QUOI DE NEUF ? LES PSAUMES (II)

 

Les psaumes sont des prières juives écrites par des Juifs entre le 6e et le 3e siècle avant J.C. En fait, certains remontent peut-être à l’époque du roi David (1) à qui l’ensemble du Psautier (le recueil des 150 psaumes) a été attribué par la tradition juive. Or – et c’est étonnant -, alors qu’elle se séparait de la Synagogue, dès son origine la jeune Église chrétienne a considéré ces textes juifs comme sa prière de référence. Au 6e siècle, la Règle des moines dite ‘’de Saint Benoit’’ explique que, « puisque les moines d’aujourd’hui n’ont pas la force comme les Anciens de réciter les 150 psaumes en une journée », qu’ils en récitent au moins une bonne quantité répartie sur les 7 Offices du jour et de la nuit. Plus tard au milieu du Moyen-âge, le bréviaire imposé aux prêtres les a obligés à dire la totalité du psautier en une semaine. Et les psaumes furent introduits dans le rituel de la messe.

Fallait-il donc devenir un Juif-aux-psaumes pour être chrétien ?

L’allégorie

Conscients que la judaïté des psaumes les rendait impropres à la prière chrétienne, dès le 2e siècle des intellectuels, les ‘’Pères de l’Église’’, trouvèrent une solution : pour pouvoir les prier, il fallait ‘’allégoriser’’ les psaumes. C’est-à-dire leur faire dire autre chose que ce qu’ils disaient.

‘’Allégorie’’ vient du grec ἄλλος, différent, et ἀγορεύειν, dire publiquement. Dans la prière de l’Église il fallait trouver à chaque psaume un sens allégorique différent de son sens littéral. Le lire autrement qu’il avait été écrit.

 Autrement, mais comment ? Les Pères de l’Église décrétèrent que les psaumes annonçaient le Christ, qu’ils le préfiguraient et qu’ils étaient une illustration des dogmes chrétiens. Qu’on pouvait y lire que le Christ fut engendré par Dieu, qu’il était né d’une vierge, avait eu les mains et les pieds percés, nous avait envoyé son Esprit, etc. Bref, en donnant aux mots des psaumes un sens qu’ils n’avaient pas, on pouvait les déjudaïser et les christianiser

Pendant des années, le front plissé, l’esprit tendu, je me suis appliqué à donner un autre sens que leur sens littéral aux psaumes qui défilaient à toute allure devant mes yeux. À trouver le « sens christique » caché derrière le sens juif. Exercice intellectuel qui écartait toute possibilité de prière, puisque j’était trop occupé à interpréter pour laisser mon cœur aller vers ‘’Dieu’’. Heureusement, une partie des psaumes (environ un tiers) n’avait besoin d’aucune interprétation allégorique : c’étaient des cris de souffrance, de joie ou de louange à la fois humains et spirituels, tellement universels que leur sens coulait de source.

Apprendre à descendre en soi

Bien plus tard, quand je suis revenu aux psaumes après un parcours décrit ailleurs (2), j’ai compris qu’il était vain de leur donner un sens autre que le leur. Il fallait s’appliquer à soi-même, s’approprier en quelque sorte l’expérience vécue par les auteurs des psaumes.

Non pas « devenir Juif », mais entamer le même parcours que ces Juifs, dans ce qu’il a d’intemporel et d’éternel.

Car leur situation n’était pas tellement différente de la nôtre. Ils étaient en guerre permanente contre des ennemis menaçants qui voulaient les détruire dans leur identité, leur personnalité, leur âme. Certes, nos ennemis à nous ne sont plus les Philistins ou les Babyloniens. Ceux qui menacent de détruire notre intégrité, notre âme, et qui obscurcissent notre destinée, ils sont à l’intérieur de nous-mêmes. Ils sortent de leurs enfers pour nous y entraîner : « Vois comme nous sommes séduisants, disent-ils. Mais si tu nous suis, toi qui entres chez nous abandonne toute espérance ».

Si vous avez connu l’échec, si vous êtes dans l’impasse, si la souffrance est votre compagne, si le désespoir vous guette, alors les psaumes vous ouvrent leurs portes. Vous y trouverez plus malheureux que vous, et plus désespéré encore : « Je suis rassasié de malheurs, ma vie est au bord de l’abîme. Mes amis s’éloignent de moi, mon chemin est sans issue : ma compagne, c’est la ténèbre » (3).

Descendre au fond de soi. Voir dans les ennemis décrits par les psaumes ces adversaires de l’intérieur, ces démons sournois, masqués, ces maîtres de l’illusion, de l’hypocrisie et du mensonge, ces hackeurs silencieux de nos âmes qui pénètrent en elles pour y prendre toute la place, nous enfoncer dans le noir et nous détruire à partir de l’intérieur. Si vous avez connu l’une ou l’autre de ces situations, vous pourrez dire : « Babylone misérable, heureux qui saisira tes rejetons pour les briser contre le roc ! » (4)

Mais si vous êtes totalement satisfait(e) de vous, de ce que vous avez fait jusqu’ici, de vos succès, de la lumière des projecteurs, des gens que vous tenez bien en main et de ceux à qui vous léchez la main, si vous êtes parvenu(e) au sommet et n’avez plus à progresser, alors les psaumes ne sont pas pour vous. Vous n’en avez pas besoin, puisque vous n’avez besoin de rien ni de personne.

Certains psaumes vous feront découvrir ces failles intimes que vous vous cachiez si soigneusement jusqu’ici. D’autres vous sortiront de vous-mêmes, d’autres enfin seront la partition sur laquelle vous pourrez laisser éclater la joie et la louange.

Les psaumes nous prennent là où nous sommes, même si c’est très bas. Et ils nous font monter. Avant que nous allions plus loin, un seul conseil : ouvrez le psautier (5), et lisez à la suite, un par jour. Si un psaume que vous rencontrez ne vous dit rien ou vous rebute, n’insistez pas et passez au suivant. En revanche, dès que vous en trouvez un qui ‘’colle’’ exactement à ce que vous voudriez vous dire ou dire à ‘’Dieu’’, attardez-vous sur ses versets et savourez-les longuement.

Et alors bienvenue dans le monde des psaumes, compagnons de toute une vie.

                                                                                M.B., 23 mai 2021
                                                         (à suivre)
(1) Environ 1000 avant J.C.
(2) Cf. article précédent et Prisonnier de Dieu, mais aussi mes romans (Le secret du Treizième apôtre.  Jésus, mémoires d’un Juif ordinaire) qui sont en partie autobiographiques.
(3) Psaume 87.
(4) Psaume 136.
() Quelle traduction choisir ? Je vous recommande le Psautier, version œcuménique texte liturgique auquel j’ai collaboré, version utilisée dans toute la francophonie

4 réflexions au sujet de « QUOI DE NEUF ? LES PSAUMES (II) »

  1. Nadab

    Bonjour,
    Merci pour cet heureux texte.
    Si je devais ajouter quelque chose, je rappellerai simplement qu’en hébreu, on nomme le livre des psaumes « sefer tehilim », le livre des louanges. Et certainement, c’est bien ce qu’il enseigne, à louer Dieu dans toutes les situations, même les pires. Cela n’est pas limité au monde juif. Les chrétiens en ont fait la prière de i’Église à juste titre, même s’ils en ont parfois donné des interprétations tirées par les cheveux… Par ailleurs, le Coran reconnait les Psaumes comme faisant partie de la révélation, tout comme la Torah. Puissent tous les musulmans d’aujourd’hui s’en souvenir !
    Bien sûr, la totalité des psaumes ne sauraient être attribués au roi David. D’autres auteurs sont cités dans le texte même, Salomon ou les fils de Choré, ou encore Asaph. Le patronage du roi David est tout à fait symbolique.
    En vous souhaitant une agréable et profitable autant que désertique retraite.
    Nadab

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  2. De Rancourt

    bonjour Michel

    A l’époque où j’apprenais les psaumes par coeur, j’avais noté que c’était au contraire le ou les versets récalcitrants qui m’enseignaient le plus.

    En vous souhaitant d’en avoir fini avec vos aventures de santé
    ER

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  3. Jean Roche

    Bonjour,
    Même le Cantique de Salomon, poème d’amour charnel, a été considéré comme l’union du Christ et de son Eglise. Et il ne saute pas aux yeux, par exemple, qu’Isaïe 53 annonce Jésus.

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