I. PAQUE JUIVE
Deux événements structurent le judaïsme, encore aujourd’hui :
1) Le passage de la Mer Rouge, après la fuite d’Égypte : c’est à dire la Pâque.
2) La double rencontre au Sinaï, qui suivra la Pâque :
-a- La rencontre du buisson ardent : Moïse est seul, au pied de la montagne. Raconté au chap. 3 du livre de l’Exode, cet événement deviendra fondateur de la tradition prophétique juive.
-b- La rencontre de « Dieu », au sommet de la montagne : Moïse s’est séparé du peuple juif, resté dans la vallée. Cet événement, très souvent relu dans la Bible, deviendra fondateur de la tradition légaliste juive, qui aboutit à l’époque de Jésus à l’école pharisienne .
La double rencontre au Sinaï ne repose sur aucun fondement historique, elle est purement mythologique. En revanche, le départ de l’Égypte et le passage de la Mer Rouge ont un fondement historique. Ou plutôt, « auraient » : car la question est vivement discutée entre exégètes, historiens et archéologues.
Beaucoup croient en effet pouvoir identifier le récit d’Ex 12-14 avec un événement dont on retrouve trace dans les chroniques égyptiennes de l’époque : la présence en Égypte, puis le départ d’une communauté de Habirou, sans doute après le règne d’Akhénaton (1374-1347), initiateur de l’essai avorté de monothéisme autour du dieu Aton.
Il n’y a pas consensus chez les historiens, mais les indices cumulés sont suffisants pour soutenir l’hypothèse : une tribu de Habirous (qui deviendront « juifs ») se serait en effet enfuie d’Égypte dans des conditions conflictuelles, provoquant la colère du pharaon Ramsès II, avant d’errer longuement dans le désert.
Admettons qu’il y a un substrat historique à cette fuite d’Égypte, d’une tribu de travailleurs forcés, vers 1250 avant J.C. : autour de cet événement « historique » va se développer le mythe fondateur du judaïsme. Les dix plaies d’Égypte, le passage miraculeux de la Mer Rouge, la manne, les cailles… Tous éléments totalement mythologiques. Mais à l’origine du mythe, il y a eu un événement qui est de l’ordre des faits, non du mythe : si ténu que soit cet événement, il s’est passé quelque chose.
Et les historiens donnent même une explication simple du miracle de la Mer Rouge, d’où ils déduisent l’itinéraire probable suivi par les fugitifs conduits par Moïse.
De là à déduire que les chefs de cette bande de fugitifs (et donc, Moïse lui-même) étaient des prêtres d’Aton, obligés de quitter leur pays après l’échec de la réforme monothéiste d’Akhénaton… Et donc, de là à faire remonter l’invention du monothéisme non pas aux juifs, non pas à Moïse, mais à l’Égypte… Il y a plus qu’un pas : un enchaînement de probabilités, qu’un historien ne peut considérer qu’avec une grande circonspection.
Il n’empêche : de même qu’un grain de sable, glissé dans une huître, peut donner naissance à une perle précieuse, de même un événement (ténu certes, mais résistant à l’analyse) a donné naissance au mythe de la Pâque juive.
Le mythe, dans ce cas, prolonge l’Histoire : il se développe à partir d’elle.
II. PAQUE CHRÉTIENNE
La situation ici est totalement différente. Car les éléments de nature historique que nous possédons sont beaucoup plus solides, étayés par des témoignages croisés, pour certains indiscutables , et confirmés par l’étude du contexte socio-historique de l’époque.
Le 9 avril 30 à l’aube, un tombeau est trouvé vide aux portes de Jérusalem. Personne ne peut – ou ne veut – témoigner de la façon dont ce tombeau a été vidé de la présence du cadavre qu’y s’y trouvait, depuis le 7 avril en fin de journée. On a des informations très proches de l’événement : un ou deux « hommes en blanc » ont été vus et entendus par les femmes venues les premières inspecter le tombeau. Et le IV° évangile, le plus sûr témoin (en partie oculaire) des faits, rapporte la question posée par Marie de Magdala : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis… Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis » (Jn 20, 13-15).
Nous sommes là dans ce qu’on appelle la tradition pré-évangélique : elle témoigne, non pas d’un événement – une résurrection – mais d’un non-événement : l’absence, la disparition du cadavre. Dont il paraît évident, à ce stade de la tradition, qu’il n’a pas disparu miraculeusement, mais qu’il a été enlevé ou emporté.
Par qui ? Où ? C’est le secret le mieux gardé du christianisme.
Chose très rare, on peut dater avec précision la transformation de ce non-événement en événement fondateur : c’est lorsque Paul, en l’an 57, écrit aux corinthiens que « Notre Pâque, le Christ, a été immolée » (II Cor, 5,7).
A partir de ce moment, et jusqu’à aujourd’hui, le non-événement du tombeau trouvé vide se trouve à la base d’un mythe fondateur. La disparition du cadavre est assimilée à une Nouvelle Pâque, le cadavre est « passé » (signification de Pesha, pâque en hébreu) de l’état de mort à l’état de vie. Une vie éternelle, obtenue grâce à l’immolation du Nouvel Agneau Pascal, le Christ.
Pour les juifs, le mythe de Pâque pouvait s’appuyer sur un fait réel – c’est-à-dire non-mensonger. On peut en discuter les modalités, mais il semble difficile d’en nier l’existence objective : il y a bien eu fuite d’Égypte. Le mythe prolongeait l’Histoire, il se développait à partir d’elle
Tandis que pour les chrétiens, leur mythe pascal repose sur un non-événement, très rapidement interprété de façon mensongère : aucun fait réel ne peut venir étayer la proclamation de la résurrection du Christ, telle qu’elle apparaît en l’an 57 sous la plume de Paul. Au contraire, tous les indices de nature historique que nous possédons, indiquent que le cadavre a été emporté du tombeau provisoire de Joseph d’Arimathie.
Et donc, déposé ailleurs : dans un tombeau où les ossements de Jésus se trouvent toujours, quelque part dans le désert.
Le mythe ici ne prolonge pas l’Histoire : il ne se développe pas à partir d’elle, mais contre elle.
L’extraordinaire succès du mythe de la résurrection, appelé à conquérir l’univers chrétien, a tenu au génie de Paul : il a su rencontrer les attentes et les besoins d’une humanité désespérée par son présent, désireuse de pouvoir se rêver un avenir meilleur après la mort.
Nous sommes aujourd’hui le « samedi saint » 2007 : j’accompagne par la pensée ceux qui, il y a vingt siècles, préparaient à cet instant précis l’enlèvement du cadavre d’un supplicié de son tombeau provisoire. Afin qu’il ne soit pas jeté à la fosse commune, comme celui de tous les crucifiés de l’époque.
Geste de dévotion, geste de tendresse envers Jésus, auquel je m’associe pleinement.
D’autant plus que je sais – nous savons – que Jésus, comme tous les « Éveillés » de la planète, vit aujourd’hui et pour l’éternité dans ce que tous les prophètes et spirituels appellent (faute de mieux) le « ciel » : un endroit dont nul ne peut rien savoir, sinon que – lorsque j’aurai moi-même franchi l’étape de l’Éveil – j’irai l’y rejoindre, selon sa promesse :
« Voici, où je vais vous ne pouvez encore venir : mais moi, je vais vous préparer une place »
Le joie de Pâque, elle est là.
M.B. Samedi 7 avril 2007.