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LE « JÉSUS » DE J.C. PETITFILS

          Il paraît en moyenne un livre tous les 6 mois sur Jésus.

         Valeurs Actuelles du 29/9/11 publie des extraits du dernier en date, celui de Jean-Christian Petitfils (1). La présentation de la revue est alléchante : cette « monumentale biographie fait le point des connaissances historiques sur le Christ, à l’opposé des démarches sensationnalistes trop souvent adoptées sur le sujet. » Et de citer, après Renan, « les élucubrations pseudo-historiques de Jacques Duquesne ou de Prieur et Mordillat, obsédés par la volonté de démontrer que l’Église aurait dénaturé la vie et le message du Christ. »

          Le ton est donné.

I. La littérature sur Jésus

           Dans cette immense production littéraire, j’ai cru pouvoir distinguer quatre types d’approche (2) :

          – Les grands noms de la littérature (de Mauriac à Max Gallo) : tout grand écrivain se doitd’avoir écrit  avant de mourir son livre sur Jésus.

          – Les fantaisistes (Kazantzakis, Messadié) qui décrivent le Jésus de leurs rêves – et des nôtres.

          – Les commerciaux, qui exploitent les idées dont raffole le grand public pour les transformer en juteux droits d’auteur  (le Da Vinci Code).

          – Et l’imposante armée des spécialistes, scientifiques de haut niveau qui font preuve d’une masse impressionnante d’érudition.

          Où situer le Jésus de J.C. Petitfils ?

          Quelques exemples, tirés des extraits publiés par Valeurs Actuelles (3).

 II. La mauvaise foi au service de la foi

           « Comment se représenter Jésus, écrit l’auteur ? Si l’on s’en rapporte au linceul de Turin, il est de grande taille, pèse entre 77 et 79 kilos, etc. » Un historien qui s’appuie sur ce morceau de tissu controversé se disqualifie définitivement. On comparera avec la façon dont j’ai tenté une description de l’apparence de Jésus, en me limitant au seul texte des Évangiles (4).

           Jésus avait-il des frères de sang ? Après avoir rappelé les « quelques catholiques (sic !) qui adoptent la thèse d’une Marie mère de famille nombreuse », l’auteur s’enferme bien au chaud dans les conclusions du P. Grelot : il faut « considérer les frères de Jésus comme des cousins à la mode orientale », et comprendre que dans les Évangiles adelphos (frère) signifie en fait  anepsios (cousin).

          Mais le Nouveau Testament sait parfaitement faire la différence entre frère et cousin : les frères de sang (Caïn, Juda, Jechonias, Lazare, Pierre, Jean, Hérode, Jude) y sont unanimement et sans équivoque appelés adelphoi, et les cousins (Barnabé) anepsioi.

          Encore mieux dit l’auteur, « si Marie avait eu d’autres enfants, obligation leur aurait été faite de s’occuper de leur mère. » Mais c’est précisément ce que fait Jacques, le frère de Jésus ! Devenu chef de famille après la mort de son aîné, il prend avec lui sa mère Marie et l’emmène à Jérusalem (Actes 1,14).

           Jésus croyait-il être Dieu ? « L’historien répond affirmativement ». Hélas, ses arguments prouvent une méconnaissance totale de l’exégèse. Pour lui, ce sont les guérisons de Jésus qui font de lui l’égal de Dieu, tout comme sa liberté envers la Loi juive. Ầ l’appui, il cite quelques lignes choisies dans les passages de l’Évangile de Jean qui datent des années 90 et sont en contradiction avec d’autres, plus anciens, moins influencés par les objectifs de l’Église en formation.

           Jésus était-il un prophète ? Oui, dit l’auteur, et la preuve c’est qu’il a annoncé d’avance la destruction du Temple. Il conclut : « Au moment où les Évangiles [sont écrits], au début des années 60, le Temple… est encore debout. C’est la raison pour laquelle aucun évangéliste… n’a souligné que cette prophétie… était réalisée, ce qu’ils n’auraient pas manqué de faire, bien entendu, s’ils avaient écrit après le sac de Titus. » Alors que c’est précisément le contraire : à une première rédaction effectuée avant 70, les évangélistes ont ajouté après l’événement une annonce du sac du Temple, en la mettant dans la bouche de Jésus.

          Par ailleurs, inutile de rappeler à l’auteur que pour la Bible, le prophète n’est pas une Madame Soleil qui prédirait le futur, mais un Éveillé qui porte un regard d’ensemble sur notre destinée à la lumière du passé (qu’il connaît) et de la parole de Dieu (qu’il écoute).

 III. L’Histoire comme anxiolytique ?

           Il est donc clair que J.C. Petitfils est à ranger dans la 3° catégorie : celle des écrivains commerciaux. Qui se constituent un public en le rassurant par un mélange habile de vérités reçues et de contre-vérités.

          Contrairement bien sûr aux « élucubrations pseudo-historiques » des chercheurs, des spécialistes et de votre serviteur qui tentent, eux, de réveiller ce public en lui présentant un Jésus démaquillé, rajeuni par plus d’un siècle d’exégèse historico-critique extraordinairement exigeante.

           Nul doute que ce nouveau Jésus figurera en bonne place sur les tables de nos libraires. De même que le Valium, le Témesta et le Prozac sont toujours à portée de main sur les rayonnages de nos pharmacies.

                                    M.B., 6 oct 2011

Voyez dans ce blog une analyse plus complète de ce livre : cliquez

 (1) Jean-Christian Petitfils, Jésus, Fayard, 440 pages.

(2) Michel Benoît, Dieu malgré lui, Robert Laffont, 2001, p. 13.

(3) On me reprochera de parler de ce livre sans l’avoir lu en totalité : les 4 pages d’extraits publiés dans Valeurs Actuelles m’ont suffi.

(4) Dieu malgré lui, p. 43.