En 1974, quand j’ai commencé à préparer ma thèse en doctorat, nous étions très peu, nombreux en France à nous intéresser au fait que Jésus était Juif. « Juif, le fondateur du christianisme ? Jamais de la vie, vous n’y songez pas ! » Et de fait, à Rome, ma thèse fut refusée. J’y affirmais que si Jésus était Juif, son enseignement était celui d’un Juif à des Juifs et non pas d’un Dieu à des chrétiens. Cette thèse bouleversait notre lecture des Évangiles, ce qu’on croyait savoir d’eux et des origines du christianisme.
Depuis cette époque, des milliers de livres ont été publiés sur le sujet, dans toutes langues. Des travaux de plus en plus pointus sur le judaïsme du 1er siècle, la façon dont Jésus a été divinisé, etc. etc. L’un des plus récents, Le Jésus des historiens, entre vérité et légendes (P.L. Piovanelli), retrace les étapes de la Recherche sur le Jésus historique depuis le 19e siècle (E.Renan).
Mes ouvrages (1) se sont inscrits dans cette recherche. À l’époque, hormis les textes grecs du Nouveau Testament je disposais de très peu de sources. L’ensemble des Manuscrits de Qumrân n’avait pas encore été publié, ni la littérature intertestamentaire. Les travaux de l’école américaine d’exégèse venaient de commencer… Et pourtant j’ai été guidé par des intuitions assez sûres, puisque mes livres, s’il leur manque l’appareil critique contemporain, se montrent aujourd’hui conformes, pour l’essentiel, à la recherche qui s’est emballée à partir des années 1990.
« Chercher Dieu, c’est le trouver… »
Cette formule de s. Augustin résume bien ce qu’ont été les 40 années de ma recherche sur le Jésus historique, parfois mise en sommeil mais jamais oubliée. Peu à peu je me suis pris de tendresse pour l’homme que je découvrais, si différent du Christ du dogme. Ce qui n’était au début que labeur érudit est devenu une histoire d’amour. Ce qui n’était qu’étude intellectuelle est devenu accès à une présence vivante. Il m’a fallu fréquenter le bouddhisme pour découvrir que la mort n’existe pas, que la mort n’est qu’un passage d’une forme de vie à une autre, qui ne finit pas.
En hébreu, « passage » se dit Pesha, ce qui veut dire « Pâque ». L’austère recherche dans les textes et dans les sources m’a-t-elle conduit à cette Pâque ? Ou (comme le dit encore s. Augustin) la ‘’présence’’ n’était-elle pas déjà en moi tandis que je la cherchais au-dehors ? Intus eras et ego foris, tu étais en moi quand j’étais hors de moi.
Si on cherche, c’est pour trouver. Et quand on a trouvé, la recherche semble dépassée, pesante, un peu vide. Si tu es en présence d’une évidence, si tu la vis (et si tu en vis), pourquoi encore t’interroger sur sa réalité et sa nature ?
J’ose à peine le dire, mais ce Jésus si longuement, si ardemment, si obstinément cherché, je l’ai trouvé. Et j’ose, oui, j’ose dire que je vis avec lui. Au terme de ce long cheminement, le chantier de la recherche sur le Jésus historique m’est devenu pesant, lourd, et pour tout dire inutile.
« … mais avoir trouvé Dieu, c’est le perdre »
Car Jésus, de même que ‘’Dieu’’ et toute réalité qui nous transcende, ne peut pas être possédé mais seulement approché. « Le Jésus [historique] est tout simplement impossible à saisir et à définir, et quiconque aura compris cette vérité de base aura dépassé le stade [de la recherche] et sera sur le bon chemin pour devenir [l’intime] de Jésus. » (2)
C’est ce que veut dire s. Augustin : ‘’Dieu’’ ne peut être connu que comme inconnu. C’est une véritable connaissance, mais elle ne s’arrête pas à ce que j’en connais aujourd’hui. C’est une connaissance qui m’invite, qui m’attire à en savoir toujours plus sur l’inconnu. Et puis, ayant été au bout de l’effort de connaissance, se taire dans un regard d’amour. Ceux qui ont aimé une compagne ou un compagnon savent que l’autre, même après des années vécues ensemble, garde sa part de mystère. Savoir qu’on ne peut pas percer ce mystère, c’est connaître l’autre (réellement mais) comme inconnaissable.
Et quiconque croit avoir trouvé ‘’Dieu’’ ou Jésus le perd en cessant de le chercher.
C’est pourquoi les dogmes du christianisme ont eu au cours des siècles des effets si désastreux. Peut-être étaient-ils nécessaires pour garder les foules dans la bonne voie. Mais en les gardant, comme on garde un troupeau dans l’enclos, en les enfermant dans des vérités finales et définitives, on les empêchait d’aller plus loin vers des commencements sans fin.
Le dé à coudre
Sur son lit d’agonie Thérèse de Lisieux, faisant le point sur sa vie, disait qu’il existe des grands verres à eau et de petits dés à coudre. Et que l’important ce n’est pas la quantité d’eau contenue dans le récipient, mais qu’il soit bien rempli, à ras bord. S’il a été au bout de ce qu’il pouvait contenir, le dé à coudre a accompli sa destinée de petit dé aussi bien que le grand verre à eau.
Parvenu au terme d’une longue vie de travaux, j’abandonne aujourd’hui la recherche sur le Jésus historique qui m’a motivé pendant tant d’années. Pourquoi chercher encore Celui qu’on a trouvé ? Et si ce que j’ai trouvé ne remplit qu’un petit dé à coudre, pourquoi chercher plus loin si ‘’Dieu’’ a voulu que je ne sois qu’un dé à coudre et non pas un grand verre à eau ? Parce qu’il a bien voulu m’accorder sa présence, parce qu’il a permis qu’elle remplisse ma vie, le Jésus que j’ai rencontré au terme de la recherche suffit à ma joie. Je n’ai plus envie que de silence – silence en sa présence, lumière dans la nuit, certitude dans l’inconnaissance.
Aussi vais-je alimenter moins souvent ce blog, comme je l’ai fait si régulièrement depuis 22 ans. Écrire… pour dire quoi, quand tout a été dit ? Écrire… pour être lu par qui ? Quand l’époque est si tragiquement violente que les gens deviennent sourds aux petites musiques de nuit…
Amis lecteurs, qui m’avez accompagné pendant ces années, continuez à fouiller dans ce blog : parmi ses 500 articles, vous trouverez le témoignage d’un chercheur qui vous a toujours invité à chercher par vous-mêmes.
Épisodiquement j’y publierai un petit signe amical à votre intention, une réflexion (désabusée) sur les temps qui courent, une fenêtre ouverte sur le silence. Mais plus rien sur la Recherche du Jésus historique. Pour cela vous avez mes livres, et bien d’autres.
Suivre dans la nuit Celui dont l’ombre lumineuse nous précède… je n’ai plus ni l’envie ni la force de rien d’autre.
Adieu, et à bientôt.
Merci.. merci pour vos recherches, vos partages.. merci de vos lumineuses paroles, de votre être apaisé qui me transporte. Marie
J’ai préféré cesser d’alimenter ce blog. Fatigue, mais surtout découragement devant l’allure que prend notre planète. Que lui dire, qui entendra, qui comprendra ?
Ne pas oublier que Jésus a commencé au désert de Judée et fini au désert du jardin des Oliviers.
bonne route dans le désert !
M.B.
cher michel
ce fut un plaisir de vous recevoir et votre conférence dans mon association fraternelle fut un succès.
merci encore pour vos articles.
mon épouse est très malade mais j’espère vous voir un de ces jours si vous êtes dispo.
très amicalement
JL VIDAL
désolé pour votre épouse, j’espère qu’elle est bien soignée et se remettra
je suis toujours disponible pour les amis
bon courage
M.B.
Je découvre seulement « Adieu et à bientôt » … en fouinant sur internet !
Habituellement je recevais directement et automatiquement tes messages …
Faut-il deviner qu’une étape est franchie ? Je ne négligerai pas alors un « merci » sincère car depuis « Dieu malgré lui » j’ai fort apprécié beaucoup de réflexions que tu nous as transmises et différentes étapes que tu nous as partagées, notamment « Bienvenue en Inde », « Prisonnier de Dieu » et, entre autres, « Dans le silence des oliviers …
Puisque, comme tu l’affirmes, « la mort n’existe pas, la mort n’est qu’un passage d’une forme de vie à une autre, qui ne finit pas », malgré la fatigue et nos fragilités, nous continuerons certainement à partager … même sans « mots ».
Bien amicalement
Pascal
L’étape, c’est celle du silence. Si je trouve à dire qque chose de positif, qui ouvre sur l’espoir, je romprai le silence.
Et oui, il n’est pas nécessaire de communiquer pour communier.
M.B.
Ainsi, vous nous faites vos adieux.
Je n’allais qu’irrégulièrement sur votre site et, de temps en temps, je laissais une opinion, souvent critique, il est vrai. Mais vous lire m’a plus d’une fois aidé à clarifier ma pensée. Votre dernière livraison était pleine de fraicheur. Vous vous y livrez sans fard et on imagine bien le petit enfant fragile et sensible que vous fûtes.
Je croirais volontiers que Jésus fut le grand amour de votre vie. À vous comme à moi, il reste assez peu de chemin à parcourir et je vous soupçonne fort de lui consacrer ce dernier bout de chemin.
Alors bonne route, je ne cite pas souvent les auteurs chrétiens, mais je crois me souvenir que saint Thomas d’Aquin a écrit que l’homme ne peut rien mériter de Dieu. Heureusement, il peut tout attendre de sa grâce.
Qu’elle vous accompagne donc !
C’est un adieu à la recherche du Jésus historique – qui est devenue de + en + savante, de + en + sèche. Comme si, derrière le « Jésus historique », il n’y avait plus un homme ! Mais je continuerai à vous faire signe, quand je verrai autour de nous qque chose qui soit positif et digne d’espérance.
Merci, amicalement
M.B.
Cher Michel,
Je pense que nous sommes nombreux à vous lire depuis plusieurs années.
Que vous dire d’autre que « Merci » !
P.K.