LE IVe ÉVANGILE ET JÉSUS (II) : le Dieu de Jésus

Nous avons rappelé précédemment que les longs discours du IVe évangile (dit « selon s. Jean ») ont été rédigés, deux ou trois générations après la mort de Jésus, par des auteurs anonymes. De la tradition orale fixée dans les Synoptiques (1) ils ont retenu quelques traits de l’enseignement de Jésus, qu’ils ont approfondi dans une optique contemplative.

Les traditions anciennes : qui était ‘’Dieu’’ pour Jésus ?

Plus ou moins remaniés, les souvenirs ce ceux qui ont connu et entendu Jésus ont été fixés par écrit dans les Synoptiques entre 70 et 80. Lorsqu’il s’exprimait en public, le Galiléen était très discret sur ‘’Dieu’’ et cela se comprend : des oreilles ennemies étaient toujours prêtes à surprendre et à rapporter une affirmation non-conforme au dogme juif. Une fois cependant, interrogé par un scribe (théologien) sur ce qu’il croyait, il ne s’est pas esquivé et la réponse a fusé sans hésitation : son Dieu, dit-il, est l’Unique d’Israël, celui de Moïse et celui de son interlocuteur (Mc 12, 29). Il est unique, sans égal, sans partage. Laisser planer le moindre doute sur l’unicité de Dieu ou (chose impensable à un Juif) se dire l’égal de Dieu, c’était être arrêté et lapidé sur-le-champ par les autorités de Jérusalem – Sadducéens et Pharisiens de haut-rang. Devant leur représentant Jésus se met à l’abri. Il évite toute définition de Dieu et répète le credo juif officiel : « Voyez, je suis un Juif respectueux des traditions, et rien d’autre ».

Mais lorsqu’il est interrogé par ses disciples, en privé, à l’écart des oreilles ennemies, il dévoile un autre aspect de sa croyance en Dieu, plus intime, plus secrète : « Quand vous vous adressez à Dieu, dites-lui : notre Abba », en araméen Abbinou (Mt 6, 9).

Abba ou Abbou, c’était le diminutif utilisé par les enfants Juifs pour parler familièrement à leur papa, à leur grand-père, en leur manifestant une affection sans contrainte ni aucune des restrictions imposées par les conventions sociales ou religieuses. Jamais un Juif n’aurait osé s’adresser à Dieu de façon aussi intime et irrévérencieuse.

Cette approche intimiste de Dieu existait pourtant depuis quelques siècles en Israël. C’était une tradition prophétique minoritaire qui s’exprime magnifiquement dans le psaume 130 : Dieu, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux. Je ne poursuis pas de merveilles qui me dépassent. Non, mais mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant blotti contre sa mère.

Cette tradition peu audible à son époque, Jésus a choisi d’en faire le cœur de son enseignement et de l’exprimer par un seul mot, Abba. Non pas une définition nouvelle de Dieu, mais une nouvelle façon d’être en face de lui qu’il a développée dans des paraboles comme celle de l’enfant prodigue (Luc 15) et l’éloge répété de l’enfance spirituelle.

 Une révolution religieuse

Un seul mot pour dépasser la théologie légaliste du judaïsme officiel. Un seul mot pour une religiosité nouvelle, inédite. Car le Dieu de Jésus n’est pas celui des philosophes ou des penseurs, ces nantis de l’esprit, ces intellectuels raisonneurs experts en maniement d’idées qu’ils imposent aux simples par le pouvoir et la crainte. C’est celui des petits, des humbles au parler familier et au cœur sensible. Un Dieu de tendresse qui se penche sur chacun comme une mère sur son enfant blotti contre son sein. Un Dieu proche, accessible à tous, à qui l’on peut s’adresser avec les mots de tous les jours pour lui confier peines et joies. Jésus décrit une nouvelle relation avec Dieu.

Sa révolution n’est pas intellectuelle ou théologique, elle est relationnelle.

Cette révolution a marqué la première génération chrétienne, puisque Paul, seize ans après la mort de Jésus (2) écrivait aux Galates : « Vous êtes bien des fils de Dieu, car il a envoyé dans vos cœurs l’esprit de son fils [Jésus] qui crie Abba, Père ! » (4, 6).

Dans le IVe évangile, la deuxième et la troisième génération chrétienne vont se saisir de cette révolution pour l’approfondir dans une optique moins réaliste, moins juive, plus contemplative. A-t-elle été infidèle à Jésus ? C’est ce qu’il nous faut voir.

                                                                                  M.B., 4 nov. 2021
                                            À suivre : Dieu, Jésus et nous dans le IVe évangile (III)
(1) Les évangiles de Marc, Luc et Matthieu.
(2) A cette date, aucun évangile n’était encore écrit.

5 réflexions au sujet de « LE IVe ÉVANGILE ET JÉSUS (II) : le Dieu de Jésus »

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  2. Jean Roche

    Bonjour,
    Une remarque à propos de l’échange de Marc 12 entre Jésus et un pharisien. C’est chaleureux, ils sont très contents l’un de l’autre. On a la même scène rapportée dans Matthieu 22 (celle qui précède et celle qui suit sont identiques des deux côtés) mais cela devient bizarrement plus tendu. On a l’impression, sans que ce soit clairement dit, que ce pharisien est malintentionné.

    Dans Luc 13:31 on voit des pharisiens prévenir Jésus d’un danger qui le guette. Toujours dans Luc, Jésus est invité deux fois à la table de pharisiens. Dans 7, le pharisien juge bon de le tester (ce n’est pas dit expressément mais ça me semble la seule façon de comprendre le texte) en le confrontant à une femme de mauvaise vie (aurait-elle pu autrement entrer chez lui ?), pour voir s’il va s’en rendre compte. Et il est déçu mais il n’y a pas de clash. Les lois universelles de l’hospitalité sont respectées de part et d’autre. Dans Luc 11, elles ne le sont pas. Jésus se met subitement, contre ces mêmes lois et contre ses propres préceptes, à insulter grossièrement ses hôtes. Pourquoi a-t-il accepté l’invitation s’il pensait cela d’eux ? Il se comporte en malotru caractériel, ce qui ne lui ressemble vraiment pas en général.

    Explication donnée par Hyam Maccoby (), l’hostilité entre Jésus et les pharisiens n’est pas d’origine, elle a été rajoutée bien après la rédaction initiale.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      En effet. Ceux qui sont hostiles à Jésus sont les pharisiens de Jérusalem, le haut-clergé coupé du peuple. Rien ou très peu à voir avec les petits pharisiens provinciaux éloignés du « Vatican » juif, dont Jésus fait partie et auprès desquels il compte des amis qui le soutiennent. Les auteurs du N.T. ont eu tendance à gommer cette différence pour faire de TOUS les pharisiens des opposants à Jésus.
      M.B.

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  3. Jean-Marie GLÄNTZLEN

    Isho s’est-il dit explicitement dit o Dieu et Fils de Dieu et comment prouver l’historicité de que cette éventuelle affirmation ?

    Il n’y a pas de raison de considérer Notre Ineffable Concepteur (et/ou Conceptrice ?) comme un être avec un psychisme mâle exauçant capricieusement les prières des uns et pas des autres et jugeant « finalement » en vouant certaines de ses créatures « au feu éternel ».

    L’ Amour par excellence n’a pas besoin qu’on rachète par un sacrifice « humano-divin » un péché originel qui n’a jamais existé.

    Moïse aurait donc vraiment existé et aurait promené un certain nombre conséquent de coreligionnaires émigrés durant 40 ans dans le désert sans laisser de trace « archéologique » avant de faire tomber les murs de Jéricho à coup de trompettes ?

    Quand on y réfléchit un peu, on ne peut plus avaler cette nième légende biblique, même quand on a comme moi porté la soutane, quoique nettement moins longtemps que ce cher Michel.

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    1. Michelbenoît-mibe Auteur de l’article

      Ne mélangez pas tout. L’exégèse contemporaine nous a appris à trier ce qui est historique ou proche de l’historique d’un côté, et mythes ou fables de l’autre. Sachant que les mythes comportent un message qui peut se révéler vrai à la longue.
      M.B.
      P.S. : je n’ai jamais porté la soutane mais la tunique de bure et le scapulaire itou. Et sur mon corps, pas sur mon cerveau.

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