DIEU EST-IL INTERVENTIONNISTE ?

J’ai longtemps cru que ‘’Dieu’’ ne pouvait pas intervenir dans la marche de l’humanité. Ma conviction était celle d’un scientifique, elle avait la simplicité de la démonstration rationnelle. En admettant que ‘’Dieu’’ ait créé l’univers et l’ait doté des lois physiques, chimiques, biologiques que nous découvrons chaque jour, ce sont ces lois, voulues par lui en même temps que la création, qui dirigent l’univers. Elles sont aussi immuables que lui, il ne peut pas intervenir pour les infléchir ou les modifier.

Ainsi quand la pomme est mûre, elle tombe sur le sol. ‘’Dieu’’ n’y est pour rien, c’est la conséquence de la loi de la gravitation créée en même temps que l’univers auquel elle donne sa cohésion. Quand des promeneurs sont écrasés par une avalanche, leur mort ne peut être reprochée à ‘’Dieu’’ : la fonte des neiges, le vent et le poids de la glace sont seuls responsables. Quand un enfant est écrasé par un chauffard c’est à cause de l’alcool, etc.

L’Histoire immuable ?

J’étais frappé de voir que dans la Bible, ‘’Dieu’’ ne cesse d’intervenir pour infléchir les événements en faveur d’un peuple, les Hébreux, au détriment d’autres peuples, ses ennemis. Ainsi, quand Israël se bat contre les Amorites, Josué demande à ‘’Dieu’’ d’intervenir en arrêtant le temps pour lui permettre de les achever : « ‘’Soleil, implore-t-il, arrête-toi sur Gabaôn !’’ Et le soleil s’arrêta et se tint immobile jusqu’à ce que le peuple se fut vengé de ses ennemis ». (Jos. 10, 12)

Invention mythologique semblable à tant d’autres dans l’Antiquité, pensais-je, ce n’est pas ainsi que marche l’Histoire. Depuis Karl Marx et ses successeurs, nous savons qu’elle obéit à des déterminismes biologiques et sociaux parfaitement logiques et incontournables. Elle est en mouvement permanent, mais les lois qui déterminent ce mouvement sont aussi immuables que celles de la gravitation.

On connaît la conception du « Grand Horloger » de Voltaire, qui admettait que le monde avait été créé par un remarquable mécanicien. Son horloge cosmique une fois assemblée, il ne pouvait pas intervenir pour en modifier les mécanismes. Le mouvement de l’Histoire était froidement déterminé, chaque chose étant prévisible et rien ne pouvant entraver ou dévier le cours des événements. ‘’Dieu’’ restait là-haut, spectateur incapable de modifier quoique ce soit de ce qu’il avait lui-même inventé.

Même pour faire plaisir à Josué et aux Hébreux.

L’Histoire était mobilité. Mais ses lois étaient immobiles, intangibles. Un fatum disaient déjà les Romains, une fatalité, un destin aveugle et inhumain. Pauvre de nous, qui ne pouvions que subir une destinée dont les ressorts cachés dans la toute-puissance divine nous échappaient.

La révolution Jésus 

La redécouverte de Jésus à travers la démythologisation des évangiles obligea certains à modifier cette conception à prétention scientifique. D’abord, en étudiant ses guérisons : solidement attestées et documentées par les textes, ce ne sont pas des miracles (1). Et pourtant, elles transformaient totalement les destinées individuelles des malades guéris par Jésus. À son époque un épileptique, un lépreux, un estropié étaient condamnés, c’était inscrit dans les lois de la nature. En les guérissant il changeait leur destin, il abolissait le fatum.

Son message se lit dans la façon dont se déroulaient ses guérisons. C’est toujours le malade qui allait vers Jésus, démarche imprévisible et souvent mal perçue par son entourage qui n’appréciait pas de voir des gens ‘’impurs’’ demander qu’il les touche. Dès qu’ils avaient fait cette démarche qui attestait de leur désir d’être guéri par lui, Jésus interrompait ses activités du moment pour consacrer toute son attention à celui ou celle qui venait à lui. Et il leur posait toujours la même question : « As-tu assez confiance en moi pour que je puisse faire ce que tu demandes ? » Si le malade répondait « oui », c’est-à-dire si une relation de confiance totale s’établissait entre lui et Jésus, la guérison suivait dans l’instant.

Autrement dit, une relation inter-personnelle forte peut gripper le mécanisme de l’horloge. Une guérison non-attendue peut renverser les lois de la nature (2). Par là, Jésus montrait que l’univers n’est pas seulement soumis à une implacable mécanique. Un autre paramètre existe, la relation de personne à personne qui n’obéit à aucune loi fixée d’avance puisqu’elle dépend d’une initiative libre et imprévisible.

Théologiens et philosophes ont débattu pendant des siècles de la relation entre la loi et libre-arbitre. Tant de discussions érudites ont fini par occulter une vérité simple : les humains ne sont pas soumis à une destinée aveugle. Leurs initiatives peuvent faire basculer le cours des choses. Ce qui était prévisible selon les lois de la nature peut prendre une autre direction.

Dieu Grand Horloger ?

À l’époque de Jésus et depuis longtemps, le judaïsme majoritaire croyait lui aussi que ‘’Dieu’’ était un horloger – mais qu’il pouvait trafiquer l’horloge quand il le fallait pour influer sur l’histoire juive. Pourtant un courant minoritaire, le prophétisme, affirmait que ‘’Dieu’’ était au contraire une personne douée de sensibilité, dont les entrailles frémissaient de compassion au spectacle de la souffrance humaine. Ou encore, comme Osée, un époux désolé de l’infidélité de sa femme-peuple. En s’opposant aux Pharisiens, Jésus s’est inscrit dans ce courant. Il l’a porté à son accomplissement d’un seul mot : Abba. ‘’Dieu’’, dit-il, est pour chacun comme un père ou une mère tendrement aimants. À nous de nous comporter envers lui comme des enfants qui se blottissent avec confiance dans ses bras – en araméen Abba veut dire « papa, daddy ».

C’était une révolution. ‘’Dieu’’ n’était plus l’auteur d’une machinerie complexe fonctionnant toute seule, mais une personne avec qui établir des relations inter-personnelles de confiance. La confiance que Jésus demandait aux malades, pistis en grec, qu’on traduit souvent par « foi » mais qui signifie plutôt l’abandon de soi dans la confiance totale envers quelqu’un d’aimant – et d’aimé.

Après Jésus, les humains ne sont plus des planètes tournant autour d’un astre lointain, dans le vide sidéral glacial. Mais des enfants chéris, que leur père tente d’éduquer – comme le font tous les parents – en les corrigeant parfois, en les aimant toujours.

Ce père peut intervenir dans la vie de ses enfants, à une condition : qu’ils veulent bien accepter son projet éducatif. Ce projet, il a un nom : métanioa, transformation intérieure et extérieure complète, parfois virage de bord à 180°. Si l’enfant parvient à accepter ce projet, il devient capable de transformer les événements douloureux de sa vie (le destin) en moments positifs, en tremplins. Contrairement à ce que pensaient les Quiétistes du 17e siècle, la métanoia ne signifie pas l’abdication devant la volonté divine – c’était revenir à la soumission devant l’aveugle destin. Mais l’engagement actif, volontaire, dans le programme éducatif d’Abba. « Aide-toi et le ciel t’aidera » disait La Fontaine, proche des Quiétistes. Il aurait mieux fait de dire – mais ça sonnait moins bien : « Découvre ce que la tendresse d’Abba te propose, et puis fais-le ».

Une révolution sociale ?

La révolution-Jésus n’était pas collective, sociale, mais individuelle. Il n’a pas cherché à créer une structure, un État de droit divin, une quelconque Cité de Dieu. Il a instauré une relation totalement nouvelle entre des individus et un ‘’Dieu’’ individuel, doué de compassion et ayant sur chacun un projet qui le dépasse. C’était la fin du fatum, d’un déterminisme inscrit dans les gènes, la race ou les facteurs extérieurs. L’Histoire n’est plus écrite d’avance, le destin n’est plus seul à la manœuvre. En se transformant par la métanoia, chacun peut changer le cours de l’Histoire.

Cette Histoire collective est faite de milliards d’histoires individuelles. Marx et d’autres ont tenté de mettre de l’ordre dans la combinaison de ces histoires, leurs conflits et leurs heurts parfois violents. Ce fut, on le sait, en faisant passer l’histoire des peuples avant celle des individus, la révolution mondiale avant le bonheur des révoltés. Depuis, le balancier penche à nouveau dans le sens de l’individualisme et du nationalisme, mais la notion d’intervention divine dans l’Histoire a complètement disparu.

La planète s’en porte-t-elle mieux ? Ce n’est pas sûr.

                                                                                       M.B., 27 avril 2018
 (1) Un miracle est un évènement contraire aux lois de la nature (marcher sur l’eau.) Une guérison améliore ou corrige un désordre dans l’état de santé naturelle.
(2) Techniquement c’est un acte méta-naturel et non sur-naturel.

11 réflexions au sujet de « DIEU EST-IL INTERVENTIONNISTE ? »

  1. Quentin L.

    Il n’y a rien d’enfantin dans le terme Abba, c’est une expression de proximité et de confiance mais qui signifie Père et non Papa. C’est ce terme qui était employé par les juifs du second temple pour s’adresser à un maître respecté.
    Ce qui est remarquable , c’est de constater à quel point cette habitude d’appeler Dieu Père tranche avec les habitudes de l’époque. On ne rencontre nul part ailleurs un tel emploi du terme abba pour appeler Dieu dans la prière, c’est absolument unique. Cela implique une intimité que l’on ne voit pas ailleurs dans le judaïsme du second temple.

    Dans ces paroles, Jésus affirme une autorité unique qu’il a reçu de Dieu. Mais il y aussi une relation unique, une proximité réciproque qui fait que la proximité dont il jouit n’est pas accordée à d’autres, il y a donc une exclusivité qui tient à ce qu’est Jésus, le fils du Père.

    Par cela, Jésus seul en raison de son statut, permet aux hommes de connaitre Dieu. On ne peut connaitre le visage paternel de Dieu qu’au travers de la révélation que Jésus en donne. Jésus revendique une autorité particulière et une relation particulière comme Messie mais surtout comme Fils, et comme Fils unique.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      En hébreu, père se dit « Ab' ». C’est le terme pour désigner Dieu dans la Torah, les Prophètes, la Mishna, le Talmud et chez les Hassidim. Abba ou Abbou est un terme familier qui n’est jamais employé par les Juifs pour désigner Dieu.
      La grande révélation de Jésus, c’est de dire qu’Adonaï est un abba –> nous sommes ses enfants chéris. Il n’en a pas l’exclusivité : « Je vais vers mon Père et votre Père ». Il est un « fils bien-aimé », nous sommes des fils aimés qui devons apprendre à aimer Abba comme il l’a aimé.
      M.B.

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      1. Quentin L.

        A nouveau je nuancerais: La révélation de Jésus c’est que Adonaï est SON abba, et qu’il est aussi le notre seulement à travers lui, d’où le qualificatif de fils unique pour Jésus, et de fils adoptifs pour ses disciples. Nous sommes « fils dans le Fils ».

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  2. Paul K.

    Dieu et nous: tout ça pour ça ?
    Des milliards d’années pour notre univers, peut-être d’autres milliards d’années avant le Big-bang. Des milliards d’autres univers s’il s’avérait que notre univers n’est qu’une infime partie de « multivers » ou « plurivers ».
    De multiples possibilités existentielles dans le « hasard » de l’infiniment petit.
    .
    Tout ça pour que la vie arrive et que l’homme émerge enfin, après tant d’efforts et d’énergies déployés, et tout en sachant que l’homme disparaitra inéluctablement dans « quelques » millénaires, que les insectes nous survivrons sans doute pendant encore « quelques » millénaires pour finalement disparaitre avec la fin programmée de notre astre solaire.
    Oui, « tout ça pour ça ». Pourquoi ? Quelle intention ?
    .
    Albert Einstein fut perturbé par l’énoncé du « principe d’incertitude » par Heisenberg (physique quantique – 1927) qui lui semblait être incompatible avec la théorie « rassurante » du déterminisme universel, et qui lui fit dire que « Dieu ne joue pas aux dés ».
    .
    Le principe d’incertitude dans « l’infiniment petit » à relier à la « théorie du Chaos » de Mandelbrot et la découverte récente du « boson de Higgs », appelé également, et comme par hasard, « particule de dieu », nous renvoie à un étonnant constat que « l’assise ultime, ce n’est pas la matière, l’atome, les particules. C’est un logos » (Bernard d’Espagnat, Physicien) – Jugement qui rejoint la formule paradoxale du mathématicien et informaticien américain John Archibald Wheeler: IT FROM BIT (tout découle de l’information), que le philosophe Jean-Pierre Dupuy traduit par « Au commencement était l’information », ce qui nous renvoie inéluctablement au prologue de Jean (1, 1) : « Au commencement était la Parole, et la Parole (logos) était avec Dieu, et la Parole (logos) était Dieu.»
    Science et Philosophie se rejoignent.
    .
    Les derniers paragraphes du Prologue du « Phénomène humain », de Teilhard de Chardin (1955), peuvent donner un fil directeur à nos réflexions :
    « Le moment est venu de se rendre compte qu’une interprétation, même positiviste, de l’Univers doit, pour être satisfaisante, couvrir le dedans, aussi bien que le dehors des choses, — l’Esprit autant que la Matière. La vraie Physique est celle qui parviendra à intégrer l’Homme total dans une représentation cohérente du monde. Puissé-je faire sentir ici que cette tentative est possible, et que d’elle dépend, pour qui veut et sait aller au fond des choses, la conservation en nous du courage et de la joie d’agir.
    En vérité, je doute qu’il y ait pour l’être pensant de minute plus décisive que celle où, les écailles tombant de ses yeux, il découvre qu’il n’est pas un élément perdu dans les solitudes cosmiques, mais que c’est une volonté de vivre universelle qui converge et s’hominise en lui. L’Homme, non pas centre statique du Monde, — comme il s’est cru longtemps ; mais axe et flèche de l’Évolution, — ce qui est bien plus beau.
    …Mais il se peut aussi que, suivant une loi à laquelle rien dans le Passé n’a encore échappé, le Mal, croissant en même temps que le Bien atteigne à la fin son paroxysme, lui aussi sous une forme spécifiquement nouvelle.
    Pas de sommets sans abîmes. » (LE PHÉNOMÈNE HUMAIN- IV – LA SURVIE p. 289/290)

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Sur ces questions, vous trouverez dans ce blog plusieurs articles. Dans la case « rechercher » à droite, tapez les mots-clé « Univers, Multivers, Big-Bang » et suivez les liens.
      Que l’assis ultime soit la pensée ou plutôt la pensée-parole (logos) est une réflexion faite par plusieurs astrophysiciens. Dans leurs tentatives de percer le mystère de l’avant-Big-Bang ils parlent plutôt d' »Information », matrice de l’univers. On sort un peu de la physique dure, mais on rejoint les intuitions de grands penseurs comme le Bouddha (cliquez sur cette catégorie dans blog).
      Merci, M.B.

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  3. MARTIN Jean

    Cette question fait suite à plusieurs échanges entre nous : je remarquais que Dieu, étant au dessus du Temps et voyant l’avenir, ne peut intervenir puisque ce serait modifier le déroulement qu’il connaît déjà.
    Vision bien humaine, certes qui n’exclut pas des solutions aux mystères qui nous dépassent, notamment sur la nature du temps, sa non-linéarité et sa réversibilité inaccessibles pour nous.
    Il faut par ailleurs distinguer l’intervention sur la matière inanimée et sur les êtres vivants, tant dans la vie animale que dans les actes et la pensée.
    Cela laisse la place à la liberté individuelle et n’empêche pas l’inspiration spirituelle que chacun peut ressentir (ou recevoir) dans sa relation personnelle avec Dieu.
    JM

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Merci de ton commentaire.
       »Dieu » voyant l’avenir ? Il faudra revenir ici sur cette question, qui me paraît mal posée par la vox populi chrétienne.
      La question du temps a été totalement renouvelée par Einstein. Peut-être faudra-t-il aussi revenir (en même temps) dessus ?
      A suivre j’espère, Inch’Allah.
      M.B.

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  4. Jean Roche

    Bonjour,
    J’avoue n’avoir pas compris l’intérêt de croire en un Dieu qui Se désintéresse de Sa création, à moins que ce soit une étape vers l’athéisme pur et simple, une façon de faire son deuil de Dieu.
    Et si vraiment tout, absolument tout, est déterminé par des lois physique, comme le supposait par exemple Pierre-Simon de Laplace (qui fit un jour à Napoléon, qui lui demandait « et Dieu là-dedans ? » la réponse bien connue : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse »), alors comment des choses comme la conscience, le libre-arbitre, le bien, le mal, les valeurs, ont-elles pu s’y glisser ? Ou seraient-ce de pures illusions ?

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Voyez la différence entre la physique de Newton et celle d’Einstein : quand la pomme tombe de l’arbre, la physique newtonnienne s’applique parfaitement à l’analyse de sa chute. Mais cette physique n’est plus valable à un autre niveau, celui de l’infiniment grand & infiniment petit. Alors, il faut avoir recours à la physique quantique.
      Même chose ici : Laplace n’a pas besoin de  »Dieu » dans son rayon d’action. A un autre niveau, cette hypothèse devient non seulement plausible, mais nécessaire.
      M.B.

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  5. CORRE Henry

    Abba est-il transcendant? Nous sommes le « fils » et le « père ».Ils sont en nous. Hors de soi point de salut!
    La « confiance » (pistis) doit s’établir entre je et nous.
    S’aimer soi-même avant toute chose. Véritablement aimer….
    Le reste suit…
    amicalement
    HC

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