L’OCCIDENT EN PÉRIL (I.) : crise économique et crise identitaire.

          Période des vœux de bonne année. Superposition d’images de foules qui ressassent, comme une incantation, leur foi dans le bonheur – et d’autres, chassées de leurs masures, massacrées, privées de tout espoir. Les unes, en Occident. Les autres, ailleurs.
       « Bonne année ! » : visibilité un an.

       Et après, quoi ? On évite d’y penser. 
       L’Histoire élargit un peu la visibilité. Au milieu du brouillard, je voudrais esquisser ici le brouillon d’une perspective. Un blog permet ces tâtonnements, que l’édition interdit.
       A aucun moment de cette esquisse je ne perdrai de vue notre situation actuelle. (1)

I.  DE L’EMPIRE ROMAIN A L’EMPIRE CHRÉTIEN


       Le long règne d’Octave-Auguste enjambe le début de notre ère chrétienne. Rome est alors solidement campée sur ses valeurs traditionnelles : travail, sérieux, austérité. Elle est au sommet de sa puissance :
       1- Puissance économique : L’Italie, la Sicile et le Maghreb sont les greniers à blé de l’Empire, qui produit lui-même les matières premières dont il a besoin. La sesterce s’impose comme monnaie internationale, l’Empire engrange les capitaux, sa puissance financière est illimitée.
       2- Force identitaire : La civilisation romaine se répand partout, cimentée par une religion héritée de la Grèce. Le citoyen romain sait qui il est, il n’a aucun doute ni sur son identité, ni sur la valeur universelle de cette identité qui s’impose aux civilisations conquises (Égypte, puis tout l’est du Bassin méditerranéen). La force de la religion romaine, c’est qu’elle est capable d’assimiler toutes les autres. Et quand elle ne les assimile pas dans sa mythologie traditionnelle, elle les tolère sans aucun mal : les religions des peuples conquis ne remettent pas en cause l’identité romaine.
       Puissance économique et identité forte autour d’une religion : ce sont là les deux piliers de la réussite de l’Empire.

       Qui va s’étendre, et entrer de plus en plus en contact avec les « barbares ».
Alors, l’économie de l’Empire se transforme : de productrice, Rome devient simple consommatrice. Ses colonies produisent pour elle, le luxe s’installe dans la capitale avec des biens venus de partout, qui ne lui ont coûté aucun effort.

       A la fin du I° siècle et sans s’en être rendue compte, Rome vit aux crochets de l’Empire : investissements et production se font ailleurs, l’Italie se paupérise mais ne s’en rend pas compte puisque ses rapines lui offrent un bien-être bon marché inégalé. A Rome même, les citoyens ne travaillent plus, ce sont des esclaves qui accomplissent toutes les tâches indispensables à une métropole.

       La diversité des peuples barbares et leur relative faiblesse ne leur permet pas d’imposer leurs propres religions, ce qui aurait remis en cause l’identité romaine. Mais la religion traditionnelle est désormais agonisante : les dieux romains ne sont plus que des références culturelles obligées, les romains se réfugient dans le culte des ancêtres, c’est-à-dire dans l’individualisme.

        Dans un sursaut, l’identité romaine va éviter sa disparition en transformant le culte rendu aux dieux par le culte de l’Empereur, c’est-à-dire du pouvoir. Autrement dit, le pouvoir de Rome se perpétue en s’adorant lui-même.
       Les peuples conquis ou barbares acceptent tous ce culte, qui ne porte pas atteinte à leurs propres religions. Tous, sauf un : le peuple juif. Vers l’an 130, nous avons des lettres de l’empereur Hadrien qui s’étonne de la résistance de cet unique et minuscule petit peuple : pourquoi refusent-ils l’assimilation, en rejetant tout autre culte que celui qu’ils réservent à leur Dieu unique ?
       Conséquence : le peuple juif est écrasé par les Légions romaines, en l’an 135 Jérusalem devient Aelia Capitolina. En éliminant la seule résistance identitaire qu’il rencontrait, L’empire a pu préserver, provisoirement, sa force identitaire.

       Mais pas pour longtemps : certains juifs sont devenus « chrétiens », et l’un d’entre eux, Paul de Tarse, a su intégrer dans le christianisme les éléments les plus forts du paganisme oriental : l’espérance d’une résurrection, incarnée dans un héros humain devenu Dieu et lui-même ressuscité.

       Au début du II° siècle, l’économie de l’Empire est sur le point de s’effondrer : créée ailleurs qu’à Rome, la richesse donne le pouvoir aux peuples conquis qui la produisent. Si la crise économique s’accompagnait d’une crise identitaire, les deux piliers de sa puissance disparaissant en même temps, c’en serait fini de l’Empire.
       Il va éviter la conjonction mortelle de ces deux crises en abandonnant définitivement son identité, traditionnelle depuis 6 siècles, pour devenir chrétien. Si le christianisme devient religion officielle de l’Empire en 381, c’est qu’au même moment l’empire a perdu toute maîtrise de sa puissance économique. Rome, qui n’est plus une place financière, devient une place religieuse, et l’unité qui se fait (difficilement) autour du christianisme permet à l’empire de surmonter, sans disparaître, la redistribution des cartes de la nouvelle économie.

       Le christianisme devient alors son seul rempart devant les barbares, dont les invasions finissent d’anéantir sa puissance économique. Le pape détient le seul pouvoir restant à l’empire, celui de l’identité : ancré autour de la papauté, l’empire va lentement s’adapter à la nouvelle économie. Définitivement appauvrie, l’Italie trouve dans une identité recomposée autour du christianisme la capacité de rester le centre du monde occidental.
       Il faudra 4 siècles à l’Occident pour retrouver une certaine puissance économique, en redevenant un espace de production agricole et minière. De nouvelles ressources sont exploitées, le commerce entre centre et ex-colonies s’équilibre. La force de l’identité chrétienne s’impose aux anciens barbares, un nouvel empire peut naître.

       A la fin du VII° siècle et autour de Charlemagne, il trouve son expression dans l’Empire Romain Germanique : les barbares (Germanique) se sont intégrés dans la nouvelle identité religieuse (Romain), comme autrefois les colonies de Rome s’intégraient dans la religion romaine traditionnelle. Une économie réelle (de production) est entre leurs mains : économie et identité sont à nouveau réconciliés, une ère de prospérité va pouvoir s’ouvrir pour l’Occident.
       Mais il va devoir faire face à une nouvelle menace identitaire, qui vient de la péninsule arabe…

                                      M.B., 2 janvier 2008

(à suivre)

(1) Par exemple, remplacez dans cet article « Rome » ou « empire » par USA…

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