FIN DU MONDE ET COMMENCEMENT (Bugarach)

          La fin du monde est-elle pour dans une semaine ?

          Allons-nous tous y passer le 21 décembre, sauf ceux qui seront à Bugarach dans l’Aude ?

          Pour répondre, je vous propose de nous intéresser d’abord au commencement de l’univers. (voyez aussi cet article)

 Le commencement

           L’une de ses descriptions les plus anciennes – en tout cas la plus fameuse – est le récit de la Création dans la Bible, ce sont même ses trois premiers versets.

          Voici leur traduction la plus courante :

                     Au commencement, Dieu créa la terre et le ciel,

                    Or la terre était vague et vide, les ténèbres couvraient l’abîme.

                    Dieu dit : « Que la lumière soit, et la lumière fut ».

           En traduisant ainsi, on oublie que l’hébreu n’est pas une langue comme les nôtres, il ne fait pas de distinction entre la prose et la poésie. La prose biblique, même la plus ordinaire, est toujours poétique : les phrases sont scandées, la langue hébraïque possède un rythme, des assonances, des répétions, qui lui donnent un caractère unique. Il ne faut jamais oublier que ce fut d’abord une littérature orale, destinée à être récitée, psalmodiée, chantée pour être mémorisée.

          Nos Bibles traduisent bereshit bara Elohim par : ‘’Au commencement, Dieu créa’’. Elles font de bereshit bara une proposition principale, dont le sens est clos : c’est le ‘’mode accompli’’. Alors que cette première phrase est un inaccompli, dont la proposition principale et conclusive se trouve deux versets plus loin : ‘’Dieu dit « Que la lumière soit »’’.

          Cela change complètement le sens du texte. La Bible ne dit pas qu’au commencement, Dieu créa – comme si, avant la création, le commencement existait déjà. Mais que Dieu créa le commencement.

          Si l’on colle au plus près du rythme poétique, cela donne quelque chose comme

                     Au commencement que Dieu a créé,

                    le ciel et la terre – et la terre était vague et vide –

                    Et Dieu dit : « Qu’il y ait la lumière ! »

                    Et il y eût de la lumière.

           Dieu crée d’abord le commencement, bereshit bara.

           Mais il n’y a rien, que du vague et du vide, tohu we-bohu. Le commencement de quoi ? Ce qui va remplir ce vide, c’est la matière, c’est-à-dire l’air et la terre. Mais pour que la matière se forme, il faut de la lumière, dit la Bible. Elle le fait comprendre par une inclusion poétique, trois propositions reliées par trois « et » qui accentuent le rythme.

          Passons de la poésie à la prose, en explicitant les sous-entendus :

                     Dieu créa le commencement.

                    [ La terre et le ciel ? Mais la terre était vague et vide ! ]

                    Alors, Dieu dit : « Qu’il y ait la lumière, et la lumière fut ».

           Dieu commence par créer un commencement, c’est-à-dire le temps : à partir de cet instant, il y a… des instants qui se suivent, il y a de l’avant et de l’après.

          Qu’est-ce qu’il y avait avant le commencement ? La question n’a pas de sens, puisqu’avant le commencement il n’y avait pas d’avant, ni d’après. Le temps n’existait pas, ce n’est qu’à partir de la création qu’on peut parler d’un avant et d’un après, d’une Histoire.

          Dieu ne fait pas l’Histoire, mais il en crée les conditions : le temps.

           Ce qui s’ensuit, l’apparition de la lumière, puis la séparation du jour et de la nuit, du ciel et de l’eau, des eaux et des terres, l’apparition des animaux puis de l’Homme, les physiciens et M. Darwin se sont montrés très capables de l’expliquer.

          Tandis que les astrophysiciens s’épuisent à traquer le moment de la création du temps. Ils remontent jusqu’à 10 puissance moins 34 secondes après le Bigbang (0, virgule suivie par 34 zéros 1 seconde) . Mais l’instant même du Bigbang leur échappe, et encore plus ce qu’il y avait avant.

          La création du monde, c’est la création d’un commencement. Le reste n’est qu’une série de transformations énergétiques, de combinaisons moléculaires, puis génétiques.

          Dont nous savons qu’elles obéissent à des cycles : il y a eu sur notre planète des périodes d’expansion, de multiplication des espèces suivies de leur extinction et d’un recommencement.

          Mais il n’y a eu qu’un seul commencement.

 La fin

           Il y a deux familles d’apocalypses, genre très répandu depuis l’Antiquité :

           – Celles qui prévoient que des ères se succèdent, l’une après l’autre : c’est le cas de l’Égypte, de l’Inde et des Mayas. Une ère s’achève, suivie par une autre qui ne sera ni meilleure ni pire, puisqu’elle devra s’achever elle aussi pour faire place à la suivante.

           – Celles qui annoncent la fin de l’Ère du Mal dans un cataclysme, pour donner naissance à l’Ère du bien, un monde où tout sera beau et bon pour toujours. Ces apocalypses sont toutes messianistes (cliquez) : un Messie viendra, soit pour provoquer le cataclysme soit pour l’accompagner. Ce sera un déluge de feu et de sang, mais il en sortira un univers purifié, qui ne sera plus jamais soumis à la domination du Mal. C’est le cas du judéo-christianisme, de l’islam, du nazisme et du communisme (cliquez).

           Aucune apocalypse n’a jamais annoncé la fin du monde, mais seulement sa transformation radicale, la fin d’un monde et la naissance d’un autre. Pour leur part, les apocalypses messianistes attendent qu’un Messie vienne dominer l’univers : le nouveau David pour les Juifs, le Christ pour les chrétiens, l’Umma musulmane pour l’islam, le Herrenvolk pour les nazis et la classe ouvrière pour les communistes.

          Ceux qui survivront au cataclysme et participperont à la construction du nouveau monde seront ceux qui auront su suivre le Messie, quel qu’il soit. Les autres… eh bien, qu’ils disparaissent !

           Tandis que la véritable fin du monde, ce serait la fin du commencement : le retour à ce moment où il n’y avait pas de succession de moments, puisque le temps n’existait pas.

          Ce que nous appelons la ‘’fin du monde’’ est donc un changement radical du monde tel que nous le connaissons.

          Ce n’est pas la fin du commencement de toutes choses, mais la fin d’un monde auquel va succéder un autre, inscrit dans la suite du même temps. Elle s’est déjà produite à de nombreuses reprises : qu’on pense à la fin des Empires assyrien, égyptien ou romain (annoncée celle-là par l’Apocalypse de s. Jean), à la fin de l’Ancien Régime…

           Ầ quoi assistons-nous depuis une cinquantaine d’années ? Ầ la fin d’un monde dominé par l’Occident et sa culture. Ầ la fin de la chrétienté qui fut pendant 17 siècles le socle fondateur de cette culture (voyez dans ce blog la catégorie  »Crise de l’Occident »).

          La fin du monde ? Elle a déjà commencé. Ce qui est nouveau dans l’histoire de la planète, c’est la rapidité avec laquelle elle se produit cette fois-ci – en bonne partie grâce à la mondialisation des moyens de communication.

           La fin du monde n’est pas pour le 21 décembre 2012. Nous sommes en train de la vivre, et pour la première fois depuis les origines de l’humanité, elle se produit en l’espace d’une seule génération. C’est cela qui est nouveau : la rapidité des transformations, qui accélère leur violence et les rend perceptibles en temps réel.

           Le monde auquel les plus âgés d’entre nous étaient accoutumés disparaît. Celui qui s’annonce n’est pas encourageant : jamais l’Homme n’a disposé d’autant de moyens pour détruire ce qui existe, sans être capable de prévoir et d’organiser ce qui viendra.

          Le 22 décembre ne sera qu’un jour de plus, dans la succession d’un temps qui s’accélère dramatiquement depuis environ un siècle.

                                               M.B., 15 décembre 2012

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