« Le processus est toujours le même », explique Élie Barnavi (Les religions meurtrières, Flammarion, 2006). Comme le judaïsme et l’islam, le christianisme est fondé sur un texte sacré, la Bible. Texte ancien, né dans une culture qui n’est plus la nôtre : il faut l’interpréter. A leur tour sacralisées, les interprétations s’empilent les unes sur les autres au cours des siècles.
La réforme consisterait à revenir aux sources, aux fondamentaux.
Quelles sources ? Mais (disent les réformateurs) le texte lui-même, débarrassé des couches successives d’emplâtres interprétatifs ! C’est ainsi qu’ont fonctionné toutes les tentatives de réforme du christianisme depuis le Moyen âge : redécouvrir la pureté du texte fondateur.
Ré-forme : retrouver la forme primitive, l’Église primitive, une origine rêvée, purifiée de la poussière accumulée pendant des siècles (cliquez).
Et c’est pourquoi aucune de ces réformes n’a pu aboutir. Car – on s’en aperçoit seulement depuis une cinquantaine d’années – l’Évangile lui-même est le produit d’une manipulation, non plus sur un texte, mais sur la mémoire d’un homme.
Revenir aux origines ? Si c’est à l’Évangile lu de manière fondamentaliste, ou à l’Église naissante décrite dans les Actes des Apôtres, c’est revenir à un texte qui comporte déjà des couches successives de réinterprétations, ou bien à une expérience idéalisée par l’auteur des Actes.
Rêver à une réforme par retour aux sources, c’est s’arrêter en chemin : car la source est déjà polluée, et gravement, par l’ambition politique, idéolgique et religieuse, de ceux qui ont mis la dernière main à l’écriture du texte « fondateur ».
On sait maintenant que les Évangiles ont été à la fois la mise par écrit d’une mémoire, et l’enjeu crucial d’une Église en train de se constituer grâce à eux. Le lecteur non-averti y reçoit en même temps l’écho du passage de Jésus en Palestine, et les éléments nécessaires à la création d’une imposture – la transformation d’un homme en dieu. Imposture indispensable à ceux qui avaient bien l’intention de bâtir, sur la mémoire faussée de Jésus, un empire religieux, idéologique et politique.
Contrairement à nos prédécesseurs, nous avons maintenant les moyens de distinguer, dans les textes tels qu’ils nous sont parvenus, la personne et l’enseignement de Jésus lui-même de ce que les « fondateurs » ont eu l’intention de lui faire dire ou de lui faire faire, pour parvenir à leurs fins .
Il ne s’agit pas de « réformer » le christianisme par un retour aux sources. Mais de décaper ces sources des couches de maquillage successif, à travers lesquelles elles nous sont présentées.
Le Christ une fois démaquillé, Jésus apparaît peu à peu. Visage étonnamment moderne, suggestif, parlant, d’un maître de vie individuelle et sociale qu’on croit rencontrer pour la première fois. Un homme attirant, fascinant, aimable et aimant. Déroutant aussi, car il n’emprunte aucune des voies sécuritaires de nos religions. Un homme qui instaure l’insécurité en règle de vie, en moteur d’action.
Pareil homme ne sera jamais populaire. Car les peuples aiment et plébiscitent ceux qui les flattent, les tranquillisent et les endorment. Jésus fait tout le contraire : il inquiète, il réveille et il dit vrai.
Aucune Église ne peut être construite là-dessus.
Jésus le solitaire semble ne devoir être connu et aimé que par des solitaires.