Les articles I, II, III de cette série (Catégorie « La question Jésus ») montrent que, depuis 19 siècles, la résurrection est au cœur de la question Jésus.
Revenons donc sur ce point crucial.
I. Réalité historique, ou acte de foi ?
Personne n’était présent au jardin du Golgotha, dans la nuit du 8 au 9 avril 30 : il n’y a eu aucun témoin d’une (éventuelle) résurrection de Jésus. La réponse à l’irritante question du tombeau trouvé vide n’est donc pas du domaine des faits (ni traces, ni témoignages), c’est une affirmation qui se fera jour, par la suite, dans l’Église primitive.
Cette évidence, Rudolf Bultmann (cliquez) en a tiré une conclusion radicale: la résurrection est un acte de foi pure, et cette foi en la résurrection fonde le christianisme.
Autrement dit : seul un acte de foi peut affirmer que Jésus est ressuscité, donc qu’il est Dieu. Et en retour, cet acte de foi en la résurrection permet seul d’affirmer que Jésus est Dieu, donc qu’il est ressuscité.
C’est ce qu’on appelle un cercle herméneutique : un serpent qui se mord la queue.
Pour en sortir, voyons les éléments historiques du dossier.
II. Le judaïsme à l’époque de Jésus
Pour Jésus comme pour son entourage, la foi en la résurrection des morts ne découlait pas d’une immortalité inscrite dans la nature humaine. C’était une re-création, par laquelle Dieu tire de la poussière ce qui, de soi, aurait dû y rester. Elle découlait de la justice divine, qui ne pourrait tolérer que ses fidèles s’effacent, éternellement, dans l’inexistence.
L’idée d’une résurrection générale au dernier jour, seconde création semblable à la première, était répandue dans le judaïsme populaire : « Je sais, dit Marthe à Jésus, que [mon frère] ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour » (Jn 11,24).
La littérature inter-testamentaire témoigne qu’apparaît, autour du I° siècle, une conception de la résurrection anticipée, individuelle : Le Livre des Jubilés pose la question de la survie de l’âme sans le corps, les Livres d’Hénoch, IV Esdras et Baruch reprennent plus tard la question. Mais ces textes, écrits entre le II° siècle avant et le II° siècle après J.C., traduisent la réflexion d’une élite intellectuelle marginale et cosmopolite.
Autour de l’an 30, la croyance populaire de la majorité des juifs en Israël restait celle d’une résurrection globale de tous les morts à la fin des temps, la réponse de Marthe à Jésus en témoigne.
Autrement dit, les apôtres et les milieux populaires auxquels ils se sont adressés sur le territoire d’Israël, pendant une longue période initiale, ne pouvaient pas concevoir une résurrection individuelle de Jésus, 36 heures après sa mort.
Et le kérygme, présenté pourtant comme la toute première prédication apostolique de la résurrection (immédiate) de Jésus, ne pouvait pas prendre naissance à Jérusalem, autour de Pierre.
III. Paul et l’invention de la résurrection
Dix-huit ans après la mort de Jésus, en l’an 51, Paul affirme aux Thessaloniciens :
» Voici ce que nous vous disons, d’après une parole du Seigneur : Jésus est ressuscité ! » (1 Th 4,14-15).
D’où vient à Paul cette « parole » d’un Seigneur, qu’il n’a pas connu ? Aurait-il été l’objet d’une révélation privée ? Ou bien est-ce une tradition venue de Jérusalem ?
Ce qu’il disait aux Thessaloniciens bouleversait tellement les idées reçues, que cinq ans plus tard il éprouve le besoin d’indiquer les sources de cette « parole » : « Je vous ai transmis ce que j’avais moi-même reçu : Christ est ressuscité le troisième jour, il est apparu à Céphas [Pierre], puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cent frères à la fois : la plupart sont encore vivants » (1 Co 15,3-6).
(Notez qu’en l’espace de cinq ans, Jésus est devenu « Christ » !)
Pour faire admettre sa nouvelle doctrine, Paul juge donc nécessaire d’invoquer l’autorité des apôtres, et le témoignage de « cinq cent frères ». Eh bien, il ment : nous savons que Jésus n’est pas apparu d’abord à Pierre, mais à Marie Madeleine puis à deux disciples fuyant Jérusalem. Et qu’il n’est jamais apparu collectivement à une foule de 500 disciples, dont le témoignage aurait donné un fondement solide à la foi en sa résurrection.
Pourquoi Paul ment-il ? Parce qu’il rencontre un gros problème : se faire accepter par l’establishment judéo-chrétien de Jérusalem. Le recours à l’autorité de Pierre, et au témoignage de 500 frères – impossibles à identifier – est une manœuvre politique, qui n’a dû tromper personne. Pierre avait quitté (été chassé de) Jérusalem en 44, mais son prestige auprès des judéo-chrétiens restait fort : Paul avait besoin de s’abriter sous ce parapluie.
J.P. Lemonon estime que Paul, qui vivait alors à Antioche, a dû y recevoir la tradition de Jérusalem vers l’an 40. C’est vraisemblable, mais la question se pose : cette tradition, venue de l’entourage des apôtres, incluait-elle la résurrection de Jésus ?
IV. La résurrection, une tradition venue de Jérusalem ?
Rien n’est moins sûr. Entre la mort de Jésus et la réception par Paul à Antioche, presque dix années se sont écoulées. Pendant cette période, des traditions orales venues de Judée circulent déjà (Paul ne semble guère avoir été avide de les connaître !). Ce sont elles qui vont donner naissance aux premiers « livrets » de paroles de Jésus. L’un de ces livrets – l’Évangile de Thomas – a été retrouvé à Nag Hammadi : il n’y est pas question de la résurrection de Jésus. Même chose pour la « Source Q« , collection de traditions primitives récemment reconstituée.
Ces livrets, d’où l’idée d’une résurrection de Jésus est absente, ont servi de base à ce qu’on appelle les « proto-évangiles » (Marc et Matthieu), dont aucun exemplaire ne nous est parvenu, mais dont des passages entiers ont été incorporés dans les Évangiles tels que nous les connaissons.
Il est donc vraisemblable que la résurrection de Jésus ne figurait pas dans la tradition primitive reçue, depuis Jérusalem, par Paul. C’est bien lui qui l’a inventée, pour répondre à des questions qui se posaient dans les milieux grecs où il évoluait. Sa première lettre de l’an 51 témoigne de l’inquiétude religieuse et philosophique concernant la mort et l’au-delà, qui taraudait les nouveaux convertis de Thessalonique.
V. Le kérygme et les faits
Introduite par Paul, la foi en la résurrection individuelle de Jésus finit peu à peu par s’imposer partout. On corrige alors les « livrets », on les annote, on amplifie : les Évangiles tels que nous les connaissons prennent naissance. Leur sens et leur portée sont complètement transformés : ils donnent l’impression que Jésus avait prévu sa résurrection, et que cette certitude conférait, à ses propres yeux, tout son sens à l’annonce de ses souffrances. Que la disparition du cadavre, au matin du 9 avril 30, trouve dans cette résurrection la seule explication possible.
En corrigeant les Évangiles, on met au point après-coup un kérygme, qu’on attribue à la toute première prédication des apôtres et qui devient une règle de la foi.
Pourtant l’Évangile de Marc, dans son avant-dernière version, prenait fin au « jeune homme vêtu d’une robe blanche » annonçant aux femmes : « Jésus a été relevé [egerthe], il n’est pas ici » (16,6). Egeirein signifie « se lever », « se relever » ou « se réveiller » : quand l’idée de la résurrection s’imposera, on traduira « relevé » par « ressuscité » (TOB). La « levée du corps » de Jésus, geste ordinaire qui a précédé son transfert « ailleurs qu’ici », s’est transformée en résurrection.
Dernière étape : les Actes des apôtres ont été écrits vers l’an 80. Soucieux de bétonner la version de Paul sur l’origine de ses sources, l’auteur attribue à Pierre la première annonce de la résurrection de Jésus, le jour de la Pentecôte (Ac 2,24).
Mais si Pierre avait parlé ce jour-là de résurrection en public, il aurait été arrêté par les autorités juives. Peut-être l’auteur s’en est-il rendu compte, puisqu’il met dans la bouche de Pierre une deuxième annonce de la résurrection, quelques semaines plus tard. Laquelle est effectivement suivie d’une arrestation immédiate par les autorités, « furieuses de le voir… annoncer la résurrection des morts » (Ac 4,2).
Masquée par les Évangiles, confirmée par les Actes, l’annonce par les témoins de la résurrection immédiate de Jésus (et le kérygme qui la met en forme) parviendra jusqu’à nous, comme une tradition apostolique primitive qui fonde la foi chrétienne.
Bultmann avait raison : la résurrection de Jésus ne repose sur aucune réalité historique. Mais il est utile de savoir qu’elle ne résulte pas non plus de la foi des apôtres, témoins de la mort et des apparitions du Maître. Elle a été inventée par Paul, en milieu grec, pour répondre aux inquiétudes métaphysiques de populations imprégnées d’hellénisme et de religions orientales.
Elle est le premier témoignage de l’introduction, dans le christianisme naissant, du paganisme contre lequel le peuple juif a lutté, pied à pied et contre tous, pendant des siècles.
Paganisme dont le juif Jésus n’aurait jamais pu imaginer, ni encore moins accepter, qu’on l’associe à sa mémoire.
M.B., 13 nov. 2008
à suivre dans ce blog : LE TEMPS DES PROPHÉTES : (V) L’ÉRE POST-CHRÉTIENNE
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