Le monde est en feu, ô moines !, s’exclamait un jour le Bouddha Siddhartha. Cinq siècles après lui, et dans un tout autre contexte, le Bouddha Jésus soupire : Je suis venu allumer un feu sur la terre, et comme je suis impatient de le voir prendre !
L’impatience dont font preuve les Éveillés est une constante : ils ont vu, ou ils voient. Ils souffrent des pesanteurs de ceux qui ne « voient » pas, qui ne veulent pas « voir ». Parfois, ils se taisent : le plus souvent, ils meurent d’impatience.
Notre situation est particulière.
Nous avons créé un tintamarre médiatique qui accentue notre surdité. Depuis les faux-plafonds dorés, sur les tapis rouges, des paillettes tombent en pluie sur les pipol et ensevelissent les prophètes. Comme un taureau dans l’arène, nous sommes étourdis par les muletas des faiseurs de spectacle. Et nous ne savons plus où donner de la tête.
Quelques uns prennent la peine de s’asseoir. Nul ne sait si ce sont des Éveillés, mais ils vivent à contre-courant. Au milieu d’informations qui n’ont jamais aussi été aussi abondantes, d’idéologies aussi réaffirmées, ils tentent de faire le tri. D’apercevoir quelques grands axes directeurs. Ils creusent, patiemment, l’une ou l’autre question centrale. Ce sont des économistes, des défenseurs de l’environnement, des chercheurs en sociologie, en politique, en biologie, en physique, en histoire, en exégèse.
Le plus souvent et sans le savoir, ils se rejoignent dans le souci de la beauté et de la dignité de l’humain.
Lorsqu’ils font entendre leur voix, c’est au milieu de l’immense vacarme des nouvelles vraies ou fausses, des dogmes anciens ou nouveaux, et des crispations qu’ils suscitent.
Car tout va très vite, de plus en plus vite. Un monde a disparu sous nos yeux. Nous n’avons plus le temps des nuances, de la réflexion apaisée : il faut crier pour se faire entendre. Nous sommes soumis à des chocs permanents : pour être écouté, il faut choquer.
Nous vivons dans l’urgence des temps en train de s’accomplir.
Quelques grands Éveillés du passé ont vécu en des périodes semblables aux nôtres : un monde était en train de mourir sous leurs yeux. Siddhartha, Jésus, Gandhi ou Martin Luther King, ils ont choqué : devant l’urgence qu’ils percevaient, le temps des précautions verbales leur a semblé révolu.
Le monde est en feu ! Malheur à vous, pharisiens ! Quit India now ! I have a dream ! : ils n’ont pas pris de gants.
Qu’ils soient grands ou petits, on reproche aux bousculeurs de l’ordre établi leur véhémence, ce côté un peu abrupt, leur manque de « rondeur », leurs impatiences.
J’envie Socrate, dont la légende dit qu’il a longtemps partagé sa méditation tranquille à l’ombre d’un pin parasol, entouré de quelques auditeurs avertis dont les questions mesurées l’aidaient à formuler sa pensée, tout en l’enrichissant au rythme paisible des jours.
Par la profondeur irénique de sa recherche, il voulait échapper à l’urgence : il a quand même dû se suicider.
M.B., 16 mars 2008