croître sans limites, que chaque humain doit avoir de quoi vivre et se reproduire. Et si ce dogme aboutit à l’extinction de l’humanité par épuisement des ressources de la planète, c’est la volonté de Dieu – puisque Dieu a dit « Croissez, multipliez-vous, dominez. »

Lacaze suit la trace des quelques théologiens chrétiens dont la pensée s’est ouverte au problème écologique, mais montre que le poids du magistère et du dogme écrasent ces timides ouvertures. Et il donne raison à Nicolas Hulot : « [Dans ses textes] l’Église catholique n’évoque pas le changement climatique. Or les choses mal nommées n’existent pas. » (6)

III. Jésus écologiste ?

1- Jésus et la nature

Lacaze cite mon article publié dans ce blog, L’écologie, Jésus et nous (Jésus à Copenhague ?). J’y montrais pourquoi Jésus n’a pas pu se préoccuper de développement durable et d’écologie : il vivait dans un monde où la question ne se posait pas encore. Mais j’écrivais :

« Jésus apparaît comme un homme en harmonie totale avec la nature qui l’entoure, dont il goûte et décrit la beauté avec un plaisir évident. Pour lui il n’y a pas de rupture entre l’écosystème, les humains qui en vivent et la dimension spirituelle du monde. Non seulement il vit en harmonie avec la nature, mais – comme tous les Juifs – il voit en elle un langage qui parle de Dieu.

« Un temple dans lequel Dieu réside, plus et mieux que dans celui de Jérusalem.

« … C’est cela que nous pouvons retenir de lui : la nature n’est pas seulement une ressource inépuisable, elle est l’une des façons dont nous percevons la présence et la réalité de Dieu.

« Et ceci, en-dehors de tout cadre proprement ‘’religieux’’.

« La nature : pas seulement une richesse à gérer avec parcimonie, de façon équitable. Mais aussi le langage universel par lequel Dieu parle aux humains. » (7)

2- Prolonger la pensée des Éveillés

Mais il faut aller plus loin que cet article, plus loin que Lacaze.

Quelques grands Éveillés ont marqué l’humanité de leur passage sur terre et de leur enseignement (8). Ils vivaient à leur époque, et ne pouvaient donc pas répondre à des questions qui se posent aujourd’hui à nous dans des termes qui leur étaient étrangers.

Mais leur enseignement, comme leur façon de vivre, sont comme des rails que nous pouvons prolonger jusqu’à nous.

C’est le cas de Jésus : si l’on prolonge son enseignement en actes et en parole, il a des choses à nous dire sur la façon dont il aurait traité des questions qu’il ne se posait pas – notamment la question écologique.

D’abord, il a contesté l’ordre établi – social, politique, économique – jusqu’à se faire tuer pour cette contestation. Contrairement aux Églises qui se réclament de lui, il n’enseigne aucun dogme nouveau. Mais il a totalement transformé le judaïsme de sa culture natale, en enseignant et en pratiquant une relation nouvelle avec autrui, avec Dieu, et avec la nature.

Avec la nature : voyez l’article L’écologie, Jésus et nous.

Avec autrui et avec Dieu : voyez mon essai Mémoires d’un Juif ordinaire.

Je vous renvoie à ces deux textes, qui décrivent la façon dont un Éveillé du passé peut parler à notre présent.

Cette ouverture totale aux autres et au monde extérieur,

ce respect absolu des uns comme de l’autre,

cette façon de les accueillir sans les exploiter,

de vivre avec eux sans les dominer,

par son choix de vie, ce choix de la décroissance,

cette opposition jusqu’à en mourir aux forces conservatrices et exploitatrices

pourraient faire de Jésus le guide et l’inspirateur du mouvement écologique.

Et conduire ce mouvement vers une spiritualité écologiste qui lui manque encore.

                                   M.B., 5 février 2014

(1) Le Monde du 5 février 2014

(2) Le christianisme à l’ère écologique – Tu aimeras la planète comme toi-même, Paris, L’Harmattan, 2014.

(3) C’est-à-dire centrée sur l’Homme.

(4) Lacaze, op. cit. pp. 11 et 12.

(5) Lynn White, cité par Lacaze, op. cit. p. 12

(6) Art. cité dans Le Monde.

(7) L’écologie, Jésus et nous… Art. cité dans ce blog.

(8) Voyez dans ce blog les catégories L’enseignement du Bouddha Siddharta, La question Jésus, les mots-clés écologie, pouvoir, crise

PAQUE JUIVE, PAQUE CHRÉTIENNE : Histoire et Mythes

I. PAQUE JUIVE

     Deux événements structurent le judaïsme, encore aujourd’hui :

     1) Le passage de la Mer Rouge, après la fuite d’Égypte : c’est à dire la Pâque.

     2) La double rencontre au Sinaï, qui suivra la Pâque :

          -a- La rencontre du buisson ardent : Moïse est seul, au pied de la montagne. Raconté au chap. 3 du livre de l’Exode, cet événement deviendra fondateur de la tradition prophétique juive.

          -b- La rencontre de « Dieu », au sommet de la montagne : Moïse s’est séparé du peuple juif, resté dans la vallée. Cet événement, très souvent relu dans la Bible, deviendra fondateur de la tradition légaliste juive, qui aboutit à l’époque de Jésus à l’école pharisienne .

     La double rencontre au Sinaï ne repose sur aucun fondement historique, elle est purement mythologique. En revanche, le départ de l’Égypte et le passage de la Mer Rouge ont un fondement historique. Ou plutôt, « auraient » : car la question est vivement discutée entre exégètes, historiens et archéologues.

      Beaucoup croient en effet pouvoir identifier le récit d’Ex 12-14 avec un événement dont on retrouve trace dans les chroniques égyptiennes de l’époque : la présence en Égypte, puis le départ d’une communauté de Habirou, sans doute après le règne d’Akhénaton (1374-1347), initiateur de l’essai avorté de monothéisme autour du dieu Aton.

     Il n’y a pas consensus chez les historiens, mais les indices cumulés sont suffisants pour soutenir l’hypothèse : une tribu de Habirous (qui deviendront « juifs ») se serait en effet enfuie d’Égypte dans des conditions conflictuelles, provoquant la colère du pharaon Ramsès II, avant d’errer longuement dans le désert.

     Admettons qu’il y a un substrat historique à cette fuite d’Égypte, d’une tribu de travailleurs forcés, vers 1250 avant J.C. : autour de cet événement « historique » va se développer le mythe fondateur du judaïsme. Les dix plaies d’Égypte, le passage miraculeux de la Mer Rouge, la manne, les cailles… Tous éléments totalement mythologiques. Mais à l’origine du mythe, il y a eu un événement qui est de l’ordre des faits, non du mythe : si ténu que soit cet événement, il s’est passé quelque chose.

     Et les historiens donnent même une explication simple du miracle de la Mer Rouge, d’où ils déduisent l’itinéraire probable suivi par les fugitifs conduits par Moïse.

     De là à déduire que les chefs de cette bande de fugitifs (et donc, Moïse lui-même) étaient des prêtres d’Aton, obligés de quitter leur pays après l’échec de la réforme monothéiste d’Akhénaton… Et donc, de là à faire remonter l’invention du monothéisme non pas aux juifs, non pas à Moïse, mais à l’Égypte… Il y a plus qu’un pas : un enchaînement de probabilités, qu’un historien ne peut considérer qu’avec une grande circonspection.

      Il n’empêche : de même qu’un grain de sable, glissé dans une huître, peut donner naissance à une perle précieuse, de même un événement (ténu certes, mais résistant à l’analyse) a donné naissance au mythe de la Pâque juive.

     Le mythe, dans ce cas, prolonge l’Histoire : il se développe à partir d’elle.

II. PAQUE CHRÉTIENNE

     La situation ici est totalement différente. Car les éléments de nature historique que nous possédons sont beaucoup plus solides, étayés par des témoignages croisés, pour certains indiscutables , et confirmés par l’étude du contexte socio-historique de l’époque.

     Le 9 avril 30 à l’aube, un tombeau est trouvé vide aux portes de Jérusalem. Personne ne peut – ou ne veut – témoigner de la façon dont ce tombeau a été vidé de la présence du cadavre qu’y s’y trouvait, depuis le 7 avril en fin de journée. On a des informations très proches de l’événement : un ou deux « hommes en blanc » ont été vus et entendus par les femmes venues les premières inspecter le tombeau. Et le IV° évangile, le plus sûr témoin (en partie oculaire) des faits, rapporte la question posée par Marie de Magdala : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis… Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis » (Jn 20, 13-15).

     Nous sommes là dans ce qu’on appelle la tradition pré-évangélique : elle témoigne, non pas d’un événement – une résurrection – mais d’un non-événement : l’absence, la disparition du cadavre. Dont il paraît évident, à ce stade de la tradition, qu’il n’a pas disparu miraculeusement, mais qu’il a été enlevé ou emporté.

     Par qui ? Où ? C’est le secret le mieux gardé du christianisme.

     Chose très rare, on peut dater avec précision la transformation de ce non-événement en événement fondateur : c’est lorsque Paul, en l’an 57, écrit aux corinthiens que « Notre Pâque, le Christ, a été immolée » (II Cor, 5,7).

     A partir de ce moment, et jusqu’à aujourd’hui, le non-événement du tombeau trouvé vide se trouve à la base d’un mythe fondateur. La disparition du cadavre est assimilée à une Nouvelle Pâque, le cadavre est « passé » (signification de Pesha, pâque en hébreu) de l’état de mort à l’état de vie. Une vie éternelle, obtenue grâce à l’immolation du Nouvel Agneau Pascal, le Christ.

      Pour les juifs, le mythe de Pâque pouvait s’appuyer sur un fait réel – c’est-à-dire non-mensonger. On peut en discuter les modalités, mais il semble difficile d’en nier l’existence objective : il y a bien eu fuite d’Égypte. Le mythe prolongeait l’Histoire, il se développait à partir d’elle

     Tandis que pour les chrétiens, leur mythe pascal repose sur un non-événement, très rapidement interprété de façon mensongère : aucun fait réel ne peut venir étayer la proclamation de la résurrection du Christ, telle qu’elle apparaît en l’an 57 sous la plume de Paul. Au contraire, tous les indices de nature historique que nous possédons, indiquent que le cadavre a été emporté du tombeau provisoire de Joseph d’Arimathie.

     Et donc, déposé ailleurs : dans un tombeau où les ossements de Jésus se trouvent toujours, quelque part dans le désert.

     Le mythe ici ne prolonge pas l’Histoire : il ne se développe pas à partir d’elle, mais contre elle.

     L’extraordinaire succès du mythe de la résurrection, appelé à conquérir l’univers chrétien, a tenu au génie de Paul : il a su rencontrer les attentes et les besoins d’une humanité désespérée par son présent, désireuse de pouvoir se rêver un avenir meilleur après la mort.

     Nous sommes aujourd’hui le « samedi saint » 2007 : j’accompagne par la pensée ceux qui, il y a vingt siècles, préparaient à cet instant précis l’enlèvement du cadavre d’un supplicié de son tombeau provisoire. Afin qu’il ne soit pas jeté à la fosse commune, comme celui de tous les crucifiés de l’époque.

     Geste de dévotion, geste de tendresse envers Jésus, auquel je m’associe pleinement.

     D’autant plus que je sais – nous savons – que Jésus, comme tous les « Éveillés » de la planète, vit aujourd’hui et pour l’éternité dans ce que tous les prophètes et spirituels appellent (faute de mieux) le « ciel » : un endroit dont nul ne peut rien savoir, sinon que – lorsque j’aurai moi-même franchi l’étape de l’Éveil – j’irai l’y rejoindre, selon sa promesse :

     « Voici, où je vais vous ne pouvez encore venir : mais moi, je vais vous préparer une place »

     Le joie de Pâque, elle est là.

                                                      M.B. Samedi 7 avril 2007.