Étonnante carrière que celle de Jacques Benoist-Méchin ! Il a quarante ans quand il rentre, en juin 1941, au gouvernement Pétain comme secrétaire d’état. Sa parfaite connaissance de la langue comme de la culture allemande lui permet de jouer un rôle important dans les négociations que ne cessera de tenter le gouvernement de Vichy avec Hitler. Sa passion pour la grandeur et l’indépendance de la France le rend méfiant aussi bien de l’occupant nazi que des anglo-américains, dans lesquels il voit – non sans raison – des charognards prêts à démanteler l’Empire français pour s’en partager les dépouilles. Il pressent qu’un jour, une Europe naîtra, ancrée autour du couple franco-allemand. Que l’Angleterre n’en fera pas partie, que l’Amérique cherchera toujours à la contrôler, voire à l’étouffer. C’est pourquoi – par excès de patriotisme – il choisit la collaboration avec l’Allemagne. Comme des millions de Français d’alors, aveuglés par la douleur de la défaite, il s’est trompé de combat. Ce visionnaire n’était pas un prophète.
Mais il n’était pas aveugle et voyait juste. Voici ce qu’il écrivait, trois mois avant son arrestation par la Résistance en septembre 1944 :
» Depuis un quart de siècle, la France n’a cessé de se refuser à la vie et de se dérober aux événements. Ayant perdu à un degré inimaginable le sens du réel, elle n’a jamais su regarder les choses en face, ni prendre conscience des problèmes qu’elle avait à résoudre. Par un fléchissement inexcusable de sa raison et de sa vitalité, elle s’est constamment refusée à tout effort, à tout sacrifice. Elle a simplement voulu jouir de l’existence, en s’en remettant aux autres pour lui en fournir les moyens. Rien de ce qu’elle a entrepris n’a été exécuté jusqu’au bout, parce que jamais elle n’a consenti à payer de sa personne.
» En 1934, elle a tenté une révolution de droite, mais sans faire l’effort nécessaire pour aller au-delà de l’émeute. En 1936, elle a tenté une révolution de gauche, mais sans vouloir renoncer à son confort et à ses loisirs. En 1939, elle a voulu déclarer la guerre mais avec le secret espoir de la gagner sans la faire. En 1940, elle a signé un armistice, mais sans jamais prendre au sérieux ses conséquences.
» Alors qu’elle refusait de faire le moindre effort pour se tirer de l’abîme où elle se précipitait, elle attendait que d’autres acquittent pour elle les frais de l’aventure. Assoiffée de miracles impossibles, elle a mis ses espoirs en d’improbables retournements. Chaque fois qu’on lui a demandé d’avoir le sursaut d’énergie nécessaire à son redressement, la nation s’est dérobée. Elle a préféré la facilité, l’illusion, le délire, n’importe quoi plutôt que de travailler à son propre salut.
» Est-il besoin de dire qu’un pays qui s’abandonne à des réflexes de ce genre est irrémédiablement voué à la déchéance ?
» Il est terrible de voir une nation choisir de ne pas être « . (1)
Un pays qui « a perdu le sens du réel et ne regarde jamais les choses en face », qui ne veut pas « prendre conscience des problèmes qu’il a à résoudre ». Qui « se refuse à tout sacrifice et veut simplement jouir de l’existence », qui « n’entreprend rien pour l’exécuter jusqu’au bout », un pays « assoiffé de miracles impossibles, qui met ses espoirs en d’improbables retournements » de la croissance, qui « préfère la facilité, l’illusion, le délire, n’importe quoi plutôt que de travailler à son propre salut »… Ce pays, c’est aussi la France d’aujourd’hui qui se laisse complaisamment abuser par des politiciens sans envergure, sans courage, sans vision autre que celle de leur carrière.
Qui parlent, qui promettent la lune du haut de leur escabeau. Des politiciens déjà jugés par Richelieu, quand il disait : « Proposer une politique n’est rien. Le tout est de la réaliser ».
En juin 1947, Benoist-Méchin sera condamné à mort pour trahison, gracié par le Président Vincent Auriol et libéré en décembre 1953. Il commencera alors une brillante carrière d’écrivain mondialement reconnu.
Il s’était trompé de combat : « On ne se bat pas dans l’espoir du succès. Non, non ! C’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! » (2)
M.B., 23 janvier 2017
(1) Benoist-Méchin, De la défaite au désespoir, 1940-1941, publié pour la première fois par Albin Michel en 1984.
(2) E. Rostand, Cyrano de Bergerac, Acte V.
Pour justifier son engagement dans la collaboration, il déclare : « Un pays vaincu a le choix d’être soumis à son vainqueur ou d’être avec lui ; je choisis d’être avec lui. »….
Belle mentalité!
Il avait « oublié » une troisième voie: la résistance.
En effet. A la lecture de son livre cité en référence, on « comprend », le contexte etc. Qui croyait alors dans les chances de De Gaulle ? B.M. fut le plus lucide des aveugles.
M.B.
Bonsoir,
Je crois bien qu’il est de ceux qui ont prédit le réveil agressif du monde musulman.
Mais il s’est lourdement trompé de camp… les visionnaires sont rarement infaillibles.