AUX RACINES DU POUVOIR. Conférence aux Francs-Maçons

Notes succinctes d’une conférence donnée à des loges maçonniques, pour fournir un cadre à leur travaux.

 I. Les deux sortes de pouvoir

           Le pouvoir, c’est la capacité d’obtenir des individus qu’ils se comportent comme on le souhaite : il s’exerce donc toujours par la contrainte.

 1- Deux formes de pouvoir

           -a- Le pouvoir « corporel » ou extérieur à l’Homme : politique, policier, militaire, financier, social, scolaire, judiciaire, etc.

          Chacune de ces formes de contrainte contrôle l’Homme ou la société par l’extérieur d’eux-mêmes.

           -b- Le pouvoir « incorporel » ou spirituel / idéologique.

                Il contrôle l’Homme ou les sociétés par l’intérieur d’eux-mêmes : ce sont des idées, des idéologies, ou un ensemble de valeurs morales, esthétiques, religieuses.

 2- Nature de ces deux pouvoirs

           -a- Les contraintes « corporelles » ne contrôlent que quelques-unes des dimensions de l’existence humaine, à l’intérieur de portions de territoire limitées. Elles n’entraînent qu’une soumission extérieure : on peut se conformer à des lois ou à des coutumes sans pour autant être pleinement d’accord avec elles. On se soumet – parce qu’on ne peut pas faire autrement.

          Mais on n’en pense pas moins : on garde sa liberté intérieure.

          S’ils veulent s’installer et durer, ces pouvoirs extérieurs à l’homme doivent mettre en place et maintenir des moyens coûteux : forces armées, police, écoles, tribunaux, etc., dont la visibilité renforce le pouvoir.

          Malgré leurs apparences, ces structures sont fragiles puisqu’elles ne remplissent leur fonction que dans la mesure où elles demeurent fidèles aux autorités qui les ont instituées. Elles sont puissamment organisées.

           -b- Le pouvoir « incorporel » en revanche contrôle les individus dans leur globalité : il met la main sur leurs esprits, leur faculté de jugement, leur imagination et parfois leurs cœurs.

          On perd sa liberté intérieure.

          Son principal moteur est la crainte : crainte de se tromper en ne prenant pas la bonne voie ; crainte de se singulariser en ne faisant pas comme tout le monde ; crainte de n’être pas fidèle à une tradition familiale, ou sociale, ou à des engagements de jeunesse ; pour les religions, crainte de l’enfer, etc.

 II. Prendre le pouvoir « incorporel »

           Plus les idées sont sommaires, plus elles sont efficaces : à condition de s’adresser

          – aux archétypes mentaux (peur de la mort, œdipe, universaux, etc.)

          – et aux pulsions

                                     qui sommeillent en chacun de nous.

           Contrairement aux moyens mis en œuvre pour prendre le pouvoir « corporel », les idées ne sont ni coûteuses ni visibles, et on ne peut pas s’opposer physiquement à elles : il suffit d’avoir deux bras pour caillasser des CRS, en revanche pour s’opposer à une idéologie il faut des qualités intellectuelles et une capacité d’expression qui ne sont pas donnés à tout le monde.

          La seule résistance possible est d’ordre mental : elle demande analyse, réflexion, et une grande force morale (jusqu’à envisager froidement de mourir pour ses idées.)

                Deux conditions doivent être réunies pour prendre ce pouvoir :

           -a- Une situation de faiblesse

           – Faiblesse d’une société qui doute d’elle-même parce qu’elle a perdu ses valeurs, ou que celles-ci ne correspondent plus à l’évolution des esprits (Empire romain au IV° siècle). Ou encore dont les dirigeants ont perdu contact avec la réalité (Ancien Régime au XVIII° siècle).

          Il faut une « société en crise ».

          – Faiblesse d’individus qui ont perdu leurs repères, qui sont en perte de vitesse psychologique, affective, sexuelle ou sociale : il ne savent plus où ils en sont. Ils s’éloignent des idées ou des comportements « politiquement correct » (ou du « moralement », « socialement », « artistiquement », « religieusement correct »).

          C’est dans ce vivier d’individus en crise que les pouvoirs incorporels ont toujours recruté leurs premiers membres : par exemple l’Église chrétienne du I° siècle (des esclaves), les croisades (des chevaliers oisifs et en difficulté financière), les troupes de choc nazies (les SAS recrutés dans les bas-fonds de Berlin).

           -b- En face d’eux, ils doivent trouver une force idéologique ou spirituelle : doctrine religieuse, politique, morale ou sociale.

          A l’origine, on trouve toujours un génie charismatique qui invente un système idéologique nouveau. Il est suivi par des disciples, qui appliquent ses idées en les adaptant hors de leur lieu d’émergence, et en les durcissant. Par exemple :

          – Entre l’an 50 et 60 Paul de Tarse invente le christianisme en Syrie, mais il ne parvient à maturité qu’au IV° s. et en Asie Mineure.

          – Karl Marx réinvente à Londres le communisme qui s’adapte aux Antilles (Castro), en Asie, en Afrique, etc.

          – Lénine et Hitler inventent le totalitarisme moderne qui trouve des imitateurs sur toute la planète.

           Quatre constantes

           -a- La prise de pouvoir idéologique s’accompagne toujours d’une réécriture de l’Histoire : « Celui qui contrôle le passé, contrôle le présent » (G. Orwell).

          Pour les dictatures idéologiques, l’Histoire devient un enjeu politique majeur (cliquez).

           -b- La démarche idéologique est toujours la même : « Il n’y a qu’une seule Vérité, et c’est nous qui la possédons. Ou bien tu l’ignores, et on va te l’apprendre – pour ton bien. Ou bien tu la rejettes, et on va t’écraser – pour ton bien ».

          Le pouvoir idéologique prétend toujours faire le bien de ceux qu’il contraint.

           -c- Le pouvoir incorporel se conquiert par la force de l’entraînement. Plus les adeptes d’une idéologie sont nombreux, plus ils recrutent par l’effet de contagion des convictions (Cf. Rhinocéros de Ionesco).

           -d- Depuis 60 ans, le pouvoir médiatique est devenu la courroie de transmission de la prise de pouvoir idéologique. Il atteint les gens en masse, chez eux, dans leur intimité, et sait agir par le biais des images subliminales (images captées par l’inconscient, à l’insu du sujet) Il est donc d’une efficacité terrifiante,

          Dans Prisonnier de Dieu (cliquez), j’ai analysé la façon dont j’ai moi-même été capté par une secte, et contrôlé par elle pendant des années. Si j’en suis sorti indemne, c’est qu’ils ne sont jamais parvenu à abolir totalement ma liberté de jugement.

 III. Garder le pouvoir

           – Les idées ont un inconvénient : quand on ne les adapte pas régulièrement, elles rouillent. Car les individus et les sociétés évoluent au fil du temps. Si l’idée fondatrice reste figée, arrive un moment où elle n’obtient plus l’adhésion des masses : le système idéologique s’effondre.

          – En l’adaptant, on s’éloigne du charisme du fondateur : c’est le problème des « héritiers« , qui rapidement ne pensent plus qu’à conserver un pouvoir devenu personnel, et non plus idéologique (cliquez).

          – Quand l’idée a perdu de sa force entraînante, le pouvoir incorporel tente de garder ses adhérents par des moyens coercitifs : rappel des engagements initiaux, chantages affectifs, pressions, menaces, parfois violences physiques.

          – Plus les idées induisent un comportement totalitaire de masse, plus le lavage de cerveau doit être élaboré, collectif et répétitif (nazis, kamikazes).

 IV. Le désir de pouvoir

            Faute d’une étude psy- du désir de pouvoir idéologique, je crois pouvoir identifier au moins deux éléments qui sont toujours présents : je les soumets à votre réflexion.

 1) La pulsion sexuelle

          Les totalitarismes se méfient de la sexualité, ils la dissimulent ou l’interdisent : elle est un espace de liberté qu’ils tolèrent mal.

           En revanche, les libertaires sont volontiers libertins.

 2) Le cynisme

          « La fin justifie les moyens ». On veut faire le bonheur des gens malgré eux : « aujourd’hui vous souffrez, mais plus tard vous serez heureux ».

          Les totalitarismes sont tous messianiques (cliquez).

           En fait, seuls les dirigeants ont des datchas, et personne ne connaît l’adresse du Paradis promis aux croyants.

                                                                      M.B., 2 avril 2010

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