Je viens de voir le film Da Vinci Code.
Première impression au sortir de la salle : le film est nul.
Le langage du cinéma, c’est l’image : parlant au subconscient, elle est bien plus efficaces que les mots. Or ce film est une succession de discours, une accumulation de textes compliqués, de théories fumeuses que la caméra tente de faire supporter par de fréquents changements de plans : en vain, on s’ennuie ferme. Quelques courses-poursuites, quelques images synthétiques et scènes de violence tentent de donner le change : ce n’est pas du cinéma mais un pesant discours filmé. De plus, l’action comporte des invraisemblances criantes.
En schématisant le roman, le film met en lumière ses inepties. Erreurs historiques grossières (1), utilisation abusive de textes gnostiques, invention d’un « Prieuré de Sion » qui aurait historiquement succédé aux Templiers… En fait, Dan Brown utilise astucieusement le rejet – très protestant – de l’Église, qui trouve un écho de plus en plus fort chez des catholiques eux-mêmes traversés par une profonde crise d’identité.
Lorsque les discours cèdent (enfin) la place aux images, leur message retombe dans les poncifs d’une Amérique façonnée par Hollywood. On en connaît la structure simpliste : le monde est divisé en deux, les « bons » (nous) et les « méchants ». Les « méchants » ici sont des conjurés qui veulent protéger un secret « terrifiant » : le Christ aurait eu une postérité, dont la dernière descendante est… l’héroïne du film, la délicieuse Amélie Poulain.
L’idée est intéressante, mais le film (comme le livre) n’en tire aucun parti. La découverte du dernier rejeton de Jésus devrait provoquer quelques remous mondiaux ! Mais non, cela se termine sur un énième discours en voix off, qui ne mène nulle part et fait regretter le pathétique » Tara ! » de Scarlett à la dernière image d’Autant en emporte le vent.
Comment ce navet a-t-il pu voir le jour ? Mais aussi : comment l’Amérique a-t-elle pu lancer sa guerre contre l’Irak ? A bien y regarder, les deux questions ne sont pas étrangères l’une à l’autre. Elles font jouer les mêmes ressorts : la peur, manipulée par l’ignorance, et servie par des moyens financiers colossaux.
1) L’Occident connaît la crise la plus profonde depuis ses origines. Cette crise est intimement liée à l’effondrement récent du christianisme. Face à un islam très sûr de lui, les occidentaux doutent et ont peur, car la chrétienté n’est plus là pour jouer son rôle de rempart identitaire – comme elle l’a fait depuis le IV° siècle.
L’auteur joue sur cette peur : l’Église orchestrerait un complot séculaire pour asseoir un injuste pouvoir, en violant toute règle morale. Hélas, Dan Brown se trompe de complot, et il nous trompe. Si complot il y a eu dans l’Église, c’était la fabrication d’un dieu à partir d’un homme, et non la descendance de cet homme, inexistante.
De même, le complot de Saddam Hussein a justifié la guerre pour raisons morales : mais il était inexistant. La vraie motivation de Bush était ailleurs : l’argent.
2) Après la peur, Dan Brown utilise l’ignorance du public qu’il trompe sur la nature du secret, et sur les moyens employés par le Vatican pour le préserver. De même, l’administration américaine a abusé de notre ignorance pour nous faire croire à l’existence d’armes de destruction massive irakiennes.
3) Enfin, pour faire avaler sa tromperie il engage des moyens financiers gigantesques. Aucun public ne peut résister à sa campagne publicitaire : « Si vous ne lisez pas, vous ne saurez pas. Vous devez absolument savoir« .
Une stratégie américaine ? Identifier les angoisses et les attentes inconscientes de toute une société. Chercher à la manipuler en s’abritant derrière ces éléments. Lui présenter un argumentaire qui ne correspond à aucune réalité, mais répond aux éléments identifiés. Employer enfin d’énormes moyens financiers pour parvenir à ses fins.
M.B., juin 2006