Entendu hier le sociologue Boris Cyrulnik commenter son dernier livre, sur la résilience.
Qu’est-ce que la « résilience » ? En physique, c’est la capacité des aciers à conserver leur intégrité après avoir subi des chocs. Analogiquement, c’est la capacité, pour un individu, à se relever d’un échec grave, à repartir après avoir frôlé la mort physique ou l’anéantissement psychologique ou mental. « Résilience » a la même racine que « résistance ».
Cyrulnik donne comme exemple les rescapés des Camps de la mort, ou les génocides récents.
On lui pose la question : « La résilience individuelle peut-elle s’appliquer de la même façon à des groupes humains, à des communautés, voire à des nations ? »
Oui, répond-t-il : exemple certains peuples, récemment soummis à des guerres qui avaient pour but de les exterminer, et qui s’en sont sortis mieux que d’autres, lesquels avaient pourtant connu une épreuve comparable à la leur.
On lui pose alors la question : « Dans le cas d’une communauté humaine, quelles sont les conditions de la résilience ? Que faut-il, pour qu’un peuple se relève de ses cendres ? »
Il faut deux choses, répond Cyrul :
1) De la solidarité entre les individus. Qu’ils se tiennent les uns les autres, qu’ils se soutiennent (moralement, idéologiquement, matériellement), qu’ils agissent en responsabilité collective.
2) Du sens. Qu’ils comprennent ce qui leur est arrivé, et pourquoi, et comment c’est arrivé.
Qu’ils puissent prendre du recul et se donner de la perspective. Pour qu’une communauté entre en résilience, il faut qu’elle sache d’où elle vient, comment elle en est arrivée là, pourquoi elle est menacée de disparaître. Ayant une idée claire et juste de son passé, elle peut commencer à se demander où elle va, et en prendre le chemin.
Pour une communauté, la claire connaissance de son histoire, son analyse honnête et sans concessions, est le préalable à toute renaissance.
Plus on y verra clair sur le passé, mieux on l’analysera, moins on se mentira sur les raisons et les causes du déclin, et mieux – et plus vite -on y verra clair pour repartir : pour avoir un avenir.
Une analyse lucide, courageuse, sans dérobade, du passé, est la condition nécessaire de la résilience – de la survie, de la renaissance, du redémarrage.
J’applique cette analyse pertinente à l’Église catholique, et à la civilisation qu’elle a nourri de l’intérieur pendant 17 siècles.
Si la communauté des catholiques (ou ce qui en reste !) demeure hypnotisée par son passé, ses références dogmatiques
-a- Sans faire face à la réalité : l’effondrement récent qu’elle connaît
-b- et en se contentant de répéter les slogans et les certitudes de ce passé évanoui…
Alors, il n’y aura pas pour elle de résilience : elle restera sous perfusion, alimentée par le goutte-à-goutte des certitudes figées.
Morte, en fait, dans un monde qui vit.
Mais si cette communauté accepte de comprendre le sens de ce qui lui est arrivé depuis 50 ans. Remontant le temps, si elle analyse le sens des grands tournant de son histoire, c’est-à-dire la création puis la lente pétrification de ses dogmes fondateurs. Si, enfin, elle se tourne à nouveau vers Jésus pour entendre ce qu’il a dit (et non pas ce qu’elle lui a fait dire)…
Bref, si elle cherche du sens non plus dans le retour aux certitudes qui ont prouvé leur faillite, mais dans l’analyse des événements passés, puis dans le message original du grand prophète dont elle se réclame, Jésus le nazôréen,
Alors, elle remplit la première condition.
Si, au lieu de condamner ou d’ignorer (ou d’étouffer) ceux qui sont à la recherche du sens, elle les écoute et répercute leurs voix, les diffusant pour qu’elles rencontrent d’autres voix, d’autres chercheurs de sens – bref, si la solidarité dans la quête de sens prend la place de l’autorité totalitaire, alors, elle remplit la deuxième condition.
Sans recherche du sens, et sans solidarité dans son expression et sa diffusion, le catholicisme continuera d’être un mort-vivant. Et l’Occident d’être privé de référent identitaire.
I have a dream…
M.B., octobre 2008