BON APPÉTIT, MESSIEURS !
O ministres intègres ! Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où la France agonise et se meurt !
Donc, vous n’avez pas d’autres intérêts
Que de garder, du pouvoir, et le fauteuil et l’ombre !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe
Fossoyeurs qui venez danser sur la tombe !
Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur !
La France et son âme, la France et sa grandeur
Tout s’en va !
L’Europe qui vous plaint vous regarde en riant.
Quel remède à cela ? L’état est indigent
L’état est épuisé et n’a plus d’argent.
Et ce n’est pas assez ! Ah, j’ai honte pour vous !
Dans les rues, on assassine partout !
Guerre des chefs, guerre entre les partis
Tous voulant dévorer leurs voisins affaiblis.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
La France est un égout où viennent croupir les impuretés
Des nations.
L’état se meurt, et vous disputez à qui prendra les places !
La France s’éteint – votre cœur est-il de glace ?
Ô géant ! se peut-il que tu dormes, ayant perdu l’âme
Cuisant, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme ?
D’après Victor Hugo, Ruy Blas, acte trois