Première tournée en Afrique d’un président de la République française. Depuis De Gaulle c’est un exercice codifié, intouchable : à l’arrivée, trajet aéroport-palais présidentiel dans une décapotable, acclamé par une foule agitant des drapeaux français. Entretiens polis avec ses homologues africains, embrassés, flattés, cajolés, coconnés. Et surtout, rassurés : « oui, maman-France continuera de vous maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible. » Ensuite, dans un salon doré à l’ambiance feutrée, devant des caméras muettes, déclaration pleine d’empathie de papa-président français : « L’Afrique (et le fric) je t’aime, tu m’aimes, on s’aimera toujours. » Enfin, retour vers l’aéroport sous les vivats des mêmes qu’à l’aller. La messe de la Françafrique a été dite, circulez.
Tous les prédécesseurs d’Emmanuel Macron ont respecté ce rituel millimétré.
Tous ? Oui, mais pas lui.
Où pose-t-il le pied en Afrique ? Pas dans une ville prestigieuse et acquise d’avance comme Dakar ou Abidjan, mais à Ouagadougou la rebelle. D’où parle-t-il ? Pas depuis le palais présidentiel mais dans un amphi de l’université, face à 800 étudiants, la jeunesse la plus remuante d’Afrique, politisée jusqu’à l’os. Leur idole, hier comme aujourd’hui, c’est le Che Guevara africain : Thomas Sankara, révolutionnaire, communiste, libérateur du Burkina, promoteur de la démocratie participative et égalitaire. C’est dans ce chaudron bouillonnant que Macron affronte des étudiants chauffés à blanc, non sélectionnés (seuls les casseurs ont été tenus à l’écart). Sûrement, ce représentant de la puissance coloniale va se faire bouffer par eux, tout cru.
Dans un silence glacial, entrent les deux présidents. Kaboré s’assied sur son trône doré et regarde le plafond. Macron reste debout, fait face aux étudiants. Normalement, il devrait commencer par s’abriter derrière le De Gaule de la françafrique, mais non : d’emblée, il salue la mémoire de Sankara le révolutionnaire, l’anti-colonialiste, et enchaîne : « Je ne suis pas venu vous parler de la politique africaine de la France, comme c’est l’usage. Parce que… il n’y a plus de politique africaine de la France ». Stupeur dans l’amphi. Quelques applaudissements polis. Les visages restent fermés, on attend la suite.
La suite ? « Je ne suis pas venu non plus vous donner des conseils sur ce que vous devez faire. Comme vous, j’appartiens à une génération qui n’a pas connu la colonisation. Cette colonisation, ce fut un crime contre l’humanité incontestable. Il faut partir sur une autre base, prenez-vous en mains ! »
S’ensuit un exercice étourdissant de virtuosité. L’un après l’autre, Macron aborde tous les défis qui se télescopent en Afrique. À chaque fois le diagnostic est clair, précis, sans détour, sans langue de bois, sans condescendance, énoncé avec respect : on est loin du Sarkosy de « l’homme africain qui n’est jamais entré dans l’Histoire. » En face de chacun des défis, un engagement de la France impliquant aussi l’Europe, concret, souvent avec son calendrier. Dans l’amphi, les visages soudain ne sont plus fermés, mais attentifs. C’est une vision rénovée des relations entre les anciennes puissances coloniales et l’Afrique qui s’esquisse, devant la jeunesse et pour la jeunesse.
Quand Macron aborde la question religieuse (« n’acceptez jamais une religion qui opprime ») l’amphi s’éveille, un brouhaha s’élève. Quand il parle de la démographie, de l’émancipation des filles mariées à treize ans pour faire des enfants au lieu d’être éduquées, pour la première fois c’est un grondement de plaisir. Le vent tourne : « Je savais que ce serait un amphi marxiste, alors c’est là que j’ai voulu venir. » Entre l’ex-banquier Macron et les étudiants guévaristes, le courant commence à passer.
Vient le moment des questions-réponses : c’est la première fois qu’un président français (un président tout court ?) se laisse interpeller, en direct, sans aucun filtre, sans garde-fou, par une société civile qui lui est a priori hostile – en tout cas, décidée à ne pas lui faire de cadeaux. Les questions s’enchaînent, elles sont brutales. La présence de l’armée française sur le territoire africain ? « Avez-vous un frère, un cousin, qui va se faire tuer en France pour protéger les français ? Les soldats de Barkane sont ici pour vous protéger, vous devriez les applaudir ! » Les archives françaises sur l’assassinat de Thomas Sankara, classées ‘’secret défense’’ ? « Elles seront déclassifiées et mises à la disposition du Burkina. » François Compraoré, complice présumé de cet assassinat et réfugié en France ? « Dans le respect de la justice française, qui est in-dé-pen-dante, je ferai tout mon possible pour le remettre à la justice Burkinabée. » On applaudit, de plus en plus.
Se lève une étudiante qui l’interpelle sur les coupures d’électricité à Ouaga : « Vous êtes incroyable ! Vous parlez comme si j’étais encore une puissance coloniale ! Vous, vous êtes toujours dans une posture post-coloniale ! L’électricité au Burkina, c’est le travail de votre président ! »
Alors l’amphi s’enflamme, c’est un corps à corps. Face aux étudiants déchaînés, Macron se fait professeur, répond du tac au tac : « Du calme, je vous explique ! » C’est alors que le président burkinabé quitte la salle, « pour aller faire pipi » dira son entourage – peut-être, aussi, parce qu’il estime que tout ce charivari porte atteinte à sa dignité présidentielle. Mais Macron s’explique, il explique. Le calme revient, il sort gagnant du pugilat. Quand à la fin il remercie les étudiants, ils l’applaudissent chaleureusement.
À peine l’antenne rendue à Paris, sur LCI la chroniqueuse Françoise Degois – la bien nommée – dégoise, le rictus amer et le regard fuyant. Elle dénonce « la vacuité du propos de Macron, un discours qui n’a rien de grand, n’apporte rien. C’est lourdingue et anti-diplomatique. » Elle n’a pas écouté mais ressort mécaniquement le discours préfabriqué qu’on entend depuis soixante-quinze ans dans la bouche des gauchistes français. Le lendemain, la presse écrite sera un peu plus objective. Elle reconnaîtra, du bout des lèvres, que « Macron s’en est bien tiré » mais aucun journaleux n’avouera l’évidence : qu’il a été bluffant.
Pour être né en Afrique et y avoir travaillé, pendant ces trois heures je me suis senti aux côtés des étudiants. En sortant de l’amphi, je me disais : « Chapeau l’artiste, et merci ! »
Je pense en effet que Macron vous a bluffé, c’est tout. Comme il a bluffé ceux qui l’ont élu. Jamais, je ne me serai favorable à ce gars. Il fait totalement le contraire de ce qu’il dit. Il est assez simple pour un gars de l’ENA de contrer quelques universitaires sans argument. Pour se montrer bon, il sait comment s’y prendre. Ah tiens, cela dit, si je comprends bien, la France ne profite plus des richesses de l’Afrique depuis qu’il est président?
Vivons-nous dans le même pays, voyons-nous et entendons-nous les mêmes choses ? Il me semble que M. Macron fait, précisément, ce qu’il a promis de faire. Mais il doit tenir compte du réel géo-politique, avancer à pas compter, temporiser, reculer ici pour se faufiler là.
C’est l’art de gouverner dans un monde réel.
Comparez avec M. Hollande (ou M. Guy Mollet, si vous avez de la mémoire)
M.B.
tout-à-fait d’accord. La plupart des commentaires montrent combien il est dur de sortir de la langue de bois et à quel point nous y sommes habitués !
Louis
Tout à fait d’accord avec votre analyse sur Ouagadougou
Mon scepticisme initial à son égard s’est envolé .
Il est en train de changer en profondeur la culture politique de notre pays .
Les commentateurs , les analystes sont complètement « perdus » et pour tout dire un peu lamentables
Je reprends espoir
J Devos .
L’avenir dira si ce très mal élu par moins de 15 % dqs Français en âge de voter aura eu un impact positif ou négatif sur la vie des petits, des sans grade et a fortiori des sans abri qui ne voudraient plus l’être ou encore des victimes des insuffisances budgétaires du monde hospitalier et médical.
En attendant sa prestation manquait de tenue et il pouvait faire simple et cordiale sans en arriver là.
« Prestation manquant de tenue » : avez-vous au moins écouté, étiez-vous « dans la salle » comme moi pendant 3 heures ? Ou bien n’avez-vous retenu que les quinze secondes du départ de Gaboré ? Comme d’habitude, sur 10800 secondes, les journaleux n’en ont retenu que quinze, et les politicailleurs aussi. Ce sont des accoucheurs de la Pensée Unique.
M.B.