JÉSUS ET LES ESSÉNIENS (J.P. Meier III)

          Les travaux de l’exégète américain permettent d’y voir clair sur une question longtemps disputée : Les relations entre Jésus et les esséniens.

I. JÉSUS A-T-IL ÉTÉ ESSÉNIEN ?

          Après la découverte des manuscrits de la mer Morte, certains ont pu le penser. La réponse est maintenant indiscutable : c’est non.
          L’un des arguments des « pour » était la proximité entre Jésus et Jean-Baptiste. Il est possible (bien que non assuré) que le Baptiste ait fait un séjour de formation à Qumrân avant de prendre son autonomie : rien ne permet de dire que Jésus en aurait fait autant. 

          J’ai émis l’hypothèse (cliquez) que, lorsque le quatrième évangile témoigne que Jésus se retire à deux reprises « au désert », c’était pour bénéficier – à deux moments-clé de sa vie – de l’hospitalité bienveillante des « hommes en blanc » qui y vivaient en communautés.
          Ce qui rend cette hypothèse possible, c’est que les esséniens sont le seul groupe de pression juif auquel Jésus semble dans les évangiles ne s’être jamais affronté frontalement – à la différence des Pharisiens de Jérusalem, des Sadducéens (gestionnaires du Temple), des Zélotes (fondamentalistes terroristes) ou des Hérodiens (collaborateurs).

          Dans ses tomes III et IV, Meier étudie en détail les points de contact entre Jésus et les esséniens. Des similitudes apparaissent, comme l’attente d’une fin du monde imminente, le rejet du Temple et de son culte, le célibat (cliquez) , le choix d’une vie pauvre et la critique de la richesse…
          Mais, même dans ces domaines-clé de la pensée et de la vie quotidienne, Jésus n’apparaît pas comme un disciple-perroquet des esséniens : les nuances qu’il apporte à leur enseignement montrent que son horizon était manifestement autre et plus vaste que celui des sectaires de Qumrân.

          Les différences sont nombreuses. La principale porte sur les relations avec le « prochain » : les esséniens prescrivaient l’amour des « frères », c’est-à-dire des membres de leur secte, et la haine de tous les autres, qu’ils considéraient comme des ennemis. Lorsque Jésus enseigne « Vous avez appris qu’il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Et moi, je vous dis : aimez vos ennemis… » (Mt 5,43 et //) il cite clairement les esséniens et s’oppose frontalement à eux.
          D’autres différences étaient mieux perçues par ses auditeurs que par nous, comme par exemple l’usage de l’argent (à ne pas confondre avec la richesse individuelle) : Jésus semble s’être fort bien accommodé du système « capitaliste » en vigueur à son époque. Il a été soutenu financièrement par de riches compatriotes, et n’hésitait pas à partager la table de certains d’entre eux, considérés comme impurs même par les juifs ordinaires, etc.

          Au total les différences – et parfois les oppositions tranchées – entre Jésus et les esséniens sont plus importantes, et plus significatives, que les ressemblances.
          Cette constatation permet d’aller plus loin, et de proposer une hypothèse que Meier n’envisage pas – ou du moins, pas directement.

II. CERTAINS DISCIPLES DE JÉSUS ESSÉNIENS ?

          Il est frappant de noter que la seule organisation créée autour de lui par Jésus semble avoir été calquée sur celle de la communauté de Qumrân : un groupe de douze hommes, dont trois (Pierre, André et Jean) émergent. Certes, les « trois » étaient à Qumrân des prêtres : il n’empêche, ces trois-là semblent avoir été distingués des autres par Jésus lui-même.
          Quand Jésus envoie ses disciples en mission, les consignes qu’il leur donne sont celles qui régissaient les esséniens en voyage – sauf le refus de toute hospitalité autre que celle des membres de la secte.
          Enfin, lors de son dernier repas, la « Cène », il n’a pas suivi le rituel de la pâque juive (là-dessus, tout le monde s’accorde), mais celui du repas solennel des esséniens : Jeremias laissait ouverte cette possibilité, que Meier rejette. Elle me paraît maintenant évidente.

          Pourquoi Jésus, qui critiquait nombre de positions esséniennes, aurait-il adopté quelques-unes de leurs pratiques (organisation communautaire, voyages, repas) ?
          Mon hypothèse est que, si lui avait pris toutes ses distances avec une secte à laquelle il n’a jamais appartenu, ses disciples en revanche (certains d’entre eux) avaient été assez proches de la secte pour qu’il adopte, à leur intention, quelques coutumes esséniennes.
          Cela expliquerait que ces disciples, pris au dépourvu par la tournure désastreuse des événements qui conduisirent rapidement leur maître à la crucifixion, aient fait appel aux esséniens pour résoudre le douloureux problème de l’ensevelissement du cadavre de Jésus. Les « hommes en blanc » dont tous les évangiles signalent la présence dans et autour du tombeau le matin du 9 avril 30 ne sont pas des « anges », mais des esséniens qui avaient revêtu, pour le transfert du cadavre, leur tunique blanche rituelle (attestée par plusieurs témoins indépendants comme Flavius Josèphe).
          Cela donne au tombeau trouvé vide une toute autre signification : Jésus n’est pas « ressuscité », son cadavre a été ré-inhumé par les esséniens, selon leur coutume, dans une de leurs nécropoles (où il se trouve toujours).

          La proximité essénienne des disciples de Jésus se voit confirmée par l’organisation de la toute première communauté de Jérusalem, telle qu’en témoignent les Actes. Mise en commun totale des biens, repas rituel (qui ne deviendra l’eucharistie que dans les années 40), autorité hiérarchique des Douze-plus-trois (attestée par Paul dans les années 50), difficulté à maintenir la prééminence d’un célibat considéré comme idéal mais non-applicable, repli sur soi d’une communauté qui considère les « autres » avec suspicion…

III. Conclusion

Si Jésus n’a jamais été essénien, s’il a pris de larges distances par rapport à la secte, à sa doctrine et à ses pratiques, ce n’était pas le cas de ses disciples – du moins aux tout débuts, et sur certains points d’ordre pratique.

          Alors se pose la question : si le Jésus des quatre évangiles ne mentionne jamais les esséniens, s’il semble ne s’être jamais heurté ouvertement à eux comme aux autres, n’y a-t-il pas là un des indices de la relecture des événements, faite par les évangélistes ?
          En rédigeant les textes qui nous sont parvenus, n’ont-ils pas masqué une ou plusieurs déclarations de Jésus contre les esséniens, se contentant de rapporter des allusions voilées à sa critique de leurs pratiques ?

          La question ne concerne pas seulement quelques exégètes ou intellectuels. Pour qu’ils l’abordent en ces termes, il faudrait qu’ils aient la liberté intérieure de franchir certaines frontières, établies par la tradition et le dogme chrétiens.

                                         M.B., 22 juillet 2009

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