Entendu ce matin une émission radio sur la signification de Noël.
Ce qu’on entend partout : Noël, c’est l’humilité de Dieu qui s’est fait homme dans un petit enfant.
Depuis 3000 ans qu’il y a des théologiens, c’est fou ce que Dieu a pu apprendre sur lui-même. Heureusement qu’ils sont là, ces hommes (aucune femme) qui savent tout de Lui : sans eux, il végèterait dans une déplorable ignorance de lui-même.
Les premiers, les théologiens juifs qui rédigeaient la deuxième mouture de la Bible (après l’Exil à Babylone, vers l’an – 500) lui ont prêté des sentiments humains : il s’émeut des malheurs du Peuple Élu, souffre de ses infidélités, le châtie avec Justice, conduit ses guerres et l’aide à répandre le sang (des Palestiniens, déjà !).
Dans les moutures suivantes, du III° au II° siècle avant J.C., ils l’ont revêtu du manteau chatoyant de la philosophie et des mythes orientaux.
Grâce à eux, Dieu venait d’apprendre pas mal de choses sur lui-même.
Mais les premiers chrétiens ont a été beaucoup plus loin. Reprenant des mythes très populaires au I° siècle, vers l’an 80 les derniers rédacteurs des Évangiles de Matthieu et Luc inventent une naissance miraculeuse à l’enfant-Dieu, une comète, un recensement à Bethléem, des Rois d’Orient voyageurs, un génocide de nouveaux nés… Tous événements dont les chroniques de l’époque, pourtant nombreuses, ne gardent aucune trace.
Un peu plus tard, des Évangiles apocryphes ont popularisé une légende dorée sur l’enfance du petit Dieu, sa crèche, l’âne et le boeuf, ses dons étonnants d’enfant prodige, sa vie quotidienne protégée par des parents muets de stupeur devant sa précoce divinité…
Ce folklore est parvenu jusqu’à nous. Il alimente année après année un commerce très rentable, s’étale dans toutes les vitrines de nos magasins, et se montre capable de faire dépenser leurs sous à des européens pourtant durement touchés par la crise.
Noël, preuve de l’humilité de Dieu ? Si Dieu est humble, c’est donc qu’il serait tout autant capable d’être orgueilleux. S’il est doux comme un nouveau-né, c’est qu’il pourrait se montrer cruel et égoïste une fois adulte. Et cetera.
Car un Dieu façonné par nous à notre image a toutes chances de nous ressembler.
Individualisme, cupidité, mépris d’autrui, méchanceté, affrontements, guerres… Merci, nous n’avons pas besoin d’un Dieu humain. Nous avons tout ce qu’il faut sous la main.
Mais un Dieu dont on ne peut rien dire, parce qu’il dépasse justement les limites de notre imagination.
Un Dieu autre que nous, qui pourrait nous hausser au-dessus des bourbiers dans lesquels nous pataugeons.
Un Dieu qui appelle au silence, parce que c’est dans l’absence de pensées qu’on peut penser quelque chose qui lui ressemble…
Le seul dans notre culture qui ait su dire quelque chose de Dieu sans rien lui apprendre, c’est le juif Jésus.
Il est remarquable que les Évangiles ne nous aient transmis aucune parole de lui concernant l’identité de Dieu : Jésus n’était pas théologien.
Mais des images, des gestes.
Trois paraboles, pour décrire la relation entre un fils dévoyé et son père aimant, la tendresse d’un berger pour une brebis de son troupeau, l’affolement d’une femme qui a perdu ce à quoi elle tenait.
Un geste, pour placer les enfants au centre du Royaume dont il rêvait.
Et un mot, un seul, pour parler de Dieu, et parler à Dieu : Abba, quelque chose comme « papa ».
Vocable familier, totalement absent du judaïsme de son époque pour désigner Dieu.
Jésus n’a rien dit de l’identité de Dieu. Comme tous les prophètes ses devanciers, il a fait silence devant l’indicible.
Mais il a partagé avec nous la façon d’être qui était la sienne devant, et avec Lui. Nous indiquant quel genre de relation il entretenait avec Celui dont on ne peut rien dire : celle d’un enfant, en présence de son père-mère.
Finis la crainte, le respect distant, l’éloignement : confiance et proximité, abandon de l’amour.
L’ennui, c’est que cette marchandise-là ne fait pas rêver.
Et surtout, elle se commercialise mal.