Le Monde du 11 août 2009 publie, en page 8, un article signé S.A. où l’on apprend que l’Église catholique songerait sérieusement à reconnaître les enfants engendrés par ses prêtres et ses prélats.
Car un peu partout, depuis toujours, ces notables consacrés (qui ont fait promesse publique de célibat) se montrent abominablement semblables à nous, c’est-à-dire désireux de fonder une famille, et capables de faire des enfants. Lesquels ne peuvent exister, ni en droit ni même en fait, puisque le clergé est réputé chaste, comme l’était Jésus. Ce n’est pas un dogme, mais c’est la loi.
Jusqu’à aujourd’hui, le Vatican a toujours fermé les yeux sur la vie sexuelle de son clergé. Mais les temps ont changé :
« Il s’agit tout bonnement, poursuit Le Monde, d’une défense préventive de la part du Saint Siège, une multitude d’actions en justice pour reconnaissance de paternité venues d’Amérique Latine ou de pays européens comme l’Autriche, terres de prêtres concubins notoires, pourraient lui tomber dessus ».
Pourquoi parle-t-on maintenant de donner une existence légale à ces enfants, qui ont le tort d’exister tout court ?
C’est, pensez-vous, parce que l’Église se souviendrait enfin de l’un des dix commandements de Dieu, Tes pères et mère honoreras – tes enfants reconnaîtras.
Parce qu’elle se souviendrait, enfin, des paroles de Jésus, le Royaume de Dieu appartient à ces enfants : et à ce titre, l’enfant est sacré. D’ailleurs, Jésus les laissait venir à lui, les reconnaissait, les embrassait, les protégeait de ses Apôtres (futurs Princes de l’Église) quand ils voulaient les cacher à sa vue, les éloigner de sa présence.
Ou parce qu’elle prendrait enfin au sérieux les « Droits de l’Homme et de l’enfant« , adaptation laïque de la loi divine et évangélique.
Donc, si l’Église songe à donner aux enfants de prêtres une existence légale, ce serait pour des motifs éthiques, moraux (la morale divine), spirituels (une spiritualité prêchée et appliquée par Jésus).
Détrompez-vous : quand l’Église se préoccupe du statut légal des enfants de ses péchés, elle ne songe ni à eux, ni à leurs honteux parents. Elle veut prévenir un danger, continue Le Monde : « D’où l’échappatoire de la reconnaissance des faits. Sauf que, pour l’héritage, les biens personnels des prêtres seraient clairement distingués de ceux liés à leur fonction qui, eux, resteraient, quoiqu’il arrive, propriété de l’Église »
L’objectif est sans ambiguïté : il s’agit avant tout de préserver le patrimoine de l’Église.
En France, l’Église catholique est le deuxième propriétaire foncier après les collectivités locales. Dans les pays de vieille tradition catholique (mais aussi d’autres, Afrique de l’Ouest ou Corée du sud), son patrimoine représente une fortune tellement immense, qu’il est difficile de l’estimer avec précision.
Beaucoup d’argent, donc beaucoup de pouvoir.
Or, certains de ces pays, après avoir connu une indéfectible (et juteuse) alliance de l’Église et de l’État, ont adopté des lois de propriété et de succession qui veulent ignorer la personnalité juridique du clergé : c’est le cas, notamment, de la France.
D’autres considèrent l’Église comme une fille cadette, longtemps à peine tolérée (USA, parfois Mexique). D’autres enfin ont une longue tradition d’hostilité de l’État envers le catholicisme (Russie, Asie).
Imaginez que dans l’un ou l’autre de ces pays, certains enfants d’évêques ou de curés, à la mort de leur père, revendiquent leur part d’héritage dans le diocèse ou la paroisse ?
Si ce père, accablé par sa mauvaise conscience, a eu le bon goût de gérer le patrimoine de l’Église sans songer à assurer l’avenir de son enfant, et s’il a eu la décence de cacher sa misérable paternité, qui donc peut assurer que l’enfant en fera autant ? Qui pourra l’empêcher de produire un test ADN, et de faire appel aux lois civiles de ce pays, soupçonné de guetter la moindre occasion pour faire un croche-pied à Rome ?
Et si ce pays se mettait soudain à considérer que le papa-évêque (ou curé) gère le patrimoine foncier et les actifs mobiliers du diocèse (ou paroisse) sans qu’on puisse faire de différence, dans la pratique, avec la gestion d’un quelconque propriétaire ? Un État peu bienveillant pourrait ne pas faire non plus de différence entre un patron d’usine et un patron de diocèse ou de paroisse. Entre un héritier de fortune industrielle et un héritier de grand propriétaire foncier : il pourrait invoquer la loi pour donner à l’enfant le droit d’hériter de son père, comme tout citoyen.
Le Vatican a vu là une faille, qu’il s’empresse de colmater de façon préventive : reconnaissons les enfants engendrés par notre clergé, mais à condition que « les biens liés à la fonction des prêtres restent, quoi qu’il arrive, propriété de l’Église ».
Reconnaître ces enfants, ce serait éviter une cascade de procès infamants, au cours desquels l’Église devrait batailler pour faire admettre, au cas par cas et dans un climat supposé hostile, la distinction entre biens personnels du prêtre et patrimoine de saint Pierre. Ce serait être obligé de valoriser ce patrimoine, et d’en publier le montant. Réveillant une opinion publique à qui ces chiffres ont toujours été cachés, et qui deviendrait soudain consciente d’une hypocrisie ancienne et massive, la double vie menée par une partie du clergé catholique.
Reconnaissons donc les enfants du péché : cela nous coûtera moins cher qu’un discrédit public. C’est ce que l’Église américaine a voulu faire pour ses prêtres pédophiles, en accompagnant cette reconnaissance par les trémolos de la repentance papale.
Diplomatie.
Ce qui aura donc fait bouger l’Église, c’est l’argent.
Ce n’est pas (on dira, bien sûr, le contraire) le souci de ses enfants, qui n’ont pas demandé à naître dans une sacristie. Ce n’est ni leur présent ni leur avenir, totalement bouchés puisque – du moins dans des pays très catholiques – ils n’existent pas, tout en ayant le tort d’exister. Ce n’est pas le droit pour eux d’avoir des parents comme tout le monde, et de leur présenter un jour leur fiancé(e) afin qu’ils le ou la conduisent à l’autel.
Ce n’est pas l’aveu que certains au moins de ces enfants sont le fruit de l’amour, et non de la lubricité (ciel, que dis-je !) d’un clergé incapable de se contrôler.
Au passage, est mise en lumière la véritable raison pour laquelle l’Église refusera toujours d’autoriser les prêtres mariés. Le discours officiel est connu : « Leur chasteté les rend totalement disponibles au service du Peuple de Dieu ».
Un motif pastoral et mystique ?
Non : la sauvegarde préventive du patrimoine.
Patrimoine dont il est inutile de rappeler qu’il est en général le fruit de la générosité des croyants. Et que ces croyants, bien souvent, ne sont pas offusqués de voir leurs prêtres leur ressembler, aimer comme eux et comme eux fonder une famille.
Quand on est un peu historien, on ne s’étonne pas. On sait que, depuis près de vingt siècles, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
De Rome.